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06/05/2024 | FRANCE | N°23/01701

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 06 mai 2024, 23/01701


ARRET







S.A.R.L. AEEMS





C/



[L]



























































copie exécutoire

le 06 mai 2024

à

Me CAZELLES

Me ESTREM

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 06 MAI 2024



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********************************

N° RG 23/01701 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXPE



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 14 MARS 2023 (référence dossier N° RG 22/00375)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.R.L. AEEMS

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée, concluant et plaidant par Me Cyrielle CAZELLES de la SELARL DEJANS...

ARRET

S.A.R.L. AEEMS

C/

[L]

copie exécutoire

le 06 mai 2024

à

Me CAZELLES

Me ESTREM

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 06 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 23/01701 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXPE

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 14 MARS 2023 (référence dossier N° RG 22/00375)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.R.L. AEEMS

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée, concluant et plaidant par Me Cyrielle CAZELLES de la SELARL DEJANS, avocat au barreau de SENLIS

ET :

INTIMEE

Madame [R] [L]

née le 05 Octobre 1971 à [Localité 4] (51)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée, concluant et plaidant par Me Betty ESTREM, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 06 mars 2024, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Mme Eva GIUDICELLI en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 06 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 06 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [L], née le 5 octobre 1971, a été embauchée à compter du 1er mai 2017 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée par la société Comptoir picardéchois devenue Sebmadis puis AEEMS (la société ou l'employeur) en qualité d'employée libre-service. La relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 12 décembre 2017.

La société AEEMS emploie moins de 11 salariés. La convention collective applicable est celle du commerce de détail alimentaire non spécialisé.

Le 25 février 2021, Mme [L] a été victime d'un accident du travail dont le caractère professionnel a été reconnu par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise le 3 juin 2021.

Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 28 février 2021.

Suivant avis du 15 février 2022, le médecin du travail l'a déclarée inapte, précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Sollicitant la résiliation judiciaire du contrat de travail, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil le 25 août 2022.

Par jugement du 14 mars 2023, le conseil a :

- écarté le courriel du 2 mars 2023 adressé par le défendeur après la clôture des débats ;

- fixé le salaire de Mme [L] à 1 709,28 euros brut ;

- ordonné la résiliation judiciaire du contrat de Mme [L] aux torts de l'employeur à compter de la mise à disposition au greffe du jugement, soit le 14 mars 2023 ;

- jugé que la résiliation judiciaire produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société AEEMS à verser à Madame [L], les sommes suivantes :

- 10 255,68 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 4 914,58 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement ;

- 3 418,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 341,85 euros au titre des congés payés afférents ;

- 3 745, 35 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

- 10 073,30 euros à titre de rappel de salaires du 15 mars au 15 septembre 2022 (confirmation de la décision de mesures provisoires rendue par le bureau de conciliation et d'orientation du 4 octobre 2022) ;

- 10 255,68 euros à titre de rappel de salaires du 15 septembre 2022 au 28 février 2023 ;

- 683,71 euros au titre des congés payés afférents aux rappels de salaires ;

- 5 000 euros au titre de son préjudice financier ;

- 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné à la société AEEMS de remettre à Mme [L] les documents de fin de contrat conformes à la décision sous astreinte de 50 euros par jour, pour l'ensemble des documents à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement ;

- dit que les condamnations prononcées aux titres de l'indemnité spéciale de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité compensatrice de congés payés, de rappel de salaires du 15 mars au 15 septembre 2022, de rappel de salaire du 15 septembre 2022 au 28 février 2023, des congés payés afférents aux rappels de salaires produiraient intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2022, date de réception par la société AEEMS de la convocation pour l'audience en bureau de conciliation et d'orientation ;

- dit que les condamnations prononcées aux titres de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de son préjudice financier, de son préjudice moral produiraient intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2023, date de la mise à disposition du jugement ;

- rappelé qu'en application de l'article R.1454-28 du code du travail, la décision était de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

- débouté Mme [L] de ses demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société AEEMS aux entiers dépens et éventuels frais d'exécution.

