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11/04/2024 | FRANCE | N°23/00121

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 11 avril 2024, 23/00121


ARRET







[H]





C/



S.A.S. MATERNE



























































copie exécutoire

le 11 avril 2024

à

Me PELLETIER

Me BROCHARD

CB/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 11 AVRIL 2024



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************************************

N° RG 23/00121 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUOW



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 09 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00163)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [J] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]



représenté, concluant et plaidant par Me Denis PELLETIER, avocat au b...

ARRET

[H]

C/

S.A.S. MATERNE

copie exécutoire

le 11 avril 2024

à

Me PELLETIER

Me BROCHARD

CB/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 11 AVRIL 2024

*************************************************************

N° RG 23/00121 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUOW

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 09 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00163)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [J] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté, concluant et plaidant par Me Denis PELLETIER, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. MATERNE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Christian BROCHARD de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Bruno ADOLPHE, avocat au barreau de LYON

Me Florence GACQUER CARON, avocat au barreau D'AMIENS, postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 22 février 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 11 avril 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 avril 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [H], né le 19 avril 1972 a été embauché à compter du 1er septembre 2018 par la société Materne, ci-après la société ou l'employeur, pour occuper les fonctions de directeur de l'usine de production située à [Localité 5].

Le contrat de travail prévoit, en outre, que les fonctions du salarié relèvent du statut de cadre dirigeant ainsi qu'une reprise d'ancienneté à compter du 1er septembre 2005.

La société Materne emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des industries de produits alimentaires élaborés.

Par courrier du 4 décembre 2020, M. [H] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle mesure de licenciement, fixé au 14 décembre 2020.

Le 17 décembre 2020, il a été licencié pour insuffisance professionnelle, par lettre ainsi libellée :

« Nous faisons suite à votre entretien préalable du 14 décembre 2020 au cours duquel nous n'étiez pas assisté.

Cet entretien faisait suite à une convocation envoyée en recommandé avec AR le 4 décembre 2020.

Malgré toutes les explications recueillies au cours de cet entretien, nous sommes au regret de vous informer que nous avons décidé de vous licencier pour les motifs suivants :

En tant que directeur d'usine, vous avez une très large autonomie et responsabilité afin de mettre en 'uvre toutes les mesures permettant :

- D'atteindre les objectifs de performances industrielles et financières du site au regard des volumes à produire,

- De développer et stimuler les équipes autour d'un projet

Tout ceci en respectant les différentes normes en matière de qualité, d'environnement et dans le respect de la sécurité des personnels.

Après 2 ans ¿ dans cette fonction, force est de constater que vous n'avez pas réussi à créer les conditions de réussite pour atteindre ces objectifs.

Tout d'abord, en ce qui concerne les performances financières, celles-ci sont fortement négatives en comparaison du budget puisque les pertes ont été de - 2 296K euros en 2019 et - 1971K euros à fin novembre pour l'année 2020.

Les coûts de transformation (hors frais fixes) qui sont révélateurs de la performance opérationnelle ne sont pas améliorés (réel 2018, réel 2019, RF20 : 378 euros/T / 377 euros/T / 376 euros/T.

Le site de [Localité 5] est devenu le site qui prend le moins d'initiatives en termes de productivité avec une mise en 'uvre très lente des actions.

Vos initiatives, présentées comme devant améliorer le fonctionnement et les performances, n'ont pas générées le gain attendu comme le cadrage des pauses, l'arrêt dès votre arrivée du comité de pilotage projets, les diverses évolutions du pôle maintenance et la réorganisation des réunions d'équipes quotidiennes (AVP).

Ces écarts de résultats mettent en évidence :

- Un manque de pilotage opérationnel dans le cadre de vos fonctions qui ne vous permet pas de détecter ces écarts.

En qualité de directeur d'usine, grâce à votre présence terrain et les échanges avec vos équipes, vous avez tout loisir pour identifier les contre-performances et également les écarts vs standards et bonnes pratiques.

Vous pouvez donc déclencher les actions adéquates et notamment leur mise sous contrôle.

Hors l'initiative pour déclencher un retour à la performance secteur « gourdes » - de même que le plan « gourdes » de 2019 et le projet CAP70 'ne sont pas de votre fait mais de votre hiérarchique.

Il est à noter que votre souhait à l'origine était de démarrer le plan « gourdes » début 2021.

