ARRET
N° 398
[X]
[X]
C/
Etablissement MDPH DU NORD
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 07 MAI 2024
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N° RG 22/01870 - N° Portalis DBV4-V-B7G-INIZ - N° registre 1ère instance :
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VALENCIENNES EN DATE DU 18 MARS 2022
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS
Madame [E] [X]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Comparante, assistée par Me Virginie Stienne-Duwez, avocat au barreau de Lille, vestiaire : 0247
Monsieur [S] [X]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Comparant, assisté par Me Virginie Stienne-Duwez, avocat au barreau de Lille, vestiaire : 0247
ET :
INTIMEE
MDPH du Nord
[Adresse 1]
[Localité 4]
Non représentée
DEBATS :
A l'audience publique du 19 février 2024 devant M. Philippe Mélin, président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 07 mai 2024.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Mathilde Cressent
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
M. Philippe Mélin en a rendu compte à la cour composée en outre de :
M. Philippe Mélin, président,
Mme Anne Beauvais, conseiller,
et Monsieur Renaud Deloffre, conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 07 Mai 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, M. Philippe Mélin, président a signé la minute avec Mme Christine Delmotte, greffier.
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DECISION
Le 28 mai 2021, M. [S] [X] et son épouse [E] [F], agissant tant en leur nom propre qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur [J] [X], né le 5 octobre 2007, ont sollicité l'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (ci-après l'AEEH), le cas échéant d'un de ses compléments, et de la prestation de compensation du handicap (ci-après la PCH) auprès de la maison départementale des personnes handicapées du Nord (ci-après la MDPH).
La MDPH, pour procéder à l'instruction des demandes, a réclamé des pièces médicales supplémentaires, à savoir un bilan ophtalmologique, un bilan du ou des spécialistes suivant l'enfant et un certificat médical récent détaillant les capacités d'autonomie de celui-ci.
Les époux [X]-[F] n'ont pas produit les pièces demandées.
Ils ont effectué un recours administratif préalable obligatoire auprès de la MDPH le 14 septembre 2021. Au terme de ce recours, ils ont indiqué que [J] était atteint, comme ses trois frères, d'un rétinoschisis congénital, qu'il est en basse vision avec un champ visuel très réduit avec taches maculaires, et qu'il s'agit d'une maladie dégénérative et incurable. Ils ont précisé que le certificat médical réclamé ne pouvait être obtenu que dans le cadre d'une consultation avec un spécialiste, qui requérait un délai minimum d'un an, et ils ont fait valoir que dans cette attente, leur fils accumulerait un retard dans ses acquisitions scolaires. Ils ont ajouté que pour la même maladie, son frère [U] avait obtenu des droits et ils ont estimé qu'il convenait de réserver à [J] un sort identique.
Le 12 octobre 2021, les époux [X]-[F] ont saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes d'un recours à l'encontre d'une prétendue décision implicite de rejet de la demande PCH.
Le 23 novembre 2021, une ordonnance d'irrecevabilité manifeste a été rendue, au motif que le recours devant le tribunal était prématuré, le délai de deux mois imparti à la MDPH pour traiter le recours administratif préalable obligatoire n'étant pas écoulé à la date de la saisine.
Par décision en date du 7 décembre 2021, notifiée le 9 décembre 2021, la commission des droits et l'autonomie des personnes handicapées de la MDPH (ci-après la CDAPH) a attribué aux époux [X]-[F] l'AEEH pour la période du 1er juin 2021 au 31 octobre 2023, au motif que [J] présentait un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 %.
Par une autre décision du 7 décembre 2021, notifiée le 9 décembre 2021, la CDAPH a refusé d'attribuer la PCH à [J] [X], au motif que les éléments recueillis ne permettaient pas à l'équipe pluridisciplinaire d'évaluer les besoins de l'enfant.
Par lettre recommandée en date du 20 décembre 2021, les époux [X]-[F] ont à nouveau saisi le tribunal judiciaire de Valenciennes.
Par jugement en date du 18 mars 2022, le tribunal judiciaire de Valenciennes a débouté les époux [X]-[F] de leur recours. Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que l'AEEH ne pouvait être cumulée avec la PCH que dans certaines conditions, et notamment lorsque les conditions d'ouverture du droit au complément de l'AEEH étaient réunies, alors qu'en l'espèce, l'AEEH avait été attribuée pour [J] sans complément. Il en a déduit que la PCH ne pouvait être attribuée, quand bien même son médecin consultant avait conclu que les conditions médicales étaient remplies.
