La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/03/2024 | FRANCE | N°21/03659

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Tarification, 08 mars 2024, 21/03659


ARRET

N°80





S.A.S. [20]





C/



CARSAT NORD- PICARDIE













COUR D'APPEL D'AMIENS



TARIFICATION





ARRET DU 08 MARS 2024



*************************************************************



N° RG 21/03659 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IFIA



Arrêt de la CNITAAT du 3 septembre 2019



Arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2021





PARTIES EN CAUSE :





DEMANDEUR







S.A.S. [20]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 14]





représentée et plaidant par Me Marquet, avocat au barreau de Paris, substituant Me Jean-michel ...

ARRET

N°80

S.A.S. [20]

C/

CARSAT NORD- PICARDIE

COUR D'APPEL D'AMIENS

TARIFICATION

ARRET DU 08 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 21/03659 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IFIA

Arrêt de la CNITAAT du 3 septembre 2019

Arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2021

PARTIES EN CAUSE :

DEMANDEUR

S.A.S. [20]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 14]

représentée et plaidant par Me Marquet, avocat au barreau de Paris, substituant Me Jean-michel Mir de la SELARL Capstan LMS, avocat au barreau de Paris

ET :

DÉFENDEUR

CARSAT Nord-Picardie

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et plaidant par Mme [I] [T], munie d'un pouvoir

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 janvier 2024, devant M. Philippe Mélin, président assisté de M. Christophe Giffard et M. Marc Droy, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.

M. Philippe Mélin a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 08 mars 2024 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Mme Audrey Vanhuse

PRONONCÉ :

Le 08 mars 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Philippe Mélin, président et Mme Audrey Vanhuse, greffier.

*

* *

DECISION

M. [O] [N] a travaillé, en qualité de technicien instrumentation puis de chef de groupe, de 1963 à 1978 pour la société [13] ([13]), devenue la Société [9] ([9]), puis, de 1978 à 2004, pour la société [5], devenue [10] puis [19] puis enfin [20].

Le 14 mars 2016, M. [N] a déclaré deux pathologies relevant du tableau n° 30 des maladies professionnelles, à savoir des plaques pleurales et une atteinte parenchymateuse, selon certificat médical en date du 8 février 2016.

La caisse primaire d'assurance-maladie des Flandres (ci-après la CPAM) a mené l'instruction des dossiers et, dans ce cadre, la société [20] a été amenée à remplir des demandes de renseignements, dans lesquelles elle a indiqué que M. [N] n'avait pas pu être exposé à l'amiante au sein des entreprises qu'elle avait reprises.

Le 11 juillet 2016, la CPAM a notifié à la société [19], devenue [20], deux décisions de prise en charge des deux maladies de M. [N] au titre de la législation sur les risques professionnels, et en particulier du tableau n° 30 des maladies professionnelles.

Par courrier en date du 7 septembre 2016, la société [20] a saisi la commission de recours amiable (ci-après la CRA) de la CPAM, aux fins de contester l'opposabilité à son égard des deux maladies professionnelles déclarées par M. [N].

Ce recours a fait l'objet d'un rejet tacite, qui n'a pas été contesté devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Par courrier en date du 19 septembre 2016, la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Nord-Picardie (ci-après la CARSAT) a averti la société [20] que les maladies professionnelles de M. [N] et les coûts moyens incapacité temporaire et incapacité permanente correspondants avaient été imputés à son compte employeur.

Par courrier du 4 novembre 2016, la société [20] a formé un recours gracieux auprès de la CARSAT pour obtenir l'inscription au compte spécial des conséquences financières des maladies professionnelles de M. [N].

Par courrier en date du 23 novembre 2016, la CARSAT a rejeté le recours de la société [20] et a maintenu le sinistre de M. [N] sur son compte employeur, ainsi que les coûts moyens incapacité temporaire et incapacité permanente correspondants.

Par courrier du 27 janvier 2017, la société [20] a saisi la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (ci-après la CNITAAT) aux fins de voir retirer de son compte employeur des incidences financières de la maladie professionnelle de M. [N].

