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14/05/2024 | FRANCE | N°23/00311

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 14 mai 2024, 23/00311


ARRET







[B]





C/



S.A.S.U. DEMO INJECTION



























































copie exécutoire

le 14 mai 2024

à

Me Tarragano

Me Fauquant

CB/MR/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 14 MAI 2024



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N° RG 23/00311 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IU2B



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 08 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00281)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [I] [B]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Concluant par Me Marie-Laure TARRAGANO de la SELEURL TARRAGA...

ARRET

[B]

C/

S.A.S.U. DEMO INJECTION

copie exécutoire

le 14 mai 2024

à

Me Tarragano

Me Fauquant

CB/MR/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 14 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 23/00311 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IU2B

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 08 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00281)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [I] [B]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Concluant par Me Marie-Laure TARRAGANO de la SELEURL TARRAGANO AVOCAT, avocat au barreau de PARIS

Me Jean-Michel LECLERCQ-LEROY de la SELARL LOUETTE-LECLERCQ ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AMIENS, postulant

ET :

INTIMEE

S.A.S.U. DEMO INJECTION agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée et concluant par Me Véronique FAUQUANT de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON, avocat au barreau de VAL D'OISE substituée par Me Emilie RICARD, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 14 mars 2024, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 14 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 14 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [B], né le 13 février 1980, a été embauché à compter du 2 octobre 1996 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Sotecplast, puis par la société Demo injection, ci-après dénommée la société ou l'employeur, en qualité de pilote qualité développement.

La société Demo injection emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle de la plasturgie.

Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait la fonction de cadre en sa qualité de responsable développement outillage.

M. [B] a été placé en arrêt de travail du 19 février 2019 jusqu'au 18 mars 2021.

Il a de nouveau fait l'objet d'un arrêt de travail du 19 mars jusqu'au 25 avril 2021, prolongé jusqu'en mai 2021.

Demandant la résiliation judiciaire du contrat de travail et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Beauvais le 14 mai 2021.

Par jugement du 15 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Beauvais s'est déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Creil.

Le 30 juillet 2021, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude définitive à l'égard de M. [B], en précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par courrier du 27 août 2021, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement, fixé au 7 septembre 2021.

Par lettre du 10 septembre 2021, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de pourvoir à son reclassement.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil, par requête reçue au greffe le 20 septembre 2021.

Par jugement du 8 décembre 2022, le conseil a :

- ordonné la jonction des instances enregistrées sous les numéros de dossiers n° RG 21/00281 et 21/00302, conformément aux articles 367 et 368 du code de procédure civile ;

- fixé le salaire mensuel moyen de M. [B] à 4 387,68 euros brut ;

- jugé irrecevable comme prescrites les demandes découlant d'une modification du code du travail ;

- jugé que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [B] était fondé ;

- débouté les parties de leurs plus amples demandes ;

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que chaque partie conservait la charge de ses propres dépens.

M. [B], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 avril 2023, demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel de la décision.

Y faisant droit,

infirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de résiliation judiciaire pour faute grave, et de sa demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude (reprise conseillée des chefs de jugement critiqués même s'il n'y a pas d'obligation légale ni de sanction jurisprudentielle à ce jour).

Et statuant à nouveau,

fixer la moyenne de son salaire à 4 827,04 euros brut mensuel.

A titre principal,

juger que la société Demo injection a commis des manquements graves avec :

- rétrogradation qui lui a été imposée entrainant une modification unilatérale du contrat de travail ;

- manquements à l'obligation de santé et de sécurité à son égard ;

- juger à titre principal que les fautes graves de la société entrainent la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts et griefs exclusifs de la société ;

juger que cette résiliation entraine les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Et par conséquent,

condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

- 84 473,2 euros (4 847,02 x 17,5 mois de salaire) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 48 712,86 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (conformément à l'article 2.2 « Indemnité de licenciement pour les Cadres » de l'avenant du 25 octobre 2018 relatif aux indemnités de licenciement et de retraite ) ;

-14 481,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 448,11 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 28 962,24 euros au titre des indemnités pour préjudice moral et physique 6 mois ;

- 20 000 euros au titre des dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et sécurité de moyen renforcé.

