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10/04/2024 | FRANCE | N°23/01890

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 10 avril 2024, 23/01890


ARRET







S.A.S. CPC-CLOTURES ET PORTAILS DU COMPIEGNOIS





C/



[S]



























































copie exécutoire

le 10 avril 2024

à

Me ABIVEN

Me LECAREUX

LDS/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 10 AVRIL 2024



*************************************************************

N° RG 23/01890 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IX3J



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 14 AVRIL 2023 (référence dossier N° RG F 21/00281)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.S. CPC-CLOTURES ET PORTAILS DU COMPIEGNOIS

[Adresse 4]

[Localité 1]



rep...

ARRET

S.A.S. CPC-CLOTURES ET PORTAILS DU COMPIEGNOIS

C/

[S]

copie exécutoire

le 10 avril 2024

à

Me ABIVEN

Me LECAREUX

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 10 AVRIL 2024

*************************************************************

N° RG 23/01890 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IX3J

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 14 AVRIL 2023 (référence dossier N° RG F 21/00281)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. CPC-CLOTURES ET PORTAILS DU COMPIEGNOIS

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée et concluant par Me Marie-Pierre ABIVEN de la SCP DUMOULIN -

CHARTRELLE-ABIVEN, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Louis WACQUIER, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIME

Monsieur [X] [S]

né le 24 Avril 1975 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté et concluant par Me Alexandra LECAREUX, avocat au barreau de COMPIEGNE

DEBATS :

A l'audience publique du 14 février 2024, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 10 avril 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 10 avril 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [S] né le 24 avril 1975, a été embauché à compter du 2 février 2009 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée par la société clôtures et portails du compiégnois (la société ou l'employeur), en qualité de chauffeur poseur. La relation contractuelle s'est ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 mars 2009.

La société clôtures et portails du compiégnois compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment.

Le contrat de travail a été rompu le 30 juillet 2020 par l'effet de la démission de M. [S] présentée le 14 juillet 2020.

Par courrier du 8 décembre 2020, le salarié, contestant le solde de tout compte qui lui avait été adressé, a demandé le paiement d'heures supplémentaires accomplies depuis 2017 et de l'indemnité de transport pour le mois de juillet 2020.

Ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l 'exécution du contrat de travail, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne le 25 novembre 2021.

Par jugement du 14 avril 2023, le conseil a :

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 1 744, 87 euros ;

- condamné la société Clôtures et portails du compiégnois au paiement de 16 938,71 euros au titre de rappel d'heures supplémentaires et 1 693,87 euros au titre des congés payés afférents ;

- dit que ces sommes porteraient intérêt au taux légal ;

- condamné la société Clôtures et portails du compiégnois à payer à M. [S] :

1 000 euros au titre du préjudice résultant du non-respect des durées maximales de travail ;

10 469,22 euros au titre de l'indemnisation résultant du travail dissimulé ;

252 euros au titre de l'indemnisation des indemnités de transport du mois de juillet 2020 ;

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [S] de ses autres demandes ;

- débouté la société Clôtures et portails du compiégnois de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société aux entiers dépens.

La société Clôtures et portails du compiégnois, qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 12 février 2024, demande à la cour d'infirmer le jugement en toute ses dispositions et, statuant à nouveau de :

- juger M. [S] irrecevable en ses demandes de rappel d'heures supplémentaires et d'indemnisation au titre du repos compensateur non pris pour la période courant du mois d'août 2017 au 24 novembre 2018, celles-ci étant prescrites ;

- débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, s'en rapportant à justice au titre de la demande en paiement des indemnités de trajet pour le mois de juillet 2020 ;

- condamner M. [S] à lui payer 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [S], par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 février 2024, demande à la cour de :

- le recevoir en son appel incident et l'en dire bien fondé ;

- déclarer recevables et non prescrites ses demandes de rappel d'heures supplémentaires et d'indemnisation au titre du repos compensateur non pris pour la période du mois d'aout 2017 au 24 novembre 2018 ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Clôtures et portails du compiégnois à lui payer 10 469,22 euros au titre de l'indemnisation résultant du travail dissimulé, 252 euros au titre de l'indemnisation des indemnités de transports du mois de juillet 2020, et 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Clôtures et portails du compiégnois à lui payer un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents, et au titre du préjudice résultant du non-respect des durées maximales mais l'infirmer quant au quantum ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamnation de la société à titre d'indemnité de repos compensateur et congés payés afférents ;