Au cours de cette procédure devant la CNITAAT, la société [20] a notamment fait valoir, à titre principal, que M. [N] n'avait jamais été exposé à l'amiante entre 1978 et 2004, au sein des entreprises ayant exploité le site de [Localité 14], aux droits desquelles elle se trouvait. Pour le cas où il aurait malgré tout été jugé que M. [N] aurait été exposé à l'amiante auprès de l'une des sociétés aux droits desquelles elle se trouvait, elle a expliqué qu'il avait précédemment travaillé de 1963 à 1978 pour la société [13] sur le site de [Localité 16], qui produisait des matériaux contenant de l'amiante, qui figurait dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et qui n'avait aucun lien avec elle. Elle a sollicité à titre subsidiaire l'inscription des incidences financières des maladies professionnelles de M. [N] sur le compte spécial.

Par arrêt en date du 3 septembre 2019, la CNITAAT a jugé que la société [20] devait être considérée comme le successeur de la société [13] et que c'était à juste titre que la CARSAT avait inscrit les conséquences financières des maladies professionnelles de M. [N] sur le compte employeur de la société [20]. Elle a également rejeté la demande subsidiaire d'inscription au compte spécial.

La société [20] a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt en date du 12 mai 2021, la Cour de cassation a constaté que la CNITAAT, en statuant comme elle l'avait fait, avait modifié l'objet du litige, qui ne portait pas sur l'existence ou non d'un établissement nouveau au sens de l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale mais sur la question de savoir si M. [N] avait été exposé au risque au sein de l'entreprise [20] ou au sein d'un établissement distinct d'une entreprise différente. Elle a cassé l'arrêt rendu le 3 septembre 2019 par la CNITAAT, sauf en ce qu'il avait déclaré le recours recevable, a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Amiens.

Le 12 juillet 2021, la société [20] a effectué une déclaration de saisine de la cour d'appel d'Amiens, en sa qualité de juridiction de renvoi.

Par acte d'huissier en date du 12 août 2022, la société [20] a assigné la CARSAT des Hauts-de-France, anciennement CARSAT Nord-Picardie, à comparaître par devant la cour d'appel d'Amiens à l'audience du 7 avril 2023.

À cette date, l'examen de l'affaire a été reporté à l'audience du 12 mai 2023 puis à celle du 12 janvier 2024.

Suivant dernières écritures visées par le greffe le 12 janvier 2024, la société [20] sollicite :

- à titre principal :

- qu'il soit jugé que la présomption d'imputabilité des sinistres de M. [N] à son égard, en tant que dernier employeur, est renversée, en l'absence de toute exposition du salarié à l'amiante dans l'entreprise,

- que la décision de la CARSAT de maintenir à son compte employeur les incidences financières des deux maladies professionnelles de M. [N] soit infirmée,

- qu'il soit ordonné à la CARSAT de retirer de son compte employeur les incidences financières liées aux deux maladies professionnelles de M. [N] et de recalculer son taux de cotisation,

- à titre subsidiaire :

- qu'il soit constaté que les conditions posées par l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 sont remplies, à savoir que M. [N] a été exposé au risque auprès de la société [13] dans le cadre de son emploi au sein de l'usine de [Localité 16] et qu'il n'est pas possible de déterminer l'entreprise dans laquelle l'exposition au risque a provoqué sa maladie,

- que la décision de la CARSAT de maintenir à son compte employeur les incidences financières des deux maladies professionnelles de M. [N] soit infirmée,

- qu'il soit ordonné à la CARSAT de retirer de son compte employeur les incidences financières liées aux deux maladies professionnelles de M. [N] et de les inscrire au compte spécial,

- en tout état de cause :

- qu'il soit ordonné à la CARSAT de tirer les conséquences du retrait du compte employeur en rectifiant ses taux de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles,

- que la CARSAT soit condamnée à lui verser la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir :

- que M. [N] a travaillé du 1er avril 1978 au 29 février 2004 pour la société [5], devenue [10], puis [19] puis [20], avec en dernier lieu la qualité de chef de groupe du bureau d'études, au sein de l'usine de [Localité 11], sur le site de [Localité 14],

- que ce site n'est pas listé dans l'arrêté du 3 juillet 2000 relatif aux établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ci-après ACAATA),

- qu'il avait précédemment travaillé comme technicien de maintenance en instrumentation pour la société [13] sur le site de l'usine chimique de [Localité 16],

- que ce site est identifié comme un établissement ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante sur la période allant de 1946 à 1972 et qu'il est répertorié par l'arrêté du 3 juillet 2000 dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA,

