La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/04/2024 | FRANCE | N°23/01079

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 04 avril 2024, 23/01079


ARRET







[R]





C/



S.A.S. CAMFIL



























































copie exécutoire

le 04 avril 2024

à

Me VRILLAC

Me KOUROUMA

CBO/IL/



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 04 AVRIL 2024



**************************

***********************************

N° RG 23/01079 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IWJ5



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 06 JANVIER 2023 (référence dossier N° RG 21/00191)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [F] [R] épouse [N]

née le 19 Octobre 1969 à [Localité 5] ESPAGNE

de nationalité Française

[Adresse 3]

[L...

ARRET

[R]

C/

S.A.S. CAMFIL

copie exécutoire

le 04 avril 2024

à

Me VRILLAC

Me KOUROUMA

CBO/IL/

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 04 AVRIL 2024

*************************************************************

N° RG 23/01079 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IWJ5

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 06 JANVIER 2023 (référence dossier N° RG 21/00191)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [F] [R] épouse [N]

née le 19 Octobre 1969 à [Localité 5] ESPAGNE

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

comparante en personne,

assistée, concluant et plaidant par de Me Barbara VRILLAC, avocat au barreau de SENLIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. CAMFIL

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Makani KOUROUMA, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 08 février 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame Corinne BOULOGNE en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 04 avril 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 04 avril 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [R], épouse [N], née le 19 octobre 1969, a été engagée à compter du 25 août 2008 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Camfil ci-après dénommée la société ou l'employeur, en qualité d'agent de recouvrement, service comptabilité.

La société Camfil emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des industries chimiques.

Mme [N] a été élue déléguée du personnel suppléante et membre du CHSCT de 2016 à 2019. Elle ne s'est pas présentée aux élections de 2019 et ses mandats ont pris fin.

La salariée a été placée en arrêt de travail du 7 avril 2017 au 1er mai 2017. Elle a de nouveau fait l'objet d'un arrêt de travail à compter du 29 juin 2018.

Le 11 juin 2019, elle a demandé la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie auprès de la Cpam.

Le 7 février 2020, la CPAM a refusé de reconnaitre le caractère professionnel de la maladie.

Le 9 juin 2020, la salariée a été jugée inapte à son poste par le médecin du travail en précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement.

Par courrier du 15 décembre 2020, Mme [N] a été convoquée à un entretien préalable à une mesure de licenciement pour inaptitude, fixé au 28 décembre 2020.

Le 4 janvier 2021, Mme [N] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de tout reclassement.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Beauvais le 10 août 2021.

Par jugement du 1er décembre 2021, le tribunal judiciaire de Beauvais a rendu un jugement ordonnant la saisine du CRRMP.

Par jugement du 6 janvier 2023, le conseil des prud'hommes de Beauvais a :

dit le licenciement pour cause réelle et sérieuse pour impossibilité de reclassement suite à une inaptitude d'origine non professionnelle justifié ;

débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes ;

condamné Mme [N] aux entiers dépens.

Mme [N], qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 octobre 2023, demande à la cour de :

infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau de,

requalifier la rupture de son contrat de travail survenue le 04/01/2021 en licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle ;

En conséquence,

condamner la société Camfil à lui verser les sommes suivantes :

- 28 404 euros soit 12 mois de salaire brut à titre d'indemnité pour nullité du licenciement ;

- 14 202 euros soit 6 mois de salaire brut à titre de dommages intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité ;

- 4 734 euros soit 2 mois de salaire brut à titre d'indemnité prévue par l'article L.1226-14 du code du travail ;

- 3 657 euros à titre de rappel de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L.1226-14 du code du travail ;

En tout état de cause,

dire que l'ensemble de ces condamnations portera intérêts au taux légal, à compter de la saisine du conseil de céans pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé de la décision pour les dommages-intérêts ;

ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

faire application de l'article R.1454-28 du code du travail concernant l'exécution provisoire de droit ;

ordonner l'exécution provisoire en vertu de l'article 515 du code de procédure civile pour les causes et sommes non expressément prévues par l'article R.1454-28 du code du travail du jugement ;

condamner la société Camfil à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance, et 2 500 euros pour les frais devant la présente cour d'appel ;

condamner la société Camfil aux frais irrépétibles et entiers dépens de la présente instance.