La société AEEMS, régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 février 2024, demande à la cour de :

- infirmer l'ensemble des dispositions du jugement ;

Statuant à nouveau,

- débouter Mme [L] de l'ensemble de ses demandes, à l'exception de ses demandes relatives à l'indemnité spéciale de licenciement, l'indemnité spécifique et l'indemnité compensatrice de congés payés qu'il conviendra de fixer aux sommes suivantes :

- 3 600,58 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement ;

- 3 260,90 euros brut à titre d'indemnité spécifique ;

- 3 038,07 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- déclarer irrecevable la demande de Mme [L] tendant à obtenir des dommages et intérêts pour résistance abusive, et à titre subsidiaire, l'en débouter ;

- condamner Mme [L] à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme [L], par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2024, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société AEEMS à lui verser :

- les sommes suivantes :

10 255,68 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

4 914,58 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement ;

3 418,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

341,85 euros au titre des congés payés afférents ;

10 073,30 euros à titre de rappel de salaires du 15 mars au 15 septembre 2022 (confirmation de la décision de mesures provisoires rendue par le bureau de conciliation et d'orientation du 4 octobre 2022) ;

10 255,68 euros à titre de rappel de salaires du 15 septembre 2022 au 28 février 2023 ;

2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- un rappel de salaire au titre des congés payés pour la période du 15 mars 2022 au 28 février 2023, mais l'infirmer quant au quantum alloué ;

- des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, l'infirmer quant au quantum alloué ;

- des dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier, l'infirmer quant au quantum alloué ;

- une indemnité compensatrice de congés payés, l'infirmer quant au quantum alloué ;

Et, statuant à nouveau,

- condamner la société appelante à lui payer les sommes suivantes :

- 2 032,93 euros au titre du rappel de congés payés pour la période du 15 mars 2022 au 28 février 2023 ;

- 4 963,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

- 10 000 euros au titre des dommages-intérêts au titre du préjudice financier ;

- 10 000 euros au titre des dommages-intérêts au titre du préjudice moral ;

- 10 000 euros au titre des dommages-intérêts pour résistance abusive ;

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la remise d'un bulletin de paie conforme à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de l'arrêt ;

- ordonner la remise par la société AEEMS, des documents de rupture rectifiés, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- débouter la société appelante de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société AEEMS aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur l'exécution du contrat de travail

1-1/ sur la demande de rappel de salaire pour la période du 15 mars au 19 mai 2022

L'employeur soutient que n'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude que le 19 mai 2022 alors qu'il n'était pas à l'origine de la visite de reprise à défaut d'information sur la volonté de la salariée de reprendre le travail, il n'est pas comptable des salaires pour la période du 15 mars au 20 mai 2022, date du licenciement de cette dernière.

Mme [L] répond que l'employeur était tenu de reprendre le paiement du salaire un mois après l'examen médical de reprise, à défaut de reclassement ou de licenciement.

Elle affirme que l'employeur ne pouvait ignorer l'avis d'inaptitude ayant seul la possibilité de saisir le médecin du travail de l'organisation de la visite de reprise, ayant été informé de l'organisation de cette visite par courrier recommandé du 9 février 2022, et ayant reçu une seconde fois l'avis d'inaptitude par courriel du 19 mai 2022.

L'article L.1226-11 du code du travail dispose que lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail.

L'article R.4624-34 alinéa 1 et 2 du même code dispose qu'indépendamment des examens d'aptitude à l'embauche et périodiques ainsi que des visites d'information et de prévention, le travailleur bénéficie, à sa demande ou à celle de l'employeur, d'un examen par le médecin du travail ou par un autre professionnel de santé mentionné à l'article L. 4624-1, au choix du travailleur, dans les conditions prévues par l'article R. 4623-14.

Le travailleur peut solliciter notamment une visite médicale, lorsqu'il anticipe un risque d'inaptitude, dans l'objectif d'engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d'un accompagnement personnalisé.

En application des dispositions de l'article R.4624-55 de ce code, l'avis médical d'aptitude ou d'inaptitude émis par le médecin du travail est transmis au salarié ainsi qu'à l'employeur par tout moyen leur conférant une date certaine. L'employeur le conserve pour être en mesure de le présenter à tout moment, sur leur demande, à l'inspecteur du travail et au médecin inspecteur du travail. Une copie de l'avis est versée au dossier médical en santé au travail du travailleur.

