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13/05/2024 | FRANCE | N°23/02055

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 13 mai 2024, 23/02055


ARRET







[O]





C/



S.A.S. PAPREC NORD NORMANDIE



























































copie exécutoire

le 13 mai 2024

à

Me WACQUET

Me DUFOUR

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 13 MAI 2024



****************

*********************************************

N° RG 23/02055 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IYGA



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 12 AVRIL 2023 (référence dossier N° RG 21/00113)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [B] [O]

né le 13 Septembre 1969 à [Localité 6] (80)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité...

ARRET

[O]

C/

S.A.S. PAPREC NORD NORMANDIE

copie exécutoire

le 13 mai 2024

à

Me WACQUET

Me DUFOUR

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 13 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 23/02055 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IYGA

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 12 AVRIL 2023 (référence dossier N° RG 21/00113)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [B] [O]

né le 13 Septembre 1969 à [Localité 6] (80)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

concluant par Me Christophe WACQUET de la SELARL WACQUET ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.S. PAPREC NORD NORMANDIE Prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

concluant par Me Julien DUFFOUR de l'AARPI AVOCATION, avocat au barreau de PARIS

représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Chrystèle VARLET, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 13 mars 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 13 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 13 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [O], né le 13 septembre 1969, a été embauché à compter du 1er août 2018 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Paprec Nord Normandie (la société ou l'employeur), en qualité de chauffeur SPL.

La société Paprec Nord Normandie compte plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des activités du déchet.

Le 8 février 2019, M. [O] a été victime d'un accident de travail dont la CPAM a reconnu le caractère professionnel le 14 mai 2019. Un second accident du travail a été déclaré le 11 juillet 2019.

Le salarié a été placé en arrêt de travail du 11 février au 2 juillet 2019, puis du 10 juillet 2019 au 23 janvier 2020.

Le 27 janvier 2020, le médecin du travail a préconisé une reprise à temps partiel thérapeutique avec restrictions.

Par courrier du 12 janvier 2021, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 21 janvier 2021, avec mise à pied conservatoire.

Le 28 janvier 2021, il a été licencié pour faute grave.

Ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail et contestant la légitimité du licenciement, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 30 mars 2021.

Par jugement du 12 avril 2023, le conseil a :

dit que les éléments fournis par M. [O] ne permettaient pas de présumer et caractériser une situation de harcèlement moral ou de discrimination à son égard ;

dit que M. [O] ne bénéficiait pas du statut de lanceur d'alerte ;

dit et jugé que le licenciement entrepris à l'égard de M. [O] n'était pas entaché de nullité ;

déclaré irrecevable la demande de M. [O] portant sur la nullité du licenciement prononcé à son encontre et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes financières inhérentes à la rupture du contrat de travail, en l'espèce :

* les dommages et intérêts (pour licenciement nul, violation de l'obligation de sécurité, discrimination et préjudice moral spécial à l'occasion de la procédure de licenciement) ;

* l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;

* le rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et les congés payés afférents ;

déclaré partiellement recevable M. [O] en ses demandes salariales ;

condamné la société Paprec Nord Normandie à payer à M. [O] les sommes suivantes :

* 278,02 euros au titre de la prise en charge de ses déplacements pour les visites des 8 juillet 2019, 18 décembre 2019 et 27 janvier 2020 ;

* 19,08 euros au titre des frais de panier à l'occasion des visites médicales pour les journées du 8 juillet 2019, du 18 décembre 2019 et du 27 janvier 2020 ;

débouté M. [O] du surplus de ses demandes financières ;

dit que seules les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail relatif à l'exécution provisoire de droit recevraient application ;

débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

M. [O], régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 juillet 2023, demande à la cour de :

infirmer la décision entreprise, hormis sur les dispositions relatives aux rappels de salaires et de frais,