Autre exemple, lors de la présentation des résultats TRS en comité de pilotage de la performance des « gourdes », vous n'aviez pas l'analyse de la contre-performance du lundi matin alors que la réunion avait lieu le mercredi en présence de votre responsable, du directeur des opérations groupe, du responsable maintenance groupe et du responsable amélioration continue groupe entre autres. Lors de cette réunion vous avez démontré une difficulté à prendre en compte des points de vue d'autres intervenants et à remettre en question votre mode de fonctionnement.

- Une insuffisance de leadership et de cohésion d'équipe.

Dès l'été 2019, nous avions eu des signaux inquiétants venant de votre équipe directe. M. [C] (directeur des opérations du groupe), M. [U] (directeur industriel et votre hiérarchique) et M. [I] (DRH France) se sont investis fortement pour vous accompagner dans une démarche avec votre équipe. Cela s'est traduit par des réunions en présence de l'ensemble des acteurs, un accompagnement collectif et individuel.

Malgré tous vos efforts, votre management reste très vertical (en solo) ce qui nuit à la cohésion et à la motivation de vos équipes. Vous aviez par exemple la possibilité de fédérer l'ensemble de vos managers autour du récent plan sur la performance mais vous avez opter pour une déclinaison partielle.

L'ensemble de ces raisons nous amène à cette décision de licenciement.

Votre contrat de travail sera définitivement rompu à l'expiration de votre préavis d'une durée de 3 mois. Celui-ci débutera à la date de première présentation de ce courrier recommandé.

Nous vous informons que nous vous dispensons de l'exécution de votre préavis. Celui-ci vous sera néanmoins rémunéré... ».

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon le 15 décembre 2021.

Par jugement du 9 décembre 2022, le conseil a :

- dit et jugé que le licenciement de M. [H] reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

- dit que le salaire de référence de M. [H] était de 12 920 euros ;

- condamné la société Materne à verser à M. [H] la somme de 11 628 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence et la somme de 1 162,80 euros au titre des congés payés y afférents ;

- débouté M. [H] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Materne de ses demandes ;

- dit que chaque partie conserverait la charge de ses propres dépens.

M. [H], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 novembre 2023, demande à la cour de :

- juger son appel recevable et fondé ;

- débouter la société Materne de son appel incident et de ses demandes,

En conséquence

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté des demandes en paiement de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des frais irrépétibles, de condamnation de la société Materne aux dépens, et de capitalisation des intérêts sur les condamnations conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

- le confirmer pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

- fixer son salaire mensuel brut à 12 920 euros ;

- condamner la société Materne lui payer les sommes suivantes :

- 38 360 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ;

- 167 960 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 11 628 euros à titre d'indemnité compensatrice de non-concurrence ;

- 1 162,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférente ;

- 5 000 euros à titre d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la capitalisation des intérêts sur les condamnations conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

- condamner la société Materne aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

La société Materne, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 juin 2023, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de 11 628 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence et 1 162,80 euros au titre des congés payés afférents ;

Statuant à nouveau,

- juger qu'elle a régulièrement levé la clause de non-concurrence de M. [H] ;

En conséquence,

- débouter M. [H] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner M. [H] aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2024.

MOTIFS :

Sur l'exécution fautive du contrat de travail

M. [H] fait grief à la société de l'avoir privé d'une formation relative à la responsabilité juridique du directeur d'usine et, par conséquent, d'avoir manqué à son obligation de veiller à l'adaptation de son poste. Il ajoute que l'employeur a exigé la mise en 'uvre d'un grand nombre de projets sans pour autant mettre à sa disposition le personnel et les compétences nécessaires.

La société Materne réplique que le salarié devait bénéficier d'une formation portant sur la responsabilité juridique du directeur d'usine, laquelle a cependant été annulée sans avoir pu être reprogrammée compte tenu des difficultés inhérentes liées au contexte de crise sanitaire. Elle ajoute qu'en sa qualité de directeur d'usine, M. [H] avait toute latitude pour déterminer et mettre en 'uvre les moyens d'action nécessaires à la réalisation des projets dont il avait la charge, notamment en matière de recrutement du personnel.

Sur ce,

Sans qu'il soit besoin d'examiner le fait générateur de responsabilité, il résulte de l'examen des moyens débattus que M. [H] n'invoque dans ses conclusions aucun moyen permettant de caractériser le préjudice découlant, selon lui, de l'exécution fautive de son contrat de travail, ni dans son principe, ni dans son quantum.