Ce jugement a été expédié aux parties à une date indéterminée. La MDPH en a reçu notification le 4 avril 2022. Quant aux époux [X]-[F], ils en ont reçu notification mais n'ont pas apposé la date sur l'avis de réception.
Par déclaration d'appel en date du 15 avril 2022, les époux [X]-[F] ont interjeté appel du jugement.
Par ordonnance en date du 20 septembre 2022 rendue en application des articles R. 142-16 et suivants du code de la sécurité sociale, le magistrat chargé de l'instruction du dossier a ordonné une mesure de consultation sur pièces et a désigné le docteur [O] pour y procéder.
Le docteur [O] a procédé à sa mission et a déposé son rapport le 3 avril 2023. Elle y a notamment relaté que [J] était atteint comme ses frères d'une pathologie congénitale, le rétinoschisis congénital. Elle a exposé qu'il pouvait réaliser tous les actes de la vie quotidienne avec difficulté mais sans aide technique. Elle a indiqué qu'il avait une acuité visuelle avec correction de 2,5/10 Parinaud 8 pour l''il droit et pour l''il gauche. Elle a ajouté qu'avec 3/10, on voyait clair et qu'on pouvait se déplacer. Elle a conclu que ces séquelles ne permettaient pas à l'intéressé de percevoir la PCH.
L'examen de l'affaire a été porté à l'audience du 19 février 2024.
Suivant dernières conclusions déposées et soutenues à l'audience, les époux [X]-[F] sollicitent :
- que le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes le 18 mars 2022 soit infirmé,
- que le bénéfice de la PCH soit accordé à [J] à compter du 28 mai 2021,
- que la MDPH soit condamnée aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, ils font notamment valoir :
- que contrairement à ce qu'a décidé le tribunal, l'accès des enfants et des majeurs de moins de 20 ans à la PCH ne nécessite pas la réunion des trois conditions suivantes : être bénéficiaire de l'AEEH, ouvrir droit au complément de cette allocation et être éligible à la PCH,
- que la PCH peut aussi être accordée dans le cadre du volet 3 de l'article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles, c'est-à-dire pour un aménagement du logement ou du véhicule de la personne handicapée et l'éventuel surcoût résultant de son transport,
- que pour rejeter leurs demandes, le tribunal judiciaire a considéré qu'ils ne demandaient pas l'aide au titre du volet 3,
- que cependant, il résulte de leur dossier de demande auprès de la MDPH que le volet 3 est également concerné par leur demande, puisqu'ils ont bien indiqué dans leur souhait qu'ils voulaient une aide pour se déplacer, un aménagement du lieu de vie, et une aide financière pour les dépenses liées au handicap,
- que comme l'a retenu le médecin consultant désigné en première instance, [J] présente des difficultés graves pour voir et s'orienter dans l'espace, de sorte que sur le plan médical, l'éligibilité à la PCH est acquise,
- qu'il ressort du certificat médical du centre ophtalmologique de [Localité 5] en date du 13 juin 2022 que [J] souffre de difficultés dans la lecture et l'écriture, la reconnaissance des visages à 1 m, les gestes de la vie quotidienne, l'utilisation du téléphone et des appareils de communication, la gestuelle, les déplacements intérieurs et extérieurs, de sorte qu'il existe une nécessité de techniques spécialisées,
- qu'en outre, il se heurte à une incompréhension de ses difficultés visuelles par les tiers,
- que l'expert désigné par la cour se réfère à la seule acuité visuelle alors qu'il existe des difficultés de champ visuel,
- que de surcroît, l'expert désigné par la cour est chirurgien urologue et n'est pas spécialiste de la pathologie de [J], alors que le médecin consulté en première instance est un médecin généraliste habitué à connaître de toutes les pathologies,
- que [U], le frère de [J], qui souffre de la même pathologie que lui, a obtenu le bénéfice de la PCH,
- que [J] a besoin d'une aide humaine et d'une technique dans tous les gestes de la vie quotidienne, dans les apprentissages, dans les déplacements, ainsi que d'une surveillance.