Subsidiairement,

juger que son inaptitude physique est due au manquement de l'employeur à son obligation de santé et de sécurité de moyen renforcée ;

juger que le licenciement pour inaptitude est en conséquence sans cause réelle et sérieuse.

Et par conséquent,

condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

- 84 473,2 euros (4 847,02 x 17,5 mois de salaire) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 48 712,86 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (conformément à l'article 2.2 « Indemnité de licenciement pour les Cadres » de l'avenant du 25 octobre 2018 relatif aux indemnités de licenciement et de retraite) ;

- 14 481,12 euros au titre de l''indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 448,11 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 28 962,24 euros au titre des indemnités pour préjudice moral et physique 6 mois ;

- 20 000 euros au titre des dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et sécurité de moyen renforcé.

En tout état de cause,

condamner la société Demo injection à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction directe est requise au profit de maître Leclercq.

La société Demo injection, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juin 2023, demande à la cour de :

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- jugé irrecevables les demandes découlant d'une éventuelle modification du contrat de travail de M. [B] ;

- débouté M. [B] de sa demande visant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de l'ensemble de ses demandes financières ;

- jugé fondé le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [B] et l'a débouté de l'ensemble des demandes formulées de ce chef.

A titre subsidiaire, et si par impossible la cour devait estimer la rupture du contrat de travail de M. [B] dépourvue de cause réelle et sérieuse :

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé le salaire moyen brut de M. [B] à la somme de 4 387,68 euros ;

débouter M. [B] de ses demandes visant le paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de congés payés.

à tout le moins, ordonner la compensation entre les sommes qui pourraient être allouées de ce chef et celles qu'elle a déjà versées ;

limiter le montant des dommages et intérêts sollicités par M. [B] à une somme correspondant à 3 mois de salaire et à tout le moins, ramener à une plus juste mesure les sommes qu'il demande de ce chef ;

débouter en toutes hypothèse, M. [B] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que de ses demandes de dommages et intérêts complémentaires pour préjudice moral et physique et non-respect par de l'obligation de santé et de sécurité de moyen renforcé ;

condamner M. [B] à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 14 mars 2024.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la résiliation judiciaire

M. [B] soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité à son égard, il argue qu'il a été victime de placardisation, de bore out constitutif de harcèlement moral en ce que la nouvelle organisation du travail l'a dépossédé de ses missions et de son autonomie, qu'il n'avait plus de contact ni avec ses collègues ni avec les clients, qu'il a vainement fait appel à son supérieur hiérarchique et à la direction générale, qu'il a été dirigé vers le service des ressources humaines qui n'a pas plus pris de mesure particulière à son endroit hormis qu'il devait régler le problème à l'interne, que la situation économique ne peut seule expliquer sa mise à l'écart. Il ajoute qu'il a fini par obtenir un rendez-vous le 9 février 2021 sans que des solutions lui soient proposées pour résoudre sa souffrance, que 10 jours plus tard il a été placé en arrêt maladie pour dépression et épuisement professionnel, qu'à son retour au travail il s'est senti encore plus mal et a été de nouveau placé en arrêt de travail jusqu'en mai 2021 pour bore out.

