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28/03/2024 | FRANCE | N°23/01206

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 28 mars 2024, 23/01206


ARRET









S.E.L.A.R.L. EVOLUTION





C/



[U]

Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS - CGEA D'[Localité 6]



























































copie exécutoire

le 28 mars 2024

à

Me MANGEL

Me WENZINGER

Me DELVALLEZ

CPW/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 28 MARS 2024



*************************************************************

N° RG 23/01206 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IWRX



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 30 JANVIER 2023 (référence dossier N° RG 22/00061)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.E.L.A.R.L. EVOLUTION prise en la pe...

ARRET

S.E.L.A.R.L. EVOLUTION

C/

[U]

Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS - CGEA D'[Localité 6]

copie exécutoire

le 28 mars 2024

à

Me MANGEL

Me WENZINGER

Me DELVALLEZ

CPW/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 28 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 23/01206 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IWRX

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 30 JANVIER 2023 (référence dossier N° RG 22/00061)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.E.L.A.R.L. EVOLUTION prise en la personne de Maître [H] [O] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS SOCIETE DE TRANSPORT LOCATION NEGOCE (STLN).

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée, concluant et plaidant par Me Frédéric MANGEL de la SELARL MANGEL AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN substituée par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMES

Monsieur [S] [U]

né le 01 Juillet 1992 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 4] à [Localité 8]

[Localité 5]

représenté, concluant et plaidant par Me Jean-Marie WENZINGER de la SCP J-M WENZINGER - M.TEIXEIRA, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

UNEDIC DÉLÉGATION AGS - CGEA D'[Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée, concluant et plaidant par Me Dorothée DELVALLEZ de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAON

DEBATS :

A l'audience publique du 01 février 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties ont été entendus les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme [X] [J] indique que l'arrêt sera prononcé le 28 mars 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme [X] [J] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 28 mars 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [U] se prévaut d'une embauche à compter du 8 février 2016 par la société transport location négoce (ci-après dénommée STLN, la société ou l'employeur) dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de chauffeur poids lourd - conducteur d'engins.

Par jugement du 7 juillet 2017, le tribunal de commerce de Saint-Quentin a placé la société STLN en redressement judiciaire.

Le 17 juillet 2020, une rupture conventionnelle du contrat de travail de M. [U] a été convenue, avec une date de fin de délai de rétractation fixée au 2 août 2020. Le 26 août 2020, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a homologué cette rupture conventionnelle.

Par jugement du 9 octobre 2020, le tribunal de commerce de Saint-Quentin a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire et a fixé la date de cessation de paiement au 30 juin 2020. La société Evolution a été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.

M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon le 10 juin 2021, qui par jugement du 30 janvier 2023, a :

dit et jugé valide la rupture conventionnelle du contrat de travail homologuée le 26 août 2020, intervenue entre la société STLN et M. [U] ;

fixé la créance de M. [U] au passif de la société STLN aux sommes suivantes :

- 3 500 euros au titre de l'indemnité de la rupture conventionnelle,

- 16 333,21 euros nets au titre des arriérés de salaire ;

déclaré le jugement commun et opposable au CGEA d'[Localité 6] ;

dit que le CGEA garantirait les créances salariales visées aux articles L.3253-6 et L.3253-8 du code du travail, dans la limite des plafonds légaux ;

dit que l'obligation du CGEA de faire l'avance des sommes allouées à M. [U] ne pourrait s'exécuter que sur justification par le mandataire judiciaire de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement ;

débouté la société Evolution, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société STLN, de ses demandes ;

dit que les parties supporteraient la charge de leurs propres dépens.

La société Evolution, en qualité de liquidateur judiciaire de la société STLN, qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 octobre 2023, demande à la cour d'infirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions et en conséquence, de :

débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes ;

condamner M. [U] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Dans l'hypothèse improbable d'une condamnation prononcée au bénéfice du salarié, le liquidateur, ès qualités, demande à la cour de débouter l'AGS de sa demande visant au constat de ce que la prise en charge à laquelle elle serait soumise ne serait que subsidiaire.

