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27/03/2024 | FRANCE | N°23/00590

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 27 mars 2024, 23/00590


ARRET







S.A.R.L. DEMOLITION MACONNERIE VOIRIE ASSAINISSEMENT





C/



[F]



























































copie exécutoire

le 27 mars 2024

à

Me VAUTRIN

Me HAMEL

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 27 MARS 2024
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N° RG 23/00590 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IVLM



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 26 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 22/00094)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.R.L. DEMOLITION MACONNERIE VOIRIE ASSAINISSEMENT

[Adresse 5]

[Localité 3]


...

ARRET

S.A.R.L. DEMOLITION MACONNERIE VOIRIE ASSAINISSEMENT

C/

[F]

copie exécutoire

le 27 mars 2024

à

Me VAUTRIN

Me HAMEL

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 27 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 23/00590 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IVLM

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 26 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 22/00094)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.R.L. DEMOLITION MACONNERIE VOIRIE ASSAINISSEMENT

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Gwenaelle VAUTRIN de la SELARL VAUTRIN AVOCATS, avocat au barreau de COMPIEGNE substituée par Me Nicolas NOURRY, avocat au barreau de COMPIEGNE

ET :

INTIME

Monsieur [J] [F]

né le 24 Février 2003 à [Localité 4] (60)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté et concluant par Me Christine HAMEL de la SELARL CHRISTINE HAMEL, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Laurine DESCAMPS, avocat au barreau d'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 31 janvier 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 27 mars 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 27 mars 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [F], né le 24 février 2003, a initialement été embauché à compter du 30 août 2018 dans le cadre d'un contrat d'apprentissage renouvelé le 31 août 2020 par la société Démolition maçonnerie voirie assainissement (la société DMVA ou l'employeur). Il a, par la suite, été recruté en qualité d'ouvrier polyvalent par contrat à durée déterminée pour la période du 13 juillet 2021 au 13 janvier 2022, transformé en contrat à durée indéterminée par avenant du 27 janvier 2021.

La société DMVA compte plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des entreprises des ouvriers du bâtiment.

Par courrier du 16 mars 2022, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 22 mars 2022.

Par courrier remis en main propre le 22 mars 2022, il s'est vu notifier son licenciement pour faute grave.

Ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail et contestant la régularité et la légitimité de son licenciement, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil le 16 mai 2022.

Par jugement du 26 décembre 2022, le conseil a :

fixé le salaire moyen de M. [F] à 2 145,79 euros brut ;

jugé le contrat d'apprentissage du 31 août 2020 nul pour défaut de déclaration auprès des instances compétentes ;

requalifié la relation de travail entre M. [F] et la société DMVA à compter du 2 septembre 2020 en contrat à durée indéterminée ;

jugé le licenciement de M. [F] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

jugé le licenciement de M. [F] irrégulier, brutal et vexatoire ;

condamné la société DMVA à verser à M. [F] les sommes suivantes :

- 3 081,92 euros à titre de rappel de salaire pour les mois de septembre à décembre 2020 ;

- 308,20 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- 1 556,14 euros brut à titre de rappel de salaire pour les mois de janvier et février 2021 ;

- 155,61 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- 4 197,46 euros brut à titre de rappel de salaire pour les mois de mars au 13 juillet 2021 ;

- 419,75 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- 6 437,37 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- 4 291,58 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 429,16 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- 1 877,56 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

ordonné le remboursement par la société DMVA aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [F] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de 3 mois dans les conditions prévues à l'article L.1235-4 du code du travail et dit que le secrétariat greffe en application de l'article R.1235-2 du code du travail adresserait à la direction générale de Pôle emploi une copie certifiée conforme du jugement en précisant si celui-ci a fait ou non l'objet d'un appel ;

ordonné à la société DMVA de remettre à M. [F] les documents de fin de contrat et les bulletins de paie rectifiés conformes à la décision, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pour l'ensemble des documents à compter du trentième jour suivant la notification du présent jugement ;

dit que le conseil se réservait le droit de liquider l'astreinte à la demande de M. [F] ;

précisé que les condamnations à caractère salarial porteraient intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2022 ;

précisé que les condamnations à caractère indemnitaire porteraient intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement ;

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

rappelé qu'en application de l'article R.1454-28 du code du travail, la décision était de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

condamné M. [F] à verser à la société DMVA la somme de 400 euros au titre de la répétition de l'indu ;

débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

condamné la société DMVA, aux entiers dépens.