La société Camfil, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 août 2023, demande à la cour de :

confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [N] de l'intégralité de ses demandes ;

débouter Mme [N] de l'intégralité de ses demandes formées devant la cour d'appel d'Amiens ;

condamner Mme [N] à lui payer la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la condamner aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 janvier 2024 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 8 février 2024.

MOTIFS

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le harcèlement moral

Mme [N] expose avoir été victime du harcèlement moral de l'employeur, n'acceptant pas qu'elle puisse consacrer du temps à son activité liée au mandat électif au CHSCT dont elle était titulaire notamment en lui reprochant de ne pas avoir participé à une réunion de service, qu'elle était surchargée de travail et qu'il lui était reproché des retards et erreurs qui ne relevaient pas de ses tâches alors qu'elle était mise à l'écart dans le service, sa boîte mail personnelle ayant été ouverte par Mme [O] responsable du service recouvrement, que cette situation a altéré sa santé au point qu'elle a dû suivre un traitement médical et a provoqué un malaise lié au stress sur le lieu de travail l'amenant à engager une procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie, toujours en cours devant le pôle social de Beauvais.

Elle ajoute que la société a tenté vainement de lui imposer une rupture conventionnelle de son contrat de travail, qu'il n'est pas sérieux de lui reprocher de ne pas s'être rendue à une réunion alors qu'elle était en congés maladie pour un syndrome anxiodépressif précisément lié au travail, que l'inspection du travail a saisi le parquet afin d'ouvrir une instruction qui est en cours au tribunal de Nanterre, qu'il lui a même été notifié un avertissement alors qu'elle était en prolongation d'arrêt de travail, que le harcèlement s'inscrit dans des méthodes managériales inadaptées et une surcharge de travail alors qu'elle fait état de très nombreux faits soutenus par de nombreuses pièces.

La société dénie tout harcèlement moral soulignant que Mme [N] avait des relations difficiles avec ses collègues depuis au moins 2013, qu'elle ne produit pas de pièces sur les humiliations dont elle prétend avoir été victime de la part de Mme [O] et M. [S], que la surcharge de travail invoquée n'est pas établie, pas plus que les reproches injustifiés qui lui auraient été adressés sauf pour une erreur d'écriture le 24 novembre 2017 qu'elle n'avait pas contestée et qui est ancienne, que l'avertissement a été envoyé par l'apprentie assistante ressources humaines car toute absence non justifiée dans les 48 heures fait l'objet d'une telle procédure sans qu'elle soit visée particulièrement.

L'employeur conteste la prétendue entrave dont aurait été victime la salariée en exigeant qu'elle abandonne ses mandats électifs, que le reproche de M. [S] sur les absences liées à l'exercice du mandat n'implique pas qu'il l'ait empêchée effectivement d'exercer son mandat, que Mme [N] a été reçue par Mme [O] qui a reconnu des propos regrettables qui ne se sont jamais reproduits, que les arrêts de travail n'ont pas été délivrés dans le cadre d'une maladie professionnelle.

Sur ce

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique, dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

Selon l'article L.1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [N] s'estime victime de harcèlement moral de la part de Mme [O] et de M. [S], respectivement responsable du service comptable et financier et directeur financier.

Elle se prévaut :

d'une surcharge de travail

de l'opposition de son directeur d'assister aux réunions CHSCT et de la contraindre de faire un choix entre le mandat et son poste

la volonté de l'employeur de lui imposer une rupture conventionnelle de son contrat de travail

un avertissement injustifié

le tout ayant gravement nuit à sa santé.