- condamner la société Clôtures et portails du compiégnois à lui payer :

pour l'année 2017 :

1 829,18 euros brut pour les heures supplémentaires majorées à 25 % ;

182,91 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

915,30 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires à 50 % ;

91,23 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

2 827,03 euros brut à titre d'indemnité de repos compensateur à 100 %

282,70 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

pour l'année 2018 :

4 633 euros brut pour les heures supplémentaires majorées à 25 % ;

463,30 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

2 059,42 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires à 50 % ;

205,94 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

6 881,70 euros brut à titre d'indemnité de repos compensateur à 100 % ;

688,17 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

pour l'année 2019 :

3 086,31 euros brut pour les heures supplémentaires majorées à 25 % ;

308,63 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

1 127,17 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires à 50 % ;

112,71 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

3 164,00 euros à titre d'indemnité de repos compensateur à 100 % ;

316,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- condamner la société à lui payer 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des durées maximales du travail ;

- condamner la société à lui payer 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur les heures supplémentaires :

1.1/ Sur la prescription de l'action en paiement des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos :

La société soutient que M. [S] ayant saisi le conseil de prud'hommes par requête du 25 novembre 2021, son action en paiement des heures supplémentaires accomplies antérieurement au 24 novembre 2018 et de la contrepartie obligatoire en repos pour cette même période est prescrite. Elle ajoute que seule la saisine du conseil de prud'hommes a pour effet d'interrompre le cours de la prescription, que le délai de prescription se calcule rétroactivement à compter de cette saisine, et que la rupture de son contrat ne reporte pas le point de départ de la prescription.

M. [S] réplique que son contrat de travail ayant été rompu le 14 juillet 2020 et que le conseil de prud'hommes ayant été saisi le 25 novembre 2021, aucune prescription ne saurait être retenue pour les années 2017, 2018 et 2019.

Sur ce,

L'article L. 3245-1 du code du travail dispose que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

Cette prescription triennale s'applique à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires dues au titre du contrat de travail. Tel est le cas d'une demande tendant au versement de sommes qui auraient dû être payées au titre du repos compensateur ou de la contrepartie obligatoire en repos.

En l'espèce, il ressort des tableaux récapitulatifs versés aux débats que le salarié sollicite le paiement des heures supplémentaires qu'il aurait accomplies du mois d'août 2017 au mois d'octobre 2019, cette dernière échéance ayant été payée le 31 octobre 2019.

Le délai de prescription ayant commencé à courir à compter du 31 octobre 2019, date à laquelle le dernier salaire réclamé est devenu exigible, la prescription n'était pas acquise lorsque le salarié a saisi le conseil de prud'hommes le 25 novembre 2021.

Par ailleurs, compte-tenu de la rupture du contrat de travail intervenue le 30 juillet 2020 à la suite de sa démission, c'est à juste titre que M. [S] soutient que sa demande peut porter sur les salaires dus au titre des trois années précédant cette rupture.

Dès lors, l'action de M. [S] en paiement des heures supplémentaires accomplies entre août 2017 et octobre 2019 ainsi que des indemnités compensant la perte de ses droits à contrepartie obligatoire en repos pour cette même période n'est pas prescrite.

1.2/ Sur la demande en paiement des heures supplémentaires :

M. [S] expose avoir accompli un certain nombre d'heures supplémentaires non rémunérées qui étaient exigées par l'employeur et au titre desquelles il produit des plannings et des rapports journaliers détaillés chantier par chantier. Il s'oppose à l'argumentation soutenue par la société selon laquelle le règlement intérieur conditionnait la réalisation des heures supplémentaires à l'accord de l'employeur alors que la distance entre le siège de l'entreprise et les chantiers rendait totalement impossible le respect de la législation sur le temps de travail. Il ajoute que la société, qui reconnaît que les feuilles de temps produites correspondent au modèle qui avait été utilisé dans l'entreprise, s'abstient de produire les rapports journaliers dont elle avait reçu communication. Enfin, il affirme que le temps de déplacement pour se rendre d'un lieu de travail à un autre est un temps de travail effectif et qu'il ne prenait jamais sa voiture personnelle pour se rendre sur les chantiers.

