La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/05/2024 | FRANCE | N°23/00621

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 14 mai 2024, 23/00621


ARRET







[V]





C/



S.A.S. GIL FORMATIONS



























































copie exécutoire

le 14 mai 2024

à

Me Salmon

Me Jallu

CB/MR/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 14 MAI 2024



*************************

************************************

N° RG 23/00621 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IVNN



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE CREIL DU 30 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 22/00090)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [G] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Concluant par Me Marine SALMON, avocat au barreau de BEAUVAIS






...

ARRET

[V]

C/

S.A.S. GIL FORMATIONS

copie exécutoire

le 14 mai 2024

à

Me Salmon

Me Jallu

CB/MR/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 14 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 23/00621 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IVNN

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE CREIL DU 30 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 22/00090)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [G] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Concluant par Me Marine SALMON, avocat au barreau de BEAUVAIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. GIL FORMATIONS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Emmanuel JALLU de la SCP JALLU BACLET ASSOCIES, avocat au barreau de BEAUVAIS

DEBATS :

A l'audience publique du 14 mars 2024, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 14 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 14 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [Z], épouse [V], née le 10 février 1985, a été embauchée à compter du 9 mai 2008 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Gil formations, ci-après dénommée la société ou l'employeur, en qualité d'enseignante de conduite automobile.

La société Gil formations compte moins de 11 salariés.

La convention collective applicable est celle des services de l'automobile.

Le 19 mars 2015, Mme [V] a été victime d'un accident de la circulation qui a été reconnu comme étant d'origine professionnelle par la CPAM.

Elle a été placée en arrêt de travail à la suite de cet accident puis en congé maternité jusqu'au 1er août 2016.

Le 21 avril 2018, la salariée a subi un second accident de la circulation.

Mme [V] a fait l'objet d'un arrêt de travail du 22 novembre 2018 au 16 avril 2019, puis du 30 avril 2019 au 28 février 2021.

Le 1er mars 2021, le médecin du travail a rendu un avis « d'inaptitude totale et définitive pour le poste actuellement occupé » de Mme [V], en précisant que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Par courrier du 24 avril 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à licenciement, fixé au 5 mai 2021.

Par lettre du 8 mai 2021, elle a été licenciée pour inaptitude d'origine non professionnelle.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil par requête reçue au greffe le 6 mai 2022.

Par jugement du 30 décembre 2022, le conseil a :

débouté Mme [V] de sa demande liminaire de sursis à statuer relative à la contestation de la décision de la Cpam ;

débouté Mme [V] de sa demande de sursis à statuer relative à la délivrance des relevés de l'organisme de prévoyance Ciprev ;

condamné la société Gil formations à payer à Mme [V] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

condamné la société Gil formations aux entiers dépens.

Mme [V], qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 février 2024, demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné la société Gil formations à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leur demande de plus en plus contraires ;

- condamné la société Gil formations aux entiers dépens ;

Statuant de nouveau de,

juger que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

condamner la société Gil formations à lui payer les sommes suivantes :

- 25952,97 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

- 7090,14 euros au titre de son indemnité spécifique de licenciement ;

- 4513,56 euros à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents à hauteur de 451,35 euros ;

- 2258,74 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour retard dans le paiement des salaires et dans la remise des bulletins de salaire ;

condamner la société Gil formations à lui remettre un certificat de travail, solde de tout compte et attestation Pôle Emploi, outre bulletins de salaire conformes aux termes du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

condamner la société Gil formations à lui payer la somme de 3500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

La société Gil formations, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 février 2024, demande à la cour de :

confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

en conséquence, débouter Mme [V] de l'ensemble des demandes formulées au soutien de son appel ;

condamner Mme [V] à lui verser en cause d'appel la somme de de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 4 mars 2024.

MOTIFS

Sur la demande de dommages et intérêts pour retard dans le paiement des salaires et dans la remise des bulletins de salaire 

Mme [V] soutient que l'employeur a tardé pour payer les salaires et pour la remise des bulletins de salaire, qu'elle en justifie ; que cette situation a occasionné des difficultés financières car certaines des échéances de ses prêts n'ont pu être honorées.