Dès lors, le jugement déféré, qui a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour exécution fautive de son contrat de travail, est confirmé.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement pour insuffisance professionnelle

M. [H] expose que les insuffisances qui lui sont reprochées sur les performances financières et opérationnelles obtenues ne peuvent être mesurées à l'aune d'un budget prévisionnel, de surcroît au cours d'une année dominée par une pandémie, que l'évolution des résultats réels démontrent que le coût par tonne de produits finis a constamment baissé parallèlement à l'augmentation du volume de production. Il ajoute que certains résultats financiers sur les frais variables dont on lui reproche l'augmentation, résultent en réalité de causes externes ou d'erreurs de budgétisation par les organes du groupe qui, de plus, disposaient d'un pouvoir de décision pour l'établissement de [Localité 5]. Il précise que sa mission essentielle consistait à optimiser la production en veillant à l'efficience des lignes et à l'utilisation optimale des matières premières et de l'emballage et à animer une équipe de cadres pour la plupart rattachés fonctionnellement et hiérarchiquement au groupe. Il affirme avoir pourtant mis en 'uvre un certain nombre de mesures en faveur de la productivité de l'usine. S'agissant de l'insuffisance de leadership qui lui est reproché, il indique que la société ne présente aucun élément de preuve sur ce point.

La société Materne réplique que l'insuffisance professionnelle de M. [H], qui disposait d'un statut de cadre dirigeant, peut être déduite de la baisse durable des résultats financiers et de la performance opérationnelle de l'usine ainsi que de son manque de leadership auprès de ses équipes. Elle soutient que les synthèses des performances opérationnelles au titre des années 2019 et 2020 du site de [Localité 5] permettent de constater des pertes non-conformes aux budgets définis de l'ordre de 2 296 000 euros en 2019 et 1 971 000 euros à la fin de l'année 2020. Elle ajoute que la performance opérationnelle a suivi la même trajectoire entre 2018 et 2019 compte tenu de l'écart entre le coût de transformation réelle et le budget. Elle s'oppose à l'argumentation du salarié selon laquelle l'organisation fonctionnelle et hiérarchique le privait des prises de décisions.

Sur ce,

La cour rappelle que pour constituer une cause légitime de rupture, l'insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou conjoncturelle, et être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l'employeur.

Son appréciation relève du pouvoir de direction de l'employeur, mais doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L'insuffisance professionnelle consiste en l'incapacité du salarié à exécuter son travail de façon satisfaisante, sans que cela corresponde à une défaillance passagère, alors que l'employeur lui a donné tous les moyens pour qu'il puisse faire ses preuves en temps et en formation.

Par ailleurs, l'insuffisance de résultats au regard des objectifs fixés ne constitue pas une cause de rupture privant le juge de son pouvoir d'appréciation de l'existence d'une cause réelle et sérieuse. Dans cette recherche, le juge doit vérifier si les objectifs fixés au salarié étaient réalistes et compatibles avec le marché.

En l'espèce, il est préalablement observé que les manquements relevés par l'employeur tirés des mauvais résultats financiers exprimés en coût d'une part, et des performances opérationnelles exprimées en coût/tonne d'autre part, relèvent d'un seul et même grief de ce que le salarié n'aurait pas atteint les objectifs fixés par les budgets annuels de 2018 à 2020 pour la réduction des coûts variables de production.

A ce titre, il est effectivement établi par la société que les écarts cumulés entre les objectifs fixés et les coûts variables constatés s'élevaient à 2 296 000 euros pour 2019 et 1 971 000 euros pour 2020, et que, par ailleurs, les coûts variables de la tonne de produits finis, qui étaient de l'ordre de 378 euros/tonne en 2018, 377 euros/tonne en 2019 et estimé à 376 euros/tonne lors du licenciement, n'étaient pas conformes aux budgets annuels qui avaient respectivement fixé les objectifs à 354, 347 et 346 euros/tonne.

Les divers tableaux de résultats communiqués par l'employeur définissent les coûts variables de production comme les pertes de matière première et d'emballage, la main d''uvre directe, l'énergie et les coûts variables indirects, ce dernier poste de coût, aussi appelé « section auxiliaire », représentant à lui seul près de la moitié des dépenses variables.

