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13/05/2024 | FRANCE | N°23/03516

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 13 mai 2024, 23/03516


ARRET







S.A.S. GSA LOGISTICS





C/



[F]



































































copie exécutoire

le 13 mai 2024

à

Me BARRIE

Me DORE

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 13 MAI 2024

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N° RG 23/03516 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I3BU



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 24 JUILLET 2023 (référence dossier N° RG 22/00085)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.S. GSA LOGISTICS

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée , concluant et plaidant par Me Aurélien BARRIE d...

ARRET

S.A.S. GSA LOGISTICS

C/

[F]

copie exécutoire

le 13 mai 2024

à

Me BARRIE

Me DORE

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 13 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 23/03516 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I3BU

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 24 JUILLET 2023 (référence dossier N° RG 22/00085)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. GSA LOGISTICS

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée , concluant et plaidant par Me Aurélien BARRIE de la SELARL POLDER AVOCATS, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Julien-Olivier MARRE, avocat au barreau de LYON,

ET :

INTIME

Monsieur [X] [F]

né le 08 Septembre 1970 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté, concluant et plaidant par Me Christophe DORE de la SELARL DORE-TANY-BENITAH, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Isabelle LESPIAUC, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 13 mars 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame Corinne BOULOGNE en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 13 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 13 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [F], né le 8 septembre 1970, a été embauché à compter du 1er septembre 1998 par la société Barlatier, puis, à compter du 1er septembre 2018, son contrat de travail a été transféré à la société GSA logistics (la société ou l'employeur).

Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait la fonction de directeur d'exploitation.

La société GSA logistics compte plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des transports routiers.

Par courrier remis en main propre le 8 février 2022, M. [F] s'est vu notifier une mise à pied conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, fixé au 18 février 2022.

Le 23 février 2022, M. [F] a été licencié pour cause réelle et sérieuse, par lettre ainsi libellée :

« Monsieur,

A la suite de l'entretien préalable que nous avons eu le 18 février 2022, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Les raisons qui motivent cette décision et qui vous ont été exposées à cette occasion sont, nous vous le rappelons, les suivantes :

Depuis plusieurs années, la Direction Générale de l'entreprise a constaté, sur le site de [Localité 6] (80) dont vous dirigez l'exploitation, un nombre conséquent de vols de pneumatiques dont les montants s'élèvent notamment, pour l'année 2021, à plus de 35 000 euros et déjà à 4 000 euros en janvier 2022.

La Direction Générale n'a eu de cesse de vous demander de mettre en place des actions pour sécuriser nos stocks de pneumatiques sur ce site en votre qualité de Directeur d'Exploitation, or vous n'avez jamais 'uvré en ce sens, et jusqu'à ce jour, les vols perdurent.

M. [E], Directeur des Opérations France et M. [D], Directeur de la Coordination des sites France, vous ont alerté de nombreuses fois à ce sujet, étant régulièrement informés des écarts négatifs de stock mais ont constaté que vous n'aviez manifestement pas l'intention de trouver des solutions pour faire cesser ces pertes. C'est dans ce cadre que M. [K], Directeur Général, a sollicité une réunion de crise en date du 14 décembre 2022 composée de M. [D], de M. [E], du représentant de la société de surveillance ainsi que de vous-même. M. [K], lors de cette réunion, a informé les différents membres présents de l'intervention d'une société de surveillance afin de mener une enquête interne sur les vols successifs et répétés de pneumatiques. Les modalités de déroulement de l'enquête sur le site de [Localité 6] en vue de permettre la désignation du ou des coupables des soustractions frauduleuses constatées et qui causent un préjudice à la société y ont été exposées. Cette opération ayant pour but de confondre le ou les responsables en flagrant délit, les éléments afférents à cette enquête avaient été explicitement qualifiés de hautement confidentiels. Seuls les membres présents à cette réunion en ont été informés afin de garantir le succès de la mission. Aucun autre salarié ne devait en être informé.

