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14/05/2024 | FRANCE | N°22/05035

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 14 mai 2024, 22/05035


ARRET







[L]





C/



S.A.S. LASSIDIS



























































copie exécutoire

le 14 mai 2024

à

Me Gilles

Me Anton

CB/MR/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 14 MAI 2024



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******************************

N° RG 22/05035 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ITJ5



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 30 SEPTEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00178)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [F] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Concluant par Me Jean-Marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avoca...

ARRET

[L]

C/

S.A.S. LASSIDIS

copie exécutoire

le 14 mai 2024

à

Me Gilles

Me Anton

CB/MR/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 14 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 22/05035 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ITJ5

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 30 SEPTEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00178)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [F] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Concluant par Me Jean-Marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. LASSIDIS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 4]

[Localité 2]

Concluant par Me Laurent ANTON de la SELARL ANTON LAURENT, avocat au barreau D'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 14 mars 2024, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 14 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 14 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Blache THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [K], épouse [L], née le 14 décembre 1964, a été embauchée à compter du 26 octobre 2011 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel par la société Lassidis (la société ou l'employeur), en qualité d'employée commerciale. La relation contractuelle s'est ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 27 avril 2012. Mme [L] est passée à temps complet à compter du 1er mai 2013.

La société Lassidis compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle du détail et de gros à prédominance alimentaire.

En 2016, Mme [L] a été élue en qualité de déléguée du personnel de la société Lassidis.

Elle a été placée en arrêt maladie du 2 février 2019 jusqu'au 22 mai 2020.

Le 22 mai 2020, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte, en précisant qu'elle « serait apte à un poste identique mais dans un autre environnement de travail ».

Par courrier du 10 juillet 2020, Mme [L] n'a pas donné suite aux solutions de reclassement proposées par la société Lassidis.

Par lettre du 14 août 2020, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne le 13 juillet 2021.

Par jugement du 30 septembre 2022, le conseil a :

débouté Mme [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

condamné reconventionnellement Mme [L] à verser à la société Lassidis la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné Mme [L] aux entiers dépens.

Mme [L], qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 26 juin 2023, demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions (dommages-intérêts pour harcèlement moral, dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, dommages-intérêts pour licenciement nul à titre principal et sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, préavis, congés payés sur préavis, heures supplémentaires, congés payés afférents, intérêts légaux à compter de la saisine du conseil, remise des documents de fin de contrat et bulletins conformes, indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens) ;

- l'a condamnée reconventionnellement à verser à la société Lassidis la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Et statuant à nouveau :

juger qu'elle a subi de la part de la société Lassidis un harcèlement moral, lequel a altéré sa santé, dégradé ses conditions de travail, susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ;

juger dès lors que le licenciement pour inaptitude prononcé à son égard est nul, avec toutes conséquences de droit, et subsidiairement requalifier ce licenciement en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

condamner dès lors de ce chef la société Lassidis à lui payer les sommes suivantes, majorées des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Compiègne :

- 3 280 euros au titre du préavis (deux mois) ;

- 328 euros au titre des congés payés afférents ;

- 32 000 euros au titre des dommages-intérêts.

De plus,

condamner la société Lassidis à lui verser les sommes suivantes :

- 5000 euros en dommages-intérêts, au titre du harcèlement ;

- 5000 euros en dommages-intérêts, au titre du manquement à l'obligation de sécurité ;

condamner par ailleurs la société Lassidis, avec majoration au titre des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Compiègne, à lui payer les sommes suivantes :

- 2 191,04 euros au titre des heures supplémentaires ;

- 219, 10 euros au titre des congés payés afférents ;

condamner la société Lassidis à lui remettre, dans le mois suivant la signification de la décision, les documents de fin de contrat et bulletins de salaire conformes à la décision à venir ;

débouter la société Lassidis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

condamner la société Lassidis à lui verser, au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3 000 euros ;

condamner la société Lassidis aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Lassidis, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 avril 2023, demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [L] de l'intégralité de ses demandes, à savoir :

- dommages et intérêts pour licenciement nul ou abusif ;

- l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents ;

- dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- dommages et intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité ;

- rappels sur salaire au titre de la réalisation de prétendues heures supplémentaires, outre les congés payés y afférents ;

- les frais irrépétibles ;

statuant sur l'appel incident, condamner Mme [L] à lui payer la somme de 3500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'ensemble de la procédure, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 octobre 2023 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 14 mars 2024.

MOTIFS

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L.3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L.3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Enfin, selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d' heures supplémentaires , il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Mme [L] revendique le paiement d'heures supplémentaires non réglées en 2018 et 2019 alors qu'elle fournit un tableau récapitulatif avec un cumul à la semaine, que les feuilles de pointage de l'employeur ne couvrent pas toute la période revendiquée et ne sont pour la plupart pas signées par elle tout en étant peu lisibles et compréhensibles.

