La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/2024 | FRANCE | N°22/05103

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 06 mai 2024, 22/05103


ARRET







[J] [D]





C/



S.A.R.L. AIR HYGIENE POWER



UNEDIC [Localité 9]





























































copie exécutoire

le 06 mai 2024

à

- Me CHEMLA

- Me TRIMANT

- UNEDIC

CPW/IL/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE





ARRET DU 06 MAI 2024



*************************************************************

N° RG 22/05103 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ITN7



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 25 OCTOBRE 2022 (référence dossier N° RG 21/00071)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [L] [J] [D]

né le 09 Août 1971 à PORTUGAL

de nationa...

ARRET

[J] [D]

C/

S.A.R.L. AIR HYGIENE POWER

UNEDIC [Localité 9]

copie exécutoire

le 06 mai 2024

à

- Me CHEMLA

- Me TRIMANT

- UNEDIC

CPW/IL/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 06 MAI 2024

*************************************************************

N° RG 22/05103 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ITN7

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 25 OCTOBRE 2022 (référence dossier N° RG 21/00071)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [L] [J] [D]

né le 09 Août 1971 à PORTUGAL

de nationalité Portugaise

[Adresse 5]

[Localité 1]

concluant par Me Gérard CHEMLA de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

ET :

INTIMEES

S.A.R.L. AIR HYGIENE POWER

[Adresse 3]

[Localité 7]

Me [I] [X] ès qualités de liquidateur judiciaire de la s.a.r.l. Air Hygiène power

[Adresse 4]

[Localité 6]

non comparante, non constituée

UNEDIC [Localité 9] venant aux droits des AGS-CGEA

[Adresse 2]

[Localité 9]

non comparante, non constituée

DEBATS :

A l'audience publique du 07 mars 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 06 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 06 mai 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [J] [D] a été embauché en qualité d'agent de service par la société Air hygiène power (la société ou l'employeur) du 8 juin au 30 août 2015 puis du 31 août 2015 jusqu'au 31 décembre 2015 dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée. A compter du 1er octobre 2015, la relation de travail s'est poursuivie par un contrat de travail à durée indéterminée.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle des entreprises de propreté.

La société Air hygiène power compte plus de 10 salariés.

M. [J] [D] a reçu un courrier du 16 septembre 2019 de l'employeur, et à l'issue d'un entretien préalable intervenu le 24 septembre 2019, le salarié a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire du 9 octobre au 10 octobre 2019 inclus. Le 10 février 2020, il s'est vu notifier un avertissement.

M. [J] [D] a été placé en arrêt de travail du 4 février au 30 avril 2020.

Par courrier du 17 juin 2020, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 26 juin 2020 en vue d'un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire. Par courrier du 29 juin 2020, M. [J] [D] a reçu une nouvelle convocation à un entretien préalable assortie d'une mise à pied, fixé au 7 juillet 2020. Le 9 juillet 2020, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour faute grave, par lettre ainsi libellée :

« Monsieur [J] [D],

Faisant suite à votre entretien préalable du 07/07/2020 à 14 heures, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour les motifs exposés ci-après.

Nous vous rappelons que vous avez été embauché par la société AIR HYGIENE POWER le 08/06/2015 en contrat à durée indéterminée en qualité d'AGENT DE SERVICE.

Nous avons eu à regretter de votre part les faits suivants:

Nous constatons que vous n'avez nullement agi comme un salarié fiable et loyal alors que nous attendions de votre part une entière collaboration. En effet, nous avons constaté un manque d'implication et un non-respect du règlement intérieur tels que :

31/12/2019 au 12/01/2020 - vous avez utilisé le véhicule de la société sans l'autorisation préalable de la hiérarchie, et ce durant vos congés. Vous avez en effet effectué près de 600 km aux frais de la société !