M. [B] relate qu'en 2013 il occupait des fonctions de responsable développement outillages internes sous traités à la société Sotecplast et externes et travaillait avec les commerciaux, devenu cadre en 2016, qu'à compter de 2017 et 2018, la société a opéré des modifications de son organisation pour conforter sa position concurrentielle avec un nouveau fonctionnement sur les sites existants dans un but de décentralisation, que M. [W] initialement commercial devenait responsable de développement et responsable technique ce qui aboutissait à vider de leurs substances ses fonctions originelles pour d'autres secondaires non contractuellement définies et donc à une modification unilatérale de son contrat de travail, qu'à compter du 2 avril 2019 M. [C] a été nommé directeur commercial et du développement si bien que M. [W] était désormais chargé de l'ingénierie jusqu'aux supports commerciaux, fonctions qui étaient celles qu'il occupait jusqu'alors, perdant toute autonomie, sans plus de relation avec le service commercial, n'exerçant que sous la surveillance de M. [W], sans aucune responsabilité, devant même soutenir M. [V] pourtant en retraite. Il argue que la modification de son contrat de travail s'inscrit dans un motif économique qui avait pour objectif la sauvegarde de la compétitivité, pourtant aucune procédure économique adéquate n'a été mise en place, que la société Sotecplast était trop petite pour être réactive, que l'employeur a fini par reconnaitre qu'il y avait un changement dans ses tâches et sa hiérarchie puisque le 26 février 2021 il lui a proposé une mise à jour de ses fonctions.

Il fait valoir que cette situation a impacté gravement sa santé provoquant un syndrome dépressif, que malgré ses alertes auprès de la direction générale et celle des ressources humaines, sa souffrance n'a pas été prise en compte, entrainant la dénonciation de sa situation par le CSE, que l'attestation de M. [R] est mensongère, les échanges avec lui le démontrant, que l'évaluation qui est produite lui est inconnue car ne comporte pas la mention apposée par le service RH.

La société réplique que M. [B] ne travaillait pas pour les outillages internes mais à l'externe essentiellement avec la société de droit portugais GDS, qu'elle a toujours été satisfaite de son travail ce qui est attesté par les évaluations, qu'en 2018-2019, une réorganisation a été mise en place sans pour autant modifier les fonctions et le rattachement du salarié, que ce n'est qu'à compter de la fin de l'année 2020-2021 que M. [B] n'a eu de cesse que de dénoncer la dénaturation de ses fonctions et de son mal-être, que l'activité outillage a chuté à compter de 2019 et a impacté le marché et l'activité du salarié, que suite à son retour après le premier arrêt de travail il s'est isolé dans son bureau refusant toute interaction alors qu'elle était dans une situation délicate car le conseil du salarié l'avait informé de son état dépressif.

Elle conteste tout manquement à l'obligation de sécurité précisant que la réorganisation de 2018 n'était pas liée à des difficultés économiques ni à des mutations technologiques ni encore à une quelconque nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise mais au départ à la retraite de M. [V] anticipée d'ailleurs depuis 2016, remplacé d'abord par M. [G] qui concentrait les fonctions commerciales et techniques puis par M. [W] et [C] avec division de ces fonctions mais ce changement ne modifiant ni les fonctions du salarié ni son autonomie, alors que le changement de supérieur hiérarchique ne constitue pas une modification du contrat de travail, que les tâches que le salarié décrit comme accessoires notamment l'assistance à la maintenance, faisaient partie de ses fonctions habituelles prévues à la fiche de poste.

L'employeur affirme que l'évaluation est validée dés lors qu'elle est signée des deux parties sans nécessité assentiment de la RH, qu'en 2019 le salarié a eu moins de missions du fait de manque d'activité dans le secteur automobile, que M. [V] en retraite, a terminé ses missions liées à la rhéologie non reprises par M. [G], en signant un contrat à durée déterminée avec la société Sotecplast.

La société soulève la prescription de la demande de M. [B] au titre du changement du contrat de travail car la requête devant le CPH est datée du 14 mai 2021 alors que le rattachement à M. [W] date de l'année 2016, sa désignation en qualité de responsable technique remonte au mois de janvier 2018 et le rattachement des pilotes qualité développements date du 1er avril 2019 ; sur le fond elle argue que le poste du salarié n'avait pas vocation à disparaitre puisqu'il a été remplacé, que la mise en conformité de la fiche de poste n'impliquait pas un changement du contrat de travail puisque les tâches ne lui sont pas été retirées et étaient celles effectivement réalisées depuis le 1er janvier 2016.