La société s'y oppose répliquant que les tâches confiées ne nécessitaient pas des heures supplémentaires, que la salariée ne justifie pas d'une telle demande alors qu'elle ne produit que deux extraits imprimés de badgeuse sur lesquels elle a apposé sa signature sous réserve de régularisation et seulement pour la période comprise entre le 4 et le 10 juin 2018, qu'une régularisation est de toute façon intervenue sur le bulletin de paie de juin 2018. Elle fait valoir que le tableau produit a été rédigé pour la cause et n'est pas opérant, qu'elle verse aux débats les extraits de badgeuse en contradiction avec les affirmations de Mme [L], que ces relevés n'ont pas à être signés par l'intéressée.

La salariée verse aux débats un tableau pour les périodes comprises entre le 1er juillet 2018 et fin décembre 2019 mentionnant les horaires et les heures qu'elle indique avoir effectués, dont le détail est mentionné au jour le jour avec un cumul sur chaque semaine et le solde d'heures supplémentaires sollicité.

La cour ne peut retenir la pièce 6 puisqu'elle concerne l'année 2017 pour laquelle la salariée ne forme aucune demande. En revanche la pièce 7 pour les 2 semaines des 4 et 11 juin 2018 reprenant les fiches de pointage mentionne «sous réserve de régularisation » et est signée de Mme [L].

La prétention de la salariée étant ainsi suffisamment étayée, il appartient donc à l'employeur de se conformer à son obligation de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par Mme [L].

La société produit en réponse les fiches de pointage pour toute la période revendiquée soit du 1er juillet au 2 février 2019 étant précisé qu'après cette date la salariée a été placée en arrêt de travail ininterrompu si bien que l'employeur a repris l'intégralité de la période concernée. Les éléments produits par l'employeur, pris ensemble ou séparément, permettent d'établir la réalité des horaires effectivement travaillés par Mme [L], grâce à la mise en place au sein de l'entreprise d'un décompte des horaires de travail notamment par un système d'enregistrement automatique.

La cour relève que quand bien même les fiches de pointage ne sont pas signées, la seule période pour laquelle la salariée a émis une protestation suite aux éditions de fiches de pointage vise les 2 semaines des 4 et 11 juin 2018, ce que l'employeur ne conteste pas puisqu'il verse les mêmes pièces. L'employeur a payé les 2 heures 38 effectuées la semaine du 4 juin ainsi que le prouve la fiche de paie. La cour observe que le badgage est un comptage automatique et non un relevé d'heures déclarées d'où il se déduit qu'il n'y a pas nécessité d'une signature de la salariée, sa protestation n'étant pas probante.

En revanche pour la seconde semaine du 11 juin 2018 la fiche de pointage mentionne la réalisation de - 5,15 heures alors qu'en calculant les heures théoriques des heures effectuées la différence n'est pas en moins mais en plus. L'employeur ne justifie pas pour cette période le paiement des 5 heures supplémentaires qu'il a lui-même repris 5,15 heures, même s'il l'a par erreur retenu comme un moins alors qu'il s'agit d'heures en sus de l'horaire théorique.

La salariée est donc bien fondée à revendiquer le paiement de 5,15 heures supplémentaires correspondant à une somme de 51,08 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens et la société sera condamnée à payer à Mme [L] la somme de 51,08 euros.

Sur le harcèlement moral

Mme [L] affirme avoir été victime de harcèlement moral de l'employeur qui a entrainé une souffrance au travail amenant un état de burn out et un arrêt de travail à compter du 2 février 2019, que le directeur M. [W] lui faisait subir des brimades, humiliations et remarques désobligeantes qui l'ont contrainte a déposé une plainte en gendarmerie puis une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction. Elle fait état d'accumulation de tâches harassantes, de modification régulière du planning et du non-paiement d'heures supplémentaires, la société produisant des témoignages mensongers et de pure complaisance, qu'elle n'a pu disposer d'équipements de travail nécessaires à son activité.

L'employeur conteste tout harcèlement rétorquant que la plainte déposée a été classée sans suite, que deux autres salariés avaient déposé plainte dans le même temps ce qui prouve l'action concertée et que la cour a jugé que le harcèlement invoqué n'était pas caractérisé, la plainte avec constitution de partie civile n'ayant été régularisée que pour les besoins de la cause et n'a pas plus été suivie d'effet ; que les pièces médicales n'établissent pas de lien entre le travail et la dépression, que la fiche de poste de commerciale depuis 10 ans ne prouve pas l'existence de tâches harassantes alors que la salariée n'a jamais émis de plainte à cet égard.

Il ajoute que la salariée est mal venue de prétendre que les plannings étaient modifiés alors les seules modifications l'étaient à sa demande car elle ne les respectait pas ; qu'elle justifie de l'attitude courtoise du directeur envers Mme [L] qui n'usait que du pouvoir normal de direction, notamment en relevant les manquements professionnels de l'intéressée ce qu'elle n'a pas accepté.