17/01 - arrivée en retard au dépôt de l'agence, entraînant un retard sur le chantier

28/01 - vous n'avez pas effectué une intervention prévue chez notre client FSM, ce dernier ayant ainsi exprimé son plus vif mécontentement, le locataire avait en effet pris sa journée pour ce RDV. Vous avez de plus menti en indiquant que vous n'avez pas trouvé l'adresse et appelé la gardienne de l'immeuble, laquelle a formellement affirmé n'avoir reçu aucun appel de votre part.

03/02 - vous décidez de votre plein gré de ne pas aller sur le chantier et de le décaler au lendemain sans autorisation préalable de la hiérarchie, et décidez de quitter ledit chantier sous prétexte d'un mal de dos.

04 au 09/02/2020 - vous avez de nouveau utilisé le véhicule de la société sans l'autorisation de la hiérarchie, et ce durant votre arrêt de travail, en effectuant près de 130 km aux frais de la société.

Le 10/02/2020, nous vous avons envoyé un avertissement afin de vous faire part de notre plus vif mécontentement. Or, nous avons par la suite constaté de nouvelles entraves :

09/03 - vous mentez sur votre feuille de route et indiquez vos horaires de travail alors que vous vous trouvez à votre domicile (en présence d'un huissier).

18/03 - vous avez demandé une avance sur salaire, 8 jours après le versement des paies, qui vous a été refusée par votre direction. Vous avez donc menacé de bloquer les interventions de la société et entraver son fonctionnement.

Avril - vous avez menacé l'assistante manager Mme [W], au téléphone, concernant votre salaire, en lui disant « je te préviens, ça va pas se passer comme ça ».

28/05 - Vous arrivez sur un chantier de notre client MCI, prévu à 6h, à 8h, soit 2h de retard, causant le mécontentement de notre client, une perte pécuniaire en raison du dédommagement offert à notre client qui souhaitait arrêter sa collaboration avec notre société.

10/06 - Vous avez demandé un jour de congé qui vous a été refusé. Vous avez indiqué ne pas prendre en compte ce refus, nous informant que vous imposiez vos propres congés, sans attendre l'aval de votre direction sur lesdits congés.

Le 04 juillet 2020, lors de votre mise à pied, Monsieur [T], votre responsable technique, vous a demandé de restituer le véhicule de la société, ce que vous avez refusé de faire. Vous en avez profité, au passage, pour l'insulter de « pourri ».

Lors de votre entretien préalable à licenciement du 07/07/2020, vous avez insulté, devant le délégué du personnel et témoin, votre responsable technique, je cite : « allez vous faire foutre », « on va se revoir, t'inquiète pas ». Un tel comportement est absolument inadmissible.

Par conséquent, pour les raisons énumérées ci-dessus, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Votre contrat de travail prendra fin à la date d'envoi de cette lettre.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le licenciement est prononcé sans préavis ni indemnité. ».

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, M. [J] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons le 12 juillet 2021, qui par jugement du 25 octobre 2022 :

l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;

a débouté la société Air hygiène power de ses demandes reconventionnelles au titre de forclusion et de la prescription de la demande ;

a dit que chaque partie conserverait à sa charge les frais irrépétibles exposés par elle dans cette instance et non compris dans les dépens.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 24 février 2023, dans lesquelles M. [J] [D], qui est régulièrement appelant de ce jugement, demande à la cour de l'infirmer en l'ensemble de ses dispositions, et de :

- annuler l'avertissement du 16 septembre 2019 ;

- annuler la mise à pied disciplinaire du 24 septembre 2019 ;

- annuler l'avertissement du 10 février 2020 ;

- condamner la société Air hygiène power à lui verser les sommes suivantes :

166,85 euros en remboursement de sa mise à pied conservatoire, outre la somme de 16,68 euros au titre des congés payés y afférents ;

100 euros au titre de ces trois procédures disciplinaires abusives ;

- juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave ;

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

583,98 euros à titre de remboursement de mise à pied conservatoire outre 58,39 euros au titre des congés payés afférents ;

4 060,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 406 euros au titre des congés payés afférents ;

2 537,76 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

9 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- condamner la société à lui verser 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et 3 500 euros pour les frais d'appel et aux entiers dépens.

La déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées par acte de commissaire de justice du 7 mars 2023 à la société Air hygiène power, qui n'a pas constitué avocat.

Par décision du même jour, le tribunal de commerce de Reims a prononcé l'ouverture d'une liquidation judiciaire de la société.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 septembre 2023 en vue d'une audience le 23 novembre suivant. A l'audience, l'affaire a été mise en délibéré au 21 décembre 2023.

Par message électronique du 23 novembre 2023, la cour, constatant que la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées à la société au [Adresse 8] à [Localité 6], adresse différente de celle située à [Localité 10] mentionnée dans le jugement et la déclaration d'appel, et que l'immatriculation au RCS était également différente, a interrogé le conseil du salarié sur la situation actuelle de la société Air hygiène power semblant désormais immatriculée au RCS de Reims et non plus de Lille à la suite d'un changement d'adresse, et avoir été placée en liquidation judiciaire.

Par message en réponse du 29 novembre suivant, le conseil du salarié a, confirmant ainsi que la société fait l'objet d'une liquidation judiciaire, sollicité un renvoi lointain afin de permettre la mise en cause des organes de la procédure collective et de l'AGS.

Par décision du 21 décembre 2023, la cour a invité le salarié à mettre en cause les organes de la procédure collective ainsi que le CGEA dans un délai de deux mois, le cas échéant par voie d'assignation, sauf intervention volontaire des intéressés, et dit qu'il lui appartiendra ensuite, par conclusions de procédure, de solliciter une révocation de l'ordonnance de clôture et le cas échéant un renvoi à la mise en état, le dossier étant renvoyé à l'audience de plaidoirie du 7 mars 2024.

Par acte de commissaire de justice du 15 février 2024, le salarié a fait signifier à personne morale ses conclusions inchangées à Maître [X], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société, qui n'a pas constitué avocat.

Par acte de commissaire de justice du 7 février 2024, le salarié a fait signifier à personne morale ses conclusions inchangées à l'AGS-CGEA d'[Localité 9], qui n'a pas constitué avocat et a adressé à la cour un courrier du 15 février pour indiquer qu'eu égard à la teneur du litige, il ne sera ni présent ni représenté.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

En cours d'appel, par jugement du 7 mars 2023, le tribunal de commerce de Reims a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire concernant la société intimée désormais immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Reims et domiciliée au [Adresse 8] à [Localité 6] à la suite d'un transfert du registre lillois fin septembre 2022.

M. [J] [D] a donc procédé à un appel en cause des organes de la procédure collective et de l'AGS CGEA.

Il convient de révoquer l'ordonnance de clôture afin de tenir compte de cette mise en cause, d'ordonner la réouverture des débats et de clore la procédure à la date de l'audience soit le 7 mars 2024 compte tenu de l'absence de toute nouvelle constitution, le dossier étant dès lors en état à cette date.

Sur l'exécution du contrat de travail

Le premier juge a débouté M. [J] [D] de ses demandes d'annulation de l'avertissement du 16 septembre 2019, de la mise à pied disciplinaire du 24 septembre 2019 et de la mise à pied disciplinaire du 10 février 2020, en retenant que la lettre du 16 septembre 2019 est une lettre de convocation à une sanction disciplinaire et non la notification d'un avertissement, que le salarié n'a pas contesté la mise à pied du 24 septembre 2019, et que l'absence de preuve d'un règlement intérieur n'enlève pas à l'employeur son pouvoir disciplinaire et ne l'empêche pas de sanctionner un salarié le 10 février 2020.

Selon l'article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. La sanction prononcée doit être proportionnée à la faute commise. Le doute profite au salarié.