Or, il apparaît que vous n'avez pas observé scrupuleusement cette confidentialité, telle que cela l'ait été exigé par la Direction

En effet, en date du 28 janvier dernier, Mme [B], Responsable des Ressources Humaines, a pu constater, lors d'une visite sur le site de [Localité 6], que M. [T], Chef d'exploitation, avait été mis au courant de l'enquête préliminaire.

Par ailleurs, d'autres salariés parmi lesquels [Z] [U], Assistante de Direction Opérationnelle, étaient également informés de la mise en 'uvre de cette enquête alors même qu'ils n'auraient pas dus l'être et ce, pour garantir, le cas échéant, toute flagrance et, à tout le moins, de retrouver le ou lesdits coupables.

En date du 4 février 2022, Mme [B] s'est ouverte de cette difficulté avec M. [K], ès-qualités de Président de la société GSA Logistics.

Face à cette divulgation d'informations strictement confidentielles et devant restées au seul périmètre du poste de Directeur d'exploitation, la décision a été prise de vous convoquer à entretien préalable pouvant aller jusqu'à votre licenciement pour faute grave. La convocation à cet entretien préalable vous a été remise en main propre le mardi 8 février 2022 doublée d'un courrier recommandé avec accusé de réception posté le même jour. Compte tenu de la gravité des faits, une mise à pied à titre conservatoire vous a été signifiée oralement à 09h50 dans l'attente de la décision à intervenir.

Ce jour du 8 février 2022, vous échangiez, une fois de plus avec M. [T] de l'enquête interne, en présence de Mme [B], lui demandant de retirer le tracker de la remorque du camion car la société de surveillance avait constaté une défaillance et étant dans l'obligation de le remplacer, devait venir le récupérer dans la matinée. M. [T] a confirmé qu'il allait s'occuper de le démonter, qu'il savait parfaitement où vous l'aviez dissimulé.

Cette attitude inacceptable est incompatible avec vos fonctions et trouble la sérénité indispensable au bon fonctionnement de l'activité de la société GSA Logistics sur le site de [Localité 6].

Plus encore, et par votre seule divulgation d'informations strictement confidentielles, l'enquête dispose, à ce jour, d'un caractère public qui ne permet plus d'être menée.

En effet, nul besoin de vous préciser que le ou les coupables informés des investigations en la matière seront incités à stopper toute activité délictuelle.

Votre attitude totalement inappropriée au regard du poste que vous occupez, qui fait de vous le représentant de la société GSA Logistics sur le site de [Localité 6], ne nous permet plus d'envisager la poursuite de notre relation contractuelle.

En outre, les explications que vous nous avez fournies le 18 courant ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. Votre maintien dans l'entreprise s'avère de ce fait impossible.

Néanmoins, malgré la gravité des faits qui vous sont reprochés, de votre comportement et de vos manquements, nous avons tenu compte de votre ancienneté au sein de l'entreprise ainsi que de votre situation personnelle, pour rendre notre décision.

En conséquence, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse prend donc effet à compter de la date de la présente lettre recommandée avec avis de réception.

La mise à pied à titre conservatoire prononcée le mardi 8 février 2022 vous sera rémunérée.

Votre préavis, d'une durée de 3 mois prendra effet à la date de première présentation de la même lettre à votre domicile. Votre préavis, que nous vous dispensons d'effectuer vous sera rémunéré aux échéances normales de paie ['] ».

Contestant la légitimité de son licenciement, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 28 mars 2022.

Par jugement du 24 juillet 2023, le conseil a :

- dit et jugé que la procédure de licenciement engagée à l'encontre de M. [F] était irrégulière ;

- dit et jugé que le licenciement pour cause réelle et sérieuse notifié à M. [F] était dénué de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société GSA logistics à verser à M. [F] les sommes suivantes :

* 4 482,23 euros brut à titre d'indemnité pour irrégularité de procédure ;

* 76 327,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- dit que seules les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail relatif à l'exécution provisoire de droit recevraient application et a débouté M. [F] de sa demande fondée sur l'article 515 du code de procédure civile ;

- condamné la société GSA logistics à verser à M. [F] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société GSA logistics de ses demandes reconventionnelles ;

- condamné la société GSA logistics aux entiers dépens.