La société conteste toute rétrogradation faisant valoir que le salarié n'établit pas l'avoir alerté sur sa souffrance au travail, les pièces produites n'étant pas probantes, que malgré un recul de la production industrielle au second semestre 2019 elle avait réussi à développer les nouveaux outils en 2019 sur lesquels a travaillé M. [B] en parfaite autonomie en privilégiant son outilleur français plutôt que de recourir à un étranger en sollicitant M. [B] pour qu'il apporte son expertise ce qu'il rechignait à faire du fait de ses mauvaises relations avec la société Sotecplast, que s'en est suivi la crise sanitaire avec une chute de l'activité si bien qu'elle lui a demandé d'aider à la production ce qui est une de ses fonctions et sans volonté de l'évincer.

Elle souligne que malgré les difficultés, elle n'a pas licencié, que la direction des ressources humaines a échangé avec le salarié lui faisant des propositions concrètes entrant dans ses fonctions alors que les membres du CSE attestent pour infirmer les dires de M. [B], que l'arrêt maladie du 19 février 2021 ne mentionne pas la pathologie et qu'il s'agissait d'un arrêt de travail classique et que l'origine professionnelle de l'inaptitude n'est pas soulevée.

Sur ce

Sur la prescription

En application de l'article L1471-1 alinéa 1 du code du travail dispose que 'Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture. '

En l'espèce M. [B] argue du manquement de l'employeur par rétrogradation entrainant une modification unilatérale du contrat de travail mais son action vise à obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, action qui n'est pas soumise à une prescription.

Le salarié a été licencié le 10 septembre 2021 mais avait saisi le conseil de prud'hommes de Beauvais par requête du 14 mai 2021, le manquement de modification unilatérale du contrat de travail constitue un moyen à l'appui de sa demande en résiliation judiciaire et non une demande spécifique. Son action était donc valablement engagée le 14 mai 2021 et les premiers juges ne pouvaient juger prescrites les demandes découlant d'une modification du contrat de travail pouvant fonder la demande de prononcé de la résiliation judiciaire.

Sur le fond

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Si le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

La résiliation judiciaire à la demande du salarié n'est justifiée qu'en cas de manquements de l'employeur d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

En l'espèce, M. [B] a été licencié pour inaptitude et absence de possibilité de reclassement le 10 septembre 2021, alors qu'il avait formulé une demande de résiliation judiciaire le 14 mai 2021.

Il fonde sa demande de résiliation judiciaire sur :

- une rétrogradation imposée entrainant une modification unilatérale du contrat de travail,

- un manquement à l'obligation de santé et de sécurité au travail.

Sur le premier grief invoqué :

Le salarié a été embauché à compter du 5 décembre 2011 en qualité de pilote qualité développement au régime collaborateur, en 2013 il a été promu au poste de responsable développement outillage et sa fiche de poste mentionne qu'il dépend hiérarchiquement du directeur commercial, qu'il assiste le technico-commercial et le pilote qualité développement et liste ses missions, à savoir assurer le développement et la réalisation des moules conformément au planning, au cahier des charges et aux budgets établis et apporte son expertise technique en cas de besoin.

En janvier 2016 il a été promu au statut de cadre toujours soumis hiérarchiquement au directeur commercial branche ou toute personne pouvant lui être substituée. Puis à la suite du départ en retraite fin 2017 de M. [V], directeur général, en janvier 2018, ce dernier a été remplacé par M. [G] regroupant des fonctions commerciales et techniques qui a désigné en mars 2018 M. [C] responsable commercial branche et M. [W] responsable technique de la branche Safe Demo, séparant ainsi les deux branches d'activité.

Le salarié produit aux débats les échanges de courriels entre le 21 décembre 2020 et le 9 février 2021 au terme desquels il indique se sentir mis « au placard » allant au-delà du ralentissement du lancement des moules, que la situation est problématique dans son service et la réponse de la direction des ressources humaines qui indique que la situation est induite par la diminution significative de l'activité outillage en période de covid 19, ressentie par la société Demo mais aussi par la société Sotecplast qui a du placer des équipes au chômage partiel est insuffisante à ses yeux, que faute de lui proposer de nouveaux développements d'outillage il est proposé de recentrer deux autres aspects des fonctions à savoir l'assistance à la production du site dans la maintenance curative et préventive des moules et l'apport de son expertise technique de l'outillage dans la branche plasturgie, qu'il ne s'agit en aucun cas de mise au placard ni même d'une volonté de l'exclure du travail qui ne repose pas uniquement sur le développement de nouveaux moules mais que la crise sanitaire induit l'absence de nouveaux lancements, qu'il faut être flexible et être ouvert aux adaptations de l'organisation.