L'article L.1332-4 du même code dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Néanmoins, ces dispositions ne s'opposent pas à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois si le comportement du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai. Les poursuites disciplinaires se trouvent engagées à la date à laquelle le salarié concerné est convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Ce n'est pas la date des faits qui constitue le point de départ du délai de prescription mais celle de la connaissance par l'employeur des faits reprochés. Cette connaissance par l'employeur s'entend d'une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.

2.1 ' Quant à l'annulation de l'avertissement du 16 septembre 2019 et de la mise à pied disciplinaire du 24 septembre 2019

Le courrier du 16 septembre 2019, portant la mention en objet « avertissement », est ainsi rédigé : « En date du 15 septembre 2019, nous avons été contraints de constater votre manque de professionnalisme lors de votre intervention chez Auchan pour notre client Johnson Control industrie. De plus, vous avez également eu un comportement irrespectueux envers votre supérieur Monsieur [T] [Z].

Ces agissements ayant mis en péril notre collaboration avec notre client, nous vous convoquons à un entretien préalable avant mise à pied le mardi 24 septembre à 10h00 en vue de recueillir vos explications (') Vous avez la possibilité de vous faire assister (') ».

A l'instar du premier juge, la cour retient que contrairement aux allégations du salarié, l'objet de la lettre litigieuse est erroné, et ce de manière évidente, celle-ci n'étant pas destinée à lui notifier un avertissement mais à le convoquer à un entretien préalable à une sanction. M. [J] [D], qui demande l'annulation d'un avertissement, ne démontre d'ailleurs pas qu'une telle sanction aurait à cette date été versée à son dossier disciplinaire.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation d'un avertissement.

2.2 ' Quant à l'annulation de la mise à pied du 24 septembre 2019

La mise à pied du 24 septembre 2019 qui a suivi la convocation du 16 septembre évoquée infra reprend les mêmes reproches que ceux formulés dans ce courrier. L'employeur ayant fait le choix d'une procédure disciplinaire, il lui incombe de rapporter l'existence d'une faute. Or, ni le liquidateur, ès qualités, ni l'AGS CGEA, ne produisent d'éléments de nature à justifier les griefs ayant motivé la sanction. Dès lors qu'aucun grief n'est établi, la mise à pied doit être annulée, et M. [J] [D] est fondé en sa demande de rappel de salaire et de congés payés afférents.

Le jugement déféré sera infirmé.

2.3 ' Quant à l'annulation de l'avertissement du 10 février 2020

La mise à pied notifiée au salarié le 10 février 2020 est ainsi libellée : « Nous avons été contraints, début janvier 2020, de vous reprendre concernant l'utilisation du véhicule de la société. En effet, nous vous rappelons que son usage est strictement professionnel ; il n'est pas autorisé de l'utiliser à des fins professionnelles sans autorisation. Or, nous avons constaté son utilisation abusive, comme le démontre le relevé de kilométrage, joint au présent courrier. Or, ce rappel est resté vain car nous avons été de nouveau contraints de constater l'utilisation du véhicule de société durant votre arrêt maladie, comme vous pouvez le constater sur le relevé joint à la présente »

Si M. [J] [D] soulève la prescription des faits fautifs invoqués par l'employeur, la cour ne peut que constater que les faits reprochés portent sur le début du mois de janvier 2020 pour la première série de fait et sur une période encore postérieure pour la seconde série de faits, alors que la notification de la sanction est intervenue le 10 février 2020, moins de deux mois après les premiers faits. Aucune prescription ne saurait donc être retenue.

