ARRET
N°183
SOCIETE [6]
C/
CARSAT RHONE-ALPES
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 07 MAI 2024
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N° RG 23/04691 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I5NT
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDEUR
Société [6]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me Olivier Pouey de la SELARL Pouey Avocats, avocat au barreau de Lyon
ET :
DÉFENDEUR
CARSAT Rhône-Alpes
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Mme [O] [Y], munie d'un pouvoir
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 mars 2024, devant M. Philippe Mélin, président assisté de Mme Alexandra Miroslav et M. Jean-François D'Haussy, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.
M. Philippe Mélin a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 07 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Mme Audrey Vanhuse
PRONONCÉ :
Le 07 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Philippe Mélin, président et Mme Audrey Vanhuse, greffier.
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DECISION
Le 9 juin 2017 la société [6] a complété une déclaration d'accident du travail pour son salarié, M. [F] [B], pour des faits survenus la veille qu'elle a décrits en ces termes : « Nettoyage du camion ' un objet assez lourd lui est tombé dessus d'une hauteur de 4 mètres pendant qu'il essayait de le man'uvrer du sol à l'aide d'une chaîne ; objet dont le contact a blessé la victime : treuil ». La nature et le siège lésionnels précisés sont « tête de, visage, cervicales, dents ' hématomes, contusions, choc ». L'accident s'est produit sur le site de la société [5].
La caisse primaire a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels et les conséquences financières y afférentes ont été imputées sur le compte employeur de la société [6].
Par jugement du 5 juillet 2019, le tribunal correctionnel de Lyon a prononcé la relaxe de la société [5], poursuivie des faits de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail et de mise à disposition de travailleur d'équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité, a accueilli la constitution de partie civile de M. [B] et a renvoyé l'affaire devant la chambre du tribunal en charge des intérêts civils.
Par courrier du 27 janvier 2022, la société a demandé à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes (la CARSAT ou la caisse) qu'elle retire de son compte employeur le coût de cet accident, une demande qu'elle a rejetée par décision du 7 février 2022.
Par acte d'huissier de justice délivré le 7 mars 2022 et visé par le greffe le 9 mars suivant, la société [6] a fait assigner la CARSAT devant la cour d'appel d'Amiens à l'audience du 2 septembre 2022, lors de laquelle l'affaire a fait l'objet d'un retrait du rôle, formalisé par ordonnance du même jour, à la demande des parties, dans l'attente d'un jugement du tribunal judiciaire de Lyon sur les intérêts civils.
Le tribunal de Lyon a rendu son jugement sur les intérêts civils le 27 avril 2023.
La société [6] a souhaité faire réinscrire l'affaire en faisant délivrer à la CARSAT, par acte de commissaire de justice du 14 novembre 2023, une nouvelle assignation devant la cour d'appel d'Amiens à l'audience du 8 mars 2024.
Par conclusions communiquées au greffe le 5 mars 2024, soutenues oralement à l'audience, la société [6] demande à la cour de :
- infirmer la décision de rejet de la CARSAT,
- déclarer que la société [5] est seule responsable de l'accident du travail dont a été victime M. [B] le 8 juin 2017,
- juger qu'il y a lieu d'exclure de la valeur du risque retenue pour le calcul du taux brut individuel des cotisations d'accident du travail (AT/MP), l'accident du travail du 8 juin 2017 et le taux d'incapacité permanente attribué le 26 mars 2019,
- condamner la CARSAT aux dépens.
La société [6] rappelle de prime abord les conditions dans lesquelles est survenu l'accident du travail dont a été victime M. [B], à savoir qu'alors qu'il travaillait sur un site de la société [5], il a été blessé par l'un des équipements appartenant à celle-ci.
Elle indique que seule la société [5] a été poursuivie au pénal pour cet accident et qu'elle a, seule, été condamnée à réparer intégralement le préjudice subi.