En l'espèce, l'avis d'inaptitude avec dispense de reclassement rendu par le médecin du travail le 15 février 2022 mentionne :

Date de la 1ère visite : 11/01/2022

étude de poste en date du 24/01/2022

étude des conditions de travail en date du 24/01/2022

échange avec l'employeur du 09/02/2022 (courrier du 09/02/2022, dans l'impossibilité de rencontrer l'employeur, absent lors de plusieurs appels téléphoniques pour prise de RV)

date de la dernière actualisation de la fiche entreprise : 21/01/2022

Mme [L] ne justifiant pas avoir informé l'employeur de sa volonté de reprendre le travail et se trouvant toujours en arrêt de travail lors des visites des 11 janvier et 15 février 2022, l'organisation de ces visites n'incombait pas spécialement à l'employeur et aucun élément ne permet d'établir qu'il en était à l'origine.

La salariée produit le courrier adressé par le médecin du travail à l'employeur le 9 février 2022 en lettre recommandée avec accusé de réception, avec la preuve de dépôt du recommandé à cette date mais pas l'accusé de réception, informant ce dernier de la visite de pré-reprise réalisée le 11 janvier 2022 et de la visite de reprise à venir le 15 février suivant afin de la déclarer inapte à son poste.

Le médecin du travail précise « il m'est impossible de vous joindre : à plusieurs reprises, je suis tombé au téléphone sur une employée qui m'a dit vous transmettre ma demande de rendez-vous, sans retour ».

Le courriel d'envoi de l'avis d'inaptitude à l'employeur le 19 mai 2022 mentionne « 2nd envoi » sans plus de précision.

Aucun de ces éléments ne permettant d'établir que l'employeur a été effectivement informé de ce que le médecin du travail cherchait à le joindre, ni qu'il a reçu le courrier du 9 février 2022 ou la notification de l'avis d'inaptitude avant le 19 mai 2022, l'obligation de reprendre le paiement du salaire un mois après l'examen de reprise ne lui est pas opposable.

Il convient donc de débouter la salariée de sa demande de rappel de salaire pour la période du 15 mars au 19 mai 2022.

1-2/ sur la poursuite du contrat de travail au-delà du19 mai 2022

L'employeur fait valoir qu'ayant adressé à la salarié une lettre de licenciement le 20 mai 2022, même en lettre simple, et remis des documents de fin de contrat, le contrat de travail a été rompu à cette date empêchant toute demande de paiement de salaire ou de résiliation ultérieure.

Mme [L] conteste tout licenciement au 20 mai 2022 ou postérieurement affirmant ne pas avoir reçu de lettre de licenciement ni de documents de fin de contrat, soulignant l'absence de réponse de l'employeur à ses courriers de mise en demeure et de règlement du solde de tout compte à défaut de preuve que des chèques lui ont effectivement été adressés.

Elle demande donc le rappel des salaires dus pour la période du 20 mai 2022 au 28 février 2023, date de l'audience de plaidoirie devant le conseil de prud'hommes, ainsi que les congés payés afférents, et la résiliation judiciaire du contrat de travail pour défaut de paiement des salaires dus par l'employeur à compter du 15 mars 2022.

En application des dispositions de l'article L.1226-12 du code du travail, lorsque le salarié victime d'un accident du travail est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'article L.1234-20 du même code dispose que le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.

En l'espèce, l'employeur produit une lettre de licenciement du 20 mai 2022 faisant référence à l'avis d'inaptitude, des documents de fin de contrat de la même date et un chèque daté du 8 juillet 2022 au bénéfice de la salariée reprenant les sommes dues au titre du dernier bulletin de salaire de mai 2022, notamment l'indemnité compensatrice de congés payés et l'indemnité de licenciement.

S'il ne rapporte pas la preuve de la remise ou de l'envoi de ces documents à la salariée, il apparaît néanmoins qu'un solde de tout compte a effectivement été soumis à Mme [L] puisqu'elle en a fait une photographie.

Le fait qu'elle soutienne sans preuve que ce document lui a été présenté le 19 avril 2022, soit avant le licenciement, pendant un entretien que l'employeur ne confirme pas, ne peut être retenu.