Il est constant que suite au départ de Mme [B] en novembre 2016, Mme [N] a cumulé les tâches qui relevaient de son poste, à savoir celui d'agent de recouvrement et celles antérieurement dévolues à Mme [B] qui était agent de comptabilité client.

Elle s'en était d'ailleurs plainte auprès de la direction générale et le 13 juin 2017 une réunion s'est tenue entre la salariée, la directrice des ressources humaines en présence du délégué syndical (à la demande de la salariée) à l'issue de laquelle un compte rendu a été rédigé avec trois axes de modifications par l'offre d'une formation et d'outils nécessaires pour assumer son nouveau poste, une redéfinition dudit poste et la nécessaire information au supérieur hiérarchique des dates de réunions liées à l'exercice du mandat électif pour fluidifier le travail. Il y est annexé la liste des tâches quotidiennes avec affectation d'un pourcentage de temps pour chacune d'elles.

Il est établi par la production d'échanges de courriels en mars 2017 entre la salariée et M. [S] directeur financier, que ce dernier ne voyait pas comment Mme [N] allait pouvoir assumer le recouvrement et participer au CHSCT ( mail du 22 mars) pour continuer en précisant qu'il y a un vrai problème à régler et qu'il n'est pas d'accord avec autant d'absences ( le 30 mars) pour conclure le même jour que Mme [O] occupant un nouveau poste et ne pouvant la remplacer, elle doit faire un choix et qu'il souhaite qu'elle abandonne ses mandats électifs car il y a nécessité, que les clients paient car ce sont eux qui financent tout.

Mme [O], à la même période, lui demande de minimiser les réunions CHSCT au regard de la restriction de personnel dans le service comptable car elle ne peut pas honorer les demandes et le suivi de comptes clients.

Lors de la réunion qui s'est tenue le 18 mai 2017 les élus de la DUP ont tenus à rappeler que les pressions du chef de service et de la direction sur les membres élus et mandatés par le personnel sont illégales et qu'il est nécessaire de le rappeler à l'ensemble des managers.

Il est également prouvé qu'en octobre 2018 l'inspection du travail de l'Oise a saisi le parquet de Beauvais pour suspicions de discrimination syndicale et harcèlement moral.

Enfin la salariée a versé de nombreuses pièces médicales attestant d'un état de syndrome d'épuisement professionnel justifiant d'arrêts de travail.

En outre Mme [N] a sollicité auprès de la Cpam de l'Oise la prise en charge du syndrome d'épuisement professionnel au titre de la maladie professionnelle, qu'un second avis a été ordonné par jugement du 1er décembre 2021 auprès du CRRMP d'Ile de France, procédure toujours en cours.

Il n'est pas produit de pièce sur les pressions exercées par l'employeur pour imposer à la salariée une rupture conventionnelle du contrat de travail.

Enfin elle a reçu un avertissement le 27 mars 2019 pour n'avoir pas fait parvenir dans les 48 heures car le certificat médical d'arrêt de travail étant daté du 19 mars il n'a été envoyé que le 22 mars 2019.

Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il appartient, dès lors, à l'employeur de combattre cette présomption en prouvant qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur justifie par la production de la procédure suivie pour les arrêts maladie des salariés, qui prévoit l'envoi des certificats médicaux dans les deux jours de leur rédaction, le cachet de la poste faisant foi et à défaut envoi d'un avertissement. Si la salariée soutient que son arrêt de travail précédent courrait jusqu'au 30 mars et que le délai de 48 heures n'avait pas vocation à s'appliquer elle ne produit pas cet arrêt permettant à la cour d'en vérifier la pertinence.

Ainsi l'avertissement infligé à la salariée le 27 mars 2019 pour envoi au-delà du délai est justifié.

La société produit aux débats les échanges de courriels des 23 et 28 novembre 2017 entre Mme [O] et la directrice des ressources humaines, la première se plaignant des manquements de Mme [N] qui lui occasionne un stress important et la réponse proposant une réunion avec le médecin du travail, le directeur financier et Mme [N].