- que ce site a été par la suite cédé par [6] à la Société [8],

- que dans le cadre du transfert de son contrat de travail au sein de l'usine de [Localité 11] sur le site de [Localité 14], M. [N] a bénéficié d'une reprise d'ancienneté,

- qu'ainsi, M. [N] n'a pas été exposé au risque du tableau n° 30 des maladies professionnelles, c'est-à-dire à l'amiante, auprès d'elle ni auprès des entreprises auxquelles elle a succédé,

- que ses activités n'entrent pas dans la liste des travaux susceptibles de provoquer des affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante, puisqu'elles sont relatives à la pétrochimie,

- que de même, le métier que M. [N] exerçait pour elle n'était pas susceptible de l'exposer à l'amiante, puisqu'il était chef de groupe au sein de l'établissement de [Localité 14], qu'il travaillait essentiellement en bureau, avec des fonctions essentiellement de nature managériale,

- que d'ailleurs, les témoignages de salariés ayant travaillé avec M. [N] et faisant état de contacts potentiels avec de l'amiante se rattachent principalement à la période pendant laquelle il travaillait pour son précédent employeur, sur le site de [Localité 16],

- que les arguments de la CARSAT ne sont pas pertinents,

- qu'ainsi, celle-ci se fonde sur un courrier de l'inspection du travail qui, selon elle, serait édifiant quant à l'exposition de M. [N] à l'amiante au sein de l'établissement de [Localité 14] mais que ce courrier n'établit aucune exposition de manière circonstanciée et se borne, sur la seule base des indications fournies par M. [N], à considérer que la probabilité pour qu'il ait été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante est importante,

- que l'inspection du travail n'a pas procédé à des investigations complémentaires sur le terrain et ne s'est pas appuyée sur des éléments concrets,

- que de même, la CARSAT se fonde sur le témoignage de M. [Y], qui n'est pas circonstancié ni précis concernant l'exposition supposée de M. [N] à l'amiante sur l'établissement de [Localité 14], et qui fait beaucoup plus référence à la période pendant laquelle M. [N] travaillait pour un autre employeur sur le site de [Localité 16] qu'à la période pendant laquelle il travaillait sur le site de [Localité 14],

- qu'il est utile à ce propos de se référer au témoignage que M. [N] a apporté en 2005 à l'appui du dossier de demande de reconnaissance de maladie professionnelle par M. [Y], et dans lequel, après avoir indiqué qu'il avait travaillé dans les mêmes services que M. [Y] sur les deux sites de [Localité 16] et de [Localité 14], il a expliqué que l'exposition à l'amiante se situait essentiellement pendant la période passée aux usines chimiques de [Localité 16], jusqu'en 1978,

- qu'enfin, la CARSAT tire argument du fait qu'elle développe une demande subsidiaire d'inscription des coûts de la maladie au compte spécial pour en déduire qu'il s'agit d'une reconnaissance implicite d'une exposition à l'amiante,

- que cependant, il s'agit simplement d'envisager l'hypothèse où la juridiction estimerait que la présomption d'imputabilité demeure, en dépit des arguments exposés,

- qu'ainsi, il y a lieu de retirer les sinistres de son compte employeur et de rectifier ses taux de cotisation,

- qu'à titre subsidiaire, pour le cas où il serait jugé que M. [N] a été exposé au risque alors qu'il travaillait à son service, les dépenses afférentes à sa maladie professionnelle devraient alors être inscrites au compte spécial,

- qu'en effet, il résulte de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 que les dépenses afférentes à une maladie professionnelle sont inscrites au compte spécial si la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes, sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie,

- qu'en l'espèce, M. [N] a été, avant d'être occupé sur le site de [Localité 14], salarié de la société [13] sur le site de [Localité 16] en tant que technicien maintenance en instrumentation, et ce de 1963 à 1978, soit pendant près de 15 ans,

- que ce site de [Localité 16] est répertorié par l'arrêté du 3 juillet 2000 dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA, en raison de la fabrication de matériaux contenant de l'amiante sur la période allant de 1946 à 1972,

- que ces circonstances ne sauraient être niées puisque la CARSAT a tenu compte du passage de M. [N] au sein de l'usine de [Localité 16] pour admettre sa cessation anticipée d'activité en tant que travailleur de l'amiante,