Elle se réfère, d'ailleurs, pour la première fois à ce solde de tout compte dans un courrier adressé à l'employeur le 15 juin 2021, indiquant « je me vois dans l'obligation de dénoncer et refuser le reçu pour solde de tout compte » alors qu'un précédent courrier du 24 mai 2022 n'en faisait pas mention.

De plus, dans un échange de textos du 12 juillet 2022, la salariée informe l'employeur qu'elle reviendra vers lui après un nouveau rendez-vous avec son avocate afin de calculer exactement ce qu'il lui devait, et l'attestation Pôle emploi du 27 septembre 2023 fait état d'une fin du contrat de travail au 20 mai 2022.

Enfin, il est inexact de dire que l'employeur avait tout loisir de lui régler par virement les sommes qu'il estimait lui devoir aux termes du solde de tout compte dans la mesure où il n'est pas démontré qu'il disposait de son relevé d'identité bancaire alors que l'ensemble des bulletins de salaire mentionnent un paiement par chèque.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est établi que le contrat de travail a été rompu le 20 mai 2022 à l'initiative de l'employeur.

La demande de résiliation judiciaire de ce contrat formée postérieurement par la salariée et la demande de rappel de salaire et de congés payés afférents subséquente sont donc sans objet.

Ces demandes sont rejetées par infirmation du jugement entrepris.

1-3/ sur les dommages et intérêts pour préjudice moral et financier

L'employeur affirme que la salariée est seule responsable de sa non-inscription à Pôle emploi et de ses problèmes financiers, à les considérer avérés, du fait de son refus des documents de fin de contrat qu'il avait établis et des chèques en paiement du solde de tout compte qu'il lui a adressés le 20 mai puis le 8 juillet 2022, et que le lien de causalité entre ses problèmes de santé et un manquement de sa part n'est pas établi.

Mme [L] répond que les agissements de l'employeur à la suite de l'avis d'inaptitude ont engendré une importante dégradation de son état de santé et de sa situation financière.

L'article R.1234-9 alinéa 1 du code du travail dispose que l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.

En l'espèce, la reprise du paiement du salaire prévue par l'article L.1226-11 du code du travail ayant été déclarée inopposable à l'employeur, aucun manquement ne saurait lui être reprochée à ce titre.

De même, la rupture du contrat de travail au 20 mai 2022 ayant été retenue, l'employeur n'était pas plus tenu au paiement du salaire postérieurement à cette date.

Concernant la délivrance et la transmission par l'employeur des documents prévus à l'article R.1234-9 du code du travail afin de permettre à la salariée d'exercer ses droits à l'assurance-chômage, si la société AEEMS n'en justifie pas, la cour relève que l'attestation délivrée par Pôle emploi le 27 septembre 2023 mentionne une admission à l'ARE le 5 juin 2023 après la fin du contrat de travail le 20 mai 2022.

Il s'en déduit que Pôle emploi était bien informé du licenciement de Mme [L] au 20 mai 2022 mais que son indemnisation au titre de l'assurance-chômage a été reportée au 5 juin 2023 sans qu'elle prouve que ce report était imputable à la carence de l'employeur.

Aucun manquement de l'employeur à ses obligations n'étant démontré, il convient de rejeter les demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et préjudice financier par infirmation du jugement entrepris.

2/ Sur les effets de la rupture du contrat de travail

2-1/ sur les indemnités de rupture

L'employeur conteste le montant du salaire de référence retenu par le conseil de prud'hommes qui s'est basé sur le taux actualisé du SMIC au 1er janvier 2023 pour arrêter le montant de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis.

Il rappelle que cette dernière indemnité n'est pas productrice de congés payés.

Il ajoute que l'indemnité compensatrice de congés payés doit tenir compte de la limite d'un an prévue à l'article L.3141-5 du code du travail en cas de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail, et ne peut, en tout état de cause, prendre en compte la période postérieure au licenciement.

Mme [L] se réfère pour fixer son salaire de référence au montant du SMIC applicable au 28 février 2023, et se prévaut de 75,5 jours de congés payés du 30 juin 2021 au 28 février 2023 soutenant que les dispositions de l'article L.3141-5 du code du travail doivent être écartées comme étant non conformes au droit de l'Union européenne.

L'article L.1226-14 alinéa 1 du code du travail dispose que la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

Aux termes de l'article L. 3141-3 du même code, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.

