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27/03/2024 | FRANCE | N°23/01437

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 27 mars 2024, 23/01437


ARRET







[N]





C/



S.A.R.L. CHAMPAGNE JOLIBOURG































































copie exécutoire

le 27 mars 2024

à

Me BRENER

Me FOSSIER-VOGT

LDS/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 27 MARS 2024



*************************************************************

N° RG 23/01437 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IW7N



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 22 FEVRIER 2023 (référence dossier N° RG F22/00038)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [S] [N]

né le 16 Mars 1963 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[...

ARRET

[N]

C/

S.A.R.L. CHAMPAGNE JOLIBOURG

copie exécutoire

le 27 mars 2024

à

Me BRENER

Me FOSSIER-VOGT

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 27 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 23/01437 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IW7N

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 22 FEVRIER 2023 (référence dossier N° RG F22/00038)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [S] [N]

né le 16 Mars 1963 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]/FRANCE

représenté, concluant et plaidant par Me Anne-dominique BRENER, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

ET :

INTIMEE

S.A.R.L. CHAMPAGNE JOLIBOURG agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée, concluant et plaidant par Me Chéryl FOSSIER-VOGT de la SELARL FOSSIER NOURDIN, avocat au barreau de REIMS

Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 07 février 2024, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame Laurence de SURIREY en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 27 mars 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 27 mars 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [N], né le 16 mars 1963, a été embauché à compter du 2 novembre 1997 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Champagne Jolibourg (la société ou l'employeur), en qualité d'ouvrier vigneron tâcheron.

Au dernier état de la relation contractuelle il était cadre palier 8 coefficient 105. Il était chargé de l'entretien de la totalité des vignes et supervisait une équipe sur les parcelles.

La société Champagne Jolibourg compte moins de 11 salariés.

La convention collective applicable est celle de la production agricole et CUMA.

Par courrier du 11 octobre 2021, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave, fixé le 22 octobre 2021, assorti d'une mise à pied à titre conservatoire.

Le 2 novembre 2021, M. [N] a été licencié pour faute grave

Contestant la légitimité de son licenciement, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons le 14 avril 2022.

Par jugement du 22 février 2023, le conseil a :

débouté M. [N] de sa demande consistant à écarter les pièces adverses 4, 5 et 6 ;

dit et jugé que M. [N] avait commis plusieurs fautes graves ;

dit et jugé que le licenciement dont avait fait l'objet M. [N] reposait sur une cause réelle et sérieuse justifiant la faute grave ;

dit et jugé que la procédure de licenciement avait bien été respectée ;

déclaré M. [N] non recevable et mal fondé sur l'ensemble de ses demandes et l'a débouté sur la totalité des demandes chiffrées ;

dit que les éléments concernant le solde de tout compte avaient bien été remis à M. [N] ;

dit que la société Champagne Jolibourg n'avait pas à rembourser le Pôle emploi ;

débouté M. [N] de sa demande concernant l'exécution provisoire, l'article 700 et la condamnation de la société Champagne Jolibourg aux dépens.

Sur les demandes reconventionnelles, le conseil a :

réaffirmé que M. [N] était mal fondé sur la totalité de ses demandes et prétentions ;

condamné M. [N] à payer à la société Champagne Jolibourg la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [N], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 29 novembre 2023, demande à la cour de :

le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;

infirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

écarter la pièce adverse n°5 : courrier de Mme [C] du 7.10.2021, la pièce adverse n° 4 : attestation de Mme [D], la pièce adverse n°5 : attestation de Mme [C] et la pièce adverse n°6 : attestation de Mme [M] ;

dire et juger qu'il n'a commis aucune faute grave ;

dire et juger que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;

à titre subsidiaire, dire et juger que la procédure de licenciement n'a pas été respectée ;

le déclarer recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes ;

condamner la société Champagne Jolibourg à lui payer les sommes suivantes :

- 2 268,74 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;

- 226,87 euros à titre de congés payés y afférents ;

- 9 799,86 euros à titre d'indemnité de préavis ;

- 979,99 euros à titre de congés payés sur préavis ;

- 23 683 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 57 165,85 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- à titre subsidiaire, 3 266,62 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

ordonner à la société Champagne Jolibourg de lui remettre un certificat de travail rectifié, une attestation Pôle emploi rectifiée et des bulletins de paie d'octobre 2020, de novembre 2020 et de décembre 2020, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, la cour se déclarant compétente pour liquider l'astreinte.

ordonner à la société Chapagne jolibourg de rembourser à Pôle emploi la totalité des indemnités de chômage versées, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

condamner la société à lui verser une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel ;

débouter la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société aux dépens de première instance et d'appel.