Et statuant à nouveau,

déclarer ses demandes recevables et bien fondées,

Sur la nullité du licenciement,

dire et juger que le licenciement fondé sur la dénonciation de faits de harcèlement et de discrimination est nul de plein droit, en vertu des dispositions de l'article L.1152-2 du code du travail,

condamner la société Paprec Nord Normandie à lui payer les sommes suivantes :

- 4 329,70 euros au titre du préavis (2 164,85 x 2) ;

- 432,97 euros au titre des congés payés sur préavis ;

- 1 004,57 euros au titre du salaire pendant la mise à pied ;

- 100,45 euros au titre des congés payés sur mise à pied ;

- indemnité pour licenciement nul :18 mois : 38 967,30 euros (6 mois minimum : 12 989,10 euros) ;

- 10 000 euros au titre des dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité ;

- 10 000 euros au titre des dommages et intérêts pour discrimination ;

- 2 000 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral spécial à l'occasion de la procédure de licenciement ;

confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Paprec Nord Normandie au paiement de ses frais de déplacement liés aux visites médicales outre la journée du 6 novembre 2020 soit les sommes de :

- 87,50 euros outre 8,75 euros au titre des congés payés afférents ;

- 587,23 euros au titre des frais de déplacement.

En tout état de cause,

condamner la société Paprec Nord Normandie à lui régler 4 000 euros au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel.

La société Paprec Nord Normandie, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2023, demande à la cour de :

A titre principal,

confirmer la décision déférée en ce qu'elle a :

- dit que les éléments fournis par M. [O] ne permettaient pas de présumer et caractériser une situation de harcèlement moral ou de discrimination à son égard ;

- dit que M. [O] ne bénéficiait pas du statut de lanceur d'alerte ;

- dit et jugé que le licenciement entrepris à l'égard de M. [O] n'était pas entaché de nullité ;

- déclaré irrecevable la demande de M. [O] portant sur la nullité du licenciement prononcé à son encontre et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes financières inhérentes à la rupture du contrat de travail, en l'espèce :

les dommages et intérêts (pour licenciement nul, violation de l'obligation de sécurité, discrimination et préjudice moral spécial à l'occasion de la procédure de licenciement) ;

l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;

le rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et les congés payés afférents ;

En conséquence,

débouter M. [O] de l'ensemble de ses prétentions ;

condamner M. [O] à lui payer 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Subsidiairement, si la cour devait requalifier le licenciement de M. [O] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

limiter sa condamnation à 6 494,55 euros brut en application du barème légal prévu par l'article L.1235-3 du code du travail.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur l'exécution du contrat de travail

1-1/ sur la demande de rappel de salaire et de frais de déplacement

La cour constate que dans le dispositif de ses conclusions, M. [O] demande d'infirmer le jugement entrepris hormis sur les dispositions relatives aux rappels de salaires et de frais, et demande de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Paprec Nord Normandie au paiement des frais de déplacement liés aux visites médicales, mais forme des demandes d'un montant différent de ce qui a été alloué par le conseil de prud'hommes.

Les demandes étant contradictoires, il convient de les interpréter comme visant à la confirmation du jugement entrepris sur ce point.

1-2/ sur l'existence d'une situation de discrimination

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison de son handicap.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [O] s'estime victime de discrimination à raison de son état de santé et de ses origines en ce qu'il a fait l'objet d'un traitement différencié et vexatoire par son supérieur hiérarchique à la suite des restrictions émises par le médecin du travail qui dérangeaient manifestement ce dernier, ce qui a conduit à l'isoler de ses collègues qui se sont autorisés des propos racistes.

L'employeur conteste toute discrimination.

Pour preuve des faits allégués, M. [O] produit un document rédigé de sa main présenté sous la forme d'un journal de bord de ses journées de travail entre le 16 mars 2020 et le 12 janvier 2021.

Ce document, ne présentant pas l'objectivité nécessaire pour avoir force probante, ne saurait permettre d'établir la matérialité de ces faits.

L'existence d'une discrimination ne peut, dès lors, être retenue pour fonder la demande de dommages et intérêts justement rejetée par le conseil de prud'hommes.

