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12/03/2024 | FRANCE | N°23/00370

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre baux ruraux, 12 mars 2024, 23/00370


ARRET







[Z]





C/



[U]

[S]







VD





COUR D'APPEL D'AMIENS



Chambre BAUX RURAUX





ARRET DU 12 MARS 2024



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N° RG 23/00370 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IU55



JUGEMENT DU TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX DE LAON EN DATE DU 24 NOVEMBRE 2022





PARTIES EN CAUSE :





APPELANT





Mons

ieur [T] [Z]

[Adresse 6]

[Localité 5]





Représenté par Me Aurelie DEHASPE substituant Me Marc ANTONINI de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocats au barreau de SAINT-QUENTIN







ET :





INTIMES





Monsieur [L] [U]

[Adresse 4]

[Localité 1]





Monsieur [Y] [S...

ARRET

[Z]

C/

[U]

[S]

VD

COUR D'APPEL D'AMIENS

Chambre BAUX RURAUX

ARRET DU 12 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 23/00370 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IU55

JUGEMENT DU TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX DE LAON EN DATE DU 24 NOVEMBRE 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [T] [Z]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représenté par Me Aurelie DEHASPE substituant Me Marc ANTONINI de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocats au barreau de SAINT-QUENTIN

ET :

INTIMES

Monsieur [L] [U]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Monsieur [Y] [S]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentés par Me Aude GILBERT-CARLIER, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

DEBATS :

A l'audience publique du 14 Novembre 2023 devant Mme Valérie DUBAELE, Conseillère, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Janvier 2024.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Diénéba KONÉ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Valérie DUBAELE en a rendu compte à la Cour composée en outre de :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Les parties ont été informées par voie électronique du prorogé du délibéré au 12 mars 2024 et du prononcé de l'arrêt par sa mise à disposition au greffe

Le 12 mars 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, Greffier.

*

* *

DECISION

Selon acte du 17 janvier 2009 prenant effet au 1er janvier 2008, M. [U] a donné à bail à ferme à M. [Z], agriculteur, des parcelles de terres en nature de prairies situées à [Localité 7] et à [Localité 2], pour une contenance totale de 8ha 14a 45ca, pour une durée de 12 ans.

Le bail rural s'est régulièrement renouvelé le 1er janvier 2020.

Suivant acte authentique du 30 novembre 2020, M. [U], retraité alors âgé de 71 ans, a cédé à titre gratuit à [Y] [S], agriculteur, alors âgé de 35 ans, la nue-propriété de ces terres et d'une 9ème pâture située à [Localité 7], tout en s'en réservant l'usufruit.

M. [Z] a contesté cette donation en saisissant le tribunal paritaire des baux ruraux de Laon par assignation publiée au service de la publicité foncière de Laon le 21 juillet 2021.

Par jugement rendu le 22 septembre 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Laon a, sur le fondement de l'article L.412-12 du code rural et de la pêche maritime :

Débouté [T] [Z] de sa demande d'annulation de la donation intervenue par acte authentique du 30 novembre 2020 entre [L] [U] et [Y] [S],

Rejeté sa demande de dommages-intérêts,

Rejeté toute autre demande des parties,

Prononcé l'exécution provisoire du jugement,

Condamné [T] [Z] à payer à [L] [U] et [Y] [S] épouse [F] (sic) la somme de 500 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejeté la demande de [T] [Z] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamné ce dernier aux dépens.

Le premier juge a considéré que M. [Z] ne démontrait pas la simulation de l'acte de vent en acte de donation, la preuve de l'absence d'intention libérale n'étant pas rapportée et que la donation n'avait pas porté préjudice au preneur dont les conditions d'exploitation demeuraient inchangées.

M. [Z] a formé appel de cette décision par déclaration expédiée le 30 décembre 2022, sollicitant la réformation de toutes les dispositions lui étant défavorables.

Par ses conclusions notifiées le 11 septembre 2023 l'appelant sollicite de la cour, au visa de l'article L.412-12 alinéa 3 du code rural et de la pêche maritime, qu'elle infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau qu'elle constate l'absence d'intention libérale de M. [U] et la fraude à ses droits de preneur, prononce l'annulation de la donation effectuée par M. [U] à M. [S] par acte notarié du 30 novembre 2020, condamne in solidum les deux intimés à lui verser 5000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil et condamner les mêmes in solidum aux dépens et à lui verser 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de son appel, M. [Z] fait valoir qu'en tant que preneur il dispose d'un droit de préemption prévu par l'article L.412-12 du code rural et de la pêche maritime ; que la jurisprudence précise que les donations à des tiers sont frauduleuses dès lors que le propriétaire, dénué d'intention libérale, a pour seul objectif de contourner le droit de préemption de son preneur à bail, les juges ayant écarté l'intention libérale du propriétaire à l'égard de personnes inconnues quand bien même les bailleurs n'auraient pas d'héritiers, d'autant plus dans le cas d'un contexte belliqueux entre les parties, et le preneur étant en droit dans ces hypothèses de solliciter la nullité de la donation frauduleuse et l'octroi de dommages et intérêts par application de l'article susvisé.

Il explique qu'en l'espèce la donation, à défaut d'intention libérale, est en réalité une vente déguisée puisqu'elle a été faite à une personne inconnue alors que M. [U] a de la famille proche (une s'ur et deux nièces) non exploitante ayant vocation à recueillir sa succession et qu'elle a été effectuée à son insu dans un contexte belliqueux entre les parties depuis l'année 2020 ; que lors du décès de M. [U] âgé actuellement de 74 ans, l'usufruit reviendra à M. [S] qui mettra fin au bail, si bien que l'acte lui cause un préjudice puisqu'il le prive de son droit de préemption; qu'aucun élément ne vient attester de relations amicales entre le donateur et le donataire ; que si M. [S] rendait habituellement des services au sein de l'exploitation agricole de M. [U], cela pourrait constituer l'infraction de travail dissimulé et selon M. [D], témoin, le fait de rendre énormément de services à M. [U] s'explique par la volonté de M. [S] de s'accaparer ses propriétés; qu'au demeurant ce dernier lui a déjà fait une donation de pâtures sises à [Localité 2] en 2018 ; qu'enfin la valeur des terres a été manifestement sous-évaluée et leur nature qualifiée de prairie, pour ne pas attirer l'attention de l'administration fiscale et celle du notaire ; qu'à cet égard et contrairement aux énonciations de l'acte litigieux, il a demandé au bailleur l'autorisation de labourer les prairies par courrier du 7 janvier 2020, modifiant ainsi les lieux loués de pâture à terres en champ, changement dont la DTTM a été informée ; qu'une telle donation en dehors du cadre familial est d'autant plus suspecte que M. [U] semble avoir des difficultés financières au vu des courriers lui réclamant des acomptes.

Par conclusions notifiées le 8 novembre 2023 portant appel incident les intimés demandent à la cour, au visa des articles L.412-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime de,

Confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné M. [Z] à leur verser chacun 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et,

Statuant à nouveau de ce chef et Y ajoutant, condamner M. [Z] à verser à chacun d'eux, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, 2000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et 2000 euros au titre des frais irrépétibles en appel,

Le condamner aux dépens d'appel.

Ils font valoir que le droit de préemption du preneur n'est pas ouvert en cas de cession à titre gratuit, sauf à démontrer qu'elle a été effectuée en fraude de ses droits en ce qu'elle cacherait une vente déguisée, ce dont le preneur ne rapporte pas la preuve en l'espèce.

Ils affirment qu'ils entretiennent réciproquement des liens d'amitié, M. [S] étant, depuis une vingtaine d'années, très présent au domicile de M. [U] qui vit seul, isolé et sans aucun moyen de locomotion et lui rendant des services, si bien que la volonté de M. [U] de le gratifier ne peut être remise en cause, peu importe à cet égard qu'il ait des héritiers en ligne collatérale.

Ils ajoutent qu'aucun élément n'atteste de rapports belliqueux entre les parties, que l'évaluation a été effectuée par le notaire puisqu'elle figure dans son acte, que le prix moyen de la Safer n'est pas significatif, que l'estimation des parcelles agricoles par Mme [G], expert foncier, n'est pas contradictoire, et qu'à supposer que la valeur des terres soit supérieure cela ne fait pas perdre à l'acte de cession son caractère onéreux; que M. [U] ne s'est pas appauvri puisqu'il s'est réservé l'usufruit si bien qu'il continue à percevoir les fermages, que la donation ne préjudicie pas à l'exploitation de M. [Z], que l'acte de donation qualifie les terres de pâtures comme elles apparaissent dans les baux et comme le fait l'expert.

A l'audience ils indiquent que le dernier courrier de M. [U] ne témoigne pas de rapports belliqueux entre les parties mais de la méprise sur l'étendue de ses droits, qu'en 2018 il avait déjà donné à M. [S] des terres données à bail à un autre preneur, que M. [U] n'a pas de descendant en ligne directe et qu'il a toutes ses capacités intellectuelles.

SUR CE,

Sur les demandes de nullité de l'acte de donation et de dommages-intérêts pour défaut d'intention libérale et fraude aux droits du preneur en place :

En application de l'article L.422-1 du code rural, l'exploitant preneur en place bénéficie d'un droit de préemption lorsque le propriétaire d'un bien rural décide ou est contraint de l'aliéner à titre onéreux.

En revanche en cas de donation sans aucune contrepartie, le droit de préemption du preneur ne trouve pas à s'exercer sauf en cas de fraude à ses droits que ce dernier doit démontrer.

C'est à juste titre que le premier juge a considéré en l'espèce que la preuve de l'absence d'intention libérale ou de fraude aux droits du preneur n'était pas rapportée.

En effet, outre que la donation est sans charge, il est établi par les témoignages versés aux débats que les intimés ne sont pas étrangers l'un à l'autre, qu'au contraire ils entretiennent des relations qui vont au-delà des relations de bons voisinage et que M. [S], qui est souvent présent au domicile de M. [U], lui rend depuis longtemps (au-moins 2006) de nombreux services (les témoins se souviennent en particulier de sa participation au déménagement de son ancienne ferme, du transport d'une tonne à eau vendue à un tiers, ainsi que l'entretien de ses parcelles alors qu'il était encore exploitant). C'est d'ailleurs dans ce même contexte que M. [U] a fait une première donation de terres à M. [S] devant notaire le 4 septembre 2018.

Par ailleurs, la correspondance entre preneur et bailleur produite aux débats a toujours été empreinte de courtoisie et des rapports belliqueux entre eux ne peuvent être inférés du dernier courrier adressé par M. [U] à M. [Z] en janvier 2021, par lequel il lui retourne son chèque en paiement du fermage de 2020 en lui indiquant qu'il n'est plus son locataire depuis janvier 2020, dès lors que ce courrier ne marque pas d'animosité particulière envers son locataire. Au demeurant M. [Z] se garde bien de préciser en quoi leurs relations seraient devenues conflictuelles depuis 2020.

Il sera ajouté que le fait que les terres dont M. [U] a donné la nue-propriété à M. [S] aient le cas échéant été sous-évaluées lors de la donation ne prouve nullement un défaut d'intention libérale, ni une fraude aux droits de préemption du preneur en place; il en est de même de l'existence de successibles de M. [U] en ligne collatérale ou du fait que la demande du preneur de labourer des pâtures ne soit pas reprise dans l'acte de donation.

Le fait que M. [U], sans au demeurant se dépouiller des revenus afférents aux terres litigieuses, ait préféré donner la nue-propriété de ces terres à une personne qui lui est proche plutôt que de les vendre, le cas échéant au preneur bénéficiant du droit de préemption, ne saurait constituer une fraude aux droits de ce dernier et force est de constater que le preneur manque non seulement de démontrer la simulation qu'il invoque et la fraude à ses droits mais encore de prouver l'affirmation selon laquelle le donateur n'aurait pas eu tout son discernement au moment de l'acte, le notaire ayant dans un courrier du 13 novembre 2021 répondu à ce propos qu'il a pu constater au contraire la parfaite possession de ses moyens par M. [U] lors du recueil de l'acte de donation.

Dès lors le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions sauf à retrancher la mention «épouse [F] » dans le dispositif, qui résulte d'une erreur purement matérielle.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

M. [Z] succombant en son appel sera condamné à en supporter les dépens, comme en première instance et sera condamné à verser 1000 euros à chacun des intimés pour les frais irrépétibles en appel, le jugement étant au surplus confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, et contradictoirement,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf à retrancher la mention «épouse [F] » dans le dispositif, qui résulte d'une erreur purement matérielle, et,

Y ajoutant,

Condamne M. [Z] à verser à M. [U] 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [Z] à verser à M. [S] 1000 euros sur le même fondement,

Le condamne aux entiers dépens d'appel

Le Greffier, La Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre baux ruraux
Numéro d'arrêt : 23/00370
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;23.00370 ?
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