L'association Unédic délégation AGS CGEA d'[Localité 6], par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 24 avril 2023, demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en ses fins, moyens et conclusions et y faisant droit :

A titre principal, d'infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions, et statuant de nouveau de :

juger que le contrat de travail de M. [U] est fictif 

et le débouter de l'intégralité de ses demandes ;

A titre éminemment subsidiaire, de :

fixer l'éventuelle créance de M. [U] au passif de la société STLN placée en liquidation judiciaire par jugement du 9 octobre 2020 et déterminer les sommes dont elle devra garantir le paiement dans la limite des dispositions et des plafonds légalement imposés ;

rappeler que sa garantie est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, aux plafonds définis à l'article D.3253-5 du code du travail, lesquels s'entendent de la totalité de la créance salariale en ce compris le précompte effectué en vertu de l'article L.242-3 du code de la sécurité sociale au profit des organismes sociaux ;

rappeler que sa garantie ne s'étend pas aux sommes allouées par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ni à la remise des documents sociaux ni à l'astreinte dont celle-ci est éventuellement assortie ;

employer les dépens de la présente instance en frais privilégiés de procédure collective.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 octobre 2023, M. [U] demande à la cour de le déclarer recevable et fondé en ses demandes et de :

déclarer la société Évolution, ès qualités, prescrite à invoquer la nullité de la rupture transactionnelle homologuée par la DIRECCTE le 28 août 2020 ;

débouter la société Evolution, ès qualités, ainsi que le CGEA de leurs moyens, fins et prétentions.

Au vu de la demande subsidiaire du CGEA d'[Localité 6], il sollicite de la cour, confirmant le jugement entrepris, de :

fixer sa créance à l'égard de la liquidation judiciaire de la société STLN à la somme de 19 833,21 euros, à savoir : 3 500 euros à titre d'indemnité de rupture conventionnelle et 16 333,21 euros à titre d'arriéré de salaire ;

dire et juger le CGEA tenu de garantir le règlement intégral de ladite créance ;

condamner solidairement la société Evolution et le CGEA d'[Localité 6] à lui payer une indemnité de 2 500 euros, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

dire et juger que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 janvier 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur les contestations portant sur la rupture conventionnelle

M. [U] fait valoir que la rupture conventionnelle homologuée par les autorités compétentes n'a pas été contestée par le liquidateur dans le délai de 12 mois et qu'elle ne peut donc pas être utilement remise en cause en la présente instance. Il soutient que son contrat de travail n'était aucunement fictif, et que son nouvel emploi au sein de la société TTF, immatriculée le 10 septembre 2020, postérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle, qui pratique le fret de proximité et non le fret interurbain qui était l'activité principale de la SAS STLN, n'est pas une reprise de son contrat de travail au sein de cette dernière comme le prétendent ses adversaires sans preuve, en partant d'un postulat. Il souligne qu'il est normal d'avoir tenté de continuer à travailler dans un secteur d'activité qui est en lien avec son expérience professionnelle et ses compétences, le cas échéant dans le cadre d'une création d'entreprise.

Le liquidateur, ès qualités, réplique qu'il n'avait pas qualité pour contester la rupture conventionnelle intervenue avant le prononcé de la liquidation, et que durant le temps de recours, le dossier de M. [U] était à l'instruction de ses services. Il estime ainsi que la prescription ne lui est pas opposable. Il soutient que ce dernier a en réalité bénéficié d'un transfert de son contrat de travail au sein de la société TTF puisqu'il y a concordance des dates, une identité de dirigeants, d'activité, de salariés et de siège social entre les société STLN et TTF nouvellement créée, dont les dirigeants, M. [W] [E] (fils) et M. [C] [E] (père), sont unis par un lien de filiation. Il estime qu'il s'agit d'une collusion frauduleuse puisque M. [U] avait déjà été salarié des structures dirigées par M. [E] [W] ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire et avait ainsi déjà bénéficié d'un paiement par l'AGS, alors que ces deux dirigeants sont coutumiers des procédures collectives et de la présence salvatrice de l'AGS. Il estime que la question de la nullité de la rupture conventionnelle ne s'est pas posée puisqu'il ne s'agit pas d'un cas classique de nullité pour vice du consentement mais d'une tentative d'escroquerie à l'AGS.

