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04/04/2024 | FRANCE | N°23/00289

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 04 avril 2024, 23/00289


ARRET







[N]





C/



S.A. LE CREDIT LYONNAIS



























































copie exécutoire

le 04 avril 2024

à

Me GUILLEMARD

Me DURAND-GASSELIN

CPW/IL/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 04 AVRIL 2024



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*********************************************************

N° RG 23/00289 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IUYR



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 21 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 19/00523)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [Y] [N]

[Adresse 3]

[Localité 4]



représenté, concluant et plaidant par Me Romain G...

ARRET

[N]

C/

S.A. LE CREDIT LYONNAIS

copie exécutoire

le 04 avril 2024

à

Me GUILLEMARD

Me DURAND-GASSELIN

CPW/IL/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 04 AVRIL 2024

*************************************************************

N° RG 23/00289 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IUYR

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 21 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 19/00523)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [Y] [N]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté, concluant et plaidant par Me Romain GUILLEMARD de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A. LE CREDIT LYONNAIS

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée, concluant et plaidant par Me Nicolas DURAND GASSELIN de la SCP TNDA, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Ivan HECHT, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 15 février 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 04 avril 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 04 avril 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Crédit lyonnais (LCL, la société ou l'employeur), qui compte plus de 10 salariés, a pour activité principale les activités de banque et de finance à destination des particuliers et professionnels.

Disposant de multiples établissements sur toute la France, dont plusieurs établissements dans l'amiénois, elle a embauché M. [N] à compter du 3 janvier 2006 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de conseiller clientèle particuliers en formation, statut technicien niveau D de la convention collective de la banque. A compter du 12 janvier 2010, il a exercé la fonction de conseiller clientèle professionnels. Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait ces mêmes fonctions au statut de technicien, niveau G, de la convention collective.

Le 7 mars 2018, M. [N] a demandé un congé parental à temps partiel de 80 %, qui lui a été accordé à compter du mois de mai suivant.

Le 23 juillet 2018, il a sollicité une rupture conventionnelle en exposant divers griefs à l'encontre de l'employeur, refusée par la société dans un courrier du 1er octobre 2018 contestant l'ensemble de ces griefs.

Le 27 octobre 2018, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Demandant la requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 25 octobre 2019, qui, par jugement du 21 décembre 2022, a :

déclaré M. [N] recevable en son action ;

débouté M. [N] de sa demande tendant à bénéficier du statut cadre ;

dit et jugé M. [N] mal fondé en sa demande de requalification de prise d'acte de rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

dit que la rupture du contrat de travail de M. [N] s'analysait en une démission ;

débouté M. [N] de l'intégralité de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail ;

débouté M. [N] de l'ensemble de ses autres demandes (dommages et intérêts pour absence d'égalité de traitement, dommages et intérêts au titre du préjudice distinct, rappel sur rémunération suite à arrêt maladie et remboursement de frais) ;

débouté la société Crédit lyonnais de sa demande reconventionnelle en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis ;

débouté les parties de leurs demandes respectives au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [N], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 janvier 2024, demande à la cour de dire son appel recevable et bien fondé, de dire l'appel incident de la société LCL mal fondé, en conséquence, de confirmer les dispositions le jugeant recevable en son action et déboutant la société LCL de ses demandes reconventionnelles mais d'infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions, et statuant à nouveau, de :

débouter la société de sa demande d'irrecevabilité de l'action en requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif de la prétendue prescription de son action en ce sens ;

juger qu'il aurait dû bénéficier du statut cadre à compter du début d'année 2013, ceci avec toutes les conséquences financières afférentes notamment en termes de rappel de salaire ;

requalifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- à titre principal, et pour un statut cadre, la somme de 9 100,02 euros brut à titre d'indemnité de préavis, outre la somme de 910 euros brut au titre des congés payés afférents, et subsidiairement, pour un statut de technicien, la somme de 6 066,68 euros brut à titre d'indemnité de préavis, outre la somme de 606,67 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- 21 233,38 euros net à titre d'indemnité de licenciement ;

- 34 883,41 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 16 000 euros net à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'absence d'égalité de traitement dans le déroulement de sa carrière ;

- 15 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct, et notamment pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

- 702,05 euros net à titre de rappel sur rémunération, correspondant au défaut de transmission de son attestation de salaire au titre de son arrêt maladie du 14 avril au 25 avril 2018 ;

- 1 252,71 euros net à titre de remboursement de frais ;

débouter la société de ses demandes reconventionnelles ;

condamner la société Le crédit lyonnais à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Crédit lyonnais, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 23 janvier 2024, demande à la cour de :

à titre principal, réformer le jugement en ce qu'il a déclaré M. [N] recevable en son action, et statuant à nouveau, déclarer M. [N] irrecevable en son action ;

à titre subsidiaire, confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande relative à la condamnation de M. [N] au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, le reformer de ce chef, et statuant à nouveau de condamner M. [N] à lui payer la somme 5 076,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

en toute hypothèse, débouter M. [N] de toutes ses demandes, fins et prétentions et le condamner au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur l'exécution du contrat de travail

La société Crédit lyonnais fait valoir que l'action en paiement de rappel de salaires se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle la créance est devenue exigible, et que la prescription biennale devant être retenue en application de l'article L.1471-1 du code du travail vise toutes les demandes de dommages et intérêts en raison d'une inexécution d'une obligation pesant sur l'employeur ou des règles relatives à la durée du travail, et que dès lors, toutes les demandes de M. [N] relatives à l'exécution du contrat de travail ne pourront qu'être déclarées irrecevables et à tout le moins pour la période antérieure au 29 octobre 2017. Elle estime que le salarié ne saurait contourner ces dispositions.

M. [N] répond qu'il est en droit de solliciter la condamnation à lui verser les rappels de salaires correspondant aux créances échues moins de trois années avant la rupture de son contrat de travail. Il souligne que les faits de harcèlement moral dénoncés, sont quant à eux soumis à la prescription de 5 ans à compter du dernier fait de harcèlement. Il estime qu'ainsi aucune de ses demandes n'est prescrite.

Or, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée et dès lors, au regard des demandes très diverses formées par le salarié au titre de l'exécution du contrat de travail, la prescription soulevée sera examinée par la cour à l'occasion de l'examen de chacune de ces demandes.