1-3/ sur l'existence d'un manquement à l'obligation de sécurité

M. [O] fait valoir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant aucune mesure d'audition, de médiation ou d'enquête à la suite de sa dénonciation de la discrimination et du harcèlement moral qu'il subissait.

L'employeur affirme qu'il a rempli son obligation en répondant systématiquement aux demandes de l'inspecteur du travail que le salarié avait saisi.

En vertu des dispositions des articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité.

En l'espèce, par courrier du 5 janvier 2021, M. [O] a dénoncé à son employeur une dégradation de ses conditions de travail signalant un harcèlement et des man'uvres de déstabilisation de la part de son supérieur hiérarchique direct, ainsi que des comportements racistes.

Si l'employeur reste libre du choix des mesures à mettre en place pour répondre à ce signalement, la seule coopération avec l'inspecteur du travail, également saisi par le salarié, est insuffisante en ce qu'elle ne répond pas directement à la situation de souffrance au travail portée à sa connaissance par ce dernier.

Le manquement à l'obligation de sécurité est donc caractérisé.

Néanmoins, M. [O] n'invoquant aucun préjudice lié à ce manquement, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts sur ce point.

2/ Sur la rupture du contrat de travail

2-1/ sur la demande en nullité du licenciement

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :

«En date du 12 janvier 2021, vous avez été convoqué à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, le jeudi 21 janvier 2021 avec M. [V] [K], Directeur Général des Filiales Hauts-de-France / Normandie, et M. [P] [Y], Directeur des Ressources Humaines Groupe.

Dans cette attente, et compte tenu des faits reprochés, nous vous avions notifié une mise à pied à titre conservatoire.

Pour cet entretien, à votre demande, nous vous avons adressé une liste des représentants du personnel.

Vous avez choisi de ne pas être assisté

Nous vous avons exposé les faits que nous vous reprochions.

En date du 06 janvier 2021, par courrier recommandé avec accusé réception adressé à M. [D] [I], Directeur Général du Groupe PAPREC, vous portiez des accusations graves à l'encontre de votre responsable [R] [C], Responsable d'agence d'[Localité 6].

Dans ce courrier de plus de 80 pages, vous dites être victime de discrimination en raison de vos origines et de harcèlement.

Au regard de la gravité de ces accusations, nous nous sommes immédiatement attachés à vérifier la véracité des faits dont vous faites état dans votre courrier afin de faire cesser de tels agissements si ceux-ci étaient confirmés.

Il s'avère que les faits rapportés dans votre courrier sont totalement inexacts, trompeurs ou mensongers suivant les cas et témoignent à l'évidence d'une parfaite mauvaise foi de votre part dans l'optique de nuire à votre responsable [R] [C], cible de vos accusations volontairement mensongères. Ainsi :

Sur la non mise à disposition d'un camion lors de son démarrage à 15h dans le cadre de votre aménagement en temps partiel thérapeutique du 24 janvier 2020 au 23 avril 2020.

Par courrier du 13 mars 2020, en réponse à votre courrier du 24 février 2020, nous vous avons indiqué que les camions fonctionnant en double poste, nous n'étions pas à l'abri de retards liés à la circulation, ou de modifications de prestations de la part de client. D'ailleurs, vous indiquez dans votre courrier du 6 janvier 2021 pour différentes dates telles que les 27, 28 février et 12 mars 2020 un démarrage à 15h00. Cela démontre bien que ce retard n'est pas lié à votre personne, mais à des contraintes extérieures. En outre, comme vous le savez, votre temps, d'attente est rémunéré. Il n'y a donc aucun préjudice.

Sur la modification de vos tournées : nous vous rappelons dans notre courrier du 13 mars 2020, nous vous avions informé que ces modifications sont liées à nos métiers, qui nous imposent des contraintes liées surtout aux demandes de nos clients ou à notre organisation du travail, qui nécessite de la polyvalence afin de permettre la réactivité nécessaire à la satisfaction de nos clients. Là encore, il n'y a aucun préjudice.

