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06/05/2024 | FRANCE | N°23/01835

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 06 mai 2024, 23/01835


ARRET







ADSEA 80





C/



[M]





































































copie exécutoire

le 06 mai 2024

à

Me CAMIER

Me MARGRAFF

EG/IL/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 06 MAI 2024

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N° RG 23/01835 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXYP



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 28 MARS 2023 (référence dossier N° RG F 21/00154)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



ASSOCIATION DEPARTEMENTALE POUR LA SAUVEGARDE DE L'ENFANT A L'ADULTE DE LA SOMME - ADSEA 80

[Adresse 1]

[Localité 3]...

ARRET

ADSEA 80

C/

[M]

copie exécutoire

le 06 mai 2024

à

Me CAMIER

Me MARGRAFF

EG/IL/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 06 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 23/01835 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXYP

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 28 MARS 2023 (référence dossier N° RG F 21/00154)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

ASSOCIATION DEPARTEMENTALE POUR LA SAUVEGARDE DE L'ENFANT A L'ADULTE DE LA SOMME - ADSEA 80

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Hélène CAMIER de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D'AMIENS

ET :

INTIME

Monsieur [H] [M]

né le 04 Juin 1971 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Audrey MARGRAFF de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 06 mars 2024, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 06 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 06 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [M], né le 4 juin 1971, a été embauché à compter du 7 janvier 2000 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par l'association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte de la Somme (l'association ou l'employeur), en qualité d'élève éducateur.

Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait la fonction d'éducateur spécialisé.

L'association compte plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.

Le 9 décembre 2019, M. [M] a été victime d'un accident de travail.

Suivant avis du 6 avril 2020, le médecin du travail l'a déclaré inapte, précisant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

M. [M] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 mai 2020.

Le 11 mai 2020, il a été licencié pour inaptitude.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 3 mai 2021.

Par jugement du 28 mars 2023, le conseil :

s'est déclaré compétent nonobstant l'éventuelle procédure introduite devant le pôle social du tribunal judiciaire ;

a dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié le 11 mai 2020 de M. [M] était dénué de cause réelle et sérieuse au regard du manquement de l'ADSEA 80 à son obligation de sécurité de résultat ;

a condamné l'ADSEA 80 à payer à M. [M] les sommes suivantes :

- 43 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

a débouté I'ADSEA 80 de toute demande reconventionnelle contraire ou supplémentaire ;

a ordonné l'exécution provisoire en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile ;

a dit que l'intégralité des sommes allouées par le conseil à M. [M] seraient consignées à la Caisse des dépôts et consignations, en application des dispositions des articles 517 et 519 du code de procédure civile ;

a condamné I'ADSEA 80 aux entiers dépens.

L'association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte de la Somme, régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2024, demande à la cour de :

réformer le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

débouter M. [M] de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

ramener l'indemnisation de M. [M] à de plus justes proportions ;

En tout état de cause,

condamner M. [M] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

M. [M], par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2024, demande à la cour de :

confirmer à titre principal, le jugement en ce qu'il :

- s'est déclaré compétent nonobstant l'éventuelle procédure introduite devant le pôle social du tribunal judiciaire ;

- a dit que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié le 11 mai 2020 était dénué de cause réelle et sérieuse au regard du manquement de l'ADSEA 80 à son obligation de sécurité de résultat ;

- a condamné l'ADSEA 80 à lui payer les sommes suivantes :

43 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- a débouté I'ADSEA 80 de toute demande reconventionnelle contraire ou supplémentaire ;

- a condamné I'ADSEA 80 aux entiers dépens ;

à titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une réformation totale ou partielle de la décision déférée, déclarer que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié le 11 mai 2020, est nul, pour cause de discrimination, ou dénué de cause réelle et sérieuse pour déloyauté dans la mise en 'uvre de la procédure, et ce faisant, condamner l'ADSEA 80 au paiement de la somme de 43 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre ;

à titre infiniment subsidiaire, et si par extraordinaire la cour devait juger que l'inaptitude n'est pas en lien avec le manquement de l'obligation de l'employeur, et que la procédure de licenciement n'est ni discriminatoire ni déloyale, dire et juger qu'en tout état de cause l'ADSEA 80 a manqué à son obligation de sécurité de résultat et condamner l'ADSEA 80 au versement de la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts au regard de son préjudice ;

en tout état de cause, condamner l'ADSEA 80 au paiement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance d'appel, et débouter l'ADSEA 80 de toute demande reconventionnelle contraire ou supplémentaire.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

Au préalable, la cour constate que bien que l'employeur demande la réformation du jugement en toutes ses dispositions, il ne soulève plus d'exception d'incompétence.

1/ Sur le bien-fondé du licenciement

L'employeur soutient qu'il n'est pas soumis à une obligation de sécurité de résultat et qu'il a mis tout en 'uvre pour remédier à la prise en charge problématique du mineur qui a agressé le salarié mais que se trouvant dans un contexte contraint puisqu'il dépend de l'A.S.E. pour les affectations des mineurs et du milieu médical pour les hospitalisations, il n'a pu obtenir de solution rapide.

Il ajoute qu'il disposait au jour de l'incident d'un DUERP mis à jour quelques semaines auparavant ainsi que de procédures pour la gestion des agressions, et que des formations à la prise en charge des jeunes en difficulté étaient régulièrement dispensées, ces éléments marquant toute l'attention portée à la sécurité de ses salariés.

Il précise n'avoir aucune latitude dans la gestion de ses effectifs dépendant du budget alloué par l'agence régionale de santé.

M. [M] répond que l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur n'a pas été satisfaite le concernant en raison d'une nouvelle politique d'accueil de mineurs relevant de problématiques de soins et non éducatives pour laquelle il n'était pas formé alors que la direction avait été alertée par lui-même, le médecin du travail et le CSE et que les incidents, mentionnés dans le carnet de liaison entre les éducateurs et le chef de service, se multipliaient.