L'AGS répond que l'organisme n'était pas partie à la relation salariale mais soulève néanmoins les mêmes interrogations que celles du liquidateur de la société STLN quant au bien fondé des demandes de M. [U]. Il soutient que ce dernier a tenté de le tromper en sollicitant des paiements au titre d'une rupture conventionnelle frauduleuse alors que son contrat de travail avait fait l'objet d'un transfert au sein de la société TTF créée par M. [E] [W], fils de l'ancien dirigeant de la société STLN, alors qu'il avait été embauché dès le lendemain de la rupture au sein d'une entreprise gérée par M. [E] père. L'AGS, qui affirme que le contrat de travail est fictif, soutient qu'il s'agit à l'évidence d'une tentative de fraude aux AGS qui résulte encore du montant excessif négocié dans le cadre de la rupture conventionnelle.

Sur ce,

Selon l'article L.1237-11 du code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties.

En application de l'article L.1237-13 du même code, la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L.1234-9.

Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation.

La stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l' article L.1237-13 du code du travail n'entraîne pas, en elle-même, la nullité de la convention de rupture.

L'article L.1237-14 précise qu'à l'issue du délai de rétractation, «la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. Un arrêté du ministre chargé du travail fixe le modèle de cette demande. L'autorité administrative dispose d'un délai d'instruction de quinze jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s'assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. A défaut de notification dans ce délai, l'homologation est réputée acquise et l'autorité administrative est dessaisie.

La validité de la convention est subordonnée à son homologation.

L'homologation ne peut faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la convention. Tout litige concernant la convention, l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil des prud'hommes, à l'exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif. Le recours juridictionnel doit être formé, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date d'homologation de la convention.

A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie.»

En l'espèce, le litige initié par M. [U] porte sur l'exécution d'une convention de rupture.

Il est constant que la société STLN et M. [U] ont convenu d'une rupture conventionnelle dans les conditions prévues par les articles L.1237-1 et suivants du code du travail homologuée le 28 août 2020.

L'instruction des autorités compétentes ayant précédé cette homologation a consisté à s'assurer notamment que les conditions de la rupture conventionnelle ont été correctement respectées ainsi que de la liberté de consentement des parties, le contrôle portant sur les conditions de validité de la rupture conventionnelle. En effet, comme le précise la circulaire du 22 juillet 2008, «il incombe au [DREETS] de s'assurer de la validité de la demande d'homologation. Son contrôle doit porter sur les points qui permettent de vérifier le libre consentement des parties, d'une part, et, d'autre part, sur les éléments fondant l'accord du salarié».

Le recours judiciaire à l'encontre d'une décision d'homologation d'une rupture conventionnelle est enfermé dans le délai strict d'un an à compter de la date d'homologation de la convention. A défaut pour le liquidateur judiciaire, ès qualités, d'avoir introduit l'action dans ce délai, celle-ci est irrecevable, et il en est de même pour la demande en nullité de la convention de rupture sur le fondement des règles du code civil sanctionnant le consentement vicié, à savoir le dol, l'erreur et la violence prévus à l'article 1130 du dit code.

Les dispositions sur les prescriptions de différentes durées pour une action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail ne remettent pas en cause cette prescription propre à la contestation de la convention de rupture. D'ailleurs, l'action en paiement de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle est enfermée dans ce délai de prescription annale prévue à l'article L.1237-14 du code du travail.

C'est donc en vain que le liquidateur, ès qualités, soutient sans faire référence au moindre fondement juridique, que ce délai ne lui serait pas opposable pour n'être intervenu que postérieurement à la rupture et ne pas avoir eu qualité pour la contester avant l'expiration du délai de recours pourtant intervenue le 28 août 2021 et donc bien après la conversion du redressement judiciaire de la société en liquidation judiciaire, ayant entrainé sa désignation pour représenter les intérêts de la société. Le moyen développé par le représentant de la société STLN pour soutenir avoir la possibilité en la présente instance de critiquer la validité de la convention de rupture fondant les demandes financières de M. [U] malgré l'expiration du délai pour ce faire, manque dès lors de pertinence.

L'AGS soutient que la rupture conventionnelle avait cependant pour but une fraude aux AGS au regard du caractère fictif du contrat de travail de M. [U] au sein de la société STLN et du montant excessif de l'indemnité de rupture négociée, fraude également alléguée par le liquidateur en rapport cette fois une rupture conventionnelle malgré le transfert du contrat de travail de l'intéressé à la société créée par M. [E] [W].