1.1 - Quant à l'inégalité de traitement

M. [N] fait valoir qu'il a été victime d'une inégalité de traitement puisqu'il existait une différence de statut et de salaires entre lui et les autres salariés effectuant un travail similaire, sans que cette différence ne soit justifiée par des éléments objectifs. Il soutient qu'il aurait dû être classifié en catégorie H lui donnant le statut de cadre à compter du début de l'année 2013, avec toutes les conséquences afférentes notamment en terme de rappel de salaire, statut conventionnel qu'a pourtant refusé de lui attribuer la société malgré ses multiples demandes concernant l'absence d'évolution de sa rémunération entre 2013 et 2018 autrement que par le jeu des minimas conventionnels, là où ses collègues situés dans des situations similaires ont bénéficié d'augmentations. Il souligne l'absence de prescription de sa demande et le fait que l'employeur ne justifie d'aucun élément objectif lui permettant d'expliquer la lenteur dans l'évolution de carrière et le décalage de rémunération avec ses collègues alors qu'en 12 années d'ancienneté, il n'a pas bénéficié comme ses collègues de l'évolution salariale à laquelle il devait prétendre, ce qui crée un manque à gagner. Il estime, en se basant sur une évolution salariale d'au moins 10% par an, outre les répercussions en termes de droit à la retraite, indemnité en cas d'arrêt de travail, etc., qu'il est donc fondé à réclamer 16 000 euros net sous forme de dommages et intérêts pour préjudice d'évolution de carrière, correspondant à une perte de 3 200 euros par an sur la période de 2013 à 2018.

La société Crédit lyonnais, qui soulève la prescription de la demande à laquelle elle s'oppose en tout état de cause, réplique que M. [N], qui a régulièrement changé d'échelon au cours de sa carrière, occupait en dernier lieu le poste de conseiller clientèle professionnels, statut technicien de la banque, et était classé au niveau G de la convention collective, ayant ainsi atteint le niveau le plus élevé dans la classification de technicien des métiers de la banque. Elle soutient qu'au sein de la société, le niveau cible de la classification pour le poste occupé se situe entre les niveaux G et I, ce qui est reconnu par les organisations syndicales, et conteste que M. [N] ait été victime d'une inégalité de traitement.

L'employeur soutient qu'il ne saurait demander un alignement de sa rémunération sur celle de MM. [L] et [O], cadres de niveau H, étant souligné qu'en 2018, sa rémunération annuelle de 33 000,10 euros était supérieure à celle de M. [L], alors que la demande ne tend, sous couvert de dommages et intérêts, qu'à obtenir le paiement de salaires prescrits, le salarié ne pouvant au demeurant valablement revendiquer le statut de cadre à compter de 2013. Elle considère que le préjudice invoqué au titre de l'absence d'évolution de carrière n'est pas fondé, et souligne qu'il n'existe pas dans la loi ou la convention collective de droit à une carrière professionnelle reconnu pour le salarié ni de passage automatique au niveau de classification supérieur après une certaine ancienneté.

Sur ce,

1.1.1 - Sur le rappel de salaires au titre de la reclassification du fait de l'inégalité de traitement

- Sur la prescription

Le délai de cinq ans de l'article 2224 du Code civil ne s'applique pas lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement. Dans ce cas, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande.

La demande de rappel de salaire présentée par le salarié fondée sur une reclassification au motif d'une atteinte au principe d'égalité de traitement, comme d'ailleurs l'action en reclassification elle-même, relève de la prescription triennale de l'article L.3245-1 du code du travail. Le point de départ de cette prescription est la date d'exigibilité du salaire et donc la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise.

En cas de rupture du contrat de travail, la distinction opérée par cet article entre le délai pour agir (trois ans) et la période couverte par la demande (salaires des trois années avant la rupture) est cependant susceptible de permettre au salarié, qui agit dans la troisième année de la prescription, de réclamer un rappel de salaire au titre des trois dernières années de la relation de travail.

En l'espèce, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes le 25 octobre 2019 de sa demande de rappel de salaires qui n'est donc pas prescrite, et dès lors que le contrat est rompu, celle-ci peut porter sur les sommes réclamées au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail intervenue le 27 octobre 2018, et donc sur la période postérieure au 27 octobre 2015. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré cette action recevable, étant souligné que si l'inégalité justifiant le rappel est évoqué à compter de 2013, le rappel sollicité est quant à lui limité à l'année 2018. La demande de reclassification est en revanche prescrite pour la période antérieure au 27 octobre 2015.

- Au fond

En application du principe d'égalité de traitement, l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de statut et de rémunération entre tous les salariés pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique, et il lui appartient, le cas échéant, de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de statut ou de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, étant rappelé que c'est à celui qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de démontrer préalablement qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à ceux auxquels il se compare en établissant qu'il exerçait des fonctions identiques ou similaires à celles des salariés concernés.

Conformément aux dispositions de l'article L.3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités, et de charge physique et nerveuse.

En l'espèce, M. [N] fonde son argumentation essentiellement sur une comparaison avec la situation de M. [L], M. [O] et Mme [E].

L'appelant, qui revendique le statut de cadre donné par le niveau H à compter de 2013, a été embauché le 3 janvier 2006 en qualité de conseiller clientèle particuliers en formation, niveau D de la convention collective de la banque lui donnant le statut de technicien. A compter du 12 janvier 2010, il a exercé la fonction de conseiller clientèle professionnels, statut de technicien. Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait ces mêmes fonctions, au statut de technicien, mais au niveau G de la convention collective, qui est le plus élevé du statut de technicien puisque l'article 33.2 de la convention collective prévoit qu'il s'agit du dernier niveau du statut de technicien, qui précède immédiatement le niveau H donnant accès au statut de cadre.

La convention collective ne prévoit pas une progression à l'ancienneté permettant un accès automatique à un statut supérieur.

M. [L], classé au niveau H à compter d'octobre 2015, a quant à lui été embauché le 6 décembre 2005 au statut de technicien niveau C. Il a exercé les fonctions de conseiller clientèle professionnels à compter du 1er janvier 2018 en conservant le niveau H précédemment acquis.

Son cumul annuel en octobre 2018 était de 30 002,79 euros et est donc supérieur à celui de M. [N] à la même date qui est de 22 992,64 euros au regard des bulletins de paie produits. Toutefois, M. [N] était passé à temps partiel à compter de mai 2018, et son cumul annuel ramené à un temps plein pour la comparaison était donc de 26 167,85 euros en octobre 2018. Ainsi, la différence de salaire même si elle est diminuée, persiste néanmoins à cette date.