La société GSA logistics, qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 2 novembre 2023, demande à la cour de :

- infirmer totalement le jugement entrepris ;

- juger parfaitement régulier le licenciement pour cause réelle et sérieuse notifié à M. [F] le 22 février 2022 ;

En conséquence,

- débouter M. [F] de sa demande indemnitaire à ce titre ;

- si la cour d'appel devait juger le licenciement intervenu comme dépourvu d'une cause réelle et sérieuse, attribuer à M. [F] la somme de 4 482,23 euros (équivalent à un mois de salaire) en application de l'article L.1235-2 du code du travail ;

- juger fondé en droit et en fait le licenciement intervenu en ce qu'il repose sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- débouter M. [F] de sa demande indemnitaire à ce titre ;

- si la cour entrait en voie de condamnation sur ce chef, attribuer à M. [F] la somme de 13 446,69 euros, équivalente à 3 mois de salaire ;

- juger totalement infondée la demande de dommages et intérêts au titre du prétendu préjudice moral subi ;

En conséquence,

- débouter le requérant de sa demande indemnitaire à ce titre ;

-juger infondée la demande indemnitaire de M. [F] prise au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

En conséquence,

- débouter M. [F] de sa demande indemnitaire afférente et de condamner le même, à titre reconventionnel, à lui verser la somme de 3 000 euros prise en application du même texte légal. Tant pour ce qui concerne la cause prud'homale que celle d'appel ;

- si le conseil de prud'hommes faisait droit à la demande du requérant, ordonner le dépôt des sommes dues en conséquence à M. [F] auprès de la Caisse des dépôts et des consignations afin de s'assurer que ce dernier soit à-même de répondre à toute restitution ultérieure ;

- juger infondée la demande indemnitaire de M. [F] prise au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence,

- débouter M. [F] de sa demande indemnitaire afférente et de condamner le même à titre conventionnel à lui verser, en appel, la somme de 3 000 euros prise en l'application du même texte légal ;

- condamner le même aux entiers dépens de l'instance.

M. [F], par dernière conclusions notifiées par la voie électronique le 8 novembre 2023, demande à la cour de :

- dire et juger la société GSA logistics mal fondée en son appel ;

En conséquence,

- le dire et juger recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la procédure de licenciement engagée à son encontre était irrégulière en la forme et a condamné la société GSA logistics à lui payer la somme de 4 482,23 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

En conséquence,

- dire et juger que la procédure de licenciement mise en 'uvre à son encontre était irrégulière en la forme et condamner la société GSA logistics à lui payer la somme de 4 482,23 euros, soit 1 mois de salaire, à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

- confirmer également le jugement en ce qu'il a considéré que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société GSA logistics à lui payer la somme de 76 327,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- dire et juger que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et condamner la société GSA logistics à lui payer la somme de 76 327,28 euros, soit 17 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- réformer en revanche le jugement en ce qu'il ne lui a accordé que la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

En conséquence,

- condamner la société GSA logistics à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- confirmer enfin le jugement en ce qu'il a condamné la société GSA logistics à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société GSA logistics à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société GSA logistics aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

MOTIFS

1. Sur le licenciement pour cause réelle et sérieuse

La société expose que M. [F], qui occupait pourtant la fonction de directeur d'exploitation, n'a pris aucune mesure entre 2018 et 2022 afin de sécuriser les stocks de pneus en proie à des vols récurrents. Elle ajoute que, compte-tenu de l'inaction du salarié pour mettre fin à la disparition frauduleuse d'une partie importante du stock, une réunion a eu lieu le 14 décembre 2021 en présence de M. [F], et qu'il a été décidé de mettre en 'uvre une enquête pour déterminer l'identité du responsable. Elle précise qu'en dépit du fait que le salarié avait été régulièrement informé du caractère confidentiel des informations et décisions débattues lors de cette réunion, celui-ci les a divulguées au personnel. Elle affirme que les témoignages des personnes présentes lors de cette réunion attestent de cette divulgation. Enfin, elle s'oppose à l'argumentation soutenue par le salarié selon laquelle les propos échangés lors de la réunion avec les représentants de la société Goodyear attesteraient d'un projet de licenciements économiques au sein de l'entreprise.

