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21/03/2024 | FRANCE | N°22/04682

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 21 mars 2024, 22/04682


ARRET







[G]





C/



S.A. [N]































































copie exécutoire

le 21 mars 2024

à

Me AGBOVOR

Me BAROFFIO

CBO/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 21 MARS 2024



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N° RG 22/04682 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ISV2



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 28 SEPTEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00056)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [K] [G]

née le 14 Octobre 1984 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]



re...

ARRET

[G]

C/

S.A. [N]

copie exécutoire

le 21 mars 2024

à

Me AGBOVOR

Me BAROFFIO

CBO/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 21 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 22/04682 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ISV2

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 28 SEPTEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00056)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [K] [G]

née le 14 Octobre 1984 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée, concluant et plaidant par Me Nolwenn AGBOVOR, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A. [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Géraldine BAROFFIO de la SCP BAROFFIO - MARCHAND - GIUDICELLI, SCP D'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN

DEBATS :

A l'audience publique du 25 janvier 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame [W] [D] en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Madame [W] [D] indique que l'arrêt sera prononcé le 21 mars 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame [W] [D] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 21 mars 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [G], née le 14 octobre 1984, a été embauchée à compter du 22 octobre 2007 dans le cadre d'un contrat d'apprentissage par la société [N], ci-après dénommée la société ou l'employeur. La relation contractuelle s'est ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2009, avec reprise d'ancienneté au 22 octobre 2007, au poste de chargée qualité sécurité environnement.

La société [N] emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des cadres, ingénieurs et assimilés des entreprises de gestion d'équipements thermiques et de climatisation.

Au dernier état de la relation contractuelle, elle exerçait la fonction de responsable d'exploitation.

Par courrier remis en main propre le 29 janvier 2021, Mme [G] a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 10 février 2021.

Le 16 février 2021, la salariée s'est vu notifier son licenciement pour faute, par lettre ainsi libellée :

Madame,

Vous avez été reçue le 10 février 2021 pour un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, en présence de [L] [B], directeur du centre opérationnel Picardie et [E] [F], directrice des ressources humaines.

Vous étiez assistée de [V] [R], déléguée syndicale.

Nous vous rappelons les faits qui vous sont reprochés :

Vous occupez la fonction de responsable d'exploitation et avez la responsabilité du secteur du sud de l'Aisne.

S'agissant de votre comportement managérial :

Le 15 décembre 2020, votre directeur de centre opérationnel a organisé une réunion avec vous et l'un de vos managers opérationnels, M. [Y]. [S], après que celui-ci l'ait interpelé le 8 décembre suite à une violente dispute entre lui et vous.

La rencontre du 15 décembre avait pour but d'échanger à trois, remettre une communication normale afin de retrouver un relationnel normal dans le secteur d'exploitation.

Pourtant, l'échange est devenu vite incontrôlable. Afin d'échanger en aparté avec vous, S. [B] a demandé à P. [S] de vous laisser seuls. Alors que [I] se levait, vous vous êtes emportée de manière incompréhensible et avez quitté la réunion en claquant violemment la porte de l'agence alors que votre directeur de centre opérationnel tentait de vous retenir.

Votre comportement a été excessif et irrationnel. En tant que manager, vous vous devez d'être exemplaire dans votre comportement et n'avait pas à vous emporter avec autant d'excès vis-à-vis de votre collaborateur.

De même, vis-à-vis de votre propre hiérarchie, vous vous devez d'être respectueuse. Vous avez décidé de mettre brutalement fin à l'échange du 15 décembre alors que celui-ci n'avait que pour seul but d'apaiser des relations distendues. Votre hiérarchie, S. [B], s'était rendue disponible pour cette rencontre et vous avez cru bon de décider de quitter la salle et même l'agence alors que votre supérieur hiérarchique voulait s'entretenir individuellement avec vous. Cette insubordination n'est pas acceptable.

Lors de l'entretien du 11 février, sans nier votre difficulté relationnelle avec P. [S] et le fait d'avoir quitté de manière impétueuse la réunion du 15 décembre, vous avez contesté le déroulé des faits de la réunion.

S'agissant de votre défaut de communication vis-à-vis de l'un de vos clients:

Plusieurs de nos clients importants du sud de l'Aisne se sont plaints auprès de votre directeur de centre du fait de votre non communication vis-à-vis d'eux.

Ainsi, par e-mail du 20 novembre 2020, notre client de la région Hauts de France lui indique qu'il essaie de vous joindre en vain car il n'a pas reçu la veille et comme prévu, plusieurs éléments (compte-rendu de situation, plan d'action etc...) suite à un dysfonctionnement de température sur des bâtiments. Il n'est pas normal que votre hiérarchie soit directement saisie de ce type de dysfonctionnement. S'il avait eu le moindre contact avec vous, il est certain que notre client n'aurait pas alerté votre directeur de votre non-respect de l'engagement de revenir vers lui.

Par ailleurs, par e-mail du 13 janvier dernier, notre client du département de l'Aisne s'adresse lui aussi directement à votre directeur de centre opérationnel afin de lui faire part de nombreux dysfonctionnements sur le secteur, tout en lui précisant que le dialogue est totalement rompu avec vous et qu'il ne reçoit de votre part, aucune réponse à ses demandes d'explication. Ainsi, il informe [B] que des pénalités ont été notifiées (21/12/20) du fait du non traitement de leurs demandes alors même que vous vous y étiez engagée par oral lors d'une réunion d'exploitation (04/12/20); à la date de l'envoi de l'e-mail, ces pénalités n'ont toutefois pas permis de résoudre la situation. De même, il lui pointe plusieurs dysfonctionnements : non-respect récurrent des délais d'intervention en astreinte et non-respect de son information préalable avant envoi direct de nouvelles procédures.

Outre votre absence de communication vis-à-vis de lui, il fait part de votre comportement tant sur le fond que sur la forme, qui a dérangé plusieurs collègues du client, lors d'une réunion du 25 septembre.

Au cours de l'entretien du 11 février, vous n'avez apporté aucun élément contrariant ces faits tout en avançant le fait que les dires de ces clients n'étaient pas suffisamment précis. Les deux clients saisissant votre supérieur hiérarchique ont pourtant pris la peine de détailler les dysfonctionnements et les non-réponses apportées par vos soins.

S'agissant de votre gestion d'une situation de crise relative à une rupture de chauffage sur un important ensemble de logements :

Du 8 au 11 janvier 2021, une panne totale de chauffage s'est produite sur le quartier [Adresse 7] à [Localité 6]. Ainsi, près de 180 logements se sont retrouvés sans chauffage pendant 4 jours dont le weekend entier alors que la température extérieure était de -1°C la nuit.

Face à cette situation privant de chauffage près de 500 personnes, France 3 Picardie a réalisé un reportage et le journal L'Union a rédigé un article de presse. La direction locale de [O], notre client bailleur social, est intervenue sur place et le Maire de [Localité 6] a interpelé la direction de [O].

Pourtant, et alors que vous étiez au courant dès le 9 janvier de cette rupture de chauffage, vous n'avez à aucun moment, cru bon d'informer de cet incident majeur, la direction du centre opérationnel de Picardie qui a découvert les faits en discutant avec un client de la ville de [Localité 6] le 12 Janvier 2021 !

Persistant dans votre non-communication sur le sujet auprès de votre hiérarchie, vous avez adressé le 14 janvier au client, un rapport relatif à cet incident.

Si des casses réseaux sont régulièrement réparées en astreinte le weekend sur l'ensemble de la Picardie, tous les responsables d'exploitation des secteurs informent systématiquement le directeur de centre opérationnel des incidents majeurs qui surviennent sur leurs installations. Si vous aviez, comme il se doit, communiqué avec votre hiérarchie dans les toutes premières heures de l'incident, des solutions auraient pu être apportées dans un délai plus raisonnable que celui de 4 jours ; cela aurait pu éviter l'importante pénalité qui sera notifiée par [O] à [N]. Par ailleurs, une communication maîtrisée aurait pu être faite par [N] auprès de notre client [O] qui lui-même, aurait pu communiquer vis-à-vis des usagers.

Lors de l'entretien du 11 février, vous n'avez pas entendu ce troisième grief :

Dès que S. [B] a introduit le sujet de ces faits, vous vous êtes levée de manière inopinée et avez décidé de quitter la salle, au motif d'user de votre droit de retrait en indiquant « j'en ai assez entendu; je m'en vais » et ce, alors même que vous n'étiez exposée à aucune situation dangereuse pouvant justifier un droit de retrait.

Force est de constater qu'encore une fois, vous avez décidé ce 11 février de couper-court à toute discussion, préférant quitter les lieux plutôt que d'apporter des explications aux faits reprochés. Ce comportement ne fait que confirmer les faits qui vous sont reprochés : non communication tant vis-à-vis de vos clients que de vos collaborateurs ou même de votre hiérarchie

En conséquence et compte tenu du caractère inacceptable qui vous sont reprochés, nous avons le regret de vous signifier par la présente votre licenciement pour faute

Votre préavis, d'une durée de 3 mois, débutera à la date de première présentation de la présente lettre recommandée à votre domicile. Vous serez néanmoins dispensée de son exécution et percevrez les indemnités correspondantes aux échéances de paie.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant la notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter plus de précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.

Le solde de votre compte, qui doit se dégager d'un calcul collectif, vous sera versé à la fin du mois mai et un certificat de travail ainsi que l'attestation Pôle Emploi vous seront adressés par le service administration du personnel.

Nous vous demandons de restituer l'ensemble des matériels (ordinateur, téléphone portable...), vêtements de travail, documentation mis à votre disposition par l'Entreprise, à votre responsable, Monsieur [L] [B]. Votre véhicule de fonction pourra être restitué au plus tard, au terme de votre préavis.

Vous bénéficierez, à titre gratuit après la fin de votre contrat de travail, du maintien des garanties prévoyance et frais de santé prévues par le contrat souscrit par la Société, pendant votre indemnisation par le régime de l'assurance chômage et dans la limite de 12 mois conformément à l'article L 911-8 du Code de la Sécurité Sociale. Les garanties maintenues sont identiques à celles en vigueur dans la Société. En tout état de cause, si vous deviez trouver un autre emploi ou ne pas/plus bénéficier du régime d'allocation chômage pour toute autre raison, vous seriez dans l'obligation de nous en informer dans les plus brefs délais' ».

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits, Mme [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons, le 15 juin 2021.

Par jugement du 28 septembre 2022, le conseil a :

dit et jugé que le licenciement pour faute de Mme [G] par la société [N] était motivé par une situation réelle et sérieuse, et produisait les effets conformes au code du travail ;

débouté Mme [G] de ses demandes relatives à un licenciement sans cause réelle et sérieuse par la société [N] ;

débouté Mme [G] du surplus de ses demandes de condamnation, à savoir :

- 60 780 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1253-3 du code du travail ;

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des circonstances vexatoires ayant entouré la rupture du contrat de travail ;

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens éventuels de l'instance ;

- exécution provisoire ;

débouté la société [N] de ses demandes reconventionnelles de condamnation, à savoir :

- 1 500 euros par application des dispositions de l'Article 700 du code de procédure civile.

Mme [G], qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 octobre 2023, demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit et jugé que le licenciement pour faute de Mme [G] par la société [N] était motivé par une situation réelle et sérieuse, et produisait les effets conformes au code du travail ;

- débouté Mme [G] de ses demandes relatives à un licenciement sans cause réelle et sérieuse par la société [N] ;

- débouté Mme [G] du surplus de ses demandes de condamnation.

Statuer de nouveau et,

À titre principal,

prononcer la nullité du licenciement ;

condamner la société [N] à lui verser la somme de 60 780 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

À titre subsidiaire,

déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

condamner la société [N] à lui verser la somme de 60 780 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail.

En tout état de cause,

condamner la société [N] aux sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des circonstances vexatoires ayant entouré la rupture du contrat de travail ;

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens éventuels de l'instance ;

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance.

La société [N], par dernière conclusions notifiées par la voie électronique le 3 avril 2023, demande à la cour de :

con'rmer la décision déférée.

Par conséquent,

débouter purement et simplement Mme [G] de ses entières demandes ;

condamner Mme [G] au règlement d'une somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre in'niment subsidiaire,

ramener à la somme de 13 731 euros l'indemnisation de Mme [G].

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 25 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le licenciement

Sur le bien-fondé du licenciement

Mme [G] sollicite de la cour qu'elle juge le licenciement nul pour atteinte à la liberté d'expression exposant que lors de l'entretien préalable il lui a été reproché de contredire l'employeur et d'avoir quitté les lieux ce qui signifie qu'il a sanctionné l'usage normal de la liberté d'expression.

Subsidiairement la salariée fait valoir que sous couvert de 3 griefs la lettre de licenciement ne vise en réalité qu'un seul reproche, à savoir la réunion houleuse du 15 décembre 2020 sous l'égide de M. [B] directeur opérationnel avec M. [S] et qui avait une attitude non professionnelle et désinvolte, qu'elle avait contesté le déroulé de cette réunion auprès du syndicat FO dès le lendemain, qu'au cours de celle-ci elle a été infantilisée et humiliée, étant discréditée envers M. [S] qui était son subordonné, que cette réunion ne caractérise en rien un quelconque comportement managérial de sa part.

Elle argue que les attestations sur son comportement managérial n'émanent pas des membres de son équipe sauf M. [U] avec lequel elle n'a travaillé qu'un mois, qu'elles ont été établies quelques jours après le licenciement pour lui donner une consistance et la discréditer et n'ont pas de caractère probant alors qu'elle a déposé plainte pour fausses attestations. Sur le grief de défaut de communication elle soutient que le mécontentement du client région des Hauts de France était connu de l'employeur car il existait des relations tendues avec elle, que le lycée de [Localité 8] relevait de la gestion de M. [S] alors qu'elle avait dû reprendre le travail de M. [T] en sus du sien, que les délais d'intervention pour le client département de l'Aisne se sont réduits avec des pénalités moindres à la clé, qu'elle était surchargée et manquait de moyens, que le grief relatif à son comportement lors de la réunion du 25 septembre 2020 n'avait pas été évoqué avant le 13 janvier 2021 ce qui démontre son peu de gravité.

Enfin elle conteste l'incident de la panne du 8 au 11 janvier 2021 car elle n'était pas d'astreinte pour régler la difficulté, que le centre d'appel était en dysfonctionnement et qu'elle a reçu les remerciements du client pour sa réactivité, que d'autres salariés dans la même situation n'ont pas été sanctionnés ; qu'en 13 ans d'ancienneté elle n'avait jamais été sanctionnée, qu'en réalité le motif du licenciement était que l'employeur voulait fusionner les secteurs du nord de l'Asine et le sud, qu'après son départ elle n'a pas été remplacée, la cause économique étant certaine.

La société réplique que Mme [G] a été remplacée après son licenciement par un technicien qui a été promu faute de candidat sur ce poste, que jusqu'à l'engagement de la procédure de licenciement la salariée n'avait pas alerté sur le supposé dilétantisme de M. [S], qu'il n'y a pas eu d'atteinte à la liberté d'expression car le comportement de la salariée lors de l'entretien préalable conforte le grief de difficulté managériale auquel s'ajoute l'insubordination, que la lettre de licenciement n'a fait que reprendre les explications de Mme [G].

Elle fait valoir que la lettre de licenciement reprend 3 griefs, le premier étant le management inapproprié attesté par de nombreux témoignages générant de la souffrance au travail, que le comportement de Mme [G] lors de la réunion du 25 novembre 2020 conforte le contenu des témoignages et dont l'attitude est incompatible avec la fonction de manager, qu'il n'est pas sérieux d'invoquer qu'elle ait été oppressée par la réunion alors que les reproches n'avaient même pas pu être abordés, que certains témoins font partie de l'équipe de maintenance.

L'employeur expose que le comportement de la salariée avait provoqué la rupture de toute communication avec les départements du Nord et de l'Aisne, que le directeur d'exploitation avait reçu la protestation de la région des Hauts de France sur l'absence d'intervention de ses services suite à des problèmes de chauffage dans la cité scolaire de [Localité 8] ce dont la salariée ne l'avait pas informée, qu'il en a été de même pour le client département de l'Aisne faisant état d'un dialogue rompu avec Mme [G] dont l'attitude a été relevée, que le bilan d'analyse qu'elle verse concerne le secteur géré par Mme [P] alors ingénieur d'exploitation, l'amélioration constatée n'étant pas le résultat de l'activité de la salariée, que le départ du manager opérationnel date de novembre 2020 alors que les problèmes avec l'Aisne datent de septembre 2020.

Enfin la société soutient que la panne de chauffage du vendredi 8 janvier 2021 n'avait pas été signalée par Mme [G] au directeur d'exploitation alors qu'il existait des solutions techniques pour gérer cette panne durant le week end, qu'elle a volontairement dissimulé l'information sur la date de la réparation ce qui a eu des conséquences sur sa crédibilité envers le client et engendré des pénalités, que si elle se considérait comme n'étant pas d'astreinte elle se devait d'informer le cadre d'astreinte, que la hotline était chargée mais joignable et que les autres salariés non sanctionnés auxquels elle fait référence étaient dans une situation différente.

Sur ce

Sur la liberté d'expression

La Cour de cassation reconnaît pour chaque salarié une liberté d'expression individuelle plus générale dans et hors de l'entreprise, dès lors que ses propos ne portent pas atteinte à la réputation de l'entreprise. C'est la valeur constitutionnelle du droit en cause qui a conduit à cette solution. Il en résulte que la violation par l'employeur d'une liberté fondamentale peut être sanctionnée par la nullité.

La seule limite posée par les juges à la liberté d'expression est qu'elle ne dégénère pas en abus, les seules des restrictions étant justifiées par la nature de la tâche à accomplir, et doit être proportionnée au but recherché.

L'abus est caractérisé lorsque les termes utilisés par le salarié sont injurieux, diffamatoires ou excessifs. Il s'apprécie notamment au regard de la teneur des propos, de leur degré de diffusion, des fonctions exercées par l'intéressé et de l'activité de l'entreprise.

En l'espèce, la lettre de licenciement reprend au titre des griefs invoqués le fait que lors de l'entretien du 11 février 2021 Mme [G] avait contesté le déroulé des faits s'étant produits lors d'une réunion du 15 décembre 2020, cet élément faisant partie des reproches du premier grief intitulé « comportement managérial ».

La cour observe que les 3 griefs exposés dans le courrier se concluent par le positionnement adopté par la salariée en réponse aux reproches, l'insubordination du premier grief est développée sur la base du fait que Mme [G] a quitté le bureau au cours de l'entretien du 15 décembre 2020 après s'être emportée et non sur le fait qu'elle avait contesté le déroulé de la réunion, cet élément ne faisant que rappeler son positionnement.

Dans ces conditions, l'employeur n'a pas violé la liberté d'expression de Mme [G] et sa demande au titre du licenciement nul ne peut prospérer, par confirmation du jugement sur ce point.

Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. C'est à cette condition que le licenciement est justifié.

Il résulte de l'article L.1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties ; toutefois, le doute devant bénéficier au salarié avec pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l'employeur supportant, sinon la charge, du moins le risque de la preuve.

Les faits invoqués comme constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail.

La lettre de licenciement qui fixe définitivement les termes du litige et lie les parties et le juge liste 3 griefs de la société à l'encontre de Mme [G], et non un seul comme elle le prétend, à savoir :

le comportement managérial inadapté

le défaut de communication vis-à-vis de l'un des clients

la gestion de la crise relative à la rupture de chauffage sur un important ensemble de logements.

Sur le premier grief

L'employeur produit les témoignages des deux salariés présents à cette réunion, M. [B], directeur opérationnel confirmé par M. [S], manager opérationnel qui relate la réunion du 15 décembre 2020 organisée pour purger le conflit entre ce dernier et Mme [G] alors que le secteur du sud de l'Aisne requérait une stabilité de ses salariés, que M. [B] constatant que M. [S] avait des réticences à s'exprimer, Mme [G] monopolisant la parole se sentant mise en cause, lui a demandé de le laisser s'exprimer mais qu'elle a quitté la salle.

La salariée ne conteste pas avoir quitté les lieux et affirme dans un courrier envoyé le lendemain qu'elle s'est sentie malmenée vis-à vis de son subordonné.

Toutefois elle ne produit pas d'élément hormis ses propres déclarations pour prouver que la réunion aurait été à charge à son égard et/ou que le ton employé était excessif ce qui est contesté par l'employeur et par les deux salariés présents à la réunion.

Ce premier grief est donc établi.

Sur le second grief

L'employeur verse aux débats le courriel adressé à M. [B] de M. [X] directeur des établissements département énergie de la région Hauts de France qui le 20 novembre 2020 liste des dysfonctionnements relevés en novembre 2020 sur le chauffage de la cité scolaire de [Localité 8], qu'il a tenté vainement de joindre Mme [G] afin d'obtenir un compte-rendu de la situation et son plan d'action, que le manque de réactivité de la responsable d'exploitation face à la situation qui perdure depuis le 8 octobre 2020 est inacceptable et que des pénalités seront appliquées.

Il produit aussi le courriel du 13 janvier 2021 adressé à M. [B] par le représentant du département de l'Aisne qui indique que malgré les différentes mises en garde auprès de Mme [G] sur les dysfonctionnements, il fait le désagréable constat de la dégradation de la situation avec un dialogue complétement rompu et que les demandes d'explication ne sont pas suivies de réponse et liste des exemples factuels de certains événements sur le fonctionnement du chauffage, ajoutant que le maintien d'un certain respect dans les échanges oraux lors des réunions est indispensable ce qui n'avait pas été le cas lors de la réunion du 25 septembre au cours de laquelle les interventions de Mme [G] ont dérangé sur le fond comme sur la forme plusieurs collègues qui travaillaient à la Direction des bâtiments.

Ce grief est donc caractérisé.

Sur le troisième grief

La société verse aux débats le courrier de la société [O] daté du 18 janvier 2021 qui gère 180 logements à [Localité 6] qui se plaint de la façon dont la panne survenue entre le 8 et le 11 janvier 2021 a été gérée, exposant que [A] a été dans l'incapacité de rétablir le service dans les délais contractuels ni de mettre de solutions palliatives, que ces manquements ont entrainé une insatisfaction des locataires et des élus locaux et le document de notification des pénalités pour le retard dans la réparation.

Si la salariée verse aux débats un mail de M. [C] du12 janvier 2021, technicien de cellule thermique, félicitant l'ensemble des acteurs de [A] pour la prise en charge de la remise en chauffe, M. [J] directeur d'exploitation de [O] précise que ce mail relève d'une démarche personnelle à dissocier de la position de la société.

Il est constant que Mme [G] n'a pas informé son supérieur hiérarchique M. [B] qui aurait eu toute latitude pour régler le problème plus promptement et si elle estimait n'être pas d'astreinte le week end litigieux il suffisait d'informer son interlocuteur de l'identité du salarié de [A] qui était effectivement d'astreinte, ce qu'elle n'a pas fait.

Ce troisième grief est aussi caractérisé.

Si les évaluations de la salariée pour les années 2019 et 2020 étaient satisfaisantes la réalité des griefs est établie par les pièces produites par l'employeur étant souligné que la société l'a licenciée non pour faute grave mais pour faute simple, si la salariée entretenait des relations cordiales avec certains interlocuteurs clients ce fait est inopérant pour contester la réalité des griefs invoqués à l'appui du licenciement, pas plus que d'autres collègues n'auraient pas été sanctionnés comme elle l'a été dans des circonstances similaires, ce que l'employeur conteste fermement.

S'il est exact que la charge de travail de la salariée consécutivement au départ de M. [T] manager opérationnel le 5 novembre 2020 a augmenté, plusieurs de ses collègues ont attesté lui avoir proposé une aide à laquelle elle n'a pas donné suite (M. [M], [Z], Mme [P]) alors que les difficultés avec le département de l'Aisne ont débuté en septembre 2020, elle ne justifie pas en outre de plainte de sa part sur une quelconque surcharge. En outre Mme [G] n'a rappelé à M. [S] ses objectifs et souligné ses insuffisances que lorsque la procédure de licenciement a été engagée alors que s'il présentait de telles insuffisances professionnelles depuis plusieurs mois elle aurait dû le recadrer en qualité de supérieure hiérarchique bien avant et au besoin s'en ouvrir à M. [B].

Par ailleurs en l'état aucun élément ne permet d'écarter les nombreuses attestations des collègues de travail de Mme [G] dont la plainte pour faux témoignages n'a pas eu de suite ; le fait que ces témoignages aient été rédigés dans un court laps de temps soit concomitamment à la procédure engagée par la salariée, n'ayant aucun impact sur leur authenticité et alors qu'en l'espèce, rien ne permet de mettre en doute la sincérité des témoignages produits par l'employeur, qu'il n'y a donc pas lieu d'écarter.

Enfin, lors du CSE du 26 février 2021 il a été indiqué qu'il était envisagé de regrouper les deux secteurs de l'Aisne nord et sud et le 6 mai 2021 cette fusion est intervenue avec nomination par promotion interne d'un responsable d'exploitation. Toutefois ce regroupement ne constitue pas en soi une cause économique de licenciement dés lors que l'employeur fait état de difficulté de recruter sur le département de l'Aisne ce qui explique la promotion interne de Mme [P] en qualité de responsable d'exploitation et l'autre promotion interne pour les deux postes de manager en exploitation.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour, par confirmation du jugement, jugera que le licenciement de Mme [G] pour cause réelle et sérieuse est bien-fondé et la déboutera en conséquence de ses demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le licenciement vexatoire

Mme [G] sollicite l'indemnisation des circonstances qu'elle estime vexatoires de son licenciement, car lors du dernier trimestre de l'année 2020 elle a dû faire face à un surcroît de travail suite au départ de M. [T], que la société retardait l'embauche d'un nouveau manager d'exploitation, qu'elle n'a pas bénéficié d'un soutien y compris lors de la réunion du 15 décembre 2020 qui s'est assimilée à un réquisitoire à son encontre.

La société [N] conteste le caractère vexatoire du licenciement mais sans développer d'argumentaire particulier.

Sur ce

La cour rappelle que le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice particulier lié au caractère abusif et vexatoire de la procédure mais qu'il lui appartient d'établir à cet égard un comportement fautif de l'employeur.

En l'espèce, il ne résulte pas des pièces versées aux débats des éléments établissant des circonstances particulières de mise en oeuvre de la procédure de licenciement de manière brutale ou vexatoire ayant causé à Mme [G] un préjudice particulier.

La cour ayant retenu que d'une part aucun élément ne permet de considérer que la réunion du 15 décembre ait pu être considérée comme un acharnement de l'employeur, que d'autre part elle aurait pu bénéficier de soutien suite au départ de M. [T].

La demande d'indemnité présentée ne peut par conséquent être accueillie.

Il convient, pour ces motifs, de confirmer le jugement entrepris qui en a débouté Mme [G].

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de première instance seront confirmées en toutes leurs dispositions.

Succombant, Mme [G] sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie les frais exposés pour la présente procédure, les parties sont déboutées de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort

Confirme le jugement rendu le 28 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Soissons

et y ajoutant

Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne Mme [K] [G] aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/04682
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;22.04682 ?
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