- que de même, M. [N], dans le corps de sa déclaration de victime suite à exposition à l'amiante, vise des activités qui correspondent à ses anciennes fonctions de technicien de maintenance sur le site de [Localité 16] et indique la présence d'amiante uniquement au sein du site de [Localité 16], alors qu'il ne vise à aucun moment le site de [Localité 14],

- que M. [Y], témoin de M. [N], ayant été successivement collègue de ce dernier sur les deux sites de [Localité 16] et de [Localité 14], a expressément confirmé l'exposition à l'amiante durant plusieurs années au sein de l'usine de [Localité 16],

- que M. [N] lui-même, lorsqu'il avait témoigné pour M. [Y] dans le dossier de maladie professionnelle de ce dernier, avait situé la période d'exposition à l'amiante essentiellement pendant la période passée aux usines chimiques de [Localité 16], jusqu'en 1978, sans faire référence à une quelconque exposition sur le site de [Localité 14],

- qu'à l'époque où il a donné son témoignage, M. [N] n'était atteint d'aucune maladie, de sorte que son objectivité ne peut être remise en cause,

- que la maladie de M. [Y] n'a finalement pas été imputée à la société aux droits de laquelle elle vient aujourd'hui,

- que si la CARSAT ne conteste plus l'exposition de M. [N] lorsqu'il travaillait pour son précédent employeur, elle a modifié son argumentation à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation et fait dorénavant valoir que la société [20] est elle-même l'ancien employeur de M. [N] sur la plate-forme de [Localité 16],

- que cette modification d'argumentaire plusieurs années plus tard interroge, dès lors que la CARSAT était censée avoir pris sa décision d'imputation dès la transmission des éléments par la CPAM, en tout début de procédure,

- qu'en tout état de cause, elle ne justifie aucunement son hypothèse,

- qu'elle est une société distincte de la société qui exploite le site de [Localité 16], qui est dédié à la production d'engrais,

- que si le certificat de travail de M. [N] mentionne la période d'emploi sur le site de [Localité 16], c'est uniquement parce qu'il y a eu une reprise d'ancienneté dans le cadre de sa carrière, ce qui ne signifie nullement que [20] serait le successeur de [13],

- que le site de [Localité 16] a été cédé en 1987 par [6] à la Société [8] puis, en 2007, par la société [12] à la société [3], puis par la société [3] à la société [15],

- que d'ailleurs, la société [12] a contesté l'inscription de l'usine de [Localité 16] sur l'annexe de l'arrêté du 3 juillet 2000 devant le Conseil d'État, au motif qu'elle venait aux droits de la société qui gérait l'établissement [5] de [Localité 16], action dont elle a été déboutée,

- que si, dans le cadre de l'instruction par la CPAM, elle a certifié la période d'emploi de M. [N] sur le site de [Localité 16], c'est en raison d'une pratique interne qui a toujours conduit à rappeler les périodes d'emplois d'un salarié au sein des différentes entités du groupe et à reprendre son ancienneté,

- qu'en effet, les sociétés [5], [10], [19] et [20] ont directement ou indirectement appartenu, ne serait-ce qu'un temps, au même groupe, ce qui n'établit nullement que la société [20] et la société [13] ne constitueraient qu'une même entreprise,

- que lorsque le site de [Localité 14] s'est créé, entre 1975 et 1978, les salariés de la Société [9] ont eu la possibilité de solliciter leur mutation sur ce nouveau site, ce qu'a fait M. [N] par une demande de 1976 acceptée en 1977,

- qu'en tout état de cause, cette erreur dans le certificat relative à la période d'emploi ne saurait être créatrice de droit,

- que la CARSAT ne peut donc pas affirmer que M. [N] aurait effectué toute sa carrière auprès d'un seul et même employeur,

- que le site de [Localité 16] doit bien être considéré comme un autre établissement d'une autre entreprise,

- que s'il devait être considéré qu'elle a exposé M. [N] au risque de sa maladie, elle rapporte ainsi la preuve qu'un précédent employeur l'a également exposé à ce risque,

- que dans cette hypothèse, il n'est pas possible de déterminer quelle exposition au risque a provoqué la maladie,

- que ceci justifie l'inscription sur le compte spécial.