M. [F] réplique que l'employeur ne lui a jamais demandé de mettre en place la moindre action afin de sécuriser les stocks de pneumatiques alors même qu'il n'a eu de cesse d'alerter la direction sur les vols de pneumatiques et de demander l'instauration de mesures. Il ajoute que ses fonctions ne lui permettaient que d'alerter la direction dès lors qu'il ne disposait d'aucune autonomie ni d'aucune prérogative lui permettant d'engager des dépenses au nom de la société. Par ailleurs, il affirme que les éléments de preuve présentés par l'employeur sur la divulgation d'informations confidentielles émanent des témoignages de Mme [B], qui n'était pourtant pas présente lors de la réunion du 14 décembre 2021, ou encore de M. [K], le directeur général et représentant légal de la société, dont il demande que l'attestation de témoin soit écartée des débats. Il précise que compte-tenu du fonctionnement en 3x8, il était contraint de prévenir M. [T], le chef d'exploitation, qui était amené à le remplacer lors de l'installation des trackers sur les semi-remorques. Enfin, il affirme que son licenciement injustifié, alors qu'il bénéficiait de la rémunération la plus élevée du site de [Localité 6] et que la société avait des difficultés financières, avait surtout pour objectif de réaliser des économies.

Sur ce,

Selon l'article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

De même, il résulte de l'article L.1235-1 du même code que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties. Toutefois, le doute devant bénéficier au salarié avec pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l'employeur supporte, sinon la charge, du moins le risque de la preuve.

Les faits invoqués comme constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail.

En l'espèce, il ressort de la fiche de poste versée aux débats par les parties que M. [F], en sa qualité de directeur d'exploitation, avait notamment pour fonction d'étudier et de répondre aux demandes de faisabilité technique des clients, animer et affecter les tâches aux chefs d'équipe, planifier les activités pour atteindre les objectifs fixés, être responsable du bon fonctionnement des moyens matériels, élaborer et maintenir à jour les tableaux de productivité, préconiser des améliorations afin d'augmenter la qualité et la productivité, veiller au respect des règles d'hygiène et de sécurité, et assurer la prévention en matière de sécurité.

Tandis que l'exposé des fonctions prévues par la fiche de poste permet de relever qu'elles se bornaient essentiellement à la gestion de l'activité de l'entrepôt, sans tâche spécifiquement indiquée tenant à la sécurisation des stocks, et surtout sans pouvoir décisionnaire, M. [F] apporte la preuve de ses nombreuses alertes sur la disparition des pneumatiques adressées à la direction et même de ses propositions pour remédier à cette situation.

Le salarié présente, en outre, un courriel adressé le 30 juin 2021 à M. [K], le directeur général, lui rappelant sa proposition présentée en décembre 2018 de recourir à un détective privé qui n'avait pas été retenue et lui demandant de prendre des mesures.

Les échanges relatifs à cette proposition présentée en 2018 sont également versés aux débats.

A cette demande adressée en juin 2021, M. [K], sans charger personnellement M. [F] de prendre lui-même ces mesures, a répondu laconiquement : « Merci pour ces infos. Nous devons effectivement décider de mesures ASAP. A très bientôt ».

L'employeur, quant à lui, ne présente à la cour aucun élément de preuve de ce qu'il aurait donné la consigne expresse au salarié de prendre des mesures précises.

Le manquement tenant à l'inertie de M. [F] pour la sécurisation du stock de pneumatique tel que dénoncé par l'employeur, alors même que le salarié était à l'initiative du recours à un détective privé, solution qui a finalement était retenue par la direction en décembre 2021, n'est donc pas matériellement établi.