Or, la fraude peut certes conduire à écarter la prescription annale, mais c'est à la condition que celle-ci ait eu pour finalité de permettre l'accomplissement de la prescription, ce qui n'est pas le cas des fraudes ainsi alléguées.

Au demeurant, en cas de contentieux, la fraude affectant la rupture conventionnelle, qui ne se conçoit pas dans l'implicite, doit ainsi faire l'objet d'un argumentaire au soutien d'une demande en nullité, le juge ne pouvant se substituer aux parties dans l'énoncé des demandes.

En l'occurrence, aucune demande de dire nulle la rupture conventionnelle n'est formée par l'une ou l'autre partie, le liquidateur, ès qualités, comme l'AGS, demandant uniquement à la cour de rejeter les demandes de M. [U] portant sur la seule exécution de la convention ainsi critiquée, laissant ainsi dans tous les cas subsister cette convention.

Surabondamment, il s'ajoute encore qu'une fraude dans le recours à la rupture conventionnelle n'a pour effet que de reporter le point de départ du délai de prescription prévu à l'article L.1237-14 du code du travail au jour où celui qui l'invoque en a eu connaissance, alors qu'en la cause, ni le liquidateur judiciaire, ès qualités, ni l'AGS, ne démontrent avoir eu connaissance de la fraude alléguée après l'expiration du délai.

La convention de rupture est intervenue bien avant la création de la société TTF par M. [E] [W], qui a été immatriculée le 10 septembre 2020, l'activité de cette société ayant débuté le 22 septembre après l'obtention d'une licence de transport international de marchandise le 16 du même mois, alors que la société STLN a été quant à elle placée en liquidation judiciaire le 9 octobre suivant, et que le liquidateur judiciaire a eu connaissance de la rupture conventionnelle et de son homologation dès le 22 octobre 2020. Il avait déjà exprimé ses réticences par courriers et courriels des 5 janvier, 19 janvier et 18 mars 2021, et il apparaît que ni le liquidateur ni l'AGS ne justifie avoir eu connaissance de la fraude alléguée concernant la fictivité du contrat de travail au sein de la société STLN, ou encore le transfert de ce contrat de travail au sein de la société TTF postérieurement à octobre 2020.

Le liquidateur, contrairement à ce qu'il prétend, pouvait donc tout à fait agir dans les délais en contestation de la validité de la convention de rupture sur le fondement d'une fraude, puisqu'à compter de sa désignation par le tribunal de commerce il devait représenter les intérêts de la société, y compris devant la justice. Pour autant, il se contente de produire ses propres courriers et courriels entre le 22 octobre 2020 et le 18 mars 2021, sans aucunement justifier des investigations dont il se prévaut au-delà de cette dernière date. L'AGS ne justifie pas avoir réalisé des investigations.

Par conséquent, les moyens de contestation de la rupture invoqués par le liquidateur ès qualités et l'AGS au-delà du délai de prescription et sans demande de nullité de la rupture conventionnelle sur laquelle se fonde le salarié pour réclamer diverses sommes, sont dans tous les cas inopérants.

Surabondamment, il s'ajoute encore qu'en tout état de cause, même à évoquer cette contestation de la rupture conventionnelle, la fraude reprochée à M. [U] n'est, en la présente procédure, pas démontrée au regard de ce qui suit.

En présence d'un contrat de travail apparent de M. [U] au sein de la société STLN, apparence qui n'est pas contestée et résulte notamment des bulletins de paie produits, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en apporter la preuve, ce qu'échoue à faire l'AGS, qui se contente d'affirmer que le contrat est fictif sans explication et surtout sans aucun élément de preuve pertinent, en particulier quant à l'absence d'un lien de subordination.

L'existence d'une relation de travail dépend en effet des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs, et le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Ni l'identité d'adresse du siège social de la société STLN dirigée par M. [E] [C], père de M. [E] [W], et de la société TTF créée par ce dernier, ni l'activité proche des deux sociétés, ni la concomitance entre la création de la société TTF (dont rien ne prouve que M. [U] aurait eu connaissance avant son embauche) et la liquidation de la société STLN, ni l'embauche par la société TTF créée par M. [E] [W] de deux anciens salariés de la société STLN ( M. [E] [W] lui-même et M. [U]), ni l'existence d'un lien de filiation entre l'ancien dirigeant de la société STLN et le dirigeant de la société TTF, ni encore l'existence d'autres sociétés ayant été dirigées par l'un ou l'autre dans le passé, ni encore le fait que M. [U] a été employé par le passé dans une société dirigée par M. [E] [W] ayant fait l'objet d'une liquidation, ne sont de nature à établir, même pris ensemble, la fictivité du contrat de travail de M. [U] au sein de la société dirigée par M. [E] [C], ou encore la collusion frauduleuse alléguée.