Suivant dernières conclusions visées par le greffe le 16 mars 2023, la CARSAT sollicite :

- qu'il soit jugé que la société [20], successeur de la société [19], a exposé M. [N] au risque de ses maladies lorsqu'il travaillait pour son établissement de [Localité 14],

- qu'il soit jugé que la société [20] est le successeur, par le biais de reprises successives, de la société [9], anciennement [13],

- qu'il soit jugé que les conditions de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies,

- qu'en conséquence, l'ensemble des demandes formées par la société [20] soit rejeté.

Au soutien de ses demandes, la CARSAT fait notamment valoir :

- que M. [N] a travaillé sur le site de [Localité 14] du 1er avril 1978 au 29 février 2004,

- que la société [20] prétend que son activité n'entre pas dans la liste des travaux susceptibles de provoquer des affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante mais que ce type d'argument n'a pas lieu d'être devant la juridiction du contentieux de la tarification et qu'il était à faire valoir devant la CRA et les juridictions du contentieux général,

- qu'au demeurant, le fait que la société argue que son activité n'est pas liée au traitement de l'amiante ne signifie absolument pas que M. [N] n'a pas pu y être exposé lorsqu'il y travaillait,

- qu'ainsi, le courrier de l'inspection du travail, produit par la société elle-même à l'appui de son recours en 2017 est édifiant, puisqu'il indique que l'activité de M. [N] sur le site de [Localité 14] « l'a amené à travailler dans un endroit où se trouvaient des matériaux ayant contenu de l'amiante » et que « la probabilité pour qu'il ait pu être exposé à l'inhalation de fibres d'amiante est par conséquent importante »,

- qu'en outre, l'exposition de M. [N] à l'amiante au sein de l'établissement de [Localité 14] est corroborée par une attestation de ses anciens collègues, qui indique que « ce n'est qu'à partir de 1997 à [Localité 14] que l'employeur a commencé à désamianter les unités suite à l'obligation qui lui était faite de ne plus utiliser ce matériau » et que « à l'usine de [Localité 14], [O] en tant que chef de groupe maintenance est intervenu avec le personnel dont il avait la charge d'octobre 1978 à février 2000 sur les travaux de maintenance décrits plus haut des appareils de mesure et de régulation dans toutes les unités du site de l'usine [Localité 14] et y a fréquenté l'amiante par contact direct ou par voisinage »,

- que de surcroît, la société sollicite à titre subsidiaire l'inscription au compte spécial, ce qui implique nécessairement qu'elle se reconnaisse comme une société exposante,

- que la société [20] a donc bel et bien exposé M. [N] à l'amiante au sein de son établissement de [Localité 14],

- qu'au soutien de sa demande d'inscription au compte spécial sur le fondement de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995, la société prétend qu'elle-même et ses prédécesseurs n'ont jamais exploité le site de [Localité 16] et que, pendant la période du 29 août 1963 au 31 mars 1978, M. [N] a travaillé pour le compte d'un autre employeur, à savoir la société [13] ([13]), devenue la Société [9] ([9]), à laquelle aurait succédé la société [6], laquelle aurait ensuite vendu le site de [Localité 16] à la société [8], avec lesquelles elle n'a aucun lien juridique,

- que pour ce faire, elle s'appuie sur un document intitulé « projet de contrat d'apport » entre la société [6] et la Société [8] mais que ce document n'est qu'un acte préparatoire n'ayant aucune valeur probante,

- que surtout, il apparaît que le site de [Localité 16] a été exploité par plusieurs établissements d'entreprises différentes et pas seulement par la société [6],

- qu'en 1970, la Société [9] ([9]) a absorbé sa filiale [5] ([5]) et en a repris la dénomination, tous ces établissements et produits prenant l'appellation de [5],

- que ce groupe [5] avait plusieurs filiales, notamment la société [6] et la société [7],

- que plusieurs établissements des sociétés [5], [6] et [7] coexistaient sur le site de [Localité 16],

- que lorsque le contrat de travail de M. [N] a été transféré du site de [Localité 16] au site de [Localité 14], il s'agissait d'une reprise d'un établissement appartenant à la [9], devenue [7] avec un changement de localisation,

- que parallèlement, l'activité industrielle persistant sur le site de [Localité 16] a, pour sa part, fait l'objet de reprises par d'autres sociétés mais que cela ne concerne absolument pas la présente affaire,