L'employeur conteste le paiement tardif rétorquant que l'ensemble des bulletins de paie était adressé à la bonne adresse, que si elle a pu être payée avec retard, celui-ci était minime et payé selon la périodicité de l'article L3242-1 du code du travail, qu'il n'est pas établi la réalité d'un préjudice alors que la salariée était aussi responsable du retard de paiement en adressant les décomptes des indemnités journalières à n'importe quelle période du mois pour qu'elle les transmette à la caisse de prévoyance.

Sur ce

En application de l'article L. 3242-1 du code du travail les salariés doivent être payés au minimum selon la périodicité suivante d'une fois par mois pour les salariés mensualisés.

En l'espèce, il apparaît que s'il a pu se produire un retard dans le paiement des salaires, celui-ci n'a été que de quelques jours alors que le contrat de travail ne mentionne pas une date particulière de paiement des salaires et que les relevés bancaires produits par la salariée mentionnent que des avances sur salaires étaient régularisées par l'employeur.

La cour relève en outre que si Mme [M] a écrit à plusieurs reprises à l'employeur pour se plaindre du paiement de la complémentaire maladie, l'employeur lui a répondu en précisant qu'à compter d'avril 2019 il n'y avait pas subrogation de l'employeur qu'il avait payé l'intégralité du salaire alors qu'elle percevait directement les indemnités journalières ce qui a induit un trop-perçu nécessitant une régularisation. Par ailleurs l'expert-comptable de la société a attesté le 23 juin 2022 que les versements des prestations complémentaires prévoyance avaient été effectives à la salariée d'après les relevés communiqués par la Ciprev à compter de juillet 2020 date de la reprise du dossier social.

Enfin la délivrance de fiches de paie de façon tardive, ce dont justifie la salariée par les réclamations auprès de l'employeur qu'elle produit aux débats, n'a pas nécessairement occasionné un préjudice pour elle alors qu'elle ne rapporte aucun élément en ce sens.

La cour par confirmation du jugement déboutera Mme [M] de sa demande en dommages et intérêts pour retard dans le paiement des salaires et dans la remise des bulletins de salaire. 

Sur le licenciement

Sur la prescription de l'action de la salariée

La société invoque la prescription de l'action de la salariée qui serait prescrite car portant sur l'exécution du contrat de travail, en l'occurrence sur une transgression qu'elle aurait commise avant le 6 mai 2020. La salariée conteste la prescription de son action car elle a saisi la juridiction dans l'année du licenciement, l'employeur confondant l'action du moyen.

Sur ce

L'article L 14711 du code du travail dispose que " Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Le premier alinéa n'est toutefois pas applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7 et L. 1237-14, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5. "

En l'espèce la demande de Mme [V] porte non sur l'exécution du contrat mais sur la légitimité du licenciement qu'elle estime sans cause réelle et sérieuse. S'il est évoqué une éventuelle violation de l'obligation de sécurité de l'employeur, celle-ci constitue non une demande spécifique mais un moyen à l'appui de la demande au titre de l'illégitimité du licenciement. La demande est en conséquence recevable est non prescrite puisqu'engagée par requête déposée le 6 mai 2022 devant le conseil de prud'hommes alors que le licenciement a été notifié le 8 mai 2021 soit dans l'année. Le jugement qui n'avait pas tranché ce point pourtant soulevé en première instance mais qui avait débouté la salariée de ses demandes, rejetant implicitement la prescription, sera confirmé.

Sur la violation de l'obligation de sécurité

Mme [M] argue qu'elle a été victime de deux accidents de la route les 19 mars 2015 et 21 avril 2018 et n'a pas bénéficié d'une visite de reprise auprès de la médecine du travail alors que le premier accident a laissé des séquelles occasionnant un déficit fonctionnel permanent et le second n'a pas été régulièrement déclaré à la Cpam comme accident du travail, que l'employeur a manqué à l'obligation de sécurité alors qu'elle n'aurait pas dû reprendre le travail du fait de l'incapacité subsistante et que si elle avait consulté le médecin du travail elle aurait a minima bénéficié d'un aménagement de poste, que la pathologie névralgie cervico-brachiale droite est la résultante des deux accidents et a motivé l'avis d'inaptitude. Elle ajoute que le pôle social est saisi d'une contestation en reconnaissance de maladie professionnelle, que malgré deux arrêts pour maternité elle n'a pas plus bénéficié de visites de reprise, elle en conclut que le licenciement pour inaptitude non professionnelle doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse car l'inaptitude est la résultante du manquement de l'employeur à lui faire passer les visites de reprise de la médecine du travail alors qu'il s'agit d'une obligation pesant sur l'employeur ; elle souligne que l'étude de poste produite par la société ne la concerne pas mais une collègue.