La société réplique que les informations contenues dans les rapports journaliers versés par le salarié, qui ne sont pas corroborées par d'autres éléments de preuve, ont été établies unilatéralement par celui-ci et en méconnaissance des règles internes à l'entreprise exigeant que ces documents soient contresignés par la direction. Elle précise que M. [S] intègre à tort les heures de trajet alors que le temps de trajet n'est pas considéré comme du temps de travail effectif au sens de la convention collective, que les temps de déplacement étaient indemnisés, et que le choix lui était laissé de se rendre directement sur les chantiers par ses propres moyens. Elle ajoute que le règlement intérieur de la société prévoit que la réalisation des heures supplémentaires est subordonnée à l'accord préalable de la direction et que cette règle était connue du personnel. Enfin, elle indique avoir annoté les tableaux établis par le salarié en déduisant les temps de trajet et les pauses méridiennes et, par là même, avoir satisfait à son obligation de contrôle du temps de travail.

Sur ce,

Aux termes de l'article L.3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L.3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Enfin, selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

En l'espèce, M. [S] verse à l'appui de sa demande des rapports journaliers décrivant ses tâches quotidiennes de travail et des tableaux indiquant les heures de travail réalisées chaque jour ainsi que les totaux hebdomadaires et mensuels d'août 2017 à octobre 2019.

Il présente également l'ensemble de ses bulletins de salaire dont il ressort qu'il était rémunéré sur la base de 35 heures par semaine sans jamais percevoir le paiement d'heures supplémentaires, ainsi que des notes de service enjoignant aux salariés de réaliser le tri des gravats au retour des chantiers et de nettoyer les véhicules.

Les éléments suscités sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

Or, la société ne produit pas le moindre document permettant d'établir la réalité du contrôle exercé sur le temps de travail du salarié, étant précisé que l'annotation a posteriori des tableaux établis par M. [S] ne saurait être vue comme un élément justifiant de ce contrôle.

Toutefois, la demande en paiement des heures supplémentaires du salarié étant essentiellement fondée sur l'absence de prise en compte des temps de trajet entre le dépôt et les chantiers, qui selon lui relèveraient d'un temps de travail effectif, l'employeur présente le règlement intérieur de la société lequel prévoit que : « la durée du temps de travail s'entend du travail effectif à l'exclusion du temps passé à d'autres occupations. Le personnel doit, en conséquence, se trouver à son poste en tenue de travail aux heures de début et de fin de celui-ci. Il peut se rendre directement sur les chantiers par ses propres moyens ou, à sa convenance, choisir de profiter à cet effet du camion de l'entreprise conduit par le chef d'équipe ».

Les témoignages de MM. [C], [D] et [M] confirment que les salariés de l'entreprise avaient le choix de se rendre sur les chantiers par leurs propres moyens.

Peu important la mention du salarié sur l'attestation d'assurance du véhicule de la société, aucun élément ne permet d'observer que M. [S], qui n'occupait pas la fonction de chef d'équipe, était expressément chargé par l'employeur du transport de ses collègues optant pour le déplacement vers les chantiers avec les moyens de l'entreprise et du matériel.

Nonobstant le débat sur le point de savoir si le salarié se rendait au dépôt par ses propres moyens ou accompagné d'un collègue de travail, ou encore s'il avait l'habitude de profiter du transport vers les chantiers au moyen du véhicule de la société, le choix laissé au salarié de se rendre directement par ses propres moyens sur les lieux d'exécution du travail démontre que son passage préalable au dépôt, temps durant lequel il pouvait vaquer librement à des occupations personnelles, ne relevait que de sa seule convenance et qu'il ne peut être considéré comme du temps de travail effectif.

Dans ces conditions, les temps de trajet aller entre le dépôt et les chantiers, dont les durées exposées par l'employeur dans les tableaux annotés par ses soins ne sont pas spécifiquement contredites par le salarié, ne peuvent être retenus au titre de la demande en paiement des heures supplémentaires.

En revanche, alors que M. [S] démontre que les salariés avaient reçu la consigne d'évacuer et trier les gravats au dépôt à leur retour des chantiers, tâche régulièrement inscrite dans les rapports journaliers qu'il verse aux débats, l'employeur n'apporte aucun élément permettant de le contredire tant sur sa participation effective que sur le caractère obligatoire de cette tâche.

Il en est de même s'agissant du nettoyage du véhicule et de la benne dont les rapports journaliers et le témoignage de M. [N], versé aux débats par l'employeur lui-même, confirment que le salarié s'y employait habituellement.

Ainsi, les éléments de preuve présentés à la cour, mettant en évidence que M. [S] était tenu de se rendre au dépôt après les chantiers pour poursuivre l'exécution de ses tâches de travail, permettent de retenir que les trajets retours entre les chantiers et le dépôt étaient du temps de travail effectif.

Compte-tenu de ce qui précède, la société n'apporte aucun élément de preuve permettant de contredire le salarié de ce que la réalisation des heures supplémentaires avait été rendue nécessaire par les tâches qui lui avaient été confiées.

Peu important la règle contenue dans le règlement intérieur de la société selon laquelle la réalisation des heures supplémentaires était conditionnée à l'accord préalable de la direction, l'employeur ne pouvait, en conséquence, s'exonérer du paiement des heures accomplies par M. [S].

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une mesure d'instruction, la cour a acquis la conviction au sens du texte précité que M. [S] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées ouvrant droit, après exclusion des trajets allers à destination des chantiers et des pauses méridiennes qui ne relèvent pas d'un temps de travail effectif, à une rémunération totale de 2 444 euros, somme à laquelle il faut ajouter les congés payés pour 244,40 euros.

Dès lors, par infirmation du jugement entrepris, il conviendra de condamner la société clôtures et portails du compiégnois à payer à M. [S] les sommes dues au titre des heures supplémentaires accomplies de 2017 à 2019, soit 2 444 euros, outre 244,40 euros de congés payés afférents.

1.3/ Sur la contrepartie obligatoire en repos :

M. [S] expose que les heures supplémentaires réalisées ont eu pour effet de dépasser le contingent annuel conventionnel fixé à 145 heures.

La société clôtures et portails du compiégnois réplique que le salarié ne justifie pas de la réalisation d'heures supplémentaires et, de surcroît, du dépassement du contingent annuel.

Sur ce,

Il résulte de la combinaison des articles L. 3121-28, L.3121-30, L. 3121-38, D. 3121-23 et D. 3131-24 du code du travail que toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel fixé par la loi, une convention collective ou un accord collectif, ouvre droit à une contrepartie obligatoire en repos qui s'ajoute à la rémunération des heures au taux majoré ou au repos compensateur de remplacement.

Selon l'article 3.13 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962, la durée légale du travail effectif des ouvriers du bâtiment est de 35 heures par semaine. Les entreprises peuvent utiliser pendant l'année civile un contingent d'heures supplémentaires, sans avoir besoin de demander l'autorisation de l'inspection du travail, dans la limite de 145 heures par salarié. Ce contingent est augmenté de 35 heures par an et par salarié pour les salariés dont l'horaire n'est pas annualisé.

En l'espèce, après déduction des temps de trajet et de la pause méridienne ne relevant pas d'un temps de travail effectif, la cour observe que les heures supplémentaires accomplies par M. [S], s'élevant à 21 heures en 2017, 74 heures en 2018 et 78 heures en 2019, n'ont pas eu pour effet de dépasser le contingent annuel conventionnel pour chacune des années considérées.

Par conséquent, le jugement déféré, qui a condamné la société clôtures et portails du compiégnois à payer à M. [S] certaines sommes au titre des indemnités afférentes à la contrepartie obligatoire en repos pour les années 2017 à 2019, est infirmé.

1.4/ Sur le travail dissimulé :

M. [S] soutient que l'employeur a intentionnellement dissimulé les heures supplémentaires accomplies en refusant de respecter les dispositions réglementaires sur la comptabilisation du temps de travail.

En réponse, la société affirme n'avoir jamais eu connaissance des rapports journaliers prétendument établis par le salarié et qu'aucune intention de dissimuler les heures supplémentaires ne peut être retenue.

Sur ce,

L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention d'heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l'espèce, la réalisation d'heures supplémentaires en nombre limité par M. [S] a pour cause une méconnaissance de la société des règles afférentes à l'inclusion du temps de trajet dans le temps de travail effectif de sorte que l'intention de dissimuler les heures complémentaires accomplies n'est pas caractérisée.