- que ceci explique que le certificat de travail de M. [N] établi par la société [20] mentionne :

« M. [O] [N] a fait partie de notre personnel :

- [13] - [9] - usine de [Localité 16] (62) : du 29/08/1963 au 31/03/1978

- [9] - [5] - [18] - [10] - [19] - usine de [Localité 14] (59) : du 1/04/1978 au 29/02/2004 »

- que ceci est parfaitement clair,

- que la société [20] tente désormais de prétendre que ces mentions sont justifiées par une reprise d'ancienneté et n'établissent pas qu'elle serait le successeur de la société [13],

- que cependant, ceci n'est pas conforme à l'article L. 122-16 du code du travail dans sa version applicable en 2004, qui énonce que l'employeur doit, à l'expiration du contrat de travail, délivrer aux travailleurs un certificat contenant exclusivement la date de son entrée et celle de sa sortie et la nature de l'emploi ou, le cas échéant, des emplois successivement occupés ainsi que les périodes pendant lesquelles ces emplois ont été tenus,

- qu'une éventuelle reprise d'ancienneté accordée au bon vouloir de l'employeur n'a donc pas à figurer sur un certificat de travail,

- que même en admettant qu'un employeur tienne à faire figurer cette mention sur un certificat de travail, il prendrait soin de le faire en des termes évitant toute ambiguïté,

- qu'en outre, la société [20] reconnaît dans ses écritures que le contrat de travail de M. [N] a fait l'objet d'un transfert,

- que ceci correspond à l'hypothèse visée par l'ancien article L. 122-12 du code du travail, qui prévoyait qu'en cas de survenance d'une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise,

- qu'ainsi, c'est bien dans le cadre d'une reprise de contrat de travail de M. [N] a été transféré en 1978,

- que cette reprise résulte également du certificat de travail, puisqu'il figure que le dernier employeur de M. [N] à l'usine de [Localité 16] est la société [9], qui est également son premier employeur à l'usine de [Localité 14],

- que cette continuité d'emploi résulte également de l'attestation de l'ancien collègue de M. [N], qui évoque [5] comme dernier employeur aux usines de [Localité 16] puis [5] comme premier employeur à l'usine de [Localité 14],

- qu'il en résulte que la société [20] est le successeur de la société [13],

- que dès lors que l'on admet que la société [20] est le successeur des sociétés [19], [10], [17], [5], [9] et [13], M. [N] a effectué toute sa carrière auprès d'un seul et même employeur,

- que par conséquent, la preuve qu'il aurait été exposé au risque de sa maladie au sein d'autres entreprises n'est pas rapportée,

- qu'il ne fait donc pas de doute que M. [N] a été exposé au risque de sa maladie au sein des prédécesseurs de la société [20],

- que c'est donc à bon droit qu'elle a inscrit et maintenu les incidences financières des maladies professionnelles de M. [N] sur le compte employeur de la société [20].

L'examen de l'affaire a été porté à l'audience du 12 janvier 2024, lors de laquelle chacune des parties a réitéré ses prétentions et son argumentation.

Motifs de l'arrêt :

Sur la demande principale de retrait du compte employeur :

La société [20] demande à titre principal le retrait de son compte employeur des charges des maladies, au motif que l'exposition au risque de ces maladies n'est pas prouvée en son sein ou au sein des sociétés auxquelles elle a succédé.

En effet, il est constant que, sans préjudice d'une demande d'inscription au compte spécial, l'employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n'a pas été exposée au risque à son service. Dans une telle hypothèse, et en cas de contestation devant la juridiction de la tarification, il appartient à la CARSAT qui a inscrit les dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque chez celui-ci.

En l'espèce, la CPAM a pris en charge au titre de la législation professionnelle, les pathologies déclarées par M. [N] au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles, soit des plaques pleurales et une atteinte parenchymateuse.

Il appartient à la CARSAT d'établir l'exposition du salarié au risque chez l'employeur dont elle a imputé le compte du coût litigieux. En l'espèce, il s'agit pour elle d'établir que M. [N] a été soumis auprès de la société [20], ou de l'une des sociétés auxquelles cette dernière a succédé, à l'inhalation de poussières d'amiante.

À cet égard, la CARSAT fait valoir que M. [N] a été exposé à l'amiante sur le site de [Localité 14], dont il n'est pas contesté qu'il a été exploité par des sociétés successives dont la société [20] est le successeur.