Il ajoute que le directeur de l'association n'est intervenu que tardivement auprès de l'A.S.E. le 24 janvier 2020 afin d'éviter que les salariés n'exercent leur droit de retrait, laissant jusque-là le seul chef de service envoyer des alertes, et que les préconisations faites par le CSE après enquête pour assurer la sécurité des salariés montrent que le dispositif antérieur était insuffisant.

L'article L.4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L.4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Il en résulte que l'employeur engage sa responsabilité s'il ne justifie pas avoir pris les mesures de prévention légalement prévues à l'article précité et s'il n'a pas pris les mesures immédiates propres à faire cesser la situation mettant en danger la sécurité et la santé des salariés.

En l'espèce, il est constant que M. [M] a été licencié pour inaptitude avec dispense de reclassement dont l'origine est un accident du travail survenu le 9 décembre 2019, un mineur pris en charge depuis le 28 septembre 2019 au sein de la maison d'enfant à caractère social (MECS) sur laquelle il était affecté ayant tenté de l'étrangler.

Il ressort, en premier lieu, des courriels adressés le 24 octobre 2019 par la DRH de l'association à M. [M] et le 24 janvier 2020 par le directeur général de l'association au conseil départemental que de nouvelles orientations politiques conduisaient à accueillir au sein des MECS un nouveau profil de mineurs relevant de prise en charge médicoéducatives sans que leur projet soit adapté à la mission de ces structures.

Concernant le mineur ayant agressé M. [M], le courrier de la MDPH du 8 novembre 2019 mentionne l'intervention de six institutions dont un IME, un SESSAD et un service psychiatrique pour mineurs.

Or, face à une telle évolution du public accueilli confrontant nécessairement les équipes éducatives à des situations inédites, l'employeur ne justifie d'aucune mesure de prévention pour tenir compte du changement des circonstances afin d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés.

Ainsi le plan de formation de l'association n'a pas été particulièrement modifié courant 2019, n'a intégré des formations sur la gestion de l'agressivité et de la violence qu'en 2021, et le DUERP n'a été actualisé qu'en octobre 2019.

Par ailleurs, les fiches de procédure à suivre en cas d'évènement indésirable ou d'agression d'un salarié par un résident, à considérer qu'elles existaient en 2019 alors qu'elles portent une référence 2021, ne relèvent pas de la prévention.

Cette absence d'anticipation conduit, d'ailleurs, le CSE à mettre en place une cellule d'écoute en octobre 2019 afin de répondre au mal-être exprimé par le pôle enfance et famille.

Le manquement à l'obligation de sécurité dans sa composante préventive est donc caractérisé.

Il l'est également dans sa composante corrective au regard des différents signalements d'incidents émanant du chef de service et de M. [M] en octobre, novembre et décembre 2019, du courrier d'alerte du médecin du travail du 25 octobre 2019 rappelant l'employeur à ses obligations en matière de sécurité et de santé au travail, ainsi que des extraits du carnet de liaison renseigné par les éducateurs montrant une prise en charge très chaotique du mineur concerné, émaillée de nombreux épisodes violents à l'encontre des autres résidents et du personnel éducatif dès le mois d'octobre 2019.

L'employeur, informé de ces graves difficultés, n'a modifié le DUERP le 14 octobre 2019 que pour constater un niveau de risque important quant aux tensions avec le public et la peur au travail liée au contact avec les jeunes sans prévoir de nouvelles mesures alors qu'est mentionnée une insuffisance des mesures existantes dans les termes suivants : « ressenti : la violence physique par les jeunes est de plus en plus régulière, manque d'actions suivies lors d'incidents graves, ressenti d'une banalisation de la violence », et n'est intervenu clairement au plus haut niveau de sa hiérarchie auprès du conseil départemental qu'en janvier 2020.

De plus, en réponse au courriel d'alerte de M. [M] du 24 octobre 2019 aux termes duquel ce dernier relate un incident violent avec le mineur en cause en exprimant sa peur, il n'a mis en place aucune mesure de mise en sécurité du salarié qui sera une nouvelle fois agressé le 9 décembre 2019 par ce même mineur, ce qui conduira à l'avis d'inaptitude avec dispense de reclassement.

L'obligation de sécurité incombant à l'employeur, il lui appartenait de mettre en 'uvre à son niveau des mesures de protection du salarié que ses conditions de travail mettaient en danger, nonobstant les contraintes imposées par l'environnement institutionnel.

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité étant à l'origine de l'inaptitude ayant entraîné le licenciement du salarié, c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

L'association occupant habituellement plus de 10 salariés, M. [M], qui bénéficie d'une ancienneté de 20 ans, peut prétendre à une indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement d'un montant compris entre 3 et 15,5 mois de salaire.

Il justifie avoir repris une activité en tant qu'éducateur spécialisé pour différents employeurs depuis le 25 mai 2020 mais pour un salaire moindre.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de sa situation professionnelle depuis la rupture, de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci, la cour fixe à 33 500 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris est donc infirmé quant au quantum des dommages et intérêts alloués.

2/ Sur les demandes accessoires

Au vu du sens de la décision, il convient de confirmer la décision de première instance quant aux dépens et frais irrépétibles, et de mettre à la charge de l'employeur les dépens d'appel.

L'équité commande de condamner l'employeur à payer à M. [M] 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et de rejeter sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts alloués,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne l'association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte à payer à M. [H] [M] les sommes suivantes :

33 500 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 000 euros au titre des frais irrépétibles,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne l'association départementale pour la sauvegarde de l'enfant à l'adulte aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01835
Date de la décision : 06/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-06;23.01835 ?
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