Enfin elle invoque le comportement de l'employeur qui a laissé M. [F], un de ses collègues la dénigrer sur la qualité de son travail et en tenant des propos misogynes à son égard à l'origine de sa dépression.

La société réplique que l'avis d'inaptitude a été délivré par la médecine du travail à la suite d'une visite de reprise même si elle a été demandée par la salariée , que cet avis ne vise pas une problématique consécutive à un accident ; que la corrélation possible entre l'état de santé et l'origine professionnelle relève de la procédure devant le pôle social seul habilité à trancher cette question.

Elle argue que si Mme [M] considérait à n'importe quel moment de la relation de travail qu'elle devait rencontrer le médecin du travail elle avait tout loisir de le faire ce qu'elle a fait le 25 janvier 2021 sans que soit abordé la question des cervicalgies mais une dépression post-partum hors hypothèse de rechute de l'accident de mars 2015, qu'il ne peut dés lors être invoqué une quelconque violation de l'obligation de sécurité alors que l'attestation de Mme [N] sur un harcèlement moral n'est pas circonstanciée.

Sur ce

Sur l'absence de visite de reprise

L'article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».

En application de l'article R. 4624-31 du code du travail le salarié doit bénéficier d'un examen par le médecin du travail après un congé maternité, une absence d'au moins 30 jours pour cause d'accident du travail ou encore après une absence d'au moins 60 jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel. Cet examen doit avoir lieu au plus tard dans un délai de 8 jours.

L'article R 4624-32 du même code précise que cet examen a pour seul objet d'apprécier l'aptitude du salarié à reprendre son poste, de préconiser le cas échéant l'aménagement, l'adaptation du poste ou le reclassement du salarié et d'examiner les propositions de l'employeur.

Ainsi l'employeur ne peut laisser un salarié reprendre son travail après une période d'absence d'au moins 30 jours pour cause de maladie sans le faire bénéficier, lors de la reprise du travail, ou au plus tard dans les 8 jours de celle-ci, d'un examen par le médecin du travail destiné à apprécier son aptitude à reprendre son ancien emploi, la nécessité d'une adaptation des conditions de travail ou d'une réadaptation ou éventuellement de l'une et de l'autre de ces mesures. Le non-respect par l'employeur de ses obligations relatives à la visite médicale de reprise ouvre droit en principe à des dommages-intérêts.

Or en l'espèce il est constant que Mme [M] n'a pas bénéficié de visite médicale de reprise et ce à 2 reprises, suite à un accident du travail survenu le 19 mars 2015 alors que l'arrêt a perduré plus de 30 jours et suite à son premier congé maternité, étant précisé que le second accident de travail du 21 avril 2018 n'a pas entraîné d'arrêt de travail mais des soins si bien qu'un examen de reprise, n'était pas exigé.

C'est à l'initiative de la salariée qu'une visite médicale dans le cadre de l'article R 4624-34 alinéa 2 a été organisée, celle-ci anticipant un risque d'inaptitude.

La cour relève que le premier accident du travail survenu le 19 mars 2015 a occasionné une contusion du rachis lombaire sans lésion osseuse. Le 6 juin 2017 le médecin désigné dans le cadre d'une procédure d'assurance a indiqué qu'il persistait des troubles de la sensibilité de l'index et que la patiente faisait état de manifestations cervicales douloureuses et a retenu une AIPP de 3 %. A l'issue du second accident du travail en avril 2018 la salariée présentait des cervicalgies et lombalgies et en avril 2019 le docteur [R] désigné dans le cadre d'une liquidation de préjudice corporel par la compagnie d'assurance relevait que Mme [M] se plaignait de cervicalgies et lombalgies spontanées à l'effort récurrentes depuis 2015 et de paresthésies de l'index droit.

La salariée a produit à la procédure son dossier médical auprès de la médecine du travail qui indique au 25 janvier 2021 (visite de reprise) une névralgie cervico-brachiale droite confirmée lors de l'examen du 1er mars 2021 par IRM et précise « orientation MDPH et inaptitude ce jour ».