La CARSAT tire argument du fait que la société [20] sollicite à titre subsidiaire l'inscription des coûts afférents aux maladies de M. [N] au compte spécial, au motif qu'avant de travailler pour elle, il avait été exposé au risque chez au moins un autre employeur sans que l'on puisse déterminer auprès duquel l'exposition au risque a provoqué la maladie. Elle en déduit que la société [20] reconnaît ainsi avoir exposé M. [N] à l'amiante.

Néanmoins, il s'avère que la formulation d'une demande subsidiaire constitue un procédé consistant, pour un plaideur, à parer l'éventualité où il ne serait pas suivi par la juridiction en son argumentation principale et à envisager, pour les besoins du raisonnement, l'hypothèse inverse. Dès lors, le fait que la société [20] présente, à titre subsidiaire, une demande d'inscription sur le compte spécial sur le fondement de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995, ne saurait être vu comme un aveu judiciaire d'une exposition à l'amiante en son sein.

En revanche, la CARSAT verse aux débats un avis donné par l'inspecteur du travail le 2 mai 2016 à l'agent de la CPAM chargé d'instruire le dossier des maladies professionnelles de M. [N]. Cet avis prend en compte le fait que M. [N] a travaillé de 1978 à 2004 sur le site de [Localité 14], pour des sociétés auxquelles a succédé la société [20]. Il indique par ailleurs que l'activité de M. [N] sur ce site pétrochimique l'a amené à travailler dans un milieu où se trouvaient des matériaux ayant contenu de l'amiante. Il se conclut en indiquant que la probabilité que M. [N] ait pu être exposé à l'inhalation de fibres d'amiante est par conséquent importante.

Certes, cet avis fait état d'une importante probabilité et non pas d'une certitude.

Cependant, il y a lieu de relever que cet avis est corroboré par d'autres éléments, produits par la société [20] elle-même.

Ainsi, il résulte de la déclaration de victime faite par M. [N] auprès d'un agent enquêteur de la CPAM que l'intéressé a indiqué avoir été exposé à l'amiante de 1963 à fin 1996, ce qui inclut une grande période pendant laquelle il a travaillé sur le site de [Localité 14]. De même, M. [N] a cité, parmi les chantiers où il y avait eu exposition à l'amiante, non seulement l'usine chimique de [Localité 16] mais également le site de [Localité 14], précisant qu'il existait de l'amiante au niveau des chaudières et des fours. Il a également indiqué qu'il avait manipulé directement des matériaux à base d'amiante, à savoir des joints en amiante ou des tresses d'amiante, sur des vannes automatiques, sur des vannes de vapeur ou pour protéger des câbles électriques. Il a également indiqué avoir été l'objet d'une exposition environnementale à l'amiante, par proximité avec d'autres corps de métiers manipulant l'amiante, tels que des ouvriers de maintenance sur les installations.

Certes, on considère habituellement que les déclarations du salarié, qu'elles soient faites directement ou qu'elles soient reprises par des intermédiaires, ne peuvent suffire à établir la preuve de l'exposition au risque, en l'absence d'éléments objectifs extrinsèques. Cependant, il y a lieu d'observer que ce témoignage a été fait par M. [N] en 2005 dans le cadre de la reconnaissance de la maladie professionnelle de M. [Y], à une époque où il ne savait pas qu'il serait concerné un jour par ce type de maladie, si bien qu'il est possible de lui accorder un certain crédit, sans considérer qu'il s'agirait d'une attestation que M. [N] se serait faite à lui-même pour les besoins de la cause.

Cette société verse également aux débats le témoignage d'un collègue de M. [N], M. [L] [Y], qui a travaillé avec lui de 1969 au 29 février 2004, sur le site de [Localité 16] puis sur le site de [Localité 14]. Lorsqu'il a été demandé à ce dernier à quelle période il situait l'exposition à l'amiante, il a répondu que pendant la totalité de sa carrière, M. [N] avait été exposé, soit lors de son travail, soit en voisinant l'amiante puisque celui-ci était couramment utilisé et présent partout dans les unités et les appareils sur lesquels il intervenait. Il a précisé que l'exposition à l'amiante pouvait se faire directement, par des plaques, joints, cordons, tresses qui étaient non seulement manipulés mais également parfois découpés, meulés, grattés sans protection particulière. Il a également indiqué que cette exposition pouvait avoir lieu par l'environnement et le voisinage d'autres personnes qui travaillaient l'amiante, généraient des poussières, ou même en raison du mode de nettoyage des locaux par soufflerie ou par balayage, ce qui mettait des particules d'amiante en suspension dans l'air. Il a expressément indiqué que cette exposition avait eu lieu sur le site de [Localité 16] mais également sur le site de [Localité 14]. Il a précisé que ce n'était qu'à partir de 1997, sur le site de [Localité 14], que l'employeur avait commencé à désamianter les unités.