Ainsi, elle précise que par jugement sur les intérêts civils du 27 avril 2023, le tribunal correctionnel de Lyon a déclaré la société [5] entièrement responsable des préjudices subis par M. [B] et l'a condamnée à indemniser celui-ci intégralement et à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la CPAM) la somme de 141 261,74 euros au titre du remboursement des prestations servies à M. [B].
Elle indique que, contrairement aux dires de la CARSAT, l'appel introduit à l'encontre de ce jugement l'a été, non pas par la société [5], qui a reconnu devant le tribunal judiciaire sa responsabilité intégrale, mais par M. [B] qui conteste le quantum de son indemnisation.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, la CARSAT demande à la cour de :
- débouter la société [6] de sa demande de retrait de son compte employeur de l'accident du travail de M. [B],
- en tout état de cause, rejeter le recours de la société [6],
- condamner la société [6] aux entiers dépens de l'instance.
La CARSAT réplique que le jugement du tribunal correctionnel de 2019 ne tranche pas dans son dispositif la question de la responsabilité civile de la société [5].
S'agissant du second jugement du 27 avril 2023 sur les intérêts civils, elle argue qu'il n'a pas acquis un caractère définitif car M. [B] a interjeté appel à l'encontre de cette décision.
Elle explique que la circonstance que l'appel soit limité aux dispositions relatives aux intérêts civils ne confère pas un caractère définitif au jugement éventuellement rendu sur la responsabilité civile. Elle rappelle sur ce point que le jugement ne comporte aucune mention dans son dispositif relative à la responsabilité de la société [5] si ce n'est de façon implicite.
Elle fait ainsi valoir que le dispositif sur les intérêts civils est le même que celui consacré à une éventuelle responsabilité civile de la société [5], de sorte que l'appel interjeté par M. [B] concerne également la question de la responsabilité civile, laquelle n'est donc pas revêtue de l'autorité définitive de la chose jugée.
Elle en conclut qu'il appartiendra à la seule cour d'appel de Lyon d'apprécier ce point de procédure ainsi que la recevabilité de la société [5] à remettre en cause sa responsabilité civile.
Elle ajoute qu'outre cette problématique, la cour d'appel de Lyon devra trancher un point épineux qui n'a pas du tout été examiné en première instance, à savoir dans quel cadre contractuel et dans quelles conditions M. [B] exécutait son travail sur le site de l'opération qui a occasionné son accident.
Elle soutient à ce titre que l'appréciation de la qualité de tiers de la société [5] incombe exclusivement à la cour d'appel de Lyon et non à celle d'Amiens.
Elle argue que la société [6] ne prouve ni que la société [5] aurait reconnu sa responsabilité ou qu'elle aurait donné son accord à une transaction amiable avec la victime et la CPAM sur la responsabilité, ni que par un contrat de transaction amiable la société [5] aurait reconnu sa responsabilité.
Elle affirme que rien ne prouve que la société [5] ait exprimé par un acte clair et non équivoque sa volonté de renoncer à contester sa responsabilité et qu'en tout état de cause, la cour d'appel d'Amiens n'est pas compétente pour statuer sur ce point.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la société [5] dans la survenance de l'accident
Dans le dispositif de ses conclusions, la société [6] demande à la cour de déclarer que la société [5] est seule responsable de l'accident du travail dont a été victime M. [B] le 8 juin 2017.
Toutefois, dans le cadre d'un litige relatif au retrait du coût d'un accident du travail causé par un tiers identifié, le juge de la tarification est amené à se prononcer, non pas sur la responsabilité dudit tiers, cette question ne relevant pas de sa compétence, mais seulement sur l'existence d'une décision amiable ou contentieuse sur le pourcentage de responsabilité mis à la charge du tiers responsable.
En effet, l'article L. 311-16 du code de l'organisation judiciaire limite la compétence de la cour d'appel d'Amiens spécialement désignée aux litiges mentionnés au 7° de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale, à savoir les litiges relatifs « aux décisions des CARSAT et des caisses de mutualité sociale agricole concernant, en matière d'accidents du travail agricoles et non agricoles, la fixation du taux de cotisation, l'octroi de ristournes, l'imposition de cotisations supplémentaires et, pour les accidents régis par le livre IV du présent code, la détermination de la contribution prévue à l'article L. 437-1 ».