Sur le fond, le salarié conteste que la lettre de notification ait comporté une pièce jointe, qui n'est pas versée aux débats par ses adversaires. Il conteste également le caractère fautif du fait reproché en affirmant ne pas avoir eu, au moment des faits reprochés, connaissance d'un règlement intérieur ou d'une consigne comportant l'interdiction d'un usage autre que professionnel du véhicule mis à sa disposition par la société. Il souligne à ce titre que le règlement intérieur produit en première instance par l'employeur portait d'ailleurs une date d'affichage du 31 janvier 2020 et qu'aucune date ne précédait la mention lu et approuvé qu'il a apposée. Pour autant, ni le liquidateur ès qualités, ni l'AGS CGEA, ne produisent d'éléments de nature à justifier que M. [J] [D] avait, début janvier 2020, connaissance d'une obligation d'user à des fins strictement professionnelles le véhicule mis à sa disposition. S'agissant des faits postérieurs, dès lors qu'ils ne sont pas datés, rien ne permet de les situer postérieurement au 31 janvier 2020.

Il ressort ainsi de l'ensemble de ces éléments que le caractère fautif des faits reprochés à M. [J] [D] fondant son avertissement n'est pas matériellement établi. La sanction doit donc, par voie d'infirmation, être annulée.

2.4 ' Sur la demande de dommages et intérêts au titre des procédures disciplinaires annulées

Il résulte de l'examen des moyens de M. [J] [D] qu'il n'articule dans ses conclusions aucun moyen permettant de caractériser le préjudice découlant, selon lui, du caractère abusif des deux sanctions ayant fait l'objet d'une annulation par la cour, ni dans son principe, ni dans son quantum. Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire qui apparait infondée.

Sur le licenciement pour faute grave

L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L.1234-1 du même code est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

C'est à l'employeur, qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire, de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail. Le doute doit profiter au salarié.

Par ailleurs, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à un engagement de poursuite disciplinaire au-delà d'un délai de deux mois, en application de l'article L.1332-4 du même code. La seule possibilité pour l'employeur de différer l'engagement des poursuites disciplinaires est la nécessité prouvée de recourir à des mesures d'investigation sur les faits reprochés au salarié et de se déterminer sur la mise en 'uvre d'une procédure de licenciement pour faute grave. En cas de nécessité d'ordonner une enquête sur les faits reprochés au salarié, le jour de ses résultats constitue le point de départ du délai de deux mois. Enfin, la prescription courant à compter du jour où l'employeur a eu connaissance des faits, et non du jour de leur commission, l'absence de datation précise des faits reprochés importe peu.

En l'espèce, les poursuites disciplinaires se sont trouvées engagées le 29 juin 2020, date à laquelle le salarié concerné a été convoqué à l'entretien préalable au licenciement. En effet, si l'employeur a adressé au salarié une première convocation le 17 juin 2020, il l'a annulée par l'envoi de la seconde convocation, qui est bien celle ayant précédé la rupture du contrat de travail, et est donc la seule convocation susceptible d'interrompre le délai de prescription des faits fautifs dès lors que le salarié n'est pas à l'origine du report.

Or, dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, il est reproché au salarié des faits fautifs intervenus entre le 31 décembre 2019 et le 18 mars 2020, sans que l'employeur ne démontre une découverte de leur commission dans les deux mois ayant précédé la convocation à l'entretien préalable, et donc avant le 29 avril 2020, de sorte qu'ils sont prescrits comme le soutient à juste titre M. [J] [D].

S'agissant du fait reproché « en avril », il n'est pas précisément daté dans la lettre de licenciement, alors que rien au dossier ne permet de vérifier qu'il serait intervenu après le 29 avril 2020 ou que l'employeur n'en aurait eu connaissance que postérieurement à cette date. Il s'agit certes d'un comportement inadapté vis-à-vis d'un employé de la société que l'employeur lui reproche d'avoir réitéré lors de l'entretien préalable, néanmoins, au regard des développements qui suivent, rien ne démontre que les faits du 7 juillet 2020 sont imputables à l'appelant, de sorte que la répétition de faits de même nature ne saurait être retenue, et que les faits d'avril 2020 sont donc prescrits.