La société Champagne Jolibourg, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 janvier 2024, demande à la cour de :

déclarer mal fondé M. [N] en son appel ;

confirmer le jugement.

En conséquence :

débouter M. [N] de sa demande tendant à voir écarter ses pièces, à savoir :

- la pièce n°5 : attestation de Mme [C] + avis de réception (courrier de Mme [C] du 7/10/2021) ;

- la pièce n°4 : attestation de Mme [D] ;

- la pièce n°6 : attestation de Mme [M] ;

A titre principal,

débouter M. [N] de sa demande tendant à voir son licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse ;

débouter M. [N] de ses demandes tendant à obtenir sa condamnation aux sommes suivantes :

- 2 268,74 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;

- 226,87 euros à titre de congés payés y afférents ;

- 9 799,86 euros à titre d'indemnité de préavis ;

- 979,99 euros à titre de congés payés sur préavis ;

- 23 683 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 57 165,85 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

rejeter la demande subsidiaire tendant à obtenir une indemnité pour non-respect de la procédure, les griefs ayant été évoqués et M. [N] ne démontrant pas le préjudice résultant de la prétendue irrégularité de procédure ;

à titre subsidiaire, si par impossible la cour réformait le jugement et estimait que les faits reprochés n'étaient pas constitutifs d'une faute grave mais constitutifs d'une faute simple, débouter M. [N] de sa demande au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

à titre très subsidiaire, si la cour estimait malgré la gravité des manquements justifiés que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, limiter à de plus justes proportions le montant de la somme sollicitée au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [N] ne justifiant aucunement le montant de l'indemnité maximale sollicitée.

En tout état de cause,

débouter M. [N] de sa demande tendant à :

- la voir condamner au remboursement des indemnités chômage versées par Pôle emploi ;

- voir délivrer sous astreinte les documents de fin de contrat ;

- la voir condamner au versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [N] à verser une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article du code de procédure civile.

Y ajoutant,

condamner M. [N] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur la demande de rejet de pièces n°4, 5 et 6 de la société :

M. [N] soutient que les attestations de Mmes [C], [D] et [M] sont radicalement irrecevables en ce qu'elles n'ont pas été rédigées dans des conditions de réflexion et de liberté nécessaires et qu'elles l'ont été sous le contrôle de l'employeur.

L'employeur répond que rien ne justifie que ces attestations soient écartées en ce que le principe du contradictoire a été respecté et elles sont conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.

Il y a lieu de rappeler qu'en matière prud'homale, la preuve est libre et dès l'instant que la partie à qui sont opposées des attestations a pu en contester la force probante, notamment en faisant valoir que les auteurs des attestations étaient soumis à un lien de subordination avec l'employeur, il appartient au juge saisi de cette contestation d'apprécier souverainement la valeur et la portée des dites attestations.

Le juge ne peut, par principe, dénier toute valeur probante à une attestation émanant d'un salarié soumis à un lien de subordination avec son employeur sans un examen préalable du contenu de l'attestation et des circonstances de l'espèce.

Au cas présent, les attestations de Mmes [C], [D] et [M] sont conformes aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter ces pièces des débats mais seulement d'en apprécier la valeur probatoire au regard des éléments apportés par l'employeur.

2/ Sur le motif du licenciement :

La lettre de licenciement, qui lie les parties et le juge, est ainsi rédigée :

« Je fais suite à l'entretien que nous avons eu le vendredi 22 octobre 2021 au cours duquel vous étiez assisté par Monsieur [J] [T], conseiller du salarié.

Je vous rappelle que cet entretien avait pour objet d'entendre vos explications concernant des faits graves qui ont été portés à ma connaissance par Madame V.L le 27 septembre 2021 en raison de votre comportement particulièrement inadapté à l'encontre de celle-ci et des deux autres salariées placées sous votre subordination.

J'ai rencontré le 30 septembre 2021 et le 7 octobre 2021 les trois salariées de l'exploitation travaillant sur [Localité 4] sous vos ordres.