La société Démolition maçonnerie voirie assainissement, régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 janvier 2024, demande à la cour de :

la dire et juger recevable et fondée en son appel.

Y faisant droit,

infirmer le jugement sus énoncé en ce qu'il a :

- jugé nul le contrat d'apprentissage du 31 août 2020 pour défaut de dépôt du contrat auprès des instances compétentes et l'a condamnée à verser à M. [F] :

3 081,92 euros à titre de rappel de salaire pour les mois de septembre à décembre 2020 ;

308,20 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

1 556,14 euros brut à titre de rappel de salaire pour les mois de janvier et février 2021 ;

155,61 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

4 197,46 euros brut à titre de rappel de salaire pour les mois de mars au 13 juillet 2021 ;

419,75 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [F] et l'a condamnée à verser à M. [F] :

6 437,37 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

4 291,58 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

429,16 euros brut au titre des congés payés y afférents

1 877,56 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement

- jugé le licenciement irrégulier, brutal et vexatoire et l'a condamnée à verser à M. [F] 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- l'a condamnée à verser à M. [F] 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- lui a ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [F] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de 3 mois dans les conditions prévues à l'article L.1235-4 du code du travail ;

- l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- condamné M. [F] à lui rembourser la somme de 400 euros au titre de la répétition de l'indu ;

- à titre subsidiaire, si par exceptionnel la cour venait à confirmer le jugement querellé en ce qu'il a dit et jugé nul le contrat d'apprentissage ayant pris effet le 2 septembre 2020 et requalifié la relation de travail à durée indéterminée à la date du 2 septembre 2020, confirmer le jugement ayant débouté M. [F] de sa demande d'indemnité de requalification du contrat à durée déterminée du 13 juillet 2021 en contrat à durée indéterminée.

Statuant à nouveau,

dire et juger qu'elle a procédé aux formalités de dépôt du contrat d'apprentissage du 31 août 2020 et, en conséquence, débouter M. [F] de toutes ses demandes de rappels de salaire afférentes à la nullité dudit contrat ;

dire et juger fondé sur une faute grave le licenciement de M. [F] et, en conséquence, le débouter de toutes ses demandes indemnitaires afférentes à la rupture du contrat de travail ;

à titre subsidiaire, si la cour devait entrer en voie de condamnation et confirmer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, limiter au minimum le montant des dommages et intérêts alloués à M. [F], en l'absence de preuve d'un préjudice particulier, conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail ;

dire et juger que l'indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence, débouter M. [F] de sa demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

dire et juger le licenciement de M. [F] dénué de toutes circonstances brutales et vexatoires et, en conséquence, le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions à ce titre ;

à titre subsidiaire, si la cour devait entrer en voie de condamnation, confirmer le jugement en ce qu'il a limité à 500 euros le montant des dommages et intérêts alloués à M. [F] de ce chef, en l'absence de preuve d'un préjudice particulier ;

condamner M. [F] à lui verser la somme de 400 euros au titre de la répétition de l'indu ;

débouter M. [F] du surplus de ses demandes ;

condamner M. [F] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [F], par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 juin 2023, demande à la cour de :

- dire la société DMVA irrecevable et mal fondée en son appel ;

- le dire recevable en son appel incident et bien fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Y faisant droit,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé nul le contrat d'apprentissage du 31 août 2020 pour défaut d'enregistrement,

Par conséquent,

condamner la société DMVA à lui payer à titre de rappels de salaires :

- 3 081,92 euros pour les mois de septembre à décembre 2020 outre les congés payés afférents pour un montant de 308,20 euros ;

-1 556,14 euros pour la période des mois de janvier et février 2021 outre les congés payés afférents pour un montant de 155,61 euros ;

- 4 197,46 euros pour la période du mois de mars au 13 juillet 2021 outre les congés payés afférents pour un montant de 419,75 euros ;

confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le contrat de travail à durée déterminée du 13 juillet 2021 étant postérieur à la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 septembre 2020, ce contrat de travail à durée déterminée n'avait plus lieu d'être et ne nécessitait donc pas d'être requalifié,

A titre subsidiaire, si la cour jugeait le contrat d'apprentissage dépourvu de nullité,

infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée le contrat de travail du 13 juillet 2021,

Par conséquent,

requalifier en contrat de travail à durée indéterminée le contrat à durée déterminée du 13 juin 2021 et condamner la société DMVA à lui payer, à titre d'indemnité de requalification Ia somme de 2 145,79 euros,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé son licenciement en date du 22 mars 2022 irrégulier, dépourvu de faute grave, abusif et vexatoire,

Par conséquent,

infirmer le jugement entrepris et condamner la société DMVA à lui payer :

- 2 145,79 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

confirmer le jugement en ce qu'il a :

condamné la société DMVA à lui payer :

- 6 437,37 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 4 291 58 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 429,16 euros au titre des congés payés sur préavis ;

- 1 877,56 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

ordonné la remise sous astreinte non comminatoire de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir l'ensemble des documents de fin de contrat et bulletins de paie conformes à ladite décision ;

- dit que le conseil se réservait la faculté de liquider ladite astreinte ;

- condamné la société DMVA au paiement de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société DMVA au paiement de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens pour la procédure devant la cour ;

- dire que l'ensemble des condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la première saisine du bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Creil ;

- débouter la société DMVA de toute demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur la nullité du contrat d'apprentissage

L'employeur soutient qu'il justifie désormais du dépôt du contrat d'apprentissage et de sa prise en charge financière, le retard pris dans ce dépôt ne pouvant être sanctionné par la nullité du contrat.

M. [F] répond que les nouvelles pièces produites ne font toujours pas preuve de l'enregistrement du contrat d'apprentissage dans les 5 jours de sa signature, ni même d'un accord de financement à défaut de signature sur le document versé aux débats, et demande, outre le rappel de salaire, une indemnité de requalification.

L'article D.6224-1 alinéa 1 et 3 du code du travail dispose qu'au plus tard dans les cinq jours ouvrables qui suivent le début de l'exécution du contrat d'apprentissage, l'employeur transmet ce contrat, accompagné de la convention mentionnée à l'article L. 6353-1 et, le cas échéant, de la convention tripartite prévue au troisième alinéa de l'article L. 6222-7-1, à l'opérateur de compétences. Les transmissions prévues au présent article peuvent se faire par voie dématérialisée.

En application des dispositions des articles D.6224-2 et 4 du même code, à réception du contrat, l'opérateur de compétences se prononce sur la prise en charge financière, puis dépose le contrat, par voie dématérialisée, auprès des services du ministre en charge de la formation professionnelle.

Aucun texte ne prévoit la nullité du contrat d'apprentissage en cas de transmission tardive à l'opérateur de compétences.

En l'espèce, les parties ont signé un contrat d'apprentissage le 31 août 2020 visant un début d'exécution au 2 septembre 2020.

Si l'employeur ne justifie pas de l'envoi du contrat à l'opérateur de compétences dans les 5 jours de ce début d'exécution, il produit un accord de financement adressé le 10 novembre 2020 par cet opérateur précisant que le contrat a été déposé auprès de l'Administration le même jour.

S'agissant d'échanges dématérialisés, le fait que ce document, à entête de l'opérateur et comportant toutes les références du dossier, ne comporte pas de signature sous le nom de sa directrice régionale ne le rend pas suspect pour autant.

De même, l'absence de renseignement du cadre réservé à l'opérateur sur le contrat est expliquée par ce dernier dans un courriel du 17 janvier 2023 qui confirme qu'avec la mise en 'uvre de la dématérialisation, il n'est plus fait retour du contrat avec la partie intitulée « cadre réservé à l'organisme en charge du dépôt du contrat ».

L'opérateur devant nécessairement être en possession du contrat pour se prononcer sur la prise en charge financière de la formation, seul un retard de transmission peut être reproché à l'employeur.

Aucun texte ne permettant de sanctionner ce retard par la nullité du contrat d'apprentissage, il convient de débouter le salarié de sa demande de ce chef et de ses demandes subséquentes par infirmation du jugement entrepris.

2/ Sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée

Le salarié soulève l'absence de motif du recours au contrat précaire dans le contrat à durée déterminée signé le 13 juillet 2021 soulignant qu'il est resté 14 jours à travailler sans contrat écrit à l'issue de ce contrat avant la signature d'un contrat à durée indéterminée.

L'employeur reconnaît l'absence de stipulation quant au motif du recours au contrat à durée déterminée mais souligne le peu de conséquences dommageables pour le salarié qui a été finalement embauché en contrat à durée indéterminée.

L'article L.1242-12 alinéa 1 du code du travail dispose que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif.

A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée en application de l'article L.1245-1 du même code, et la requalification ouvre droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire en application de l'article L.1245-2.

En l'espèce, le contrat de travail à durée déterminé signé le 13 juillet 2021 ne comportant aucun motif de recours à ce type de contrat, il convient de le requalifier en contrat de travail à durée indéterminée et d'accorder à M. [F] une indemnité de 2  145,79 euros par infirmation du jugement entrepris.

3/ Sur la rupture du contrat de travail

3-1/ sur le bien-fondé du licenciement

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :

« Suite à l'entretien de ce jour le 22 mars 2022, nous vous informons de notre décision de vous licencier :

- pour insubordination répétée envers vos collègues et moi-même,

- conduite à risque du véhicule de la société.

Par conséquent, ces motifs justifient votre licenciement pour faute grave. Votre licenciement prend donc effet immédiatement ».

L'employeur se prévaut des attestations produites pour démontrer l'existence des fautes alléguées soutenant que les faits se sont produits en février et mars 2022.

Le salarié soulève la prescription des faits fautifs allégués, et conteste la réalité des griefs qui lui sont reprochés soulignant que l'employeur ne l'aurait pas renouvelé à son poste depuis plus de 3 ans s'il avait commis ces faits. Il ajoute que le licenciement n'étant pas intervenu dans un délai restreint, aucune faute grave ne peut être retenue et souligne le caractère peu objectif de l'attestation de Mme [G], mère du gérant de la société.

En application de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, concernant le grief d'insubordination visé dans la lettre de licenciement, qui consiste à désobéir à une consigne et non à se montrer irrespectueux, la cour constate qu'aucun des témoignages produits ne date le comportement reproché.

L'employeur ne rapportant pas la preuve qu'il avait connaissance de ces faits ou de leur persistance depuis moins de deux mois à la date à laquelle il a engagé la procédure de licenciement, il ne pouvait les retenir à l'encontre du salarié.

Concernant le grief de conduite à risque du véhicule de société, il ressort de l'attestation de M. [Z], salarié de l'entreprise, que M. [F] a quitté un chantier à toute vitesse fin février 2022, et de l'attestation de Mme [G], gérante de la société, qu'elle a failli entrer en collision avec un véhicule de l'entreprise conduit à vive allure par M. [F] début mars 2022.

La procédure de licenciement ayant été engagée le 16 mars 2022, ces faits ne sont pas prescrits.

En revanche, s'agissant d'un salarié travaillant au service de la société depuis plus de 3 ans et demi dont le contrat d'apprentissage a été transformé en contrat à durée indéterminée et n'ayant jamais été sanctionné auparavant, le licenciement disciplinaire prononcé apparait disproportionné pour les seuls deux faits fautifs peu circonstanciés qui sont établis, l'employeur n'ayant d'ailleurs pas jugé utile de notifier une mise à pied conservatoire malgré le caractère de dangerosité qu'il invoque.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a alloué des indemnités de rupture à M. [F] qui ne sont pas contestées dans leur quantum.

L'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, le salarié peut prétendre à une indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, d'un montant compris entre 3 et 4 mois de salaire.

M. [F] demandant la confirmation du jugement qui lui a accordé une indemnité équivalente à 3 mois de salaire, il convient de faire droit à cette demande.

3-2/ sur la régularité de la procédure de licenciement

Le salarié se prévaut de la notification du licenciement le jour de l'entretien préalable pour fonder sa demande d'indemnisation contestant toute pression de sa part.

L'employeur reconnait l'irrégularité de la procédure de licenciement mais rappelle que l'indemnité prévue en ce cas ne peut se cumuler avec les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'article L.1235-2 alinéa 5 du code du travail dispose que lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

En l'espèce, le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, le salarié ne peut prétendre à l'indemnité prévue par le texte précité.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

3-3/ sur les circonstances brutales et vexatoires du licenciement

L'employeur oppose l'absence de preuve d'un comportement fautif de sa part alors qu'il subissait la pression du salarié pour que son licenciement lui soit immédiatement notifié, et l'absence de preuve de l'existence d'un préjudice.

Le salarié invoque le caractère brutal du licenciement notifié le jour de l'entretien préalable ayant provoqué un syndrome anxiodépressif réactionnel.

La cour rappelle que le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice particulier lié au caractère brutal et vexatoire de la procédure mais qu'il lui appartient d'établir à cet égard un comportement fautif de l'employeur et de justifier de son préjudice.

En l'espèce, il est constant que le licenciement a été notifié à M. [F] le jour de l'entretien préalable, qui a vocation à permettre au salarié de prendre connaissance des motifs invoqués par l'employeur et de s'expliquer sur les éventuels reproches qui lui sont faits, avec éviction immédiate alors qu'aucune mise à pied conservatoire n'avait été prononcée.

La version de l'employeur, selon laquelle cette notification précipitée a été provoquée par le comportement du salarié ne pouvant être retenue à défaut de preuve de ces allégations, le caractère brutal de la procédure de licenciement est établi.

Au vu du certificat médical du Docteur [I] attestant d'une consultation de M. [F] le 28 mars 2022 pour un syndrome anxiodépressif réactionnel, ce dernier justifie de son préjudice.

Il convient donc de lui allouer 500 euros de dommages et intérêts comme justement apprécié par les premiers juges.

3-4/ sur la demande en répétition de l'indu

Le salarié soutient que la demande reconventionnelle ne repose sur aucun fondement.

L'employeur demande la restitution de la somme de 400 euros versée par erreur au salarié dans le cadre du solde de tout compte, contestant toute intention libérale au regard du comportement irrévérencieux du salarié.

L'article 1302 alinéa 1 du code civil dispose que tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.

C'est au demandeur en restitution des sommes qu'il prétend avoir indûment payées qu'il incombe de prouver le caractère indu du paiement.

En l'espèce, pour preuve de l'existence d'un indu, l'employeur se fonde uniquement sur un courriel du salarié du 31 mai 2022 s'étonnant d'avoir perçu 400 euros en trop et demandant s'il s'agit d'un « cadeau ».

Le salarié contestant désormais le caractère indu de cette somme, ce seul élément ne saurait suffire à démontrer qu'elle lui a été versée à tort à défaut de toute explication de l'employeur, sauf à inverser la charge de la preuve.

Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à la demande en répétition de l'indu de l'employeur.

4/ Sur les demandes accessoires

Au vu du sens de la présente décision, il convient d'infirmer le jugement entrepris quant à la remise de bulletins de paie et documents de fin de contrat rectifiés et de prévoir une remise conforme au présent arrêt dans le mois de sa notification sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse justifié.

Les condamnations ne concernant que des créances indemnitaires, les intérêts moratoires courent de plein droit à compter du prononcé du jugement pour les dispositions confirmées et de l'arrêt pour l'indemnité de requalification.

L'employeur succombant principalement, le jugement entrepris est confirmé quant aux dépens et frais irrépétibles, et les dépens d'appel sont mis à sa charge.

L'équité commande de la condamner à payer au salarié 1 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel et de rejeter sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, a accordé au salarié des indemnités de rupture et des dommages et intérêts en conséquence ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement dans des circonstances brutales, l'a débouté de sa demande d'indemnisation pour procédure de licenciement irrégulière, et a condamné l'employeur au titre des frais irrépétibles et des dépens,

statuant à nouveau et y ajoutant,

requalifie le contrat de travail à durée déterminée du 13 juillet 2021 en contrat de travail à durée indéterminée,

condamne la société Démolition maçonnerie voirie assainissement à payer à M. [J] [F] les sommes suivantes :

2 145,79 euros d'indemnité de requalification,

1 000 euros au titre des frais irrépétibles,

ordonne à la société Démolition maçonnerie voirie assainissement de remettre à M. [J] [F] un bulletin de paie et des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt dans le mois de sa notification,

rejette le surplus des demandes,

condamne la société Démolition maçonnerie voirie assainissement aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 23/00590
Date de la décision : 27/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-27;23.00590 ?
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