Or, quand bien même M. [H] disposait du statut de cadre dirigeant, il est relevé que son contrat de travail conclu le 13 avril 2018 est dénué de toute précision sur les modalités d'exercice de ses fonctions de directeur de l'usine de [Localité 5].

De plus, le salarié verse aux débats un document interne du groupe Mom représentant la composition du comité de direction de l'usine de [Localité 5] duquel il ressort que la majorité des cadres de direction était hiératiquement et fonctionnellement rattachée aux directions du groupe dont notamment Mme [K], la responsable contrôle de gestion, qui, selon l'organigramme de la direction finance du groupe, était en charge de la performance industrielle et des achats pour l'usine de [Localité 5].

Alors que cet élément démontre que M. [H] n'avait pas de pouvoir hiérarchique à l'égard de la personne chargée d'agir au nom du groupe pour maintenir les indicateurs de performance, ce même document permet de relever que M. [W], le responsable des ressources humaines, était lui aussi hiérarchiquement rattaché à la direction des ressources humaines du groupe.

Il peut être déduit que M. [H] ne disposait pas davantage d'un pouvoir d'action sur le deuxième poste des dépenses variables, à savoir la main d''uvre directe.

S'agissant des coûts variables intégrés dans la section auxiliaire, qui représente pourtant près de la moitié des coûts variables totaux, aucun élément n'est présenté à la cour afin de préciser leur nature et, par là même, l'imputabilité de leur augmentation au salarié.

Si la société soutient au contraire que M. [H] avait en charge de prendre des mesures en faveur de la performance industrielle et réduire les coûts variables, elle ne présente que divers échanges de courriels informant le salarié des données recueillies et sollicitant, tout au plus, son avis sur les mesures qui pouvaient être mises en 'uvre dans l'usine, ce qui s'avère insuffisant à démontrer que les résultats obtenus étaient la conséquence de ses actions ou de son inaction.

Ces éléments viennent donc étayer l'argumentation soutenue par le salarié selon laquelle ses fonctions de directeur d'usine l'amenaient davantage à animer et à coordonner l'équipe de direction qui, pour la plupart de ses membres, appliquait la politique industrielle définie par le groupe.

En toute hypothèse, même à considérer que M. [H] était en partie responsable de la maitrise de certains indicateurs de performance, les éléments de preuve produits devant la cour, qui témoignent de la confusion dans le partage des responsabilités entre la direction de l'usine et le groupe, ne permettent pas de déterminer de manière certaine l'étendue de la responsabilité du salarié et, par conséquent, l'imputabilité des insuffisances qui lui sont reprochées sur ce point.

Par ailleurs, il n'est pas présenté à la cour d'éléments de preuve permettant d'établir des faits précis et matériellement vérifiables sur le modèle d'encadrement choisi par le salarié qui selon la lettre de licenciement caractériserait une insuffisance de sa part, ni même sur la réunion durant laquelle il n'aurait pas été en capacité d'exposer certaines données de production.

Au vu de ces éléments, les insuffisances dénoncées par l'employeur ne pouvant être imputées à M. [H] ou ne reposant sur aucun fait précis et matériellement vérifiable, il conviendra, par voie d'infirmation du jugement entrepris, de dire que le licenciement prononcé à son encontre est sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [H] expose avoir subi un préjudice important du fait de son licenciement et qu'il bénéficie toujours de l'allocation de retour à l'emploi.

La société réplique que le salarié sollicite une indemnité supérieure au plafond prévu par le barème en vigueur et que la longueur de son indemnisation de chômage procède de sa seule volonté de s'engager dans un processus de reconversion professionnelle.

Sur ce,

L'article L.1235-3 du code du travail prévoit l'octroi d'une indemnité à la charge de l'employeur au bénéfice du salarié dont le licenciement est survenu pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse. Lorsque son ancienneté dans l'entreprise est supérieure à 15 années, le montant de cette indemnité est compris entre 3 et 13 mois de salaire.

En l'espèce, il est acquis que M. [H] a été embauché par la société Materne le 1er septembre 2018 avec reprise d'ancienneté depuis le 1er septembre 2005 et qu'il disposait donc d'une d'ancienneté de plus de 15 ans au jour de son licenciement.

Il est établi que le salaire moyen perçu par le salarié au cours des douze mois précédant son départ de l'entreprise, tel qu'il en ressort de l'attestation employeur remise à Pôle emploi, est conforme à l'estimation par mois réalisée par M. [H] s'élevant à 12 920 euros, montant qui, de surcroît, n'est pas spécifiquement contesté par la société.

