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27/03/2024 | FRANCE | N°22/05436

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 27 mars 2024, 22/05436


ARRET







S.A.S. COBAT CONSTRUCTIONS





C/



[P]



























































copie exécutoire

le 27 mars 2024

à

Me SEVILLIA

Me BOYER HEMON

EG/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 27 MARS 2024



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N° RG 22/05436 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUCA



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 01 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00281)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.S. COBAT CONSTRUCTIONS

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée, concluant et plaidant par ...

ARRET

S.A.S. COBAT CONSTRUCTIONS

C/

[P]

copie exécutoire

le 27 mars 2024

à

Me SEVILLIA

Me BOYER HEMON

EG/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 27 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 22/05436 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUCA

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 01 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00281)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. COBAT CONSTRUCTIONS

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Benoît SEVILLIA de la SCP LACHAUD MANDEVILLE COUTADEUR & Associés - DROUOT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIME

Monsieur [Z] [N] [P]

né le 16 Octobre 1974 à [Localité 6] ( PORTUGAL )

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté concluant et plaidant par Me Martine BOYER HEMON, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

Me Antoine CANAL, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 31 janvier 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 27 mars 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 27 mars 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [P], né le 16 octobre 1974, a été embauché à compter du 23 novembre 2018 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société Cobat constructions (la société ou l'employeur), en qualité de chef de chantier statut cadre.

La société compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des cadres du bâtiment.

M. [P] a été en arrêt de travail du 5 février au 10 mars 2021.

Le 9 avril 2021, il a fait l'objet d'une mise à pied prononcée oralement.

Par courrier du 14 avril 2021, il a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 23 avril 2021, et informé du caractère conservatoire de la mise à pied prononcée le 9 avril 2021.

Le 11 mai 2021, il a été licencié pour faute grave par lettre ainsi libellée :

« Monsieur,

Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d'une faute grave.

En effet, sur le chantier de [Localité 5], votre responsable hiérarchique, M. [C], a constaté les faits suivants :

- Un décalage de la façade rez-de-chaussée sur rue du bâtiment B de 5 cm vers l'intérieur du bâtiment. Ce qui nous oblige à :

Adapter les dimensions des caves et des locaux,

Charger le voile de façade de 5 cm pour s'aligner aux façades des niveaux supérieurs

- Décalage de la façade rez-de-chaussée sur cour du bâtiment C de 14.5 cm suite à une erreur de traçage. Erreur constatée avant coulage du plancher haut du rez-de-chaussée. Remise en place de la façade avant coulage du plancher, ce qui a engendré un retard sur l'avancement du bâtiment C de 2 semaines.

- Désafleur de 7 cm sortant de la façade rez-de-chaussée sur rue du bâtiment suite à la réalisation d'un voile de 32 cm d'épaisseur au lieu de 25 cm. Ce qui nous a obligé à scier le désafleur pour s'aligner aux façades des différents niveaux.

- Coulage des arases de l'ensemble des voiles du R+1 bâtiment B et R+1 du bâtiment C de 10 à 15 cm trop haut. Ce qui nous a obligé à piocher l'ensemble des arases après coffrage des planchers et avant ferraillage de ceux-ci. Cela a entrainé un retard sur l'avancement d'environ 1 semaine et demi, soit trois semaines sur l'ensemble du planning.

- Décalage d'un voile intérieur au rez-de-chaussée du bâtiment D de 14.5 cm suite à une erreur de traçage. Ce qui a entrainé un retard du bâtiment D d'environ 3 jours.

Toutes ses erreurs ont retardé le chantier de 3 mois alors même que nous avions un mois d'avance avant votre arrivée sur le chantier, elles ont engendré un surcoût du chantier de plus de 47 000 euros.

Par ailleurs, certains de nos sous-traitants nous ont rapportés que vous bloquiez volontairement l'avancement du chantier dans le but de leur soutirer de l'argent.

Cette conduite met en cause la bonne marche de l'entreprise et les explications recueillies auprès de vous lors de notre entretien du 23 avril dernier, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 11 mai 2021, sans indemnités ni préavis de licenciement.

Nous vous rappelons que vous avez fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent. La période non travaillée du 9 avril au 11 mai 2021 nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée ».

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, il a saisi, par requête du 24 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Beauvais.

Par jugement du 1er décembre 2022, le conseil a :

- dit et jugé que la mise à pied conservatoire prononcée le 9 avril 2021 était fondée ;

- dit que le licenciement pour faute grave de M. [P] n'était pas justifié et l'a requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- fixé le salaire moyen mensuel de référence à 4 997 euros brut ;

- condamné la société Cobat constructions à verser à M. [P] :

3 685,28 euros d'indemnité de licenciement ;

14 991 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

1 499,10 euros brut au titre des congés payés sur préavis ;

4 065,18 euros brut au titre de la mise à pied conservatoire ;

406,51 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

10 998 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1 727,13 euros au titre du maintien de salaire, et 172,71 euros pour congés payés y afférents au titre du maintien de salaire ;

- ordonné la remise de l'attestation à destination de la Caisse nord-ouest du BTP à concurrence des congés payés dus au total, soit la somme de 2 077,41 euros ;

- condamné la société Cobat constructions à payer à M. [P] 500 euros au titre de 1'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens ;

- dit qu'il n'y avait pas lieu à exécution provisoire ni calcul d'intérêts ;

- débouté M. [P] de ses autres demandes ;

- débouté la société Cobat constructions de sa demande reconventionnelle.

La société Cobat constructions, régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2023, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Beauvais en ce qu'il a jugé que la mise à pied à titre conservatoire prononcée le 9 avril 2021 était fondée, jugé qu'il n'y avait pas lieu à exécution provisoire ni calcul d'intérêts, et débouté M. [P] de ses autres demandes ;

- infirmer le jugement en ce qu'il :

- a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- l'a condamnée à verser à M. [P] 3 685,28 euros d'indemnité de licenciement, 14 991 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 1 499,10 euros brut au titre des congés payés sur préavis, 4 065,18 euros brut au titre de la mise à pied conservatoire, 406,51 euros brut au titre des congés payés y afférents, 10 998 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 727,13 euros au titre du maintien de salaire et 172,71 euros pour congés payés au titre du maintien de salaire ;

- l'a condamnée à remettre une attestation à la Caisse des congés payés du bâtiment du nord-ouest à concurrence de 2 077,41 euros ;

- l'a condamnée à verser à M. [P] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'a condamnée aux frais et dépens ;

- l'a déboutée de sa demande reconventionnelle ;

Et, statuant à nouveau :

- juger que la mise à pied à titre conservatoire de M. [P] est fondée ;

- juger que le licenciement pour faute grave est fondé ;

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens.

M. [P], par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 juin 2023, demande à la cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a validé la qualification de mise à pied conservatoire prononcée du 9 avril 2021 au 11 mai 2021 ;

Ce faisant,

- juger que cette mise à pied est disciplinaire ;

- juger en conséquence le licenciement intervenu le 11 mai 2021 sans cause réelle ni sérieuse en raison du non-cumul des sanctions ;

- juger que le pouvoir disciplinaire de l'employeur étant épuisé, le licenciement intervenu le 11 mai 2021 est sans cause réelle ni sérieuse,

Subsidiairement,

- juger, par voie d'infirmation, que les griefs évoqués sont prescrits,

Très subsidiairement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement intervenu le 11 mai 2021 sans cause réelle ni sérieuse ;

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Cobat constructions à lui payer :

3 685,28 euros à tire d'indemnité de licenciement ;

14 991 euros au titre du préavis, outre la somme de 1 499,10 euros au titre des congés payés afférents ;

4 065,18 euros au titre du salaire de mise à pied conservatoire outre la somme de 406,18 euros au titre des congés payés afférents ;

1 727,13 euros au titre du maintien du salaire outre 172,13 euros au titre des congés payés afférents ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

limité à 10 988 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

refusé tout calcul d'intérêts et anatocisme ;

fixé à 500 euros les frais irrépétibles de première instance ;

- juger que la société Cobat constructions lui règlera la somme de 19 988 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- ordonner la remise de l'attestation à destination de la caisse nord-ouest du BTP à concurrence des congés payés dus au total soit la somme 2 077,41 euros (1 499,10 euros + 406,18 euros + 172,13 euros) demande omise par les premiers juges au titre du pouvoir d'évocation de la Cour ;

- ordonner que les condamnations requises à titre de salaire porteront intérêts à compter de la date de convocation des parties devant le BCO, soit le 7 décembre 2021 et les condamnations indemnitaires à compter du prononcé du jugement ;

- ordonner la capitalisation des intérêts ;

- condamner la société au paiement de la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

- condamner la société Cobat constructions au paiement de la somme de 2 430 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel lesquels comprendront les frais d'exécution du présent arrêt.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la combinaison des articles 4 et 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, qu'en appel, dans les procédures avec représentation obligatoire, ces prétentions, ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées, doivent être expressément formulées dans les conclusions et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Or, la cour relève que si M. [P] sollicite, dans la discussion de ses écritures, l'infirmation du jugement déféré qui a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice financier subi compte-tenu d'une négligence fautive de l'employeur, cette demande n'est pas reprise au dispositif de ses dernières conclusions.

En l'absence de toute prétention énoncée sur ce point au dispositif de ses conclusions, la cour n'est donc pas saisie de cette demande, et le jugement déféré, qui l'a rejetée, sera confirmé.

1. Sur le maintien de salaire

M. [P] expose que l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de maintenir son salaire pendant l'arrêt de travail du 5 février au 10 mars 2021 dans les conditions prévues par la convention collective, et qu'après déduction des 411,15 euros qui lui ont été payés et des indemnités journalières de la sécurité sociale, l'employeur lui est toujours redevable à ce titre de la somme de 1 727,13 euros, outre 172,13 euros de congés payés afférents.

La société Cobat constructions réplique que le salarié est seul responsable de ce que la caisse primaire d'assurance maladie l'a indemnisé en dehors du régime de l'accident du travail et que les arrêts de travail qu'il a adressés à la caisse ne faisaient pas mention d'un accident du travail.

Sur ce,

Il résulte de l'article 5.3 de la convention collective nationale des cadres du bâtiment qu'en cas d'arrêt de travail pour un accident ou une maladie couverts par la législation de sécurité sociale relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, ou en cas d'arrêt de travail pour un accident ou une maladie non professionnels de tout cadre justifiant d'une année de présence dans l'entreprise, l'employeur, pendant les 90 premiers jours, verse au cadre l'intégralité de ses appointements mensuels, sous réserve de reversement, par l'intéressé, des indemnités journalières qu'il percevra de la sécurité sociale.

Le montant total de ces indemnisations et des indemnités journalières versées par la sécurité sociale ne pourra avoir pour effet d'excéder la rémunération qui aurait été perçue par le cadre s'il avait travaillé.

En l'espèce, le salarié disposant d'une ancienneté supérieure à un an dans l'entreprise et se voyant, par là même, garantir par la convention collective le maintien intégral de son salaire pendant 90 jours en cas d'accident d'origine professionnelle ou non, l'argumentation soutenue par l'employeur, de ce que les certificats d'arrêt de travail ne faisaient pas mention d'un accident du travail, est inopérante.

M. [P], victime d'un accident le 5 février 2021 dont il apparait, de surcroît, qu'il a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la CPAM, bénéficiait donc de la garantie conventionnelle de maintien intégral de son salaire pour l'arrêt de travail continu qu'il a observé à compter de cette date jusqu'au 10 mars 2021.

Par ailleurs, étant rappelé que les indemnités de maintien de salaire, combinées aux indemnités journalières de la sécurité sociale, ne peuvent excéder la rémunération qui aurait été perçue par le salarié s'il avait travaillé, M. [P] ne peut utilement soutenir que l'indemnisation totale qu'il aurait dû percevoir s'élevait à 4 997 euros alors que ses bulletins de salaire des mois de février et mars 2021 font apparaitre des retenues sur salaire pour un montant inférieur de 4 237,94 euros.

Ainsi, après déduction des sommes de 411,15 euros correspondant au salaire maintenu par l'employeur et de 2 858,72 euros d'indemnités journalières versées par la CPAM, le salarié est bien fondé à obtenir le paiement de 968,07 euros à titre de solde de maintien de salaire pour l'arrêt de travail du 5 février au 10 mars 2021.

Les sommes dues par l'employeur au titre du maintien de salaire ayant une nature indemnitaire car ayant pour objet de compléter les indemnités journalières payées par l'assurance maladie, le salarié doit être débouté de sa demande de congés payés sur maintien de salaire.

Le jugement déféré qui a condamné la société Cobat constructions à payer au salarié 1 727.30 euros au titre du maintien de salaire, et 172,71 euros de congés payés sur maintien de salaire est donc infirmé.

2. Sur la rupture du contrat de travail

2.1 Sur l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur

M. [P] expose que la mise à pied prononcée oralement à son encontre le 9 avril 2021 n'est pas concomitante à l'engagement des poursuites disciplinaires compte-tenu de sa convocation à un entretien préalable par lettre du 14 avril 2021, et que l'employeur ne précise pas la nature des investigations qu'il prétend avoir mené dans ce délai. Il affirme ainsi que l'employeur doit être réputé avoir épuisé son pouvoir disciplinaire à l'égard des faits qui lui sont reprochés, de sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

La société Cobat constructions réplique qu'un court délai de quelques jours peut être admis entre la mise à pied et la convocation lorsque l'employeur a besoin de temps pour mener des investigations supplémentaires. Elle affirme que le délai de 5 jours, incluant un week-end, entre la mise à pied conservatoire et la convocation à l'entretien préalable a été mis à profit pour échanger en interne avec les différents interlocuteurs du salarié.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1332-3 du code du travail, lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'article L 1332-2 ait été respectée.

La mise à pied, nonobstant sa qualification de mise à pied conservatoire retenue par l'employeur, prononcée sans engagement concomitant des poursuites disciplinaires a un caractère disciplinaire.

En présence d'un court délai entre la mise à pied et la convocation à l'entretien préalable, il appartient à l'employeur d'en justifier le motif.

En l'espèce, il est établi que, le 9 avril 2021, M. [P] a fait l'objet d'une mesure de mise à pied prononcée oralement et que, par lettre du 14 avril 2021 précisant le caractère conservatoire de cette précédente mise à pied, il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 23 avril 2021.

Or, il ressort des explications données par l'employeur dans ses écritures qu'il a découvert pendant le mois de mars 2021, après avoir recueilli les récits des personnes travaillant habituellement avec M. [P], qu'il exigeait le versement de sommes d'argent auprès des sous-traitants de la société, et que le 9 avril 2021, M. [V], sous-traitant de la société, a présenté une copie d'écran faisant état d'un virement bancaire sur le compte de la fille du salarié.

Si l'employeur décrit précisément la manière dont il a eu connaissance des faits qu'il reproche au salarié jusqu'au 9 avril 2021, date du prononcé de la mise à pied litigieuse, il ne précise ni ne justifie de la nature des investigations menées postérieurement.

La société Cobat constructions ne justifiant d'aucun motif au délai de cinq jours séparant le prononcé de la mise à pied et l'engagement de la procédure de licenciement, cette mise à pied, nonobstant sa qualification ultérieure de mise à pied conservatoire, a un caractère disciplinaire.

L'employeur qui avait, dans ces conditions, épuisé son pouvoir disciplinaire, ne pouvait sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant son licenciement.

Dès lors, par substitution des motifs retenus par les premiers juges, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement prononcé à l'encontre de M. [P] était sans cause réelle et sérieuse.

2.2 Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [P] expose qu'en l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, il est en droit d'obtenir le paiement d'une indemnité de préavis, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, de son salaire retenu durant la mise à pied injustifiée et l'octroi de dommages et intérêts pour un montant de 19 988 euros contestant la validité du barème Macron au motif que le comité d'expert de l'OIT estime que la conformité du barème à la convention n°158 suppose l'examen régulier du barème d'indemnisation par le gouvernement français.

La société Cobat constructions ne présente aucun moyen ou argument sur ces points.

Sur ce,

L'article 7.1 de la convention collective nationale des cadres du bâtiment prévoit qu'en cas de licenciement autre que pour faute grave, la durée du préavis est fixée à 2 mois si le cadre a moins de 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise et à 3 mois à partir de 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise.

Selon les articles 7.4 et 7.5 de cette même convention, sauf en cas de licenciement pour faute grave, une indemnité de licenciement, est versée au cadre licencié qui, n'ayant pas 65 ans révolus, justifie de 2 à 10 ans d'ancienneté dans l'entreprise, et dont le montant est fixé à 3/10 de mois par année d'ancienneté.

L'article L.1235-3 du code du travail prévoit l'octroi d'une indemnité à la charge de l'employeur au bénéfice du salarié dont le licenciement est survenu pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse. Lorsque son ancienneté dans l'entreprise est supérieure à 2 années, le montant de cette indemnité est compris entre 3 et 3,5 mois de salaire.

En l'espèce, la mise à pied du 9 avril 2021 étant qualifiée de mise à pied disciplinaire, M. [P] ne peut prétendre à un rappel de salaire sur la période concernée sans demander l'annulation de cette sanction.

Le salarié fondant sa demande de rappel de salaire sur le caractère injustifié de la mise à pied conservatoire du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, il convient de le débouter sur ce point par infirmation du jugement entrepris.

M. [P], embauché à compter du 23 novembre 2018, justifie, à l'issue du préavis de deux mois suivant son licenciement prononcé le 11 mai 2021, d'une ancienneté de 2 ans et 7 mois dans l'entreprise et d'un salaire mensuel de référence équivalant à 4 997 euros, montant non spécifiquement contesté par l'employeur.

Il conviendra ainsi de condamner la société à payer au salarié la somme de 14 991 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 1 499,10 euros de congés payés afférents.

Il sera également alloué au salarié une indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 3 685,28 euros.

Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.

Par ailleurs, M. [P] soutient à tort que le barème d'indemnisation institué par l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 n'est pas conforme aux textes internationaux et notamment aux dispositions de la convention n°158 de l'OIT, de sorte qu'il ne lui est pas opposable.

En effet, d'une part, conformément à l'article 19 de la constitution de l'OIT, les membres ne sont soumis à aucune obligation quant aux recommandations émises par les organes de l'organisation, à l'exception de celles de soumettre ces mêmes recommandations aux autorités compétentes et de faire rapport au directeur général du bureau international du travail sur l'état de la législation et de la pratique concernant la question qui fait l'objet de la recommandation.

Les observations et recommandations formulées par le comité chargé d'examiner la réclamation alléguant l'inexécution par la France de la convention (n°158) adoptées lors de la 344ème session du conseil d'administration de l'OIT, ainsi que celles du comité d'experts pour l'application des conventions et recommandations publiées lors de la 111e session de la conférence internationale du travail, n'ont, en conséquence, aucun caractère impératif en droit interne.

D'autre part, il est relevé que ces deux comités n'ont pas conclu à l'inconventionnalité des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail à l'égard de la convention n°158, ni que le barème d'indemnisation français ne permettrait pas, en l'état, de garantir au salarié injustement licencié une réparation adéquate de son préjudice quelle que soit l'étendue de celui-ci.

Or, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

De plus, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT que le juge apprécie souverainement.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention précitée.

Il y a donc lieu de rejeter le moyen et d'appliquer le barème institué par l'article L.1235-3.

Compte-tenu des circonstances de la rupture, de l'effectif de la société, du montant de la rémunération de M. [P], alors âgé de 46 ans au jour de son licenciement, de l'ancienneté de ses services, et sans toutefois qu'il soit justifié de la période durant laquelle il est demeuré sans emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 15 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris qui a fixé les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 10 999 euros est donc infirmé.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d'office des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

3. Sur les autres demandes

Compte-tenu de ce qui précède, il conviendra d'ordonner à la société Cobat constructions de remettre à M. [P] les bulletins de salaire, les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt.

La demande du salarié tendant à ordonner à l'employeur de lui remettre un certificat justificatif de ses droits à congé destiné à la caisse congés intempéries BTP - caisse du Nord-Ouest mentionnant la somme 2 077,41 euros, qui n'est assortie d'aucun moyen présenté dans la discussion de ses conclusions, sera rejetée, et le jugement entrepris, qui y a fait droit, sera infirmé.

En application des dispositions prévues aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire produisent intérêts au taux légal de plein droit à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il y a également lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société Cobat constructions, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel, et à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

La société sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la société Cobat constructions à payer au salarié 1 727,30 euros au titre du maintien de salaire, outre 172,71 euros de congés payés afférents, 10 999 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonné la remise de l'attestation à destination de la Caisse nord-ouest du BTP à concurrence des congés payés dus, soit la somme de 2 077,41 euros, et rejeté les demandes concernant les intérêts moratoires et la capitalisation des intérêts,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Cobat constructions à payer à M. [P] :

- 968,07 euros de maintien de salaire au titre de l'arrêt de travail du 5 février au 10 mars 2021,

- 15 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Ordonne à la société Cobat constructions de remettre à M. [P] les bulletins de salaire, et les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt,

Ordonne à la société Cobat constructions de rembourser à l'antenne France travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société Cobat constructions aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/05436
Date de la décision : 27/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-27;22.05436 ?
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