La MDPH ne s'est ni présentée, ni fait représenter.
Motifs de la décision :
Sur la régularité de procédure :
Si les époux [X]-[F] n'ont pas, à proprement parler, exercé de recours administratif préalable obligatoire contre la décision de la MDPH en date du 7 décembre 2021 leur refusant le bénéfice de la PCH pour [J], ils n'ont pas non plus omis d'exercer un tel recours, puisqu'ils l'avaient engagé dès le 14 septembre 2021, avant même que la décision soit rendue. Dans ces conditions un peu particulières, il convient de considérer la procédure comme régulièrement suivie.
Par ailleurs, même si l'on ignore la date à laquelle les époux [X]-[F] ont reçu notification du jugement, ils ont nécessairement fait appel dans le délai d'un mois requis, puisque le jugement est du 18 mars 2022 et que leur déclaration d'appel a été faite le 15 avril 2022.
Sur le fond :
L'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles institue la PCH. Notamment, en son deuxième alinéa, il prévoit que « lorsque la personne remplit les conditions d'âge permettant l'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale (l'AEEH), l'accès à la PCH se fait dans les conditions prévues au III du présent article ».
L'article L. 245-1 III dispose que les bénéficiaires de l'allocation prévue à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale (l'AEEH) peuvent la cumuler :
1° Soit avec la prestation de compensation prévue dans le présent article, dans des conditions fixées par décret, lorsque les conditions d'ouverture du droit au complément de l'AEEH sont réunies et lorsqu'ils sont exposés, du fait du handicap de leur enfant, à des charges relevant de l'article L. 245-3 du présent code. Dans ce cas, le cumul s'effectue à l'exclusion du complément de l'AEEH ;
2° Soit avec le seul élément de la prestation mentionné au 3° de l'article L. 245-3, dans des conditions fixées par décret, lorsqu'ils sont exposés, du fait du handicap de leur enfant, à des charges relevant dudit 3°. Ces charges ne peuvent alors être prises en compte pour l'attribution du complément de l'AEEH.
Par ailleurs, l'article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles précise que la PCH peut être affectée à des charges :
1° Liées à un besoin d'aides humaines, y compris, le cas échéant, celles apportées par les aidants familiaux ;
2° Liées à un besoin d'aides techniques, notamment au frais laissés à la charge de l'assuré lorsque ces aides techniques relèvent des prestations prévues au 1° de l'article L. 160-8 du code de la sécurité sociale ;
3° Liées à l'aménagement du logement et du véhicule de la personne handicapée, ainsi qu'à d'éventuels surcoûts résultant de son transport ;
4° Spécifiques ou exceptionnelles, comme celles relatives à l'acquisition ou l'entretien de produits liés au handicap ;
5° Liées à l'attribution et à l'entretien des aides animalières. À compter du 1er janvier 2006, les charges correspondant à un chien guide d'aveugle ou un chien d'assistance ne sont prises en compte dans le calcul de la prestation que si le chien a été éduqué dans une structure labellisée et par des éducateurs qualifiés selon des conditions définies par décret. Les chiens remis aux personnes handicapées avant cette date sont présumés remplir ces conditions.
L'article D. 245-4 du code de l'action sociale et des familles énonce qu'« a le droit ou ouvre le droit à la prestation de compensation, dans les conditions prévues au présent chapitre pour chacun des éléments prévus à l'article L. 245-3, la personne qui présente une difficulté absolue pour la réalisation d'une activité ou une difficulté grave pour la réalisation d'au moins deux activités telles que définies dans le référentiel figurant à l'annexe 2-5 et dans des conditions précisées dans ce référentiel.
Ce référentiel contenu à l'annexe 2-5 dresse ainsi une liste de 19 activités de base de la vie quotidienne, qui sont regroupées en quatre domaines : mobilité, entretien personnel, communication et tâches et exigences générales, relations avec autrui.