Lors de ces deux rencontres, les trois salariées m'ont toutes indiqué être en souffrance du fait de vos propos et gestes déplacés, mais aussi par vos ordres et remarques inappropriés ayant pour effet une dégradation de leur santé et de leurs conditions de travail.

Après enquête, il ressort que vous avez adopté depuis plusieurs années une attitude gravement déplacée avec des gestes libidineux à l'égard de deux salariées particulièrement, comme des mains sur la cuisse, des mains aux fesses, des tentatives forcées de baisers.

Deux d'entre elles à savoir Madame V.L et Madame A.A m'ont rapporté subir des faits de harcèlement sexuel de votre part en ce que vous teniez à leur égard des propos à caractère sexuel totalement inacceptables à savoir des demandes tendant à voir certaines parties de leur corps comme leurs seins, des questions intimes relatives à leurs préférences ou pratiques sexuelles, des suggestions de pratiques sexuelles comme « un plan à trois », ou des demandes tendant à obtenir une fellation ou un strip-tease Ces attitudes et paroles répétées, qui portent atteinte à l'intégrité physique et à la dignité de ces deux salariées sous vos ordres en raison de leur caractère dégradant et obscène sont parfaitement inappropriées et ne sauraient être tolérées au sein de mon entreprise.

Il ressort également que vous avez abusé de votre position hiérarchique entrainant une dégradation des conditions de travail pour les trois salariées.

En effet, chacune des trois salariées m'a indiqué avoir été contrainte de travailler dans vos parcelles à tâches plutôt que dans les leurs sur leur temps de travail, ou encore de travailler, sous vos ordres et sur leur temps de travail également sur les parcelles de Madame [E], dont vous vous occupez, et ce avec le matériel et les produits de la SARL JOLIBOURG.

Ce travail (dans vos vignes ou dans les parcelles voisines) est rémunéré par la SARL JOLIBOURG puisque vous leur demandez de déclarer ces heures en heures de régies.

Ces man'uvres sont inacceptables que ce soit pour les trois salariées, obligées de revenir travailler pour finir le travail relatif à leurs parcelles à tâche, mais aussi pour votre employeur puisque ces agissements constituent un détournement de fonds et de moyens de la société JOLIBOURG dans le cadre de vos activités annexes chez Madame [E]

Je ne peux tolérer ces pratiques.

Vous n'avez pas effectué le rognage des vignes, alors que cette tâche vous incombe dans la mesure où vous êtes le seul tractoriste de la société et que cette tâche s'effectue avec un tracteur.

Cette décision, qui semble être une mesure de représailles aux remarques des trois femmes sur l'utilisation non conforme des produits phytosanitaires, les a contraintes à faire le rognage à la cisaille, et pour certaines, à travailler 7 jours sur 7, compte tenu du travail titanesque que cela représente et la nécessité du rognage à l'approche des vendanges.

Je ne peux tolérer ce genre de pratique, qui n'a que pour vocation d'accentuer la difficulté du travail et in fine de dégrader les conditions de travail.

Vous avez également usé de votre position hiérarchique de cadre, pour contraindre l'une des salariées à venir travailler chez vous pour effecteur des tâches ménagères (linge, aspirateur) ou de maçonnerie !

Je suis atterré par votre comportement injustifiable et immoral.

Vous avez également tenu des propos offensants et dévalorisants à l'égard de leur travail en les insultant de « fainéante » ou de « molle » ou encore en leur répétant qu'elles « n'avancent à rien ».

Enfin vous compromettez sciemment la santé des salariées en les exposant au danger des produits phytosanitaires puisque vous traitez les parcelles voisines des leurs pendant leur présence ou leur demandez de travailler peu de temps après avoir traité les vignes.

Or, titulaire d'un certificat vous autorisant à manipuler ce type de produits, vous savez parfaitement que des normes strictes sont prévues pour minimiser l'exposition des salariés au danger de ce type de produits notamment qu'un délai de rentrée dans les parcelles après traitement doit être respecté, ce dont vous ne vous souciez pas.

Interrogé sur l'ensemble de ces griefs que vous avez minimisé et nié, vous ne m'avez apporté aucun élément permettant d'expliquer ces griefs.

En tant qu'employeur, je ne peux tolérer de telles pratiques, humiliantes et dégradantes, qui portent gravement atteinte à la dignité et à la santé des trois salariées, et qui entrainent une dégradation de leurs conditions de travail et de leur santé.