S'agissant du grief tenant à la divulgation par le salarié de la mesure choisie par la direction pour mettre fin aux vols lors de la réunion du 14 décembre 2021, M. [F] confirme avoir informé M. [T], le chef d'exploitation chargé de le remplacer lorsqu'il était absent, que la direction avait fait appel à une société d'investigation privée dont le représentant, M. [O], avait entrepris de placer des trackers sur les semi-remorques.

Si le salarié conteste avoir reçu une consigne particulière tenant à conserver la confidentialité des mesures décidées et demande que le témoignage de M. [K] soit écarté, il convient, d'une part, de rappeler que la preuve est libre en matière prud'homale, et, d'autre part, que le témoignage du représentant légal d'une société, quand bien même il présente une force probante relative, ne saurait être écarté pour ce seul motif dès lors que les déclarations qui y sont retranscrites sont corroborées par d'autres éléments de preuve.

Or, le témoignage du directeur général, affirmant que l'ordre de garder le secret avait été expressément communiqué à M. [F], est confirmé par celui de M. [D], le directeur de la coordination des sites, qui était lui aussi présent lors de la réunion du 14 décembre 2021.

L'employeur apporte donc la preuve que le salarié avait bien reçu la consigne de garder le secret sur les mesures d'investigation choisies et qu'en informant M. [T], il avait commis une faute.

Toutefois, le témoignage de Mme [B], responsable des ressources humaines, affirmant que, lors d'un échange du 28 janvier 2022 avec Mme [U] et M. [T], ce dernier lui aurait confié qu'une enquête était en cours, ne permet pas de déduire que l'information des mesures décidées pendant la réunion du 14 décembre 2021 avait été diffusée plus largement par M. [F] auprès du personnel de l'entreprise.

En effet, si l'employeur reproche à M. [F] d'avoir également informé Mme [U], le témoignage de cette salariée précise qu'elle a contacté la société d'investigation privée sur la demande de M. [E], le directeur des opérations France.

Les échanges de courriels entre Mme [U] et M. [E], datés de novembre 2021, démontrent que cette salariée avait été effectivement chargée d'obtenir un devis d'intervention et de programmer une rencontre entre la direction et la société d'investigation privée.

Alors que la rupture de la confidentialité du recours à un détective privé ne provenait pas uniquement de M. [F], l'employeur ne présente aucun élément permettant d'apprécier les conséquences de cette divulgation sur les suites de l'enquête qui, selon le témoignage de Mme [U], s'est poursuivie après la mise à pied du salarié, et, de surcroît, par l'intermédiaire de M. [T].

Il est également observé que le tableau répertoriant les stocks volés ne présente aucune donnée postérieure au mois de novembre 2021 alors que le salarié a été licencié le 23 février 2022.

Au vu de ces éléments mettant en évidence une divulgation d'informations confidentielles limitée à M. [T] qui était susceptible de remplacer M. [F] en son absence, la diffusion de ces informations par d'autres canaux, l'absence de preuve des conséquences sur la poursuite de l'enquête, auxquels s'ajoutent l'ancienneté de plus de 23 ans du salarié dans l'entreprise sans antécédent disciplinaire, le prononcé d'une mesure de licenciement à l'encontre de M. [F] n'apparait pas proportionné à l'importance de la faute commise.

Dans ces conditions, sans qu'il y ait besoin de se prononcer sur les éventuelles causes économiques qui auraient motivé son éviction de l'entreprise, il conviendra de dire que le licenciement prononcé à l'encontre de M. [F] le 23 février 2022 est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

2. Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

La société GSA Logistics demande, dans l'hypothèse où il serait retenu que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, de réduire le montant des dommages et intérêts alloués au salarié et de les limiter à trois mois de salaire, le salarié étant défaillant dans l'administration de la preuve de son préjudice.

M. [F] réplique que le caractère injustifié de son licenciement doit être sanctionné par l'octroi de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne saurait être inférieur, au regard de son ancienneté, à la somme de 76 327,28 euros, soit 17 mois de salaire.