Il est également démontré que le salarié, quand bien même il a entrepris une reconversion professionnelle en suivant une formation, percevait toujours, en octobre 2023, l'allocation de retour à l'emploi.

Compte tenu des circonstances de la rupture, de l'effectif de la société, du montant de la rémunération de M. [H], alors âgé de 48 ans au jour de son licenciement, de ses difficultés à retrouver un emploi et de son ancienneté de plus de 15 ans au service de l'entreprise, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 105 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement dont appel est infirmé sur ce point.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

Sur l'indemnité de non-concurrence

M. [H] soutient que la société ne l'a pas libéré de son obligation de non-concurrence avant son départ effectif de l'entreprise de sorte qu'elle lui est redevable de la contrepartie financière contractuellement prévue pour les trois mois de préavis.

En réponse, la société Materne indique que la lettre de licenciement, le dispensant d'exécuter son préavis, précisait qu'elle le libérait de son obligation de non-concurrence.

Sur ce,

En cas de rupture du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l'entreprise. La contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaires, ouvre droit à congés payés.

L'employeur peut renoncer à la clause de non concurrence à condition d'en informer le salarié au plus tard à la date de rupture du contrat de travail, qui se situe à la date à laquelle l'employeur a manifesté la volonté d'y mettre fin, soit à la date de notification du licenciement. Il ne peut renoncer partiellement à l'application d'une clause de non concurrence en l'absence de dispositions conventionnelles en ce sens.

En l'espèce, l'article 15 du contrat de travail prévoit une obligation de non concurrence à la charge de M. [H] pour une période de deux ans suivant la cessation de son contrat de travail en contrepartie de laquelle il était prévue l'octroi d'une indemnité mensuelle égale à 30% de sa rémunération moyenne mensuelle brute.

La lettre de licenciement du 17 décembre 2020 précise en ces termes :

« Votre contrat de travail sera définitivement rompu à l'expiration de votre préavis d'une durée de 3 mois. Celui-ci débutera à la date de première présentation de ce courrier recommandé. Nous vous informons que nous vous dispensons de l'exécution de votre préavis. Celui-ci vous sera néanmoins rémunéré. [']

Nous vous informons également qu'à compter de la rupture de votre contrat de travail, vous serez libéré de la clause de non concurrence qui figurait à votre contrat de travail. A la date de cessation de votre contrat de travail, vous serez donc libéré de tout engagement envers la société ».

Ainsi, si la société a annoncé au salarié sa renonciation à la clause de non-concurrence dans la lettre de licenciement, elle a différé la prise d'effet de cette renonciation à la fin de la période d'exécution du préavis dont elle a dispensé le salarié. Toutefois, dès lors que l'obligation de non-concurrence pèse sur le salarié dès son départ effectif de l'entreprise au 17 décembre 2020, la contrepartie financière de la clause de non-concurrence était devenue exigible le 17 décembre 2020, la société ne pouvant régulièrement reporter de trois mois la libération du salarié de son obligation de non-concurrence. Ce faisant, l'employeur n'a ainsi renoncé que partiellement à l'application de la clause de non-concurrence en l'absence de dispositions conventionnelles le permettant.

Par conséquent, l'employeur qui n'a pas renoncé complètement à la clause est tenu au respect des stipulations contractuelles prévoyant le versement de la contrepartie à hauteur de la somme réclamée par le salarié et non spécifiquement contestée par l'employeur à titre subsidiaire.

Compte tenu d'un salaire mensuel brut moyen de 12 920 euros, montant non spécifiquement contesté par l'employeur, la société sera condamnée, dans les limites de la demande de M. [H], à lui payer 11 628,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de non-concurrence, outre 1 162,80 euros de congés payés afférents.

Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

Sur le remboursement à France Travail

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne Pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

Sur les autres demandes

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société Materne, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, et à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

La société sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [H] pour exécution fautive de son contrat de travail, et condamné la société Materne à payer au salarié 11 628,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de non-concurrence, outre 1 162,80 euros de congés payés afférents,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement prononcé le 17 décembre 2020 à l'encontre de M. [H] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Materne à payer à M. [H] la somme de 105 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

Ordonne à la société Materne de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à M. [H] depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,

Condamne la société Materne à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/00121
Date de la décision : 11/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-11;23.00121 ?
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