Restent ainsi les faits reprochés suivants :

« 28/05 - Vous arrivez sur un chantier de notre client MCI, prévu à 6h, à 8h, soit 2h de retard, causant le mécontentement de notre client, une perte pécuniaire en raison du dédommagement offert à notre client qui souhaitait arrêter sa collaboration avec notre société.

10/06 - Vous avez demandé un jour de congé qui vous a été refusé. Vous avez indiqué ne pas prendre en compte ce refus, nous informant que vous imposiez vos propres congés, sans attendre l'aval de votre direction sur lesdits congés.

Le 04 juillet 2020, lors de votre mise à pied, Monsieur [T], votre responsable technique, vous a demandé de restituer le véhicule de la société, ce que vous avez refusé de faire. Vous en avez profité, au passage, pour l'insulter de « pourri ».

Lors de votre entretien préalable à licenciement du 07/07/2020, vous avez insulté, devant le délégué du personnel et témoin, votre responsable technique, je cite : « allez-vous faire foutre », « on va se revoir, t'inquiète pas ». Un tel comportement est absolument inadmissible. »

S'agissant des faits des 28 mai, 4 et 7 juillet 2020, M. [L] [J] [D] produit la lettre de licenciement de M. [R] [D] du 9 juillet 2020 qui énonce exactement les mêmes faits dans des termes strictement identiques. Faute pour l'employeur de démontrer que ces faits seraient réellement imputables aux deux salariés ou uniquement à M. [L] [J] [D] malgré leur évocation dans le cadre du licenciement d'un autre salarié, il subsiste a minima un doute raisonnable, qui doit profiter à l'appelant.

S'agissant des faits du 10 juin 2020, M. [J] [D] les conteste et l'employeur ne produit pas d'élément de nature à démontrer le manquement reproché. Le grief n'est donc pas établi.

Dès lors, les griefs allégués soit sont prescrits soit ne sont pas caractérisés, et le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a dit le licenciement fondé et a rejeté les demandes indemnitaires.

En conséquence, le salarié qui avait une ancienneté de 5 ans et 1 mois au jour du licenciement, et son salaire moyen sur les douze mois ayant précédé la rupture était de 2 030,21 euros, peut prétendre, dans les limites de ses demandes, à un rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire de 583,98 euros outre les congés payés afférents, à une indemnité légale de licenciement de 2 537,76 euros et à une indemnité compensatrice de préavis de 4 060,06 euros outre les congés payés afférents.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances du licenciement, du salaire de référence de M. [J] [D], de son ancienneté, de son âge pour être né le 9 août 1971, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle et des conséquences de la rupture à son égard, la cour retient que l'indemnité à même de réparer de façon adéquate son préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit être évaluée à 7 000 euros.

Compte tenu de la liquidation judiciaire en cours, ces sommes seront fixées au passif de la procédure collective de la société.

4. Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

Chaque partie succombant partiellement, il y a lieu de dire que chacune conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel. La situation économique des parties et l'équité commandent de débouter de M. [J] [D] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,

Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture du 13 septembre 2023, réouvre les débats afin d'admettre la mise en cause des organes de la procédure collective et du CGEA, et ordonne la clôture des débats au 7 mars 2024 ;

Infirme le jugement déféré en ses seules dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande du salarié d'annulation de l'avertissement du 16 septembre 2019 et la demande de dommages et intérêts au titre des annulations de sanctions ;

Le confirme de ces seuls chefs ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Annule la mise à pied disciplinaire du 24 septembre 2019 et l'avertissement du 10 février 2020 ;

Fixe la créance de M. [J] [D] au passif de la liquidation judiciaire de la société Air hygiène power aux sommes suivantes :

- 166,85 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire annulée, outre 16,68 euros au titre des congés payés afférents,

- 583,98 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, outre 58,39 euros au titre des congés payés afférents,

- 4 060,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 406 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 537,76 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Déboute M. [J] [D] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chacune des parties conservera ses propres dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/05103
Date de la décision : 06/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-06;22.05103 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award