Sur vos dires concernant le retard sur la déclaration de l'AT du vendredi 8 février 2019. Comme déjà indiqué à l'Inspection du Travail le 26 septembre 2019, suite à leur courrier du 27 août 2019 : Vous nous avez informé tardivement de cet accident le lundi 11 février 2019 ; la déclaration a été effectuée par nos soins le mardi 12 février 2019, le lendemain. Dans le respect de la réglementation puisque l'employeur a 48h à la date de connaissance de l'accident de travail. En tant qu'employeur, nous avons donc fait le nécessaire, conformément aux dispositions légales.

Sur le non-remboursement de vos frais de déplacement pour vous rendre auprès de la Médecine du travail le 23 avril 2020 : par mail du 27 avril 2020, M. [C] vous avez demandé les justificatifs afin de pouvoir vous rembourser, ainsi que Mme [Z] [F], Chargée RH, par mail du 7 mai 2020. A ce jour, rien n'a été transmis de votre part.

Sur la mention sur les feuilles de tournées de l'immatriculation [Immatriculation 5] au lieu de CE 331 KQ depuis sa reprise au 06/11/2020. La mise à jour n'a pu être effectuée pour des raisons informatiques, et vous avez été informé, dès votre reprise, de cet écart informatique. Cela n'est pas problématique car vous-même ainsi que les clients en sont informés. Il n'y a donc aucun préjudice.

Sur l'absence d'une boite d'ampoule dans le camion qui vous est attitré : l'atelier de l'agence d'[Localité 6] dispose d'un choix complet d'ampoules. Chaque chauffeur a comme mission figurant dans son contrat de travail, d'assurer l'entretien quotidien de son véhicule. Vous êtes donc responsable du suivi d'entretien de 1er niveau. Il vous appartenait donc d'effectuer ce changement d'ampoule, sans attendre le mercredi 2 décembre 2020.

Concernant votre « mal de tête » en raison du bruit du camion : ce camion est conforme aux dispositions qui s'appliquent en la matière et aucune indication médicale ne nous a été communiquée à ce sujet, ni par le médecin du travail, ni même par votre médecin traitant.

Sur la mention d'une remise d'un « questionnaire relatif à votre état de santé » le 06, 09 et 23 novembre 2020.

Ceci n'est aucunement un questionnaire sur votre état de santé, mais uniquement une note d'information destinée à l'ensemble des salariés du Groupe, sur la nouvelle réglementation relative aux dispositions concernant l'isolement des personnes vulnérables dans le cadre du COVID.

Sur le problème de batterie courant semaine du 16 au 20 novembre 2020. Il ressort que vous oubliez de façon récurrente le coupe batterie le vendredi veille de week end, alors que la consigne chauffeur rappelle clairement cette règle de bon sens de couper la batterie et la rallumer le matin.

Cette règle est utilisée et appliquée par l'ensemble de l'équipe chauffeur.

Sur votre accusation du 19 novembre 2020 « les intérimaires ont du travail et vous non». Les plannings de tournées sont organisés en fonction des besoins des clients, de la législation en matière de transport, et de la compétence et la polyvalence des chauffeurs.

Sur l'erreur « adresse Client LACROIX » le 18 novembre 2020. Comme cela arrive parfois, les données qui nous ont été transmises par le client étaient erronées. Cette situation n'est profitable à personne.

Sur la récupération de vos feuilles de tournées dans une boite aux lettres contrairement à vos collègues. L'ensemble des tournées et bons d'enlèvement pour l'agence d'[Localité 6] est déposé dans une « boîte aux lettres chauffeurs » située proche des bureaux. Le mode de fonctionnement est identique pour tous les chauffeurs.