M. [N] affirme, en outre, avoir bénéficié d'une augmentation de 43,4% depuis l'embauche, en 13 années d'ancienneté, là où son collègue a obtenu une augmentation de 62% entre 2005 et 2017, avec une ancienneté un peu moins importante.

M. [O], classé au niveau H (cadre) à compter du 1er mars 2018, a été embauché le 28 février 2012 comme M. [N] au statut technicien niveau D de la convention collective. Il a été nommé au poste de conseiller clientèle professionnels en mai 2015 et a accédé à ce poste au niveau H. Son cumul annuel en octobre 2018 était de 33 493,90 euros et est donc supérieur à celui de M. [N] à la même date qui est d'un équivalent temps plein de 26 167,85 euros. M. [N] affirme, en outre, avoir bénéficié d'une augmentation de 43,4% depuis l'embauche, en 13 années d'ancienneté, là où son collègue a obtenu une augmentation de 43,3% entre 2012 et 2018, avec une ancienneté moins importante.

Mme [E], classée au niveau H à compter de décembre 2006, a été embauchée au statut de technicien niveau G le 18 octobre 2005. A compter de novembre 2016, elle a occupé le poste de conseiller clientèle professionnels niveau H.

Son cumul annuel en octobre 2018 était de 25 581,99 euros. Il apparaît cependant que Mme [E] était à temps partiel toute l'année 2018 et que son cumul annuel ramené à un temps plein était donc de 31 977,48 euros en octobre 2018, supérieur à celui de M. [N], qui affirme, en outre, avoir bénéficié d'une augmentation de 43,4% depuis l'embauche, en 13 années d'ancienneté, là où sa collègue a obtenu une augmentation de 54,8%.

Il s'ajoute que le cumul annuel brut de M. [N] était certes en décembre 2017 de 37 389,70 euros, mais celui de M. [L] était alors de 41 725,16 euros, celui de M. [O] de 43 380,07 euros, et celui de 34 339,32 euros ramené à 42 924,15 euros pour un temps plein, au regard des bulletins de paie produits.

Cette comparaison laisse présumer un manquement au principe «à travail égal, salaire égal».

La société Crédit lyonnais fait valoir que contrairement à M. [O] et M. [L], M. [N] a régulièrement rencontré des difficultés dans la tenue de son poste, ce qui ressort effectivement de ses évaluations annuelles entre 2010 et 2017.

Si à trois reprises entre 2010 et 2017 les performances de M. [N] ont été évaluées comme répondant aux attentes (en 2011 et 2016 son évaluation était conforme aux attentes et même en 2012 supérieure aux attentes), en revanche sa performance était inférieure aux attentes toutes les autres années, tant en 2010, M. [G] soulignant alors son manque de rigueur dans ses retours auprès de la hiérarchie et dans l'application des méthodes préconisées, qu'en 2013, M. [J] (qui l'avait évalué en 2011) soulignant notamment une implication commerciale insuffisante, ou encore en 2014, M. [J] pointant ses «difficultés à relancer l'activité commerciale (...) depuis 2013», l'insuffisance de «l'effort de conquête par la prospection», et le fait qu'il n'avait alors «pas encore acquis la maturité sur son appréhension du risque», et également en 2015, M. [Z] précisant que ses résultats «ne sont guère satisfaisants et les résultats de l'année 2015 ne doivent pas être renouvelés en 2016», et en 2017, Mme [I] (qui l'avait évalué en 2016) soulignant alors notamment une mauvaise «gestion des priorités et organisation», et le fait que ses résultats sont «en deçà de la performance DGA».

Rien au dossier ne conduit la cour à douter de la sincérité de ces évaluations ainsi réalisées sur plusieurs années par différents managers, et dont il ressort que, même lorsqu'il est mentionné une satisfaction du travail accompli, c'est à chaque fois avec quelques réserves. Aucune de ces évaluations annuelles n'a été réalisée par M. [V] sur cette période, celui-ci n'étant intervenu en 2018 que dans le cadre d'une évaluation trimestrielle, en ayant de façon évidente fait une erreur de copier/coller. M. [N] ne produit d'ailleurs pas d'éléments permettant de retenir qu'il a, au contraire, toujours présenté toute satisfaction comme il le prétend, et ne peut sérieusement soutenir que ses mauvaises évaluations étaient le résultat de l'arrivée de M. [V] nommé en 2013 comme directeur du groupe d'agences de la Somme.

S'agissant de la comparaison avec M. [L], il sera relevé qu'il a été embauché en qualité de chargé d'accueil, à un autre poste que celui de M. [N], et qu'il a exercé plusieurs fonctions que l'appelant n'a pas occupées, avant d'accéder au niveau H dans le cadre de ces autres fonctions (en 2009 il a été nommé au poste de conseiller clientèle particulier, avant d'obtenir en 2013 le poste de conseiller privé), et ce plusieurs années avant d'être nommé conseiller clientèle professionnels le 1er janvier 2018 en conservant alors le niveau H acquis précédemment. Il s'ajoute que contrairement à M. [N], ses évaluations ont toujours été conformes aux attentes (2013 et 2014) avant d'accéder au statut de cadre, et même supérieures aux attentes en 2015 lorsqu'il a accédé au niveau H, étant souligné qu'il a maintenu une évaluation supérieure aux attentes en 2016. La différence de traitement entre les deux salariés est donc justifiée par des éléments objectifs.

S'agissant de la comparaison avec M. [O], il sera observé que s'il a, certes, été embauché à un poste de conseiller clientèle au même niveau D que M. [N], il demeure que son embauche est antérieure de 3 ans à celle de l'appelant, alors encore que, contrairement à M. [N], ses évaluations entre 2015 et 2018 étaient toutes au minimum «conformes aux attentes» et même majoritairement «supérieures aux attentes» («conforme aux attentes» en 2015, «supérieure aux attentes en 2016 et 2018, et «exceptionnelle» en 2017) et qu'il a, en outre, suivi de 2015 à 2017 une formation diplômante ITB, avant d'être classé au niveau H. M. [N] ne justifie pas avoir suivi cette formation ou une autre formation diplômante ni ne démontre pas être titulaire de ce diplôme. L'inégalité est objectivement justifiée.