Le liquidateur, ès qualités, reconnait d'ailleurs implicitement l'absence de fictivité de ce contrat dès lors qu'il invoque son transfert sur le fondement de l'article L.1224-1 du code du travail malgré la rupture conventionnelle, qu'il estime ainsi destinée à frauder les AGS.

Il s'évince de ces éléments que l'AGS ne rapporte pas la preuve à sa charge de la fictivité du contrat de travail, et il sera au contraire retenu que M. [U] était lié à la société STLN par un contrat de travail à durée indéterminée.

Quant à la fraude alléguée par le liquidateur judiciaire ès qualités, qui résulterait d'une rupture conventionnelle malgré un transfert du contrat de travail de M. [U] dans une entité gérée par le même dirigeant et emportant application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail, il sera rappelé que la fraude alléguée dans le cadre d'une critique de la convention de rupture doit s'apprécier au moment de la signature de cette convention, à savoir le 17 juillet 2020, et donc avant l'immatriculation de la société TTF et plusieurs mois avant la liquidation judiciaire et l'immatriculation de la société TTF.

Or, le transfert des contrats de travail s'opère de plein droit dès lors que les conditions d'application du transfert de l'entreprise sont réunies.

L'article L.1224-1 du code du travail prévoit que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Cet article interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise.

Constitue une entité économique autonome, un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par l'exploitant.

Il n'y a pas lieu d'appliquer les dispositions précitées lorsque l'entité économique a perdu son identité du fait de sa disparition pure et simple ou lorsque l'activité s'est poursuivie dans des conditions de fonctionnement très différentes de celles précédemment observées, de sorte qu'en réalité, ce n'est pas la même entreprise qui se continue.

En l'espèce, il sera observé tout d'abord, que le contrat de travail de M. [U] était rompu dès avant l'immatriculation de la société TTF, et il n'est pas contesté qu'il a été embauché dès le 29 août 2020 par une société Salm, gérée par M. [E] [C], avant de rejoindre en octobre suivant la société TTF, qu'il n'a donc pas intégrée immédiatement après la rupture conventionnelle.

En outre, il n'est pas versé aux débats de pièces de nature à établir la réalité d'une reprise ou poursuite par la société TTF de l'activité de la société STLN. La preuve n'est pas rapportée d'un transfert par cette dernière société à la société TTF, des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité, directement ou indirectement, ni même de la réalité d'un quelconque lien juridique entre la société STLN et la société TTF au sens de l'article L.1224-1 susvisé. La société STLN, ancien employeur de M. [U] était dirigée par M. [E] [C], qui est certes le père de M. [E] [W] nouvel employeur de M. [U], mais il ne saurait en être déduit une identité de dirigeants entre les deux sociétés. En la présente procédure prud'homale, il n'est aucunement établi que M. [E] [W] était le gérant de fait de la société STLN, comme l'affirme le liquidateur ès qualités sans preuve.

Il n'est donc pas démontré la réalité d'un transfert du contrat de travail, ni d'une collusion frauduleuse de MM. [E] [C] et [W] et M. [U] à la date du 17 juillet 2020.

En conséquence, en tout état de cause, la fraude caractérisée par la fictivité du contrat de travail de M. [U] au sein de la société STLN comme la fraude du fait d'un transfert automatique du contrat de travail ne sauraient être retenues.

S'agissant du montant excessif de l'indemnité de rupture de 3 500 euros allégué par l'AGS pour appuyer son allégation de fraude, l'abus n'est aucunement démontré au regard du salaire mensuel moyen de 3 166 euros tel qu'il résulte de l'attestation Assedic et de l'avis d'imposition sur les revenus de 2020 produits par l'intéressé. Il n'est pas non plus démontré que ce montant serait le résultat d'une manoeuvre frauduleuse de M. [U] ou même simplement d'une demande exprimée par le salarié, auquel l'AGS ne peut sérieusement reprocher de n'avoir pas vérifié les intérêts de l'entreprise dans le cadre d'une négociation à l'occasion de laquelle chaque partie défend ses intérêts, alors au demeurant qu'il n'est pas prouvé qu'il avait connaissance de l'état de cessation des paiements de la société au moment de la signature de la convention.