Sur le transport d'amiante : le transport que vous avez effectué le 16 décembre pour le client EURODEM, est de l'amiante liée, conditionnée en « bodybenne » fermé dans une benne conformément à la réglementation en vigueur. Ce transport n'est pas soumis à l'ADR, et le chauffeur n'a pas besoin d'EPI spécifique du fait qu'il doit récupérer la benne sans intervention sur celle-ci. L'intervention est réalisée par le client habilité.

Ainsi, au terme de notre analyse, il est manifeste que vos accusations sont mensongères, empreintes de mauvaise foi, et illustrent votre intention de nuire, tant à votre responsable qu'à l'entreprise d'une manière générale. Soit vous rapportez des faits totalement faux, soit vous vous efforcez dans votre courrier de rapporter partiellement certains « évènements », présentés sous un jour qui peut, en première lecture, faire craindre à une erreur ou une faute de notre part alors que, replacés dans leurs contextes, les faits rapportés démontrent au contraire l'état d'esprit qui est le vôtre (depuis plusieurs mois semble-t-il à la lecture de votre courrier), votre parfaite mauvaise foi et le caractère intentionnellement mensongers de vos accusations adressés au plus haut niveau de l'entreprise à propos de votre responsable direct.

En outre, vous vous êtes emporté et vous avez violemment bousculé votre responsable lors de la remise de la copie de votre convocation à entretien préalable avec mise à pied conservatoire le 12 janvier 2021.

Les explications recueillies lors de votre entretien du 21 janvier 2021, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Nous ne pouvons tolérer vos agissements qui n'ont d'autre objectif que de discréditer votre hiérarchie et l'entreprise dans son ensemble. Ceux-ci pourraient d'ailleurs caractériser une faute lourde à nos yeux.

Toutefois, nous avons décidé de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

M. [O] soutient qu'il a été licencié pour avoir dénoncé, sans mauvaise foi ni intention de nuire, une situation de discrimination et de harcèlement moral dont il était victime de la part de son supérieur hiérarchique, ce qui ne peut que conduire à la nullité de son licenciement, nonobstant l'existence d'un second grief qu'il conteste par ailleurs.

Il affirme qu'il importe peu que les faits de harcèlement dénoncés soient mensongers ou erronés, ou qu'ils n'en relèvent pas, tant que l'employeur ne rapporte pas la preuve qu'il avait connaissance de leur fausseté.

L'employeur argue de la mauvaise foi de M. [O] en toute connaissance de cause soulignant l'absence de force probante du document rédigé par ce dernier quant à la véracité des faits qu'il invoque, et la persistance des dénonciations mensongères malgré les réponses apportées.

L'article L.1152-2 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, dispose qu'aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l'article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Il en résulte qu'un salarié qui dénonce des faits de harcèlement ne peut être sanctionné sauf mauvaise foi de sa part qui ne peut résulter que de la connaissance par ce dernier de la fausseté des faits qu'il dénonce.

En l'espèce, M. [O] est notamment licencié pour avoir porté des accusations mensongères, empreintes de mauvaise foi, dans l'intention de nuire à son responsable direct et à l'entreprise.

Il convient donc d'apprécier s'il avait connaissance du caractère mensonger des faits qu'il dénonçait.

Les dénonciations reprises dans la lettre de licenciement résultent de trois courriers qu'il a adressés les 24 février et 16 mars 2020 à son supérieur hiérarchique direct, avec copie à la DRH pour le second, et le 5 janvier 2021 au directeur général, avec copie à la DRH, dans lesquels il emploie le terme de harcèlement.

Il a, également, procédé par voie de signalement à l'inspection du travail quant aux difficultés rencontrées dans son travail.

Son responsable direct lui a répondu par courrier du 12 mars 2020, et des échanges ont eu lieu entre l'inspection du travail et l'employeur en 2019 et 2021.

Les plaintes de M. [O] s'inscrivent dans un contexte de reprise du travail à la suite d'un premier accident du travail du 8 février 2019, ayant donné lieu à enquête par la CPAM, le salarié et l'employeur présentant des versions divergentes sur les circonstances de la révélation de l'accident, puis d'un second accident du travail déclaré le 11 juillet 2019 faisant l'objet d'un courrier de réserves de l'employeur quant au caractère professionnel de l'accident à défaut de témoin.