S'agissant de la comparaison avec Mme [E], il apparaît qu'elle a été embauchée en qualité de conseiller financier professionnels au statut de technicien niveau G le 18 octobre 2005, donc à un autre poste et à un niveau déjà nettement supérieur à celui auquel M. [N] a été embauché. Il ressort également de ses bulletins de paie qu'elle a été nommée au poste de conseiller privé en 2009, puis a occupé le poste de directeur d'agence (7 UTP et plus) d'avril 2015 à novembre 2016, et qu'à compter de novembre 2016, elle a occupé le poste de conseiller clientèle professionnels en conservant le statut de cadre précédemment acquis à l'occasion d'autres fonctions que M. [N] n'a pas exercées. L'inégalité est objectivement justifiée.

Il s'évince de ces éléments qu'il existe des raisons objectives et pertinentes à la différence de rémunération entre les salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

La demande de M. [N] de bénéficier du statut cadre, comme ses autres collègues, dans la période non couverte par la prescription, ne peut donc qu'être rejetée. Le jugement sera de ce chef confirmé, et en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande de rappel de salaire subséquente.

1.1.2 - Sur le préjudice de carrière fondé sur une inégalité de traitement

- Sur la prescription

En application de l'article L.1471-1 du code du travail, la demande en réparation d'un préjudice matériel ou moral est soumise à la prescription de deux ans.

En l'espèce, l'inégalité de traitement est alléguée jusqu'à la rupture le 27 octobre 2018. M. [N] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 25 octobre 2019 de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant d'une absence d'évolution de carrière fondée sur une atteinte au principe d'égalité de traitement, celle-ci n'est pas prescrite.

- Sur le préjudice de carrière

Le manquement au principe «à travail égal, salaire égal» n'est pas établi. La demande d'indemnisation d'un préjudice de carrière en résultant ne peut donc qu'être rejetée. La décision déférée sera confirmée.

1.2 - Quant à la demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct du fait notamment du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité

M. [N] évoque à ce titre un harcèlement moral subi pendant plusieurs années et l'absence de réaction adéquate de l'employeur lors de sa dénonciation.

1.2.1 - Sur la prescription

L'action fondée sur l'article L.1152-1 du code du travail est soumise au délai de droit commun de cinq ans de l'article 2224 du Code civil.

Toutefois, en application de l'article L.1471-1, alinéa 1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, la prescription des actions en exécution du contrat de travail (actions en exécution déloyale du contrat de travail, actions en contestation d'une sanction disciplinaire autre que le licenciement, actions relatives à la modification du contrat de travail, actions en réparation d'un préjudice matériel ou moral lié à un manquement de l'employeur à ses obligations etc.) est de deux ans à compter du jour où celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

En l'espèce, l'action indemnitaire fondée sur le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur est donc soumise à la prescription biennale, et le point de départ du délai de cette action est le jour où M. [N] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qui nécessite de rechercher si le dernier acte de harcèlement moral et la dernière dénonciation allégués caractérisant la faute de l'employeur sont ou non prescrits.

M. [N], qui soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ce qu'il a été victime d'agissements de harcèlement moral et qu'aucune action n'a été menée par l'employeur à la suite de sa dénonciation, soutient avoir subi des faits de harcèlement moral à compter de 2013 et jusqu'à la rupture du contrat de travail intervenue le 27 octobre 2018, qu'il a signalé en vain à l'employeur en juillet 2018 et postérieurement à cette date. Il a saisi le conseil de prud'hommes de sa demande indemnitaire dans le délai de deux ans ayant suivi. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré que son action n'est pas prescrite.

1.2.2 - Au fond

M. [N] fait valoir qu'il a subi un préjudice distinct de la rupture de son contrat de travail dès lors que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité du fait d'un harcèlement moral qu'il a subi et de son absence de réaction à ses dénonciations, alors qu'il n'a notamment pas diligenté une enquête ni mis en oeuvre des mesures pour faire cesser la dégradation des conditions de travail pourtant signalée du fait des agissements répétés subis.

L'employeur conteste tout harcèlement moral et tout manquement de sa part, soulignant que M. [N] n'a jamais expressément dénoncé un harcèlement moral mais s'est uniquement plaint de ses conditions de travail à l'occasion de sa demande d'une rupture conventionnelle, et que la responsable des ressources humaines a fait les vérifications nécessaires qui ont conduit à réfuter toutes les allégations du salarié.

Sur ce,

L'employeur, en application de l'article L.4121-1 du code du travail, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article 1152-4 du code du travail précise que l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

L'absence de harcèlement moral n'est pas de nature à exclure, en présence d'une souffrance morale en lien avec le travail, tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Ainsi, la circonstance que tout harcèlement moral soit écarté ne s'oppose pas à ce qu'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité soit caractérisé.

Selon l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que le salarié, qui a la charge d'alléguer des faits de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement, n'est pas débiteur de la preuve du harcèlement, mais doit établir la matérialité de chacun des faits invoqués. Il appartient ensuite au juge de qualifier juridiquement ces éléments pris dans leur ensemble, en faits de nature à faire présumer ou non un harcèlement moral en prenant en compte tous les éléments, la répétition des faits. Si les faits invoqués par le salarié pour laisser présumer d'un harcèlement doivent être examinés dans leur ensemble, les éléments justificatifs fournis par l'employeur doivent au contraire être examinés un par un.

L'existence d'un harcèlement moral n'est pas subordonnée à la preuve préalable de l'existence d'un préjudice. L'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral. Et le préjudice résultant du harcèlement moral est distinct du préjudice né de la nullité du licenciement en lien avec des faits de harcèlement moral.

Il résulte enfin des articles L.1152-1, L.4121-1 et L.4121-2 du même code que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l'espèce, M. [N] considère que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité dès lors qu'il a été victime d'un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique M. [V] embauché en 2013, caractérisé par de multiples faits ayant conduit à la dégradation de ses conditions de travail de 2013 à la rupture.