Toutefois cette réunion ne s'est pas tenue, le médecin du travail ne voyant pas en quoi il pouvait aider dans une telle situation et Mme [N], alors en arrêt de travail s'y étant refusée. Par ailleurs l'employeur ne fait pas état de mauvaises appréciations professionnelles, qui en tout état de cause sont sans rapport avec le harcèlement moral invoqué.

La société verse à la procédure le courrier qu'elle a adressé à la Dirrecte et à Mme [N] daté du 26 mars 2018 au terme duquel elle affirme que suite à la réunion de juin 2017 elle avait indiqué qu'il était hors propos de lui imposer une démission de ses mandats avec un allégement de ses tâches grâce à l'intervention de la société Agir pour l'aider, qu'elle a proposé de lui faire prendre des congés ce qu'elle a refusée de faire et une rupture conventionnelle du contrat de travail si elle le souhaitait, que si elle constate qu'elle ne va pas bien elle en ignore la cause.

La cour relève que si l'employeur soutient qu'une nouvelle répartition des tâches était définie, celle-ci n'est pas clairement établie hormis le compte rendu de réunion du 13 juin 2017 qui conclut que Mme [O] doit revoir la fiche de poste de Mme [N] et lui donner les formations nécessaires en adéquation avec son nouveau poste et définir son remplacement au besoin. Il en conclut que la réorganisation du service est la suivante :

- 63 % du temps consacré au recouvrement

- 65 % consacré à la comptabilité

- 22 % consacré aux tâches non classables dans ces deux catégories.

Si l'employeur justifie d'un échange de courriel en juin 2017 entre la société Agir et Mme [N] relativement au recouvrement, demandant à ce qu'il lui soit communiqué les relances de balance âgée, ce document indique qu'en 2015 il a été transmis 36 dossiers et 40 en 2016 ce qui n'apparaît pas significatif sur la masse de factures à recouvrir sur l'année pour une entreprise de la taille de la société Camfil.

En outre contrairement à ce qui avait été prévu suite à la réunion du 13 juin 2017 il n'est justifié ni de formation ni d'outil pour assumer son nouveau poste par la salariée et une redéfinition dudit poste ; pas plus une nouvelle fiche de poste alors que des mails de reproches adressés à la salariée sur des tâches non effectuées sont vivement contestés par Mme [N] qui répond par courriel que ces tâches ne relèvent pas de son poste.

Si l'employeur verse le compte-rendu du 17 mai 2017 de la réunion du CR DUP au terme duquel il conteste toute pression sur les élus et les managers parfaitement au courant que de telles pratiques seraient contraire au dialogue social, il n'en demeure pas moins que les échanges de courriels entre Mme [N] et M. [S], son supérieur hiérarchique sont parfaitement clairs en ce qu'il lui enjoint de choisir entre les mandats et le recouvrement.

Ainsi les propositions de l'employeur sur la nécessité de trouver une meilleure organisation pour prendre les heures de délégation pour la préparation des réunions se heurtent aux prises de position de ses cadres qui engagent la société.

La cour relève d'ailleurs que la salariée avait parfaitement respecté ce souhait puisque dès le 6 janvier 2017 elle adressait à M. [S] les dates de visites des ateliers pour l'année entière et il est aussi justifié de l'envoi par la salariée de convocation à des réunions avec un délai de prévenance de 15 jours avec envoi des dates de réunions le 29 mars pour les 5, 12 et 28 avril, même si la première date retenue était le 31 mars donc effectivement trop tardive.

Il résulte de ces éléments que hormis pour l'avertissement l'employeur ne contredit pas utilement les éléments de la salariée et ne justifie que les agissements que celle-ci dénonce étaient justifiés objectivement et non constitutifs de harcèlement moral.

Le licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail est nul.

Pour ces motifs, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [N] de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral et de sa demande de nullité du licenciement. La cour jugera que Mme [N] a été victime de harcèlement moral et que le licenciement prononcé pour inaptitude est nul par application de l'article L 1152-1 du code du travail.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur les demandes indemnitaires

Mme [N] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une indemnité spéciale de licenciement exposant que le licenciement est intervenu alors qu'elle avait été victime de harcèlement moral, qu'il importe peu que la Cpam n'ait pas encore reconnu que son inaptitude était d'origine professionnelle et que sa demande ait été régularisée en 2019, que l'inaptitude est la résultante de l'état dépressif consécutif au harcèlement moral ce dont l'employeur était informé.

Elle demande en outre le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis qui est fixée par la convention collective à 2 mois de salaire outre des dommages et intérêts pour licenciement nul du fait du harcèlement moral à hauteur de 12 mois de salaire.

Enfin elle sollicite la condamnation de la société à lui verser des dommages et intérêts pour son manquement à l'obligation de résultat de sécurité, que cette indemnisation se cumule avec celle au titre de la nullité du licenciement.

La société fait valoir que la salariée doit prouver que l'inaptitude est la conséquence de ses conditions de travail ce qu'elle ne fait pas, les médecins ne faisant état que de propos rapportés par elle, le médecin du travail ayant mentionné le 21 novembre 2017 qu'il n'y avait aucune contre-indication au poste de travail, que les premiers arrêts de travail ne visaient qu'une maladie ordinaire.

Elle argue que le barème d'indemnisation doit s'appliquer et ne prévoit pas plus que 6 mois de salaire.

L'employeur précise qu'il n'avait pas à doubler l'indemnité de licenciement car il ignorait que l'inaptitude était d'origine professionnelle, la Cpam ayant refusé de reconnaître le caractère professionnel de la maladie déclarée.

Enfin il s'oppose au paiement de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité faute de preuve d'une surcharge de travail.

Sur ce

Sur l'indemnité au titre du manquement à l'obligation de sécurité

L'article L.4121-1 du code du travail dispose :

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient qu'il est constant que Mme [N] a fait l'objet d'arrêts de maladie du 7 avril 2017 au 1er mai 2017. Elle a de nouveau fait l'objet d'un arrêt de travail à compter du 29 juin 2018 de façon ininterrompue jusqu'à l'avis d'inaptitude, que le médecin psychiatre qui la suit a indiqué qu'elle souffrait d'un syndrome d'épuisement professionnel et qu'elle s'était plainte d'une surcharge de travail suite au départ de Mme [B] qui n'avait pas été remplacée, du comportement de M. [S] qui lui demandait de choisir entre ses mandats électifs et son poste de travail au recouvrement

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que la société Camfil a manqué à son obligation de sécurité en laissant Mme [N] s'épuiser au travail sans se préoccuper de façon effective de la surcharge de travail qu'elle devait supporter en raison de ses fonctions ni prendre de mesure au sens de l'article L. 4121-1 du code du travail alors même que les signes d'alerte étaient nombreux.

La cour constate que l'inaction de l'employeur a entrainé une aggravation de l'état de santé de la salariée qui a fini par dégénérer en inaptitude professionnelle. Il est constant que la salariée a été suivie par un psychiatre et a suivi un traitement médicamenteux pendant plusieurs mois qui aurait pu être évité si les mesures prévues lors de la réunion du 17 juin 2017 avaient été effectivement mises en place.

Ce préjudice distinct de celui directement issu de la rupture du contrat de travail justifie la condamnation, par infirmation du jugement, de la condamnation de l'employeur à payer à Mme [N] la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur l'indemnité spéciale de licenciement

En application de l'article L.1226-10 du code du travail, les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. Ces deux conditions sont cumulatives.

Le salarié bénéficie alors d'un régime d'indemnisation spécifique sans aucune condition d'ancienneté.

L'article L 1226-14 du code du travail dispose que « Lorsque le licenciement pour inaptitude est justifié par l'impossibilité de reclassement ou le refus par le salarié de l'emploi proposé, le montant de l'indemnité de licenciement est, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égale au double de l'indemnité légale de licenciement prévue par l'article L. 1234-9 du code du travail.

Deux conditions sont requises pour bénéficier d'une indemnité spéciale de licenciement à savoir que l'inaptitude ait un lien même partiel avec la maladie et d'autre part que l'employeur ait connu au moment du licenciement l'existence de ce lien.

Le médecin du travail a déclaré Mme [N] inapte avec la mention « l'état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » avec une mention sur le reclassement « inapte au poste et à tout poste dans l'entreprise. »

La cour rappelle qu'il n'est pas requis l'existence d'une prise en charge par la Cpam pour l'application des dispositions de l'article L 1226-14 du code du travail.

La cour a jugé précédemment que la salariée avait été victime de harcèlement moral, les certificats médicaux ont visés un état dépressif avec manifestations d'anxiété et syndrome d'épuisement professionnel. Mme [N] a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises, elle s'est plainte à la fois de la surcharge de travail mais aussi de l'opposition de son supérieur hiérarchique de continuer à exercer ses mandats électifs, le dernier arrêt de travail étant à compter du 29 juin 2018 a été ininterrompu jusqu'à la déclaration d'inaptitude suivie du licenciement.

Ainsi le lien entre l'état de santé de Mme [N] issu du harcèlement moral mais aussi la connaissance de l'employeur de la surchage de travail a eu des conséquences en terme de syndrome dépressif ce qui fait que l'inaptitude était la résultante des conditions de travail est caractérisée.

La salariée est en droit de solliciter le paiement d'une indemnité spéciale de licenciement dont le montant non spécifiquement contesté par l'employeur sera fixé à la somme 16 568 euros, dont le reliquat non versé par la société est d'un montant de 3657 euros montant auquel elle sera condamnée par infirmation du jugement.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

La cour ayant jugé le licenciement nul et par application de l'article L 1226-14 du code du travail la salariée est en droit de revendiquer le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L 1234-5.

Il convient de faire application des dispositions conventionnelles de la convention collective applicable qui stipule un préavis de deux mois. La cour, par infirmation du jugement, condamnera la société à payer à Mme [N] la somme de 4734 euros, montant non spécifiquement contesté.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

En application de l'article L.1152-3 du code du travail, le licenciement intervenu dans le contexte de harcèlement moral est nul.

Le barème d'indemnisation ne s'applique pas en cas de licenciement nul par application de l'article L 1235-3-1 du code du travail et le montant de l'indemnisation du salarié qui ne demande pas sa réintégration ou lorsqu'elle pas possible, ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus, compte tenu des circonstances particulières de la rupture et des conséquences dommageables qu'elle a eu pour Mme [N], de son âge, que l'indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 21 303 euros correspondant à 9 mois de salaire.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [N] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamnera la société Camfil à payer à la salariée la somme de 21 303 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur les autres demandes

Les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, indemnité compensatrice de préavis, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt concernant les dommages et intérêts pour licenciement nul. 

En outre il y a lieu de faire droit à la demande de la salariée d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Le sens du présent arrêt commande d'infirmer le jugement en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

La cour condamne la société, qui succombe en cause d'appel, aux dépens de l'ensemble de la procédure. Il apparaît inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de Mme [N] les frais irrépétibles qu'elle a engagé pour la présente procédure. La société Camfil est condamnée à lui verser une somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a débouté Mme [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Dit que Mme [F] [R] épouse [N] a été victime de harcèlement moral ;

Dit que le licenciement de Mme [F] [R] épouse [N] est nul ;

Condamne la société Camfil à payer à Mme [F] [R] épouse [N] les sommes suivantes :

3657 euros à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement

4734 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

21 303 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent arrêt ;

Condamne la société Camfil aux dépens de l'ensemble de la procédure.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01079
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.01079 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award