La cour de céans est donc incompétente pour statuer sur la question du civilement responsable de l'accident.
Sur la demande de retrait du compte employeur de l'accident du travail de M. [B]
L'article D. 242-6-7, alinéa 6, du même code prévoit que lorsque des recours sont engagés contre les tiers responsables d'accidents du travail, les montants des coûts moyens correspondant aux catégories dans lesquelles sont classées ces accidents sont proratisés selon le pourcentage de responsabilité mis à la charge du tiers responsable par voie amiable ou contentieuse.
En l'espèce, la société [6] soutient que la responsabilité de la société [5] a été reconnue à 100% dans la survenance de l'accident du travail dont a été victime M. [B] le 8 juin 2017.
Elle produit un courrier de la CPAM du Rhône du 21 décembre 2018 l'informant qu'elle a ouvert un dossier de recours contre tiers s'agissant de l'accident du travail de M. [B] ainsi qu'un échange de mails entre elle et la société [5], intervenu en mars 2019, laquelle lui a indiqué que son assureur est entré en contact avec la CPAM s'agissant du dossier de M. [B].
Elle produit ensuite un premier jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 5 juillet 2019, opposant le ministère public à la société [5] avec pour parties civiles la CPAM du Rhône et M. [B], relatif à l'accident dont il a été victime, par lequel le tribunal a :
- sur l'action publique, relaxé la société [5] des chefs dont elle était poursuivie,
- sur l'action civile, fait droit aux demandes formées par M. [B] au titre de l'article 470-1 du code pénal, lequel a réclamé que la société [5] soit condamnée à réparer intégralement le préjudice subi au titre de son accident du travail du 8 juin 2017, et a ainsi dans son dispositif déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [B],
- renvoyé l'affaire sur les intérêts civils.
La société [6] produit un second jugement du tribunal correctionnel de Lyon statuant sur intérêts civils du 27 avril 2023, rendu entre le procureur de la République, M. [B], la CPAM Rhône et la société [5], dont les motifs sont libellés comme il suit :
« SUR LES RESPONSABILITES - L'article 470-1 du code de procédure pénale dispose que le tribunal saisi de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite.
Par jugement du 5 juillet 2019, le tribunal correctionnel de Lyon a relaxé la société [5] des faits de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail et de mise à disposition des travailleurs d'équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité. Il a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [B].
L'article 1242 du code civil dispose qu'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde.
La société [5] ne conteste pas sa responsabilité civile. Il convient de déclarer la société [5] entièrement responsable des préjudices subis par M. [B] et de la condamner à l'indemniser intégralement. La CPAM s'est initialement constituée partie civile mais le tribunal n'a pas statué sur cette demande. Cette constitution de partie civile de la caisse, subrogée dans les droits de la victime en application de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, sera déclarée recevable.
SUR L'INDEMNISATION - (') La société [5] sera donc condamnée à payer à M. [B], la somme de 148 399,71 euros. Compte tenu de l'accord de la demanderesse, la CPAM du Rhône est en droit d'obtenir le remboursement par la société [5] des prestations d'ores et déjà servies à la victime et du capital représentatif de la rente accident du travail soit un montant total de 141 261,74 euros. (')
PAR CES MOTIFS ' Le tribunal, statuant publiquement, en matière correctionnelle sur intérêts civils, en premier ressort et par jugement contradictoire à l'égard de la société [5], et de M. [B], et contradictoire à signifier à l'égard de la CPAM du Rhône :
Condamne la société [5] à payer à M. [B] la somme de 148 399,71 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice ('),
Reçoit la CPAM du Rhône en [sa] constitution de partie civile,
Condamne la société [5] à payer à la CPAM du Rhône la somme de 141 261,74 euros au titre du remboursement des prestations servies à M. [B] (') ».