Au regard de ces éléments, les moyens développés par le liquidateur judiciaire, ès qualités, et l'AGS pour s'opposer aux demandes de M. [U] fondées sur la rupture conventionnelle homologuée le 28 août 2020 seront rejetés. La demande de l'AGS, formée pour la première fois en cause d'appel, de dire le contrat de travail fictif, sera rejetée.

2. Sur l'indemnité de rupture conventionnelle et l'arriéré de salaire

Au vu des développements qui précèdent, M. [U] est fondé à réclamer les sommes restant dues au titre de la convention de rupture de son contrat de travail. Il sollicite à ce titre la fixation au passif de la société STLN de son indemnité de rupture conventionnelle restant due.

Il ressort de la convention de rupture, des bulletins de paie produits faisant apparaître un montant net à payer de 21 833,21 euros (avant un acompte de 2 000 euros versé par la société) comprenant l'indemnité de rupture et des arriérés de salaires, et de l'attestation de l'expert-comptable de la société STLN, que M. [U] n'a pas perçu la somme due lors de la rupture. Il reste dû un solde de 19 833,21 euros d'indemnité de rupture et arriéré de salaires, ce montant n'étant pas spécifiquement contesté à titre subsidiaire par les parties adverses.

Le jugement déféré qui a fait droit à la demande, sera confirmé.

3. Sur la garantie par l'AGS CGEA

M. [U] demande à la cour de dire que le CGEA devra garantir le règlement intégral de sa créance. Les parties adverses ne formulent pas d'observations pour s'y opposer. L'AGS rappelle uniquement que l'organisme ne devra garantir le paiement de cette créance que dans la limite des dispositions et plafonds légalement imposés.

Le liquidateur judiciaire, ès qualités, demande en revanche à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le CGEA devra faire l'absence des sommes allouées à M. [U] sur justification par le mandataire judiciaire de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement, retenant ainsi un principe de subsidiarité quant à l'intervention de l'AGS.

L'AGS ne formule pas d'observation sur ce point.

Sur ce,

L'article L.3253-20 du code du travail dispose, en son premier alinéa, que si les créances salariales ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L.3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnés à l'article L.3253-14 du même code. Le second alinéa de ce texte prévoit pour sa part, qu'en cas d'ouverture d'une sauvegarde, le mandataire judiciaire justifie à ces institutions, lors de sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, la réalité de cette insuffisance pouvant être contestée par l'AGS devant le juge-commissaire.

Dès lors, l'obligation de justification préalable par le mandataire judiciaire de l'insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective et la possibilité de contestation par les institutions de garantie ne sont prévues qu'en cas de sauvegarde. En dehors de cette procédure, aucun contrôle a priori n'est ouvert à l'AGS, de sorte que, sur la présentation d'un relevé de créances salariales établis sous sa responsabilité par le mandataire judiciaire et afin de répondre à l'objectif d'une prise en charge rapide de ces créances, l'institution est tenue de verser les avances demandées.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que l'organisme garantira les créances salariales visées aux articles L.3253-6 et L.3253-8 du code du travail dans la limite des plafonds légaux, mais sera infirmé en ce qu'il a retenu le principe de subsidiarité pour l'avance des sommes allouées au salarié.

4. Sur les autres demandes

Le sens de la présente décision conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

Le liquidateur judiciaire, ès qualités, qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel. L'équité et la situation économique des parties commande de dire n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a dit que l'obligation du CGEA de faire l'avance des sommes allouées à M. [U] ne pourra s'exécuter que sur justification par le mandataire judiciaire de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement ;

L'infirme de ce seul chef ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Déboute l'AGS de sa demande de juger le contrat de travail de M. [U] fictif ;

Dit que sur la présentation d'un relevé de créances salariales établis sous sa responsabilité par le liquidateur judiciaire, l'institution de garantie AGS CGEA d'[Localité 6] sera tenue de verser les avances demandées ;

Dit n'y avoir lieu à condamnation de l'une ou l'autre partie au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SELARL évolution, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société STLN, aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01206
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;23.01206 ?
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