Sur ce

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l'article L.1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la salariée, soutient que l'employeur lui a imposé une surcharge anormale de travail, modification régulière de plannings et non paiement des heures supplémentaires et brimades de son supérieur hiérarchique.

Toutefois, la salarié ne produit pas de pièce relative aux modifications régulières des plannings ni à la surcharge anormale de travail et à la modification régulière de plannings. Elle verse aux débats une plainte déposée auprès de la gendarmerie de juin 2019 et une autre plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction le du 19 juillet 2021. Toutefois ces deux plaintes n'apparaissent pas avoir eu de suite judiciaire.

La cour a précédemment retenu 5,15 heures supplémentaires non payées ce qui n'est pas significatif.

Si la souffrance qui ressort indiscutablement des éléments médicaux produits, seul élément restant, ne peut être niée, il demeure que la salariée ne présente pas d'éléments de fait matériellement établis laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Dans ces conditions, le harcèlement moral ne saurait donc être retenu, et l'ensemble des demandes subséquentes seront rejetées et ce par confirmation du jugement.

Sur le non-respect de l'obligation de sécurité

Mme [L] argue que l'employeur n'a pas respecté l'obligation de sécurité en ce qu'elle a été victime de harcèlement moral, qu'elle a eu les doigts gelés lors du nettoyage de congélateurs de la société constatés par la médecine du travail, contestant avoir coupé le bout des gants alors que l'employeur devait veiller à leur utilisation correcte.

La société dénie tout manquement répliquant que le harcèlement moral n'est pas établi et que dés son embauche la salariée avait reçu les équipements nécessaires à la réalisation de ses tâches, que les brulures causées par le froid ne sont que la résultante du fait qu'elle avait coupé les gants pour en faire des mitaines, qu'elle l'avait alerté sur la nécessité de respecter les consignes de sécurité.

Sur ce

L'article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».

La salariée prétend que l'employeur aurait manqué à son obligation de sécurité en ne lui fournissant pas d'équipements nécessaires pour réaliser ses tâches dans un environnement de surgelés. Elle produit une attestation de suivi individuel de santé daté du 7 mars 2016 suite à une reprise après accident du travail relatif à des brulures du bout des doigts dont on peut déduire qu'elles auraient été causées par le froid des congélateurs où travaillait Mme [L].

L'employeur produit plusieurs attestations de collègues de Mme [L] qui indiquent qu'elle travaillait parfois avec des gants de protection transformés en mitaines avec cette précision qu'elle avait découpé les gants pour les modifier et que l'employeur fournissait au personnel des gants pour travailler.

Par ailleurs le 1er février 2019 la société a adressé à Mme [L] un courrier relevant divers manquements dans son travail et lui rappelant la nécessité de respecter les consignes relatives à l'hygiène et à la sécurité de vigilance.

Le manquement à l'obligation de sécurité relatif aux équipements professionnels n'est donc pas établi.

Par ailleurs, la cour a rejeté précédemment la demande de la salariée au titre du harcèlement moral, second motif de manquement invoqué par la salariée.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour, par confirmation du jugement, déboute Mme [L] de sa demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement

Mme [L] sollicite de la cour qu'elle juge le licenciement nul du fait du harcèlement moral ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse du fait du manquement à l'obligation de sécurité.

La société s'y oppose faute de harcèlement moral et de tout manquement à l'obligation de sécurité.

Sur ce

La cour ayant précédemment jugé que Mme [L] n'avait pas été victime de harcèlement moral, sera, par voie de confirmation, déboutée de sa demande de dire le licenciement pour inaptitude nul du fait de son lien avec le harcèlement moral, et de l'ensemble de ses demandes subséquentes.

La cour ayant précédemment jugé que la société n'avait pas manqué à son obligation de sécurité envers Mme [L], cette dernière sera, par voie de confirmation, déboutée de sa demande de dire le licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse et de l'ensemble de ses demandes subséquentes.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions du jugement entrepris sont infirmées.

Il n'apparait pas inéquitable de laisser à la charge des parties les sommes qu'elles ont exposées pour la procédure d'appel. Elles sont déboutées de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.

Succombant partiellement la société supportera les dépens de l'ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement par arrêt mis à disposition du greffe et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Compiègne le 30 septembre 2022 sauf en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande relative aux heures supplémentaires et en ce qu'il l'a condamnée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

Condamne la société Lassidis à payer à Mme [F] [L] la somme de 51,08 euros à titre d'heures supplémentaires

Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure

Rejette les demandes plus amples ou contraires

Condamne la société Lassidis aux dépens de l'ensemble de la procédure.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/05035
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;22.05035 ?
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