Il présente à ce titre les faits suivants :

1 - la coupure de sa ligne téléphonique professionnelle à compter du début du mois d'octobre 2018, sans préavis ni explications ;

2 - le fait qu'il ne pouvait pas pendant cette même période être contacté par mail ;

3 - le fait d'avoir été placé dans un bureau sans fenêtre ni climatisation ;

4 - l'intrusion de M. [V] dans son bureau en son absence au mois de septembre 2018 ;

5 - son exclusion du repas d'intégration du Pôle professionnel organisé le 5 juin 2018, censé regrouper tous les conseillers du pôle, du fait de l'information tardive communiquée par son directeur d'agence M. [Z] quelques minutes avant le repas, alors même qu'il avait déjà fixé plusieurs rendez-vous avec des clients ne pouvant être décommandés, ce dont l'agence avait connaissance ;

6 - le fait d'avoir été l'objet de critiques répétées injustifiées de la part de M. [V] ;

7 - M. [V] faisait régulièrement obstacle aux dossiers qu'il traitait, et ainsi des dossiers clients avec financements ont fait l'objet d'un refus par le directeur d'agences lorsqu'il les lui a présentés mais ont été acceptés peu de temps après lorsque les clients concernés sont passés par un autre conseiller ;

8 - un accroissement continu de sa charge de travail, avec des objectifs pour 2017 et 2018 plus ambitieux que l'ensemble des conseillers clientèle professionnels ;

9 - une augmentation de sa charge de travail à l'occasion de son passage à temps partiel en mai 2018 au titre de la législation sur le congé parental.

L'employeur conteste la matérialité des faits allégués.

Les faits 2, 6, 8 ne sont pas matériellement établis :

2 - Le salarié justifie d'un fax du 11 octobre 2018 dont il ressort qu'une dame [P] sans mention d'un prénom, d'une qualité ou même d'une société, s'est plaint du fait qu'elle ne réussissait pas à le contacter sur cette même période par mail. Ce seul document très peu circonstancié et aucunement contextualisé, ne permet pas, en l'absence d'autres éléments prouvant notamment la qualité de client de la personne mentionnée et les tentatives alléguées, de retenir que le mail de M. [N] avait également été coupé au début du mois d'octobre 2018. M. [N] ne justifie pas n'avoir concrètement pu être joint par ses clients début octobre 2018 qui auraient été déviés sur d'autres conseillers.

6 - Il soutient avoir fait l'objet de critiques répétées injustifiées de la part de M. [V] sans faire référence à aucun fait précis ou daté et produit des attestations tout aussi générales et insuffisamment circonstanciées, relatant des propos ou comportements de M. [V] qui ne le concernaient pas directement, reprenant des propos que M. [N] aurait tenus, sans qu'aucune ne présente de faits précis et datés concernant le salarié pouvant être retenus. Il s'ajoute qu'il résulte des évaluations produites qu'aucune n'a été réalisée par M. [V], et qu'elles ont été réalisées par différents managers entre 2014 et 2017, sans que rien ne permette de rattacher les mauvaises évaluations à une intervention du directeur d'agences, alors que l'évaluation trimestrielle réalisée en 2018 par le directeur est la reprise d'une évaluation précédente d'un autre salarié qui est le résultat évident d'une erreur de copier/coller.

8 - M. [N] affirme sans étayer ses déclarations que sa charge de travail n'a cessé d'évoluer depuis plusieurs années, et ne produit pas d'éléments propres à démontrer la réalité d'une charge anormale de travail, ni que l'employeur lui ait imposé des objectifs pour 2017 et 2018 plus ambitieux que l'ensemble des conseillers clientèle professionnels.

En revanche, les autres griefs allégués sont, au moins partiellement, matériellement établis :

1 - M. [N] a fait constater la coupure de sa ligne téléphonique professionnelle par un commissaire de justice le 9 octobre 2018, qui n'est pas contestée par l'employeur ;

3 - L'employeur ne conteste pas que le salarié ait été placé dans un bureau sans fenêtre ni climatisation ;

4 - L'intrusion de M. [V] dans son bureau en son absence au mois de septembre 2018 au prétexte de la recherche d'une agrafeuse n'est pas contestée par l'employeur ;

5 - M. [N] justifie avoir été prévenu par son directeur d'agence M. [Z] quelques minutes seulement avant un repas organisé le 5 juin 2018 censé réunir l'ensemble des conseillers du pôle. Il n'est pas contesté qu'il avait déjà fixé plusieurs rendez-vous avec des clients, et cette information tardive l'a ainsi empêché de se rendre au repas. En revanche, il n'est pas démontré que l'agence aurait eu connaissance de ces rendez-vous ni encore que les autres conseillers auraient tous été prévenus longtemps avant ;

7 - Il n'est pas contesté que M. [V] a refusé d'accepter le projet de financement présenté par M. [N] 28 mai 2016, ce qui est établi par un échange de courriels produit par le salarié.

En revanche, il ne saurait être retenu que le directeur d'agences faisait régulièrement obstacle aux dossiers traités par M. [N], qui n'étaye pas non plus ses affirmations lorsqu'il indique que ces mêmes dossiers étaient pourtant ensuite acceptés peu de temps après lorsque les clients concernés soient passés par un autre conseiller.

Au contraire, il ressort du dossier édité en décembre 2016 par Mme [R] en qualité de responsable du dossier pour le même client que M. [N] en octobre 2016, qu'elle a noté une alerte rouge et rien ne démontre que M. [V] l'aurait accepté. De la même manière, il ne ressort pas clairement des courriels des 6 décembre 2016 et 10 janvier 2017, que M. [V] aurait fait obstacle à un dossier traité par M. [N] pour l'accepter ensuite lorsqu'il a été traité par un autre conseiller. Dans son courriel du 10 janvier 2017, M. [N] interroge M. [V] mais s'abstient de produire sa réponse, alors que le document joint porte les signatures de M. [W] pour l'agence de [Localité 6] et de M. [S] pour la DR Picardie, sans aucun élément permettant de vérifier une intervention de M. [V]. Quant au courriel du 6 décembre 2016 de M. [V], il correspond à une réponse à un précédent courriel de M. [N] qui n'est pas non plus produit, alors que dans ce courriel, le directeur lui indique qu'il ne souhaite «pas non plus renégocier» au regard du fonctionnement du compte du client, laissant ainsi supposer qu'il manifestait un accord avec la position transmise ;

9 - L'employeur ne conteste pas avoir, le 1er juin 2018, transféré 20 clients supplémentaires à M. [N], passé à temps partiel en mai 2018 au titre de la législation sur le congé parental, augmentant ainsi sa charge de travail.