Ainsi il est établi par les pièces de la procédure que l'inaptitude de Mme [V] a été fondée sur les cervicalgies dont on peut relier l'origine à l'accident du 19 mars 2015, aucune pièce antérieure n'en démontrant l'antériorité.

L'employeur en n'organisant pas la visite de reprise pourtant obligatoire n'a pu permettre un examen par le médecin du travail destiné à apprécier son aptitude à reprendre son ancien emploi, la nécessité d'une adaptation des conditions de travail ou d'une réadaptation ou éventuellement de l'une et de l'autre de ces mesures. Ainsi la violation de l'obligation de sécurité est caractérisée.

Sur l'absence de prévention du harcèlement moral

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l'article L.1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et il appartient à l'employeur de mettre en 'uvre les mesures nécessaires pour éviter aux salariés d'être victime de harcèlement moral.

En l'espèce, Mme [M] produit aux débats le témoignage d'une ancienne secrétaire administrative Mme [N] qui atteste que leur collègue M. [F] « passait son temps à la dénigrer elle mais aussi Mme [M] auprès des élèves et tenait des propos misogynes », que le gérant M. [X] était informé de ce harcèlement mais n'avait jamais réagi.

Si l'employeur le conteste il ne verse aucun élément en sens contraire.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que la société Gil formations a manqué à son obligation de sécurité en laissant Mme [M] supporter les réflexions humiliantes tenus par un salarié à son égard ni prendre aucune mesure au sens de l'article L. 4121-1 du Code du travail alors qu'il en était informé.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

Mme [M] soutient que le licenciement pour inaptitude est à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'il est en lien avec le comportement fautif de l'employeur quant aux manquements à l'obligation de sécurité.

La société réplique que la cause du licenciement, fondée sur l'inaptitude de la salariée est réelle et sérieuse, alors qu'il n'existe pas d'autre motif pour l'expliquer.

Sur ce

La cour rappelle à titre liminaire qu'elle a compétence pour trancher les litiges relatifs aux conditions du licenciement et à l'indemnisation du salarié dont le licenciement est illégitime. Dés lors la procédure initiée par Mme [V] devant le pôle social qui ne vise qu'à la prise en charge d'une maladie cervicalgie au titre des risques professionnelles est indépendante des demandes formées devant la présente cour d'appel.

Il résulte des développements qui précèdent que l'avis d'inaptitude a été rendu par la médecine du travail au regard des cervicalgies de la salariée dont l'origine peut être reliée aux suites de l'accident du travail de mars 2015. En n'adressant pas Mme [M] à la médecine du travail après un arrêt de plusieurs mois suite à cet accident et alors d'une part qu'il subsistait une AIPP et d'autre part que son travail de monitrice d'auto-école l'amenait à exercer son activité professionnelle en voiture ce qui entrainait des contraintes posturales peu compatibles avec sa pathologie, le lien entre le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité envers la salariée et la survenance de l'inaptitude est établi, ce manquement de l'employeur est de nature à invalider le licenciement prononcé à la suite d'un avis d'inaptitude avec dispense de reclassement.

Le licenciement sera en conséquence jugé sans cause réelle et sérieuse et ce par infirmation du jugement.

Sur les demandes indemnitaires

Mme [M] sollicite une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondante à 11,5 mois de salaire au regard de l'importance du préjudice subi, une indemnité spécifique de licenciement car l'inaptitude est d'origine professionnelle outre l'indemnité de préavis et les congés payés afférents et des dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement car l'employeur n'a pas respecté le délai de 5 jours entre la convocation à l'entretien préalable et celui-ci.

La société ne réplique pas sur les demandes hormis celle relative au non-respect de la procédure de licenciement précisant que si elle reconnaît qu'il manquait un jour au délai requis, l'indemnité fixée à titre de réparation par les premiers juges est suffisante.