La cour constate que, dans ce contexte de perte de confiance réciproque, la plupart des faits dénoncés par le salarié repris dans la lettre de licenciement donnent lieu à des justifications par l'employeur afin de leur ôter tout caractère fautif mais non toute réalité.

La visite de l'inspecteur du travail dans l'entreprise à la suite du signalement de M. [O] donnera, d'ailleurs, lieu à des échanges afin de régulariser certains points.

La preuve que M. [O] avait connaissance du caractère mensonger des faits de harcèlement moral qu'il dénonçait n'étant pas rapportée, l'employeur ne pouvait lui en faire le reproche pour fonder son licenciement, le second grief invoqué étant contaminé par l'illicéité du premier.

Il convient donc de dire le licenciement nul par infirmation du jugement entrepris.

2-2/ sur les conséquences pécuniaires de la nullité du licenciement

Le licenciement étant déclaré nul, M. [O] est en droit de percevoir une indemnité compensatrice de préavis, ainsi que des dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs aux salaires des 6 derniers mois en application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail.

L'indemnité compensatrice de préavis n'étant pas contestée dans son quantum, il convient de faire droit à la demande du salarié.

Le salarié ayant fait l'objet d'une mise à pied conservatoire injustifiée, l'employeur, qui ne conteste pas le quantum réclamé, est condamné à lui payer les salaires et congés payés dus sur cette période, soit 1 004,57 euros, outre 100,45 euros de congés payés afférents.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge et de l'absence d'élément sur sa situation professionnelle actuelle, la cour fixe à 13000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul par infirmation du jugement entrepris.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

2-3/ sur la demande de dommages et intérêts à raison des circonstances du licenciement

M. [O] dénonce la réaction de l'employeur qui, alerté d'une situation de souffrance au travail, répond par une procédure de licenciement.

L'employeur répond que le salarié ne démontre ni l'existence d'une faute de sa part ni d'un préjudice.

La cour rappelle que le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice particulier lié aux circonstances brutales ou vexatoires qui ont accompagné le licenciement mais qu'il lui appartient d'établir à cet égard un comportement fautif de l'employeur.

En l'espèce, par courrier du 5 janvier 2021, M. [O] a demandé l'intervention de sa haute hiérarchie auprès de son supérieur hiérarchique direct pour des faits de harcèlement.

Pour toute réponse, l'employeur a engagé la procédure de licenciement dès le 12 janvier 2021 avec mise à pied conservatoire du salarié.

La célérité et la radicalité de cette réponse, alors qu'il n'a pas été retenu que le salarié avait connaissance du caractère mensonger des faits de harcèlement moral dénoncés, constituent des circonstances brutales qu'il convient de réparer en allouant à ce dernier 1 500 euros de dommages et intérêts par infirmation du jugement entrepris.

3/ Sur les demandes accessoires

L'employeur succombant principalement, il convient d'infirmer le jugement entrepris quant aux frais irrépétibles et dépens, et de mettre à sa charge les dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de le condamner à payer au salarié 2 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en appel, et de rejeter sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qui concerne la demande au titre des frais de déplacement et rappel de salaire pour la journée du 6 novembre 2020, la demande de dommages et intérêts pour discrimination, et la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit le licenciement nul,

Condamne la société Paprec Nord Normandie à payer à M. [B] [O] les sommes suivantes :

- 1 004,57 euros au titre du rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre 100,45 euros au titre des congés payés afférents ;

- 4 329,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 432,97 euros au titre des congés payés afférents ;

- 13 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 1 500 euros de dommages et intérêts à raison des circonstances du licenciement ;

- 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

Ordonne à la société Paprec Nord Normandie de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Paprec Nord Normandie aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/02055
Date de la décision : 13/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-13;23.02055 ?
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