Il résulte de la combinaison de ces différentes dispositions que les bénéficiaires de l'AEEH peuvent la cumuler :
- avec la PCH lorsque les conditions d'ouverture du droit au complément de l'AEEH sont réunies et lorsqu'ils sont exposés, en raison du handicap de l'enfant, à des charges susceptibles d'être compensées par la PCH,
- ou avec le seul élément de la PCH relatif aux charges liées à l'aménagement du logement et du véhicule ou à des éventuels surcoûts résultant du transport, lorsqu'ils sont exposés à de telles charges, en raison du handicap de l'enfant.
En l'espèce, il est constant que les époux [X]-[F] ont obtenu pour [J] l'AEEH sans complément.
Ils ne correspondent donc pas à la première hypothèse de cumul entre l'AEEH et la PCH, faute d'ouverture du droit au complément de l'AEEH.
Ils prétendent que leur cas correspond à la seconde hypothèse de cumul, dans la mesure où ils seraient exposés, en vertu du handicap de [J], à des charges liées à l'aménagement du logement ou du véhicule ou à des surcoûts de transport.
Il est vrai que dans leur demande présentée le 24 mai 2021 à la MDPH, ils avaient notamment coché les cases correspondant au souhait de bénéficier d'un aménagement du lieu de vie et d'une aide pour se déplacer.
Cependant, l'examen du dossier révèle qu'ils ont également coché les cases correspondant à « vivre à domicile », « une aide humaine », « du matériel ou équipement », « une aide financière pour des dépenses liées au handicap », « une aide animalière » et « une aide financière afin d'assurer un revenu minimum ». En réalité, il s'avère qu'ils ont coché la quasi-totalité des cases disponibles, hormis « vivre en établissement », « accompagnement pour l'adaptation/réadaptation à la vie quotidienne », « accueil temporaire en établissement » et « réaliser un bilan des capacités dans la vie quotidienne ».
Surtout, il s'avère qu'ils ont coché ces cases de manière générique, sans avoir de projet particulier d'aménagement du domicile ni d'aménagement du véhicule. En effet, ils n'explicitent pas cette demande. Notamment, contrairement aux exigences de l'article D. 245-28, ils ne fournissent aucun devis concernant des travaux au domicile. Ils n'expliquent même pas en quoi leur domicile devrait être aménagé. De même, ils n'expliquent pas en quoi le handicap de [J] rendrait nécessaire l'aménagement du véhicule ni même en quoi il occasionnerait des déplacements supplémentaires par rapport à d'autres enfants du même âge que lui.
En tout état de cause, ils ne justifient pas, contrairement aux exigences de l'article L. 245-1 III qu'ils sont exposés à des charges relevant du 3° de l'article L. 245-3.
Ils ne justifient donc pas se trouver dans la seconde hypothèse de cumul entre l'AEEH et la PCH.
En conséquence, ils doivent être déboutés de leur demande de PCH pour [J]. Le jugement du tribunal judiciaire de Valenciennes sera donc confirmé.
À titre surabondant, et même s'il serait évidemment satisfaisant pour l'esprit que deux situations de handicap identiques aboutissent à deux situations de prise en charge identiques, il convient d'observer qu'il est difficile de raisonner pour [J] par rapport au dossier de son frère [U]. En premier lieu, si les époux [X]-[F] soutiennent qu'ils auraient obtenu pour [U] le cumul entre l'AEEH et la PCH, ils n'en justifient aucunement et se bornent à produire un jugement attribuant à [U] la carte mobilité inclusion mention invalidité, ce qui n'est pas du tout la même chose. En deuxième lieu et quand bien même ils auraient effectivement obtenu pour [U] le cumul entre l'AEEH et la PCH, il resterait encore à démontrer que les deux enfants en sont au même stade de la maladie. En troisième lieu, leur raisonnement est sous-tendu par le fait que les décisions rendues à propos de [J] sont marquées par une trop grande sévérité mais l'hypothèse inverse, de décisions bienveillantes au profit de [U], est tout aussi envisageable.
Sur les demandes accessoires :
Il y a lieu de rappeler que les frais de consultation médicale sont à la charge de la Caisse nationale d'assurance-maladie.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner les époux [X]-[F] aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt rendu publiquement par mise à disposition, réputé contradictoire et en dernier ressort,
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Valenciennes en date du 18 mars 2022,
- Condamne les époux [X]-[F] aux dépens,
- Dit que les frais de consultation seront pris en charge par la Caisse nationale d'assurance-maladie.
Le Greffier, Le Président,