Sur ce

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

La cour retient que Mme [M] ayant au jour du licenciement une ancienneté de 13 ans, elle est en droit d'obtenir en vertu de l'article L.1235-3 du code du travail, entre 3 et 11,5 mois de salaires bruts dès lors que la société emploie moins de 11 salariés, et cela en sus des indemnités de rupture.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de Mme [M], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de la salariée doit être évaluée à la somme corrrespondant à 10 mois de salaire sur un salaire de référence de 2258 euros non spécifiquement contesté.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Gil formation à payer à Mme [M] la somme de 22 580 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité spéciale de licenciement

L'article L 1226-14 du code du travail édicte que « Lorsque le licenciement pour inaptitude est justifié par l'impossibilité de reclassement ou le refus par le salarié de l'emploi proposé, le montant de l'indemnité de licenciement est, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égale au double de l'indemnité légale de licenciement prévue par l'article L. 1234-9 du code du travail.

Les règles spécifiques applicables aux salariés inaptes, victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle, s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Or si la cour a jugé que l'inaptitude avait pour origine les cervicalgies apparues suite à l'accident du travail en mars 2015, l'employeur ne pouvait avoir connaissance au moment du licenciement de l'origine professionnelle de la pathologie présentée par Mme [M] qui a provoqué l'inaptitude professionnelle. En effet le secret médical s'imposait à l'employeur et la salariée n'a saisi la Cpam d'une demande de prise en charge de cette pathologie au titre des risques professionnels qu'en novembre 2021 alors que le licenciement a été prononcé le 8 mai 2021.

Faute d'établir que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, la demande de versement de l'indemnité spéciale de licenciement doit être rejetée, par confirmation du jugement.

Sur l'indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun

Lorsque le licenciement pour inaptitude est justifié par l'impossibilité de reclassement ou le refus par le salarié de l'emploi proposé, le salarié a droit à une indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun. (article L. 1226-14 du code du travail).

En outre le versement de l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 1226-14 du Code du travail ne donne pas droit au salarié à l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis

En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-2 du Code du travail, le salarié a droit à un délai-congé dont la durée varie en fonction de l'ancienneté, avec une ancienneté supérieure à 2 ans, la durée du préavis est fixée à 2 mois.

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, le salarié avait une ancienneté de 13 ans l'indemnité légale de préavis doit donc être fixée à la somme de 4513 euros, par infirmation du jugement sur ce point.

Sur l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement

Les dispositions des articles L.1235-2 du code du travail et L.1235-3 du code du travail ne permettent pas le cumul de l'indemnité dûe en cas de rupture du contrat de travail dépourvue de cause réelle et sérieuse avec celle sanctionnant l'irrégularité de la procédure de licenciement.

La demande à ce titre sera rejetée et le jugement infirmé sur ce point.

Sur la demande en dommages et intérêts pour préjudice moral

La salariée n'établissant pas l'existence d'un préjudice moral distinct de celui déjà indemnisé par la condamnation à des dommages et intérêts en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse sa demande sera rejetée par confirmation du jugement.

Sur les documents de fin de contrat

Il convient d'ordonner à la société Gil formations de remettre à Mme [M] les documents de fin de contrat conformes au présent jugement sans qu'il soit nécessaire à ce stade d'assortir ce point à une astreinte faute de démontrer que l'employeur ne s'y soumettra pas spontanément.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de première instance seront confirmées.

La société Gil formations succombant pour l'essentiel en cause d'appel, il n'est pas inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'elle a exposés pour la présente procédure d'appel. Elle sera déboutée de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et sera condamnée aux dépens d'appel.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais qu'elle a exposés pour la présente procédure. La société sera condamnée à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- débouté Mme [M] de ses demandes en dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, au titre de l'indemnité spécifique de licenciement, à titre de congés payés au titre de l'indemnité compensant l'indemnité de préavis  et à titre de dommages et intérêts pour retard dans le paiement des salaires et dans la remise des bulletins de salaire sous astreinte

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile -

- condamné la société Gil formations aux dépens

Statuant à nouveau et y ajoutant

dit que le licenciement de Mme [G] [M] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;

condamne la société Gil formations à payer à Mme [G] [M] les sommes suivantes :

- 22 580 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 4513 euros à titre d'indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun ;

condamne la société Gil formations à remettre à Mme [G] [M] un certificat de travail, solde de tout compte et attestation Pôle Emploi, outre bulletins de salaire conformes aux termes du présent arrêt ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

Condamne la société Gil formations à payer à Mme [G] [M] la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

- Déboute la société Gil formations de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent arrêt

Condamne la société Gil formations à supporter les dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/00621
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;23.00621 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award