M. [W] responsable technique et supérieur hiérarchique de M. [B] atteste que sa nomination en 2018 n'a pas changé la situation du salarié qui était déjà en 2016 sous sa hiérarchie, qu'il n'y pas eu d'impact sur le périmètre ni la charge ni l'autonomie dont il disposait, la répartition des tâches entre eux étant toujours la même, que M. [B] n'intervenait pas dans les relations avec la société Sotecplast du fait de ses mauvaises relations avec elle, qu'à aucun moment il n'a été évoqué l'idée de le licencier.

La cour relève que la fiche de poste de M. [W] comprend la supervision de la charge globale du développement, la supervision et l'animation de l'équipe pilotes qualité développement, du responsable outillage et du responsable essais, assurait le soutien technique de l'équipe commerciale face aux clients, ses fonctions étaient donc différentes de celles exercées par M. [B]. Celui-ci dont la note de classification datant de mai 2007 le désigne en qualité d'ingénieur technico-commercial sous l'autorité de M. [V] a procédé aux évaluations de M. [B] depuis 2016 référencé comme son N+1. Aucun changement n'est donc intervenu quant au rattachement hiérarchique en 2018, M. [G] alors directeur commercial pouvant contractuellement rattacher ce lien hiérarchique avec un autre salarié, en l'occurrence M. [W].

M. [B] ne rapporte pas d'éléments précis démontant qu'il a vu ses missions réduites et a été mis « au placard », ces affirmations ne relevant que de ses propres déclarations alors que l'assistance aux équipes de maintenance outillage dans le cas de réparation à réaliser en interne ou en externe fait partie intégrante de ses missions et que l'employeur justifie que les demandes de nouveaux outils avaient chuté à 0 en 2020 alors que l'employeur avait fait le choix stratégique de préserver la société française Sotecplast en situation difficile pendant l'année 2020 ayant dû recourir au chômage technique étant précisé que l'activité de M. [B] se déployait essentiellement à l'externe (Turquie, Portugal, Chine ).

Si l'employeur a indiqué vouloir préciser en février 2021 que le périmètre d'activité du salarié comprenait les outillages externes uniquement et non internes, la cour relève d'une part qu'il ne s'agissait que d'une précision puisque la fiche de poste initiale ne mentionnait pas de distinction interne ou externe et d'autre part que du fait des relations difficiles de M. [B] avec la société Sotecplast il n'intervenait pas au niveau interne.

La cour observe que le salarié a bénéficié tous les ans d'augmentation de salaire depuis 2011, qu'il a été évalué de façon satisfaisante, les fiches d'évaluation signées ne pouvant être considérées comme invalides uniquement par l'absence de l'apposition de la transmission au service RH.

Enfin, le fait que M. [V] ait été embauché par la société pour un contrat à durée déterminée est sans incidence puisque M. [B] n'était pas chargé de la rhéologie et que M. [V] qui lui l'était et en était chargé lorsqu'il était salarié en CDI, a été recruté en qualité d'expert rhéologie, faute pour la société de disposer d'un salarié qualifié dans ce domaine.

Il n'y a pas eu réorganisation de l'activité mais adaptation temporaire liée aux fluctuations du marché, l'activité se déployait à l'interne avec la société Sotecplast et à l'externe, mais du fait de la conjoncture, les missions du salarié ont été portées sur l'apport d'expertise technique et non plus sur le développement et la réalisation de moules ; dans les deux cas ces missions faisaient partie intégrante de sa fiche de poste. Il ne saurait être reproché à l'employeur de ne pas avoir affecté le salarié sur de la conception pour la société Sotecplast puisqu'il est attesté à la procédure qu'il entretenait de mauvaises relations avec celle-ci ; la cour observant en outre que la volonté de réduire les coûts en période difficile (réduction de frais fixes, blocage de certains investissements) n'induit pas un nouveau fonctionnement de la société, ce document émanant par ailleurs du groupe et non de la société elle-même.