La société [20] produit également le témoignage effectué par M. [N] en 2005 dans la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle initiée à l'époque par M. [Y]. Ce document présente une certaine pertinence car il a été fait à une époque où M. [N] ne savait pas qu'ultérieurement, il serait lui aussi concerné par des maladies professionnelles liées à l'amiante. Après avoir indiqué qu'il avait travaillé dans les mêmes services de maintenance que M. [Y] sur les sites de [Localité 16] et de [Localité 14], il a expliqué qu'il avait été exposé à l'amiante, « essentiellement pendant la période passée aux usines de [Localité 16] jusqu'en 1978 ». Cette expression signifie que si la majeure partie de l'exposition à l'amiante a eu lieu sur le site de [Localité 16], une part plus faible de cette exposition a aussi eu lieu sur le site de [Localité 14]. Il explique notamment qu'il a été amené à manipuler des plaques d'amiante pour faire des joints, ainsi que des cordons pour assurer des étanchéités. Il précise que dans le cadre d'une maintenance, tous les corps de métier interviennent sur un même chantier, de sorte qu'il a côtoyé des calorifugeurs qui manipulaient de l'amiante.

Dès lors, même si le site de [Localité 14], exploité successivement par plusieurs sociétés aux droits desquelles se trouve aujourd'hui la société [20], n'a jamais eu pour objet principal la production de produits amiantés, la CARSAT rapporte la preuve qui lui incombe que de l'amiante était présente dans les installations et que M. [N], par ses fonctions, y a été exposé.

En conséquence, il convient de rejeter la demande de la société [20] tendant à voir retirer de son compte employeur les incidences financières liées aux deux maladies professionnelles de M. [N] et à voir recalculer son taux de cotisation.

Sur la demande subsidiaire d'inscription au compte spécial :

Aux termes des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale fixant les règles de tarification des risques des accidents du travail et maladies professionnelles, il est prévu que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais inscrites à un compte spécial.

L'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 pris pour l'application des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale relatif à la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles dispose, dans sa rédaction applicable au présent litige : « sont inscrites au compte spécial, conformément aux dispositions des articles D. 242-6-5 et D. 242-6-7, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées dans les conditions suivantes : [...] 4° la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie ».

En cas de demande d'inscription au compte spécial, il incombe à l'employeur de prouver que les conditions posées par ce texte sont réunies, à savoir, d'une part, que le salarié ait été exposé au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes et, d'autre part, qu'il soit impossible de déterminer l'entreprise au sein de laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie.

En l'espèce, la société [20] soutient que M. [N] a été exposé à l'amiante lorsqu'il travaillait sur le site de [Localité 16] pour d'autres employeurs n'ayant aucun lien juridique avec elle.

Il résulte amplement des pièces versées aux débats que le site de [Localité 16] contenait de l'amiante et que les personnes qui y travaillaient étaient exposées à ce matériau.

Ainsi, l'usine de [Localité 16] de la société [5] figure sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA pour la période de 1946 à 1972.

De même, le témoignage fait par M. [Y] dans le cadre de la procédure de reconnaissance des pathologies de M. [N] comme maladies professionnelles est particulièrement explicite. Ce témoignage indique notamment que l'amiante était présent partout dans les unités et les appareils, que M. [N] a manipulé directement des matériaux à base d'amiante et les a découpés, meulés, grattés, sans masque de protection, qu'il a été en contact avec d'autres corps de métiers utilisant ou travaillant l'amiante, que les ateliers étaient nettoyés par balayage et par soufflage, ce qui projetait dans l'air ambiant des particules d'amiante et qu'en outre, il arrivait de temps à autre que certains bâtiments anciens truffