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04/04/2024 | FRANCE | N°23/01509

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 04 avril 2024, 23/01509


ARRET







Société TRANSPORTS LOGISTIQUE LELEU





C/



[F]



























































copie exécutoire

le 04 avril 2024

à

Me LECLERC DE HAUTECLOQUE

Me HAMEL

CPW/IL/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 04 AVRIL 2024




*************************************************************

N° RG 23/01509 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXDO



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 27 FEVRIER 2023 (référence dossier N° RG 21/00293)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Société TRANSPORTS LOGISTIQUE LELEU

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]



con...

ARRET

Société TRANSPORTS LOGISTIQUE LELEU

C/

[F]

copie exécutoire

le 04 avril 2024

à

Me LECLERC DE HAUTECLOQUE

Me HAMEL

CPW/IL/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 04 AVRIL 2024

*************************************************************

N° RG 23/01509 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXDO

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 27 FEVRIER 2023 (référence dossier N° RG 21/00293)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Société TRANSPORTS LOGISTIQUE LELEU

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

concluant par Me Marie-thérèse LECLERC DE HAUTECLOCQUE de la SELAS LHP AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

ET :

INTIME

Monsieur [U] [F]

né le 30 Septembre 1986 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté et concluant par Me Christine HAMEL de la SELARL CHRISTINE HAMEL, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Laurine DESCAMPS, avocat au barreau D'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 15 février 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 04 avril 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 04 avril 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [F] a été embauché à compter du 16 septembre 2019 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Transports logistiques Leleu (la société ou l'employeur), en qualité de conducteur.

La convention collective applicable est celle des transports routiers et auxiliaires du transport.

Par courrier du 5 mai 2021, M. [F] s'est vu notifier une mise à pied conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 17 mai 2021. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 20 mai 2021, par lettre ainsi libellée :

« Nous vous avons convoqué le 17 mai à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement pour faute grave. Vous y étiez assisté de [B] [T], représentant au comité économique et social.

A deux reprises, vous avez modifié unilatéralement votre journée de travail contrairement aux instructions données par l'exploitation.

Ainsi, le 14 avril, alors qu'il vous a été indiqué que la livraison d'un client était urgente et nécessitait que votre coupure soit limitée à 9 heures, vous avez, de vous-même, décidé de la porter à 11 heures, ce qui a amené un retard de livraisons de 2h20 chez le client. Vous avez reconnu avoir décidé de vous- même de porter votre coupure de 9h à 11 h contrairement à la directive de l'exploitation. Vous nous avez dit lors de l'entretien n'être arrivé qu'avec 1h30 de retard. Apres vérification, vous êtes arrivé chez le client à 10h20, soit 2h20 plus tard comme en atteste l'ordre de transport signé de votre main. Vous aviez pourtant parfaitement connaissance des directives spécifiques que vous aviez reçues car pendant l'entretien, vous nous avez montré la photo du Carcub du 14 mai que vous aviez préalablement reçue confirmant les instructions qui vous avaient été données par l'exploitation pour une livraison à 8 heures.

Nous vous avons alors demandé des explications concernant cette insubordination caractérisée et, à notre grande surprise, vous nous avez dit que même si l'exploitation vous en faisait la demande, vous décidiez vous-même de la longueur de vos coupures journalières.

Quelques jours plus tard, lors d 'un échange sur le parking, je vous ai rappelé qu'en tant que salarié, l'organisation du travail relevait de votre employeur et pas de vous et que ce n 'était pas à vous de décider des plannings de livraison, des lors qu'ils étaient conformes aux textes règlementaires.

Le 4 mai, à 18h28, alors que vous étiez à [Localité 5], et que la règlementation le permettait au vu des heures faites dans la journée, l'exploitation vous a demandé de rentrer au dépôt pour décharger une commande qui devait être livrée le lendemain pour le client OCIDO. Vous avez refusé d'appliquer cette consigne. L'exploitant vous a relancé, et vous lui avez alors répété votre refus en indiquant : «si tu as besoin de la remorque tu n 'as qu'à venir la chercher toi-même». Lors de notre entretien, vous avez reconnu les faits et les propos tenus envers l'exploitant. Et pourtant, la situation vous permettait parfaitement de finir votre trajet et votre attitude a abouti à une livraison au client avec 24 heures de retard.

Le lendemain, soit le 5 mai, je vous ai reçu pour vous demander des explications et à peine avais-je commencé à vous exposer les motifs de notre entretien que vous êtes entré dans une colère incontrôlée, enlevant votre vêtement et arrachant votre masque comme si vous vouliez en découdre. Vous vous êtes rapprochés de moi en me pointant du doigt sur un ton menaçant, me tutoyant, et en criant des propos insultants et irrespectueux à mon encontre : «j'en ai marre de tes conneries» ou encore «la livraison du jour tu peux te la mettre ou tu sais» ou encore « tu les livreras toi-même tes clients de merde». J'ai préféré me lever pour ouvrir la porte afin de pouvoir sortir si la situation s'envenimait encore.

Lors de l'entretien, vous avez reconnu avoir tenu ces propos et alors que je vous disais que j'avais été inquiété par votre réaction, vous avez même rajouté que «j'avais eu de la chance que ça ne soit pas allé plus loin».

Lors de cette altercation verbale du 5 mai, je vous ai demandé à plusieurs reprises de vous calmer en vous faisant remarquer que vous étiez en train de m 'insulter, mais vous avez continué. Vous avez pris sur la table de réunion la convocation mais en refusant de la signer. Puis, sans autorisation, vous avez pris des documents sur mon bureau. J'ai tenté de vous en empêcher, mais vous avez continué en me repoussant. Vous avez lu différents papiers, pour certains confidentiels, puis vous avez gardé, toujours sans mon autorisation, un papier vous concernant (le relevé de votre chronotachygraphe). Mmes [N] et [D], alors présentes dans les bureaux, ont été témoins de vos propos et de votre attitude.

Nous ne pouvons absolument pas accepter ces comportements non conformes et, compte tenu de votre attitude extrêmement grave, sommes contraints de prononcer at votre encontre un licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité.

Cette mesure prend effet immédiat a première présentation de la présente.

Nous vous confirmons par ailleurs la mise à pied conservatoire notifiée dans l'attente de la décision définitive vous concernant'».

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 23 septembre 2021, qui par jugement du 27 février 2023, a :

dit que le licenciement de M. [F] ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;

condamné la société Transports logistique Leleu à payer à M. [F] les sommes suivantes :

- 2 686,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 268,63 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 114,83 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 1 039,68 euros à titre d'indemnité de repos compensateurs outre 103,96 euros au titre des congés payés sur repos compensateurs ;

- 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamné la société à remettre à M. [F] les documents de fin de contrats et bulletins de paie conformes à la décision, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte ;

ordonné l'exécution provisoire de la décision en application de l'article 515 du code de procédure civile, ce sans préjudice de celles prévues de plein droit par l'article R.1454-28 du code du travail et a précisé que le salaire mensuel moyen calculé sur la moyenne des trois derniers mois était d'une valeur brute de 2 686,33 euros ;

débouté M. [F] du surplus de ses demandes ;

débouté la société Transports logistique Leleu de sa demande reconventionnelle ;

condamné la société Transports logistique Leleu aux entiers dépens de l'instance.

La société Transports logistique Leleu, qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 octobre 2023, demande à la cour de :

- Sur l'appel principal :

A titre principal, la recevoir en son appel, l'y déclarer bien fondée, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse et sur les condamnations en découlant ;

- l'a condamnée au paiement d'une indemnité de repos compensateur d'un montant de 1 039,68 euros et les congés payés afférents à M. [F],

Statuant à nouveau de :

'juger que le licenciement de M. [F] repose sur une faute grave ;

'juger qu'aucun repos compensateur n'est dû à M. [F].

'débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour confirme que licenciement est requalifié en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse en l'absence de faute grave :

confirmer que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

'fixer le salaire moyen à un montant de 2 686,33 euros brut ;

'cantonner les sommes à verser à M. [F] à un montant de 2 686,33 euros brut au titre du préavis et les congés payés afférents de 268,33 euros brut, et au titre de l'indemnité légale de licenciement d'un montant de 1 114,83 euros et débouter M. [F] de ses autres demandes ;

- Sur l'appel incident, débouter M. [F] de son appel incident, l'en déclarer mal fondé, et le débouter en conséquence de toutes ses demandes ;

- En tout état de cause, condamner M. [F] au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [F], par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 septembre 2023, demande à la cour de le dire tant recevable que bien fondé en son appel incident, de confirmer le jugement déféré, sauf :

- en ce qu'il a dit que son licenciement ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;

- en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudices moral subi du fait du licenciement abusif et vexatoire,

- en ce qu'il a limité la condamnation de la société Transports logistiques Leleu au paiement d'une somme de 1 039,68 euros à titre d'indemnité de repos compensateurs et d'une somme de 103,96 euros au titre des congés payés sur repos compensateurs,

- en ce qu'il a condamné la société à lui remettre les documents de fin de contrat et bulletins de paie conformes à la décision sans prononcer d'astreinte ;

de l'infirmer de ces chefs, et statuant à nouveau, de :

dire son licenciement dépourvu de toute faute grave, de cause réelle et sérieuse, abusif et vexatoire et par conséquent, condamner la société Transports logistiques Leleu à lui payer la somme de 2 686,33 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;

'de condamner en tout état de cause la société à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du licenciement abusif et vexatoire ;

'condamner la société Transports logistiques Leleu à lui verser à titre principal 1 848,32 euros à titre d'indemnité de repos compensateurs outre 184,83 euros au titre des congés payés afférents ; à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Transports logistiques Leleu à lui payer à titre d'indemnité de repos compensateur la somme de 1 039,68 euros outre les congés payés afférents pour un montant de 103,97 euros ;

'ordonner à la société Transports logistiques Leleu de lui remettre, sous astreinte non comminatoire de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, l'ensemble des documents de fin de contrat et bulletins de paie conformes à la décision ;

'condamner la société Transports logistiques Leleu au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

'dire que l'ensemble des condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la première saisine du bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;

'débouter la société de l'ensemble de ses demandes, y compris celle formulée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur le repos compensateur

M. [F] sollicite le paiement de 16 jours de repos compensateurs. La société conteste le calcul opéré par le salarié et soutient avoir exécuté de bonne foi le contrat de travail.

Sur ce,

La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 fixe à 130 heures le contingent d'heures supplémentaires au delà duquel le salarié acquiert des droits à repos compensateur obligatoire.

Est considérée comme heure supplémentaire ouvrant droit au repos compensateur des conducteurs longue distance, tout temps de service effectué au-delà de la 43ème heure hebdomadaire ou de 559 heures par trimestre. Si tel est le cas, la convention collective met en place 1 jour de repos compensateur entre 41 et 79 heures supplémentaires sur le trimestre (soit entre 600 et 638 heures de service au total), 1,5 jours entre 80 et 108 heures supplémentaires (soit entre 639 et 667 heures de service au totale), et 2,5 jours pour plus de 108 heures supplémentaires sur le trimestre (soit plus de 667 heures de service au total).

Le temps de travail effectif, s'il ne correspond pas à l'amplitude de la journée de travail, correspond au temps de service et ne peut être réduit au temps séparant l'introduction du disque dans le chrono-tachygraphe de son retrait de cet appareil. Selon les dispositions de la convention collective applicable, le temps de travail effectif des conducteurs comprend les temps de conduite, les temps de travaux annexes et les temps à disposition ; que les temps de travaux annexes comprennent, notamment, les temps de prise et de fin de service consacrés à la mise en place du disque, à la préparation du véhicule, à la feuille de route, au nettoyage du véhicule, à l'entretien mécanique de premier niveau compatible avec celui du personnel de conduite, ainsi que, pour les conducteurs receveurs, les temps consacrés à la remise de la recette ; que les temps à disposition sont des périodes de simple présence, d'attente ou de disponibilité, passées au lieu de travail ou dans le véhicule, sous réserve d'être définies par l'entreprise, et pendant lesquelles, sur demande de celle-ci, le personnel de conduite peut être amené à reprendre le travail ou doit rester proche du véhicule soit pour le surveiller soit pour être à disposition des clients.

Tous les droits liés au calcul de la rémunération et du repos compensateur doivent être mentionnés sur le bulletin de salaire.

Le recours au chômage partiel suspend partiellement ou complètement le contrat de travail en application de l'article L.5122-1 du code du travail, et l'obligation de verser le salaire convenu. Néanmoins, la coexistence entre des heures supplémentaires et le chômage partiel reste possible si l'entreprise organise son temps de travail sur une période supérieure à la semaine, et les heures de chômage partiel indemnisées sont alors prises en compte pour le calcul des heures supplémentaires donnant lieu à majoration de salaire.

En l'espèce, M. [F] fonde son calcul sur les heures supplémentaires mentionnées sur ses bulletins de paie qui correspondent au temps de service devant être pris en compte (la fiche de paie de novembre 2019 n'est pas produite). Il ressort de son tableau qu'il se prévaut de :

- 661,40 heures au dernier trimestre 2019, pour lesquelles il réclame 1,5 jour,

- 696 heures au premier trimestre 2020, pour lesquelles il réclame 2,5 jour,

- 671 heures au deuxième trimestre 2020, pour lesquelles il réclame 2,5 jour,

- 702 heures au troisième trimestre 2020, pour lesquelles il réclame 2,5 jour,

- 666 heures au quatrième trimestre 2020, pour lesquelles il réclame 1,5 jour,

- 714 heures au premier trimestre 2021, pour lesquelles il réclame 2,5 jour.

Il réclame en outre 0,5 jours pour le mois d'avril 2021 qui n'est pas spécifiquement contesté par l'employeur.

L'employeur relève une difficulté concernant le calcul du dernier trimestre de l'année 2019, des deux premiers trimestre de l'année 2020.

Alors même que la société souligne à juste titre le caractère erroné du calcul du dernier trimestre 2019 en ce qu'il prend en compte les mois de septembre, octobre et décembre 2019 en omettant le mois de novembre, il résulte des éléments communiqués que M. [F] ne verse pas aux débats le moindre élément sur le mois ainsi omis pour contester les heures de service retenues par l'employeur dans son tableau produit en pièce 21, dont il ressort qu'il a accompli au total 631 heures de service au 4ème trimestre 2019, lui ouvrant droit à 1 jour de repos compensateur, qui sera donc retenu.

S'agissant du premier trimestre 2020, la société relève également à juste titre que le total des heures allégué par M. [F] est de 644 heures, qui est compris entre 638 et 667 heures et conduit à un repos compensateur de 1,5 jours et non de 2,5 jours comme réclamé à tort.

En ce qui concerne le deuxième trimestre 2020, M. [F] prend en compte l'activité partielle en temps de crise sanitaire pour le calcul des heures supplémentaires conduisant au repos compensateur réclamé. Le chômage partiel n'est certes pas assimilé à du travail effectif et les allocations versées ne sont pas du salaire, néanmoins, les heures de chômage partiel indemnisées sont prises en compte pour le calcul des heures supplémentaires donnant lieu à majoration de salaire en application de l'article R.5122-14, et toute heure supplémentaire ouvre le droit, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent en application de l'article L.3121-28 du code du travail. L'employeur s'oppose à la prise en compte de l'activité partielle sans toutefois préciser de fondement juridique. Le moyen, qui n'est pas motivé en droit, ne sera pas retenu.

Au regard du tableau récapitulatif (pour le reste des éléments, vérifié et validé par la cour et non spécifiquement contestés par l'employeur) les heures supplémentaires accomplies par M. [F] ont dépassé le seuil de 41 heures supplémentaires par trimestre le dernier trimestre 2019, ont dépassé le seuil de 80 heures supplémentaires les premier trimestre et dernier trimestre 2020, et le seuil de 108 h sur les autres trimestres de l'année 2020 et le premier trimestre de l'année 2021. M. [F] devait donc bénéficier de 12 jours de repos compensateurs, incluant sa demande au prorata non spécifiquement remise en cause de 0,5 jours pour le mois d'avril 2021. L'employeur ne produit pas d'élément contraire pertinent. Or il n'a jamais été informé par l'employeur de ses droits ni mis en mesure d'en bénéficier au-delà de 7 jours payés. Il est donc fondé à obtenir, par infirmation du jugement entrepris, une indemnité de 1 386,24 euros et les congés payés y afférents.

2. Sur le licenciement

2.1 - Sur le bien fondé du licenciement

M. [F] conteste avoir commis les faits qui lui sont reprochés et souligne l'absence de preuve des griefs allégués. Il soutient qu'il n'a jamais failli à ses obligations en ce qui concerne les faits des 14 avril et 4 mai 2021, mais a simplement sollicité le respect de ses droits, alors que l'employeur avait pour habitude de ne pas respecter les règles européennes relatives aux temps de travail et de conduite, et qu'il ne pouvait plus physiquement tolérer de telles conditions de travail tant pour sa sécurité que celle des autres usagers de la route, ce qui ne saurait caractériser une faute et encore moins une faute grave. Il conteste avoir été violent à l'encontre de l'employeur, alors qu'il s'est contenté d'indiquer «avec un discours certainement plus fréquemment utilisé dans le monde du transport que dans celui de la haute administration qu'il ne pouvait tolérer les méthodes utilisées consistant à violer régulièrement les amplitudes de travail au prétendu motif d'une impossibilité de refuser la moindre demande au client.» Il estime que l'incorrection occasionnelle dont il a fait preuve a été le résultat de son exaspération du fait des conditions de travail imposées par l'employeur et de son refus de prendre la convocation à l'entretien préalable qui lui était tendue. Il conteste en outre avoir volé des documents sur le bureau de l'employeur.

La société réplique que les faits d'insubordination de M. [F] des 14 avril et 4 mai 2021 sont parfaitement établis alors que le salarié a refusé à plusieurs reprises de respecter les consignes de son employeur en matière de livraison de marchandises, occasionnant des retards importants ou une absence de livraison à l'encontre des clients de la société, en prétextant l'absence de respect par son employeur de la législation relative à la durée du travail notamment quant au temps de repos et au temps de service, alors qu'elle avait au contraire parfaitement respecté les dispositions applicables. Elle soutient par ailleurs que la réalité du comportement du salarié le 5 mai 2021 est établie par les pièces qu'elle verse aux débats et n'est pas contestée par M. [F] lui-même, et estime que son comportement irrespectueux et menaçant caractérise une faute grave alors qu'il s'est en outre emparé avec violence de documents de l'entreprise ce même jour et a refusé de les restituer malgré la demande de l'employeur.

Sur ce,

L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L.1234-1 du même code résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur.

Il appartient à ce dernier de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle même constituer une cause réelle et sérieuse.

Le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression. Il ne peut, en revanche, abuser de sa liberté d'expression par des propos diffamatoires, injurieux ou excessifs.

Sont en l'espèce reprochés au salarié :

- une insubordination répétée en ce qu'il a, à deux reprises, les 14 avril et 4 mai 2021, unilatéralement modifié sa journée de travail contrairement aux instructions données par l'exploitation ;

- ses propos et son comportement irrespectueux et menaçant envers l'employeur devant d'autres salariés (Mmes [N] et [D]) le 5 mai 2021, consécutivement à une demande d'explication de son comportement la veille, et à la tentative de remise de la convocation à l'entretien préalable ;

- le fait, le 5 mai 2021, de s'être emparé de documents de la société présents sur le bureau du président de la société en le repoussant, et en refusant ensuite de restituer l'un des documents conservé.

En ce qui concerne les deuxième et troisième griefs, la société produit aux débats les attestations concordantes, précises et circonstanciées de Mmes [N] et [D], témoins directs, qui confirment les termes de la lettre de licenciement d'une part sur les propos irrespectueux et déplacés de M. [F] à l'égard de M. [K], président de la société, et son attitude très agressive et menaçante vis à vis de lui, et d'autre part sur le fait qu'il a repoussé le président pour s'emparer de documents présents dans le bureau, refusant ensuite toute restitution.

M. [F] ne conteste pas avoir pris les documents et ne produit pas le moindre élément contraire aux attestations dont il ressort qu'il a alors adopté un comportement anormalement agressif pour s'en emparer, Mme [N] précisant «M. [F] a pris très violemment les documents (...) qui étaient sur le bureau de M. [K]» et Mme [D] ajoutant qu'il a «eu une réaction violente de recul lorsque M. [S] a voulu les lui reprendre en lui indiquant que c'était des documents internes et qu'il n'avait pas le droit de les prendre.» Il ne conteste pas non plus avoir refusé de rendre l'un des documents lorsque le président de la société le lui a demandé, soutenant de façon inopérante à justifier son comportement, qu'il s'agissait d'un document le concernant et que l'employeur avait l'obligation de mettre à sa disposition.

Par ailleurs, M. [F] ne conteste pas avoir reconnu, lors de l'entretien préalable, avoir tenu les propos reprochés, ni avoir alors ajouté que l'employeur avait «eu de la chance que ça ne soit pas allé plus loin».

Le salarié, qui ne conteste pas non plus ses propos en la présente procédure et ne produit pas d'éléments contraires à ceux de l'employeur, tente vainement de se dédouaner en affirmant avoir ainsi utilisé un simple langage familier d'un emploi habituel dans le milieu des transports. Or, il ne rapporte pas le moindre élément de preuve de la réalité de l'emploi habituel des propos dénoncés dans le milieu des transports, en particulier dans le cadre d'un échange avec la direction de l'entreprise, ni plus spécifiquement dans l'entreprise Transports logistique Leleu l'employant. De plus, même à l'admettre, il demeure que ses propos vont au-delà du simple emploi d'un langage familier au regard du ton menaçant appuyé, et de l'agressivité manifestée notamment par le doigt pointé en direction du président, lorsqu'il les a tenu.

Par ailleurs, le contexte de la demande d'explication ou de la remise d'une convocation à l'entretien préalable, ou encore à les supposer même établis l'état de fatigue et l'exaspération du salarié par rapport à ses revendications rejetées par l'employeur, ne sauraient justifier le comportement de M. [F], qui ne produit pas le moindre commencement de preuve d'une provocation quelconque de la part du président de la société ou d'une réciprocité du comportement. Même à admettre que la remise de la convocation avec mise à pied à titre conservatoire ait été en lien avec ses revendications concernant les durées de travail et de conduite, voire qu'il ait pu avoir le ressenti d'une mesure de rétorsion, qui n'est pas avérée, cela ne saurait en tout état de cause suffire à justifier ce comportement ou à en diminuer la gravité au regard de son caractère particulièrement excessif. Ce caractère excessif caractéristique d'un abus dans l'usage qu'il a fait de sa liberté d'expression, est clairement caractérisé par les attestations produites qui établissent encore que M. [K] n'est pas entré dans le conflit mais a, au contraire, demandé à plusieurs reprises à M. [F] de se calmer en vain, alors qu'il criait sur lui, Mme [D] soulignant d'ailleurs qu'elle a eu «peur que cela dégénère.» quand Mme [N] témoigne avoir «vu M. [F] dans une telle colère que j'ai eu peur qu'il s'en prenne physiquement à M. [K].»

Il résulte de ce qui précède que les faits reprochés sont établis. Cet écart de conduite de M. [F], par sa nature et les circonstances de sa commission, constitue un manquement suffisamment grave aux obligations découlant de la relation de travail pour que, en dépit de son caractère ponctuel et de l'ancienneté du salarié (cependant de moins de deux ans) sans antécédent disciplinaire, son maintien dans l'entreprise, y compris pendant la durée du préavis, s'avère impossible.

En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués, le licenciement pour faute grave est justifié et M. [F] sera débouté de ses demandes tendant à voir déclarer qu'il est sans cause réelle et sérieuse et à obtenir consécutivement diverses sommes. Le jugement déféré sera donc infirmé, sauf en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande indemnitaire au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.2 - Sur les dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire

M. [F] fait valoir qu'il a subi un préjudice moral du fait du licenciement vexatoire et abusif sans plus de précision. Or, il ne résulte pas des moyens débattus et des pièces versées aux débats des éléments établissant des circonstances particulières de mise en 'uvre de la procédure de licenciement de manière brutale ou vexatoire. La demande d'indemnité présentée à ce titre ne peut, par conséquent, être accueillie et le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il l'a rejetée.

2.3 - Sur la remise des documents de fin de contrat

Le licenciement pour faute grave étant fondé, rien ne justifie cette demande dont M. [F] sera donc débouté, par voie d'infirmation.

3. Sur les intérêts judiciaires

Les créances de nature salariale allouées portent intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce. Il sera à ce titre souligné que le repos compensateur est un substitut à une rémunération.

4. Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt commande de confirmer le jugement en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

La cour condamne la société, qui succombe partiellement en son appel, aux dépens de la procédure d'appel. Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de chacune des parties qui succombe partiellement la charge de ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande indemnitaire pour licenciement vexatoire et abusif, en ce qu'il a rejeté la demande d'astreinte, en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles ;

Confirme le jugement déféré de ces seuls chefs ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Dit le licenciement pour faute grave fondé ;

Déboute M. [F] de ses demandes portant sur la requalification du licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à titre subsidiaire pour cause réelle et sérieuse, et de ses demandes subséquentes ;

Condamne la société Transports logistique Leleu à payer à M. [F] 1 386,24 euros à titre d'indemnité de repos compensateur, outre 138,62 euros au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;

Déboute les parties de leurs demandes antagonistes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Transports logistique Leleu aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01509
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.01509 ?
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