Sur ce,

L'article L.1235-3 du code du travail prévoit l'octroi d'une indemnité à la charge de l'employeur au bénéfice du salarié dont le licenciement est survenu pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse. Lorsque son ancienneté dans l'entreprise est supérieure à 23 années, le montant de cette indemnité est compris entre 3 et 17 mois de salaire.

Compte-tenu des circonstances de la rupture, de l'effectif de la société, du montant de la rémunération de M. [F], alors âgée de 52 ans au jour de son licenciement, de ses difficultés à retrouver un emploi tandis qu'il justifie de son inscription à Pôle emploi jusqu'en septembre 2022, et de son ancienneté de plus de 23 ans au service de l'entreprise, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 55 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré, qui a alloué 76 327,28 euros de dommages et intérêts de ce chef, est infirmé.

Par ailleurs, les indemnités prévues en cas de rupture dépourvue de motifs réels et sérieux ne se cumulant pas avec celles sanctionnant l'inobservation des règles de forme de la procédure de licenciement, la demande de M. [F] d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement sera rejetée, et le jugement entrepris, qui y a fait droit, sera infirmé.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

3. Sur le préjudice moral

La société GSA Logistics soutient que l'importante ancienneté du salarié ne permet pas de constituer en soi le caractère vexatoire du licenciement qui doit, au contraire, être objectivé par des éléments factuels manifestant un comportement outrancier de l'employeur. Elle ajoute que l'acte médical versé au débat par le requérant n'établit aucun lien de causalité entre son état de santé et sa situation professionnelle et qu'il n'est pas fait la démonstration d'un préjudice.

En réponse, M. [F] fait grief à l'employeur de s'être vu notifier une mise à pied conservatoire le 8 février 2022 sans le moindre ménagement puis licencier pour des motifs infondés alors même qu'il n'avait jamais démérité dans l'exercice de ses fonctions. Il précise que son état de santé s'en est trouvé dégradé comme en témoigne la prescription d'un traitement anxiolytique en mars 2022.

Sur ce,

La cour rappelle que le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice particulier lié au caractère abusif et vexatoire de la procédure mais qu'il lui appartient d'établir à cet égard un comportement fautif de l'employeur.

En l'espèce, il est relevé que l'employeur, qui n'a pas retenu la qualification de faute grave, et avait, par l'intermédiaire de sa directrice des ressources humaines, une parfaite connaissance des faits reprochés dès le 28 janvier 2022, a pourtant laissé le salarié poursuivre son activité professionnelle pendant plus d'une semaine, puis a finalement opté pour sa mise à pied conservatoire le 8 février 2022.

M. [F] justifie, au terme d'une procédure de licenciement marquée par une mise à pied qui n'avait aucune utilité particulière et qui apparait purement vexatoire, de la prescription d'un traitement anxiolytique alors même que son contrat de travail n'était toujours pas rompu.

Dans ces conditions, il conviendra de faire droit à la demande du salarié tirée du préjudice distinct subi en raison du caractère vexatoire de la procédure de licenciement et de lui octroyer, à ce titre, 1 500 euros de dommages et intérêts.

Le jugement entrepris, qui lui a alloué 5 000 de dommages et intérêts, est infirmé.

4. Sur les autres demandes

Etant rappelé que les arrêts rendus par la cour d'appel sont directement exécutoires de plein droit en l'absence d'effet suspensif du pourvoi, il n'y a pas lieu d'ordonner le dépôt des sommes, au titre desquelles la société GSA Logistics est condamnée, auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société GSA Logistics, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, et à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

La société sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a alloué à M. [F] 4 482,23 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de procédure, 76 327,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société GSA Logistics à payer à M. [F] :

- 55 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle,

- 1 500 euros de dommages et intérêts pour le préjudice moral tiré du caractère vexatoire de la procédure de licenciement,

- 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rejette la demande de M. [F] d'indemnité pour procédure de licenciement irrégulière,

Ordonne à la société GSA Logistics de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à M. [F] depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société GSA Logistics aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/03516
Date de la décision : 13/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-13;23.03516 ?
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