M. [B] a interjeté appel de ce jugement, et a précisé que son appel portait sur le dispositif civil.
Contrairement aux dires de la CARSAT, ce jugement n'est en aucun cas équivoque quant à la reconnaissance de la responsabilité de la société [5] dans la mesure où, en application des motifs qu'il a longuement développés, le tribunal a condamné la société [5] au remboursement intégral des préjudices de la victime et des sommes avancées par la caisse primaire.
Si un appel a effectivement été introduit à l'encontre de ce jugement, il l'a été, non pas par la société [5] mais par M. [B], lequel a sollicité, dans le cadre de l'instance pénale, que la seule société [5] soit condamnée à rembourser intégralement les préjudices qu'il a subis au titre de son accident du travail, une demande que le tribunal correctionnel a déclarée recevable dans son jugement du 5 juillet 2019 et qu'il a accueillie dans son jugement du 27 avril 2023 sur intérêts civils.
Il totalement improbable que l'objet de l'appel de la victime du jugement sur les intérêts civils soit la remise en cause de la reconnaissance de la responsabilité de la société [5], dans la mesure où M. [B] a expressément sollicité, dans les différentes instances engagées, que soit reconnue la seule et pleine responsabilité de ladite société, laquelle l'a d'ailleurs reconnue sans réserve devant le tribunal de Lyon. L'appel ne pourra déboucher, le cas échéant, que sur une modification des indemnités accordées.
Aussi, la CARSAT est mal fondée à déclarer, sans d'ailleurs en justifier, que la cour d'appel de Lyon devra examiner le principe même de la responsabilité civile de la société [5].
Elle n'est pas plus fondée à solliciter, pour l'application des dispositions de l'article D. 242-6-7, et en sus de la décision judiciaire sur le pourcentage de responsabilité mis à la charge du tiers responsable, la production d'un acte émanant de la société [5], par lequel elle déclarerait de manière claire et non équivoque renoncer à contester sa responsabilité.
En arguant que l'absence d'une telle preuve doit nécessairement entraîner le débouté de la demanderesse, la CARSAT demande en réalité que l'application de l'article D. 242-6-7 soit soumise à une condition non prévue par ce texte.
S'agissant d'un éventuel accord amiable entre la société [6] et la société [5], celui-ci n'est pas requis dès lors qu'il a été établi précédemment que la demanderesse justifiait bien d'une décision judiciaire sur le pourcentage de responsabilité mis à la charge du tiers responsable.
Enfin, la CARSAT évoque le fait que le tribunal de Lyon, dans son jugement sur les intérêts civils du 27 avril 2023, n'a pas statué sur le cadre contractuel et les conditions dans lesquelles M. [B] exécutait son travail sur le site de l'accident et que cette question va très probablement être examinée par la cour d'appel de Lyon, laquelle sera donc amenée à statuer sur la qualité de tiers de la société [5].
Ce moyen, qui repose sur des allégations théoriques de la caisse, est inopérant, dès lors qu'elle n'étant ni l'assuré, ni l'employeur, la société [5] est nécessairement un tiers.
Partant, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société [6] rapporte la preuve de ce qu'une décision judiciaire a mis à la charge de la société [5], à hauteur de 100%, la responsabilité de l'accident du travail dont a été victime M. [B].
En conséquence, il convient de faire droit à la demande de la société [6] et d'ordonner le retrait de son compte employeur des incidences financières de l'accident du travail dont a été victime M. [B].
La CARSAT sera enjointe par ailleurs à rectifier les taux impactés par ce retrait et non encore définitifs à la date du recours gracieux de la société [6], soit le 27 janvier 2022.
Succombant totalement, la CARSAT sera condamnée aux dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par sa mise à disposition au greffe, en premier et dernier ressort,
- Ordonne le retrait du compte employeur de la société [6] des incidences financières de l'accident du travail de M. [B] survenu le 8 juin 2017,
- Enjoint à la CARSAT de procéder à la rectification des taux impactés par ce retrait et non encore définitifs à la date du recours gracieux de la société [6],
- Condamne la CARSAT aux dépens de l'instance.
Le greffier, Le président,