Les dispositions de l'article L.3141-5 de ce code, en ce qu'elles limitent la prise en compte de la suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle à un an ininterrompu pour calculer le droit à congés payés du salarié, n'étant pas conforme au droit de l'Union européenne, notamment à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoyant que tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés, il convient de les écarter en appliquant les dispositions de l'article L.3141-3 quelle que soit la durée de l'arrêt de travail.

En l'espèce, Mme [L] a été licenciée pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement le 20 mai 2022.

A cette date, au vu des bulletins de paie produits, son salaire moyen de référence s'établissait à 1 630,45 euros brut en tenant compte de la période antérieure à l'arrêt-maladie.

Au vu de l'ancienneté de la salariée qui doit inclure le contrat de travail à durée déterminée transformé en contrat de travail à durée indéterminée, l'indemnité spéciale de licenciement est fixée à 4 212 euros.

L'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis est fixée à 3 260,90 euros et ne génère pas de congés payés.

L'indemnité compensatrice de congés payés est fixée à 3 512,75 euros au regard des droits à congés acquis y compris au-delà d'un an d'arrêt de travail.

Le jugement entrepris est donc infirmé de ces chefs.

2-2/ sur les dommages et intérêts en réparation de la rupture du contrat de travail

L'employeur soutient que la salariée a été régulièrement et valablement licenciée au regard de l'avis d'inaptitude rendu. Subsidiairement, il se prévaut du barème applicable aux entreprises de moins de 11 salariés et souligne l'absence de preuve d'un préjudice justifiant de dépasser le plancher de ce barème.

Mme [L] demande à être indemnisée à hauteur de 6 mois de salaire de la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse soulignant qu'elle n'a pu percevoir ses indemnités de chômage qu'à compter de juin 2023.

En l'espèce, la salariée ne demandant de dommages et intérêts qu'en réparation de la résiliation judiciaire du contrat de travail qui n'a pas été retenue, il convient de la débouter de ce chef par infirmation du jugement entrepris.

3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

Mme [L] souligne que le jugement n'a toujours pas été exécuté par l'employeur qui tente par tous les moyens d'échapper à ses obligations.

L'employeur soulève l'irrecevabilité de cette demande formée pour la première fois le 15 février 2024 sans révélation d'un fait nouveau en violation des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile.

Sur le fond, il conteste toute mauvaise foi faisant état d'une situation financière ne permettant pas d'exécuter le jugement malgré deux tentatives de saisie-attribution, ce que la salariée ne méconnait pas pour avoir saisi le tribunal de commerce aux fins de redressement ou liquidation judiciaire de la société.

L'article 914 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d'appel la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la cour d'appel peut, d'office, relever la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci.

En l'espèce, l'employeur ayant omis de soulever la fin de non-recevoir invoquée devant le juge de la mise en état alors que sa cause résidait dans les conclusions de la salariée remises le 15 février 2024 avant la clôture de l'instruction, ce moyen ne saurait prospérer devant la cour.

Sur le fond, Mme [L] succombant partiellement en appel, sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive est rejetée.

4/ Sur les demandes accessoires

Les créances de nature salariale produiront intérêts à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau d'orientation et de conciliation.

L'employeur devra remettre à la salariée des documents de fin de contrats et un bulletin de salaire rectifiés conformes à la présente décision, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse justifié.

L'employeur succombant partiellement, il convient de confirmer les dispositions du jugement entrepris quant aux dépens et frais irrépétibles, et de mettre les dépens d'appel à sa charge.

L'équité commande de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles engagés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné l'employeur au titre des frais irrépétibles et des dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Mme [R] [L] a été licenciée le 20 mai 2022 pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement,

Condamne la société AEEMS à lui payer les sommes suivantes :

4 212 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

3 260,90 euros au titre de l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis,

3 512,75 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

Dit que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société AEEMS de sa convocation devant le bureau d'orientation et de conciliation,

Ordonne à la société AEEMS de remettre à Mme [R] [L], dans le mois de la notification de l'arrêt, un bulletin de salaire et des documents de fin de contrat conformes à la présente décision,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société AEEMS aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01701
Date de la décision : 06/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-06;23.01701 ?
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