Ce manquement n'est donc pas caractérisé.

Sur le second grief invoqué :

M. [B] justifie d'une alerte envoyée le 21 décembre 2020 en soirée à la direction des ressources humaines des courriels pour se plaindre du fait qu'un membre du CSE avait souhaité lui parler de sa situation ce qui le gène, qu'il n'en avait pas parlé avec lui au préalable et fait état d'une réunion avec elle par skype. Il est acquis aux débats que M. [B] a présenté une dépression qui a entrainé un arrêt maladie à compter du 19 février 2021 pendant 3 semaines, qu'il a repris le travail une journée pour de nouveau être placé en arrêt maladie jusqu'en mai 2021.

Si le salarié soutient que le courriel de juillet 2018 est une alerte sur ses conditions de travail, la cour observe qu'il s'agit de critiques sur le service commercial et non d'une plainte sur la perte de ses missions. Il ne rapporte pas la preuve d'alertes antérieures au 21 décembre 2020.

La directrice des ressources humaines a répondu le lendemain matin de l'alerte du salarié en précisant qu'elle avait pu échanger avec M. [W] qui devait aborder le sujet avec le nouveau directeur général et lui indiquait que la situation était la résultante du manque d'activité ou la non activité du développement des outillages et la nécessité d'alimenter la société Sotecplast, qu'elle va provoquer une réunion entre le salarié, le directeur général et M. [W] après les fêtes.

Une réunion a été programmée le 9 février 2021 et si M. [B] a maintenu avoir le sentiment d'avoir été placardisé, il n'en demeure pas moins que l'employeur, d'une part a fait le choix stratégique de confier les rares développements outillages à la société filiale Sotecplast pour la maintenir avec un minimum d'activité, d'autre part a proposé au salarié face à la problématique de l'absence de projets à l'externe de lui confier des missions comme l'assistance à la production du site dans la maintenance curative et préventive des moules et d'apporter son expertise technique de l'outillage au sein de la branche plasturgie sur le site de [Localité 2], missions déjà prévues à sa fiche de poste.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que l'employeur, alerté par le salarié, a réagi et lui a proposé des solutions à sa difficulté mais il ne peut être reproché à la société de ne pas avoir modifié sa politique stratégique pour maintenir l'activité sur la société Sotecplast.

Faute d'établir les manquements invoqués, la cour, par confirmation du jugement, déboutera M. [B] de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail entrainant les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes indemnitaires subséquentes.

Sur l'inaptitude physique due au manquement de l'employeur à son obligation de santé et de sécurité de moyen renforcée 

M. [B] affirme que malgré ses dénonciations de souffrance et de placardisation la Direction lui a confié des missions subalternes provoquant une dépression sans qu'elle ne réagisse manquant en cela à son obligation de sécurité à son égard.

La société s'y oppose répliquant qu'elle a pris toutes les mesures adéquates.

Sur ce

L'article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».

La cour a jugé précédemment que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de sécurité notamment en répondant dés le lendemain matin de l'alerte du salarié, en organisant une réunion a réagi et en lui proposant des solutions à sa difficulté.

La cour déboutera M. [B] de sa demande en manquement à l'obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude invoquée et la requalification du licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes indemnitaires subséquentes.

Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

M. [B], qui succombe en ses prétentions, sera condamné aux dépens d'appel.

Au regard des circonstances de l'espèce il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles d'appel et seront déboutées de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement rendu le 8 décembre 2022 par le conseil des prud'hommes de Creil en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a jugé irrecevables comme prescrites les demandes découlant d'une modification du contrat de travail

y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne M. [I] [B] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/00311
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;23.00311 ?
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