Le salarié ajoute que ces agissements répétés ont eu pour conséquence d'altérer son état de santé, et produit pour le démontrer ses arrêts de travail d'avril et juillet 2018 pour un syndrome anxiodépressif, et le certificat de son médecin traitant dont il ressort qu'il était suivi et traité depuis avril 2018 «pour un syndrome anxiodépressif, suite à, selon lui, un conflit avec son directeur de groupe d'agences.», le praticien reproduisant là les déclarations du salarié sur un conflit sans, à l'évidence, pouvoir témoigner de faits réels personnellement constatés.

M. [N] produit également des SMS de sa responsable d'agence, Mme [I], courant 2018, dont il ressort qu'elle était préoccupée par son état de santé. Elle a notamment, dans un SMS du 14 avril 2018, indiqué avoir fait «remonter au directeur adjoint et à [K] [[V]] son inquiétude», car la situation «lui semblait grave».

La réalité d'une dégradation de l'état de santé de M. [N] à compter d'avril 2018 est indiscutable.

Le salarié présente ainsi des éléments de fait matériellement établis qui, pris ensembles, sont de nature à laisser supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral, en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

1 - S'agissant de la coupure de sa ligne téléphonique professionnelle à compter du début du mois d'octobre 2018, l'employeur démontre que dans le cadre d'un projet ambition pro présenté au CHSCT en janvier 2018, M. [N] a été rattaché à l'espace pro d'[Localité 5] en continuant à exécuter ses missions depuis le site de [Localité 7], et que la société a rencontré des difficultés techniques dans le cadre de la mise en oeuvre de ce projet. Il ressort du fichier produit en pièce n°28, que dans le cadre de la nouvelle organisation, le site de départ de M. [N] était différent du site d'arrivée, imposant la suppression programmée de son ancien numéro de téléphone par un nouveau lié à l'espace pro créé. Or, il était prévu pour M. [N] dans ce cadre, un changement vers le nouveau numéro externe, avec la diffusion d'un message indiquant son nouveau numéro.

L'employeur produit également des courriels en pièce n°23 démontrant la réalité de dysfonctionnements, qui ne concernaient pas uniquement M. [N] mais l'ensemble des collaborateurs devant être rattachés à l'espace pro d'[Localité 5], et la demande d'une intervention. Si le message de demande d'intervention est daté du 23 octobre 2018, rien au dossier ne justifie que M. [W] qui en est l'auteur, avait connaissance des difficultés dans leur ensemble avant cette date, M. [N] ne démontrant d'ailleurs pas avoir lui-même fait remonter l'information avant cela.

Ainsi, le fait matériellement établi est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

7 - Le refus opposé par M. [V] au projet de financement présenté par M. [N] 28 mai 2016, est également justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, dès lors qu'il ressort clairement des justificatifs de la demande de financement produits par M. [N] lui-même qu'il a été motivé notamment par un taux d'endettement bien trop important et une insuffisance d'apport en deniers des clients, la responsable du dossier lui ayant succédé avait d'ailleurs mentionné une alerte rouge du fait de 7 alertes relevées.

Il n'en va pas de même des autres griefs. A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient en effet que l'employeur échoue à démontrer que les faits suivants matériellement établis par M. [N] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

3 - S'agissant du bureau sans fenêtre ni climatisation, l'employeur souligne que M. [N], qui occupe son bureau depuis le 6 avril 2014, s'en est plaint pour la première fois lorsqu'il a demandé à bénéficier d'une rupture conventionnelle le 23 juillet 2018, alors qu'il n'avait auparavant jamais évoqué les conditions de travail dans ce bureau auprès de l'employeur ni dans le cadre de ses évaluations, ni auprès du médecin du travail.

Toutefois, la société ne justifie pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral le placement de M. [N] dans ce bureau, ni encore et surtout son maintien dans ce local postérieurement à juillet 2018, alors que le salarié s'était plaint de ses conditions de travail.

4 - L'employeur ne justifie pas non plus que l'intrusion de M. [V], directeur d'agences groupe dans le bureau de M. [N], en son absence, au mois de septembre 2018, était réellement motivée par la recherche d'une agrafeuse, faute de tout élément de nature à démontrer la réalité de ce motif ou à tout le moins l'existence d'un motif objectif étranger à tout harcèlement moral.

5 - S'agissant du repas en juin 2018, alors que M. [N] a été prévenu, l'employeur ne justifie pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral l'information donnée au salarié quelques minutes seulement avant un repas professionnel, et donc extrêmement tardivement, ce qui a empêché M. [N] de s'y rendre dès lors qu'il avait des rendez-vous fixés qu'il ne pouvait à l'évidence annuler en si peu de temps. Cette tardiveté est un élément d'autant plus marquant qu'il s'agissait d'un moment important pour le service puisqu'étant un repas dit d'intégration, censé réunir l'ensemble des conseillers de l'agence.

9 - Alors qu'il est également établi qu'en juin 2018 l'employeur, qui n'avait avant cela jamais fait état d'une difficulté quant à l'étendue de son portefeuille, lui a transféré 20 clients supplémentaires, faisant ainsi passer son portefeuille de clients à 196 comptes le mois suivant le passage de M. [N] à un temps de travail de 80% au titre de la législation sur le congé parental, ce qui lui a indéniablement occasionné une charge de travail supplémentaire, la société Crédit lyonnais n'apporte aucun élément probant quant au bien fondé de l'augmentation du portefeuille de clients, se contentant d'affirmer sans preuve que la moyenne pour un temps de travail à 80% est de 200 dossiers.

Elle ne justifie pas non plus par des éléments objectifs du moment choisi pour transférer ces nouveaux clients à M. [N], à proximité immédiate de son passage à temps partiel, qui est ainsi privé de tout intérêt, la charge de travail du salarié se retrouvant ainsi, par cette manoeuvre, proche de celle qu'il avait avant son temps partiel.

Enfin, l'aptitude sans réserve de M. [N] à son poste de travail le 8 septembre 2015 et l'absence d'alerte donnée par le médecin du travail malgré des visites d'information et de prévention le 10 octobre 2017 et de suivi le 16 avril 2018 ou même à la suite du courriel de signalement par le salarié du 11 juin 2018, ne sont pas des éléments contredisant utilement ceux du salarié portant sur son état de santé.

En conséquence de ces développements, l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour effet une dégradation des conditions de travail de M. [N] susceptible d'altérer sa santé est établie à compter avril 2018.

Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier que M. [N] a dénoncé la dégradation de ses conditions de travail dans un courrier du 23 juillet 2018 pour appuyer sa demande de rupture conventionnelle, puis lors d'un entretien avec la responsable des ressources humaines du 24 août suivant, et encore dans un courriel du 28 septembre 2018. Pour autant, la société ne démontre pas avoir eu une réaction rapide et adaptée. La seule réponse apportée à ce mal être dont elle a ainsi été informée, a été un courrier de réponse de la responsable des ressources humaines plusieurs mois après la première dénonciation, en octobre 2018, destiné à refuser la rupture conventionnelle sollicitée tout en contestant point par point les allégations du salarié, sans que rien ne permette d'établir les vérifications alléguées dans ledit courrier.

L'employeur ne justifie ni avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ni, après avoir ainsi été informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, avoir pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

Au vu de ce qui précède, le manquement allégué apparaît établi, de sorte que le jugement qui a rejeté la demande indemnitaire sera infirmé, et la société Crédit lyonnais condamnée à payer à M. [N] la somme de 5 000 euros net à titre de dommages et intérêts réparant intégralement son préjudice.

1.3 - Quant au rappel de salaire au titre des indemnités journalières non perçues

1.3.1 - Sur la prescription

L'action en paiement d'indemnités journalières non perçues n'est pas soumise à la prescription triennale prévue à l'article L.3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Il s'agit d'une action portant sur l'exécution du contrat de travail, qui relève du délai biennal de l'article L.1471-1 du code du travail.

Au regard de la date de saisine du conseil de prud'hommes, la demande de M. [N] portant sur la période du 14 au 25 avril 2018 n'est donc pas prescrite. Le jugement est de ce chef confirmé.

1.3.2 - Au fond

M. [N] demande le paiement des indemnités journalières non perçues pour la période d'arrêt de travail du 14 avril au 25 avril 2018 du fait de l'absence de démarches de l'employeur auprès de la Caisse d'assurance maladie. Il souligne que ce dernier, sur lequel repose la charge de la preuve des démarches, est sur ce point défaillant, et qu'il est donc en droit de solliciter sa condamnation.

La société s'oppose à la demande en soutenant avoir réalisé les démarches nécessaires, M. [N] ne justifiant d'aucun manquement à ce titre, et avoir en tout état de cause maintenu le salaire mensuel brut du salarié pour le mois d'avril 2018.

Sur ce,

M. [N] sollicite un rappel de salaire correspondant aux journées d'absence pour arrêt de travail de droit commun du 14 au 25 avril 2018. Or, le bulletin de salaire du mois d'avril 2018 ne fait apparaître aucune retenue au titre de cet arrêt de travail et le bulletin de salaire du mois de mai suivant fait apparaître un maintien du salaire brut, ces fiches de paie n'étant pas remises en cause par le salarié en ce qui concerne les sommes mentionnées. Si M. [N] évoque une incohérence du montant du salaire net perçu des fiches de paie d'avril et de mai en ce qu'il ne correspond pas au net perçu du mois précédent, force est de constater qu'il ne présente pas d'élément portant sur les mois d'avril et mai 2018 de nature à prouver qu'il lui resterait dû une quelconque somme au titre de la rémunération du mois d'avril 2018, et qu'il n'a donc pas été rempli de ses droits. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

1.4 - Quant au remboursement de frais professionnels

M. [N] fait valoir que dans le cadre de ses fonctions, il devait engager des frais qui lui ont été remboursés sans difficulté les premières années, mais plus depuis la fin de l'année 2015, ce qui représente une somme totale de 1 252,71 euros net. Il estime que sa demande n'est pas prescrite.

L'employeur s'oppose à la demande qu'il estime prescrite pour la période antérieure au 29 octobre 2017, et qui pour le reste n'est aucunement justifiée en l'absence de preuve que les dépenses alléguées sont professionnelles, alors que s'agissant des frais kilométriques réclamés il ne justifie pas avoir respecté la procédure permettant sa demande de remboursement. Il ajoute que la dernière note de frais saisie et validée en faveur de M. [N] date de décembre 2017, alors qu'aucune note n'a été validée en 2016 et 2018.

1.4.1 - Sur la prescription

L'action en paiement de sommes correspondant au remboursement de frais professionnels n'est pas soumise à la prescription triennale prévue à l'article L.3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Il s'agit d'une action portant sur l'exécution du contrat de travail, qui relève du délai biennal de l'article L. 1471-1 du code du travail.

Au regard de la date de saisine du conseil de prud'hommes, la demande de M. [N] est prescrite pour la période antérieure au 25 octobre 2017.

1.4.2 - Au fond

Pour la période postérieure au 25 octobre 2017, force est de constater que M. [N] produit une liste de frais depuis 2015 qu'il a lui-même détaillée, censés correspondre à de multiples formations et de très nombreux rendez-vous, agrafée avec quelques tickets de stationnement en vrac dont certains sont illisibles et certains autres non datés, alors que les derniers concernent en grande partie des stationnements antérieurs au 25 octobre 2017 sans que rien ne prouve que les trois lisibles qui restent (12 octobre 2018 au parking des trois cailloux de 9h10 à 12h39, 1er juin 2018 au parking des jacobins de 9h31 à 17h21, 22 mai 2018 au parking des jacobins de 13h51 à 17h24 et 18 janvier 2018 au parking des trois cailloux de 13h47 à 18h11) et qui sont postérieurs à cette date correspondraient à des frais professionnels exposés dans l'intérêt de l'entreprise qui le conteste pourtant. M. [N] produit en outre un ticket de caisse de restaurant de décembre 2015 qui ne peut donc être pris en compte au regard de la prescription.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré la demande intégralement recevable, mais confirmé en ce qu'il en a débouté M. [N].

2. Sur la rupture

2.1 - Quant à la prescription

En application de l'article L.1471-1, alinéa 2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance précitée du 22 septembre 2017, la prescription applicable aux ruptures du contrat de travail à l'initiative de l'employeur ou du salarié est de un an à compter de la notification de la rupture. Ce texte s'applique aux actions en demande tendant à dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si l'action doit être engagée dans le délai de l'article L.1471-1 précité, l'employeur ne peut utilement invoquer la prescription de certains faits présentés par le salarié.

En l'espèce, le salarié qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 27 octobre 2018, a saisi le conseil de prud'hommes le 25 octobre 2019, et donc avant l'expiration du délai. Ainsi, son action en contestation de la rupture n'est pas prescrite. Le jugement sera de ce chef confirmé.