Votre comportement qui en outre, est dommageable pour la société en ce qu'il est en totale inadéquation avec notre politique managériale, ne saurait être toléré tout comme le détournement de fonds et de moyens que vous avez initié à votre profit au détriment de la société JOLIBOURG

Ces agissements sont totalement inadmissibles et constituent de graves manquements à vos obligations contractuelles rendant impossible votre maintien dans l'entreprise.

Je vous informe que, compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés et de leurs conséquences sur la société et les salariées, j'ai décidé de vous licencier pour faute grave, votre maintien même temporaire dans l'entreprise s'avérant impossible.

Le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 2 novembre 2021 sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Je vous rappelle que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée à compter du 11 octobre 2021 jusqu'à ce jour nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée.».

M. [N] soutient que tous les griefs qui lui sont faits sont faux et qu'ils reposent sur les témoignages mensongers de Mmes [D], [C] et [M], la seconde manipulée par la troisième qui a imaginé ce stratagème pour prendre sa place et obtenir des dommages-intérêts et qu'il entretenait les meilleures relations avec ces trois collaboratrices. Il fait remarquer que la société a eu recours, après son éviction, à un prestataire extérieur, faisant ainsi de substantielles économies ce qui n'est pas étranger à son licenciement. Il s'appuie sur plusieurs attestations et notamment celle de Mme [C] du 30 mai 2023 par laquelle elle revient sur l'attestation qu'elle avait remise à l'employeur précédemment affirmant avoir établi un faux témoignage sous la contrainte de Mme [M] qui la harcelait.

L'employeur expose qu'il a été alerté le 27 septembre 2021 par Mme [M] des faits commis à son encontre et à l'encontre de ses deux collègues, qu'il a organisé deux rencontres avec les trois salariées les 30 septembre et 7 octobre 2021, au cours desquelles elles ont librement fait part du comportement inadmissible de M. [N] et qu'elle lui ont adressé par lettre recommandée leur attestation le 8 octobre suivant ; que ce modus operandi a laissé aux salariées le temps de la réflexion de sorte que leur témoignage, qui établissent les fautes reprochées à M. [N], sont dignes de confiance.

Il met en doute la spontanéité et la véracité du nouveau témoignage de Mme [C].

Il conteste que le licenciement du salarié soit lié à la restructuration de l'entreprise qui a eu lieu seulement en avril 2022.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

Le doute doit profiter au salarié.

En l'espèce, il convient d'ores et déjà d'écarter l'existence d'une cause économique cachée au licenciement que M. [N] n'étaie d'aucune pièce.

Les griefs reposent sur les témoignages de trois salariées travaillant dans les vignes sous l'autorité de M. [N], Mmes [D], [M] et [C].

Cette dernière, dans une première attestation du 7 octobre 2021 accable M. [N] et dans une seconde du 30 mai 2023 déclare que sa première attestation est fausse et diffamatoire, qu'elle l'a rédigée à la suite de la manipulation et du harcèlement de Mme [M] qui ayant des visées sur le poste de M. [N] souhaitait le faire licencier.

Compte tenu de ce revirement complet qui ne permet pas de dire à quel moment elle ment, ces attestations s'annulent, sont l'une et l'autre dépourvues de force probante de sorte qu'elles ne peuvent être utilement invoquées par aucune des parties.

Mme [D] relate dans une première attestation du 7 octobre 2021 qu'au cours de l'été 2021, elles allaient dans les vignes traitées moins de 48 h avant, que l'année d'avant, M. [N] lui a demandé de travailler chez M. [E] en mettant les heures sur le compte de la société Champagne Jolibourg et qu'il a proposé à [G] ([C]) de l'embrasser sans pouvoir dire s'il s'agissait d'« une rigolade ou pas ». Elle conclut que cet été 2021, elle allait au travail la boule au ventre et avait des brûlures d'estomac.

Dans une seconde rédigée le 4 septembre 2023, elle se dit choquée par le revirement de Mme [C] et confirme que celle-ci est venue la voir en pleurant en lui disant que M. [N] lui avait touché la cuisse, qu'elle a donc décidé d'en parler à Mme [M] et à son patron.

Mme [M], dans une longue attestation du 7 octobre 2021, relate plusieurs faits de harcèlement sexuel commis à son encontre depuis deux ans et à l'encontre de sa fille embauchée au cours de l'été 2019, le fait que M. [N] la faisait travailler dans les vignes qu'il avait traitées le matin même provoquant chez elle une crise d'asthme et des vomissements, la faisait travailler dans des vignes voisines aux frais de l'employeur, l'insultait de fainéante et de moins que rien.

Ces témoignages sont appuyés par ceux de leur conjoint.

Ainsi M. [D] atteste que sa femme était « tendue » en rentrant du travail à cause des réflexions de M. [N] et de l'obligation qu'il lui faisait de travailler dans des vignes tierces.

M. [U], dont il n'est pas contesté qu'il est le conjoint de Mme [M], expose que sa femme, en pleurs, lui a expliqué que sa fille avait fait l'objet d'attouchements de la part de M. [N], qu'elle s'était sentie obligée de le dénoncer au risque de ne pas être crue et qu'il lui faisait « ingérer » des produits de traitement ce qui avait provoqué de grosses crises d'asthme disparues depuis.

Les témoignages de Mmes [M] et [D], rédigés en des termes et dans un style très différents ce qui leur confère au moins une apparence de spontanéité et de sincérité même si elles ont été rédigées à la même date, sont concordants et le salarié n'apporte pas d'élément permettant d'affirmer que ces témoignages ont été dictés par l'employeur.

En effet, le seul fait que M. [N] ait fréquenté ses collaboratrices pour des moments de convivialité n'exclue pas qu'il ait pu mal se comporter avec elle pendant le travail. Il en va de même du fait qu'il ait pour son entourage l'image d'un homme intègre, travailleur, serviable et respectueux ainsi qu'il est attesté ou encore qu'il ait été vu traiter les vignes le week-end en l'absence des salariées.

Ces attestations établissent que M. [N] a commis des faits de harcèlement sexuel au préjudice de Mme [M], n'a pas respecté les règles de sécurité en matière de traitements phytosanitaire prévues par l'arrêté du 4 mai 2017 affectant la santé des salariées, a tenu des propos injurieux et dévalorisant à l'égard de Mme [M] et de Mme [D] source de souffrance au travail et a utilisé les moyens humains et matériels de l'employeur au profit de tiers.

Par leur gravité ces seuls faits ne permettaient pas le maintien du salarié dans l'entreprise quand bien même celui-ci avait une grande ancienneté et n'avait jamais fait l'objet précédemment de sanction disciplinaire.

Le licenciement doit par conséquent être considéré comme justifié par une faute grave.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de M. [N] de ce chef.

3/ Sur la demande au titre de la régularité du licenciement :

M. [N] soutient que l'employeur n'ayant pas évoqué au cours de l'entretien préalable le grief tenant au fait qu'il obligerait les trois salariées à faire son travail, la procédure de licenciement est irrégulière ce qui lui a causé un préjudice puisqu'il n'a pas pu s'expliquer sur ce grief.

L'employeur répond que l'ensemble des griefs a été évoqué lors de l'entretien préalable, que le grief tiré du travail imposé aux salariées n'existe pas, qu'il s'agit d'une illustration du grief plus général d'abus de position hiérarchique sur lequel il a pu s'exprimer. Subsidiairement, il fait valoir que M. [N] ne justifie d'aucun préjudice.

En application de l'article L.1232-3 du code du travail, au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié.

Le fait que tous les motifs du licenciement n'aient pas été évoqués constitue une irrégularité.

En l'espèce, il ne ressort pas du compte rendu d'entretien préalable établi par le conseiller du salarié que le grief tenant au fait que M. [N] aurait usé de son pouvoir hiérarchique de cadre pour contraindre l'une des salariées à venir travailler chez lui pour effectuer des tâches ménagères ait été évoqué.

Néanmoins, M. [N], qui a pu s'expliquer de ce chef devant le conseil de prud'hommes et devant la cour, ne justifie d'aucun préjudice ce d'autant que ce grief n'est pas retenu par la cour.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

4/ Sur les frais du procès :

L'issue du litige conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [N] au paiement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le salarié, qui perd le procès devant la cour pour l'essentiel, sera condamné aux dépens d'appel.

L'équité commande de rejeter la demande présentée par l'employeur sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au vu de la somme déjà obtenue devant le conseil de prud'hommes.

Le salarié sera débouté de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a déclaré M. [N] irrecevable en ses demandes,

Y ajoutant,

Dit M. [N] recevable en ses demandes,

Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [N] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/01437
Date de la décision : 27/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-27;23.01437 ?
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