Il convient donc de rejeter la demande de M. [S] formée au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et d'infirmer le jugement entrepris sur ce point.

1.5/ Sur le dépassement de la durée maximale de travail :

M. [S] expose que la durée maximale de travail était dépassée de manière permanente et sollicite l'octroi de dommages et intérêts sur ce point.

En réponse, la société soutient que la demande du salarié est infondée.

Sur ce,

Selon l'article L.3121-22, la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3121-23 à L. 3121-25.

Il résulte de ces dernières dispositions, telles qu'interprétées à la lumière de l'article 6 b) de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation.

En l'espèce, après déduction des temps de trajet et de la pause méridienne ne relevant pas d'un temps de travail effectif, la cour peut évaluer à 41 heures la durée de travail hebdomadaire la plus élevée réalisée par le salarié entre août 2017 et octobre 2019.

De plus, M. [S] n'entend pas indiquer la période précise durant laquelle il se serait vu imposer le dépassement de la durée maximale de travail.

Dès lors, aucune faute n'étant imputable à l'employeur, le salarié, par voie d'infirmation du jugement déféré, sera débouté de sa demande tendant au paiement de dommages et intérêts de ce chef.

2/ Sur les indemnités de transport du mois de juillet 2020 :

M. [S] soutient qu'ayant exécuté son préavis jusqu'au 30 septembre 2020, il a continué d'utiliser le véhicule de l'entreprise durant ce mois pour se rendre sur les chantiers. Il précise avoir réalisé 20 déplacements en juillet 2020, de sorte que l'employeur lui est redevable de l'indemnité de transport prévue par la convention collective à hauteur de 252 euros.

L'employeur indique s'en rapporter à justice sur ce point.

Sur ce,

L'article 8.12 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 prévoit que bénéficient des indemnités de petits déplacements, dans les conditions prévues au chapitre Ier du présent titre, les ouvriers non sédentaires du bâtiment pour les petits déplacements qu'ils effectuent quotidiennement pour se rendre sur le chantier avant le début de la journée de travail et pour en revenir, à la fin de la journée de travail.

L'accord du 5 février 2016 relatif aux indemnités de petits déplacements applicables dans la région de Picardie fixe à 12,60 euros l'indemnité de petits déplacements due aux ouvriers du bâtiment réalisant des déplacements entre le siège de l'entreprise et les chantiers dans un rayon de 40 à 50 kilomètres.

En l'espèce, il est acquis que M. [S] a bénéficié du paiement d'une indemnité de transport pendant toute la période d'exécution du contrat de travail pour les petits déplacements qu'il réalisait entre le dépôt et les chantiers.

L'employeur s'en rapportant à justice et ne contestant ni le nombre de déplacements ni les distances parcourues par le salarié au mois de juillet 2020, il conviendra, par confirmation du jugement entrepris, de condamner la société clôtures et portails du compiégnois à payer à M. [S] 252 euros correspondant aux indemnités de transport dues pour le mois de juillet 2020.

3/ Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

L'équité commande toutefois de laisser aux parties la charge des frais irrépétibles d'appel qu'elles ont exposés et de leurs propres dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la société Clôtures et portails du compiégnois à payer à M. [S] 252 euros correspondant aux indemnités de transport dues pour le mois de juillet 2020 ainsi que 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens de première instance,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que l'action de M. [S] en paiement des heures supplémentaires accomplies entre août 2017 et octobre 2019 et des indemnités compensant la perte de ses droits à contrepartie obligatoire en repos pour cette même période n'est pas prescrite,

Dit que M. [S] a accompli des heures supplémentaires sur la période d'août 2017 à octobre 2019,

Condamne la société Clôtures et portails du compiégnois à payer à M. [S] 2 444 euros au titre des heures supplémentaires accomplies de 2017 à 2019, outre 244,40 euros de congés payés afférents,

Rejette les demandes de M. [S] tendant au paiement des indemnités afférentes à la contrepartie obligatoire en repos pour les années 2017 à 2019, de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et des dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximale de travail,

Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles,

Dit que chaque partie conserve ses dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01890
Date de la décision : 10/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-10;23.01890 ?
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