2.2 - Au fond

M. [N] fait valoir qu'il a pris acte de la rupture de son contrat de travail essentiellement en raison d'un harcèlement moral subi mais encore en raison du refus de son employeur de lui attribuer un statut et une rémunération comparables à ceux de ses collègues conseillers clientèle professionnels, en infraction avec le principe «à travail égal, salaire égal».

L'employeur souligne que M. [N] n'a pas fait expressément état du harcèlement moral dans sa lettre de prise d'acte et qu'en tout état de cause il n'en justifie pas, pas plus que de la violation alléguée au principe d'égalité de traitement, et que la rupture, qui intervient dans ces conditions peu après le refus opposé à sa demande de rupture conventionnelle, est en réalité le simple résultat de sa seule volonté de quitter l'entreprise.

Sur ce,

Il est constant que le contrat de travail de M. [N] a été rompu par le courrier de prise d'acte de la rupture du 27 octobre 2018.

Il entre dans l'office du juge, dans le contentieux de la prise d'acte de la rupture, de rechercher si les faits invoqués justifient ou non la rupture du contrat et de décider par la suite si cette dernière produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'une démission.

Le juge qui retient que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse doit accorder au salarié qui le demande, l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, l'indemnité de licenciement et les dommages-intérêts auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur qu'en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail, et il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur. En ce qui concerne le risque de la preuve, lorsque le juge constate qu'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte, il peut estimer à bon droit qu'il n'a pas établi les faits qu'il alléguait à l'encontre de l'employeur comme cela lui incombait.

L'ancienneté des manquements n'est pas en soi suffisante à disqualifier la prise d'acte, le juge doit rechercher si les manquements invoqués sont ou non établis, et le cas échéant, s'ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La persistance des manquements anciens peut rendre la poursuite du contrat de travail impossible.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En l'espèce, M. [N] reproche à l'employeur un manquement à son obligation de sécurité du fait d'un harcèlement moral subi et dénoncé, et une inégalité de traitement.

Au vu des développements qui précèdent, l'inégalité de traitement ne saurait être retenue, mais le harcèlement moral est quant à lui établi et a perduré jusqu'en octobre 2018, sans preuve d'une mise en oeuvre de mesures adéquates lorsqu'il en a été informé. Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité qui en découle est un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, la cour juge que la demande de prise d'acte aux torts de l'employeur est bien fondée, et que la rupture du contrat de travail, imputable à la société, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse conformément à la demande. Le jugement déféré est donc infirmé de ce chef et en ce qu'il a rejeté les demandes subséquentes.

- Sur les conséquences financières :

La prise d'acte aux torts de l'employeur s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la société est par conséquent redevable des indemnités afférentes à la rupture du contrat de travail. Il s'ensuit que M. [N] est fondé à réclamer les sommes exactement fixées par le premier juge au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, montants qui ne sont pas contestés par le salarié ni par l'employeur à titre subsidiaire.

La prise d'acte entraine la cessation immédiate du contrat de travail. Les indemnités dues au salarié se calculent en fonction de son ancienneté à la date de la notification de la rupture. Sur la base d'un salaire de référence non spécifiquement remis en cause de 3 033,34 euros par mois, le salarié, embauché le 3 janvier 2006 qui, au jour de la rupture, avait acquis 35 semestres complets, est par ailleurs fondé à réclamer une indemnité conventionnelle de licenciement de 21 233,38 euros en application de l'article 26 de la convention collective, qui prévoit que le salarié faisant l'objet d'un licenciement pour un motif autre que disciplinaire, est en droit de bénéficier d'une indemnité correspondant à 1/5ème de mois de salaire par semestre complet d'ancienneté, dans la limite de 15 mois pour les non cadres, et 18 mois pour les cadres. Ces montants calculés par le salarié ne sont d'ailleurs pas spécifiquement contestés à titre subsidiaire par l'employeur.

M. [N] est également fondé à réclamer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au regard de la date de rupture du contrat de travail, sont applicables les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance nº 2017-1387 du 22 septembre 2017. Selon ces dispositions si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de 1'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés en mois de salaire brut par ledit article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Pour une ancienneté de 13 années pleines (préavis compris) dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l'article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire.

Compte-tenu de l'ancienneté du salarié, de son âge à la date de la rupture (pour être né en 1981), du salaire mensuel moyen, des circonstances de la rupture et de la situation professionnelle qui a suivie (le salarié a retrouvé un emploi moins bien rémunéré s'agissant du fixe, mais mois d'un mois après la rupture, dès le mois de 20 novembre 2018), la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de M. [N] doit être fixée à la somme de 18 200 euros.

3. Sur la demande reconventionnelle

La prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la demande reconventionnelle ne peut qu'être rejetée, et le jugement de ce chef confirmé.

4. Sur le remboursement des indemnités à France travail (anciennement Pôle emploi)

Les conditions étant réunies en l'espèce, il convient de condamner la société Crédit lyonnais à rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [N] dans la proportion de six mois en application de l'article L.1235-4 du code du travail.

5. Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société, succombant au principal, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de M. [N] les frais qu'il a dû exposer en cause d'appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens et il convient donc de lui allouer une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré les demandes de reclassification et de remboursement de frais professionnels recevables, en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, en toutes ses dispositions portant sur la rupture du contrat de travail et ses conséquences, et en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles ;

Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare la demande de reclassification prescrite pour la période antérieure au 27 octobre 2015 ;

Déclare la demande de remboursement de frais professionnels prescrite pour la période antérieure au 25 octobre 2017 ;

Dit que la prise d'acte de M. [N] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Crédit lyonnais à payer à M. [N] les sommes suivantes :

- 5 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité

- 6 066,68 euros bruts d'indemnité de préavis, outre 606,67 euros au titre des congés payés afférents

- 21 233,38 euros nets au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 18 200 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. [N] de ses demandes de rappel de salaires au titre de l'ensemble de ses demandes fondées sur une inégalité de traitement ;

Condamne la société Crédit lyonnais à rembourser à France travail (anciennement Pôle emploi) les indemnités de chômage versées à M. [N] dans la proportion de six mois en application de l'article L.1235-4 du code du travail ;

Condamne la société Crédit lyonnais à verser à M. [N] 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la société Crédit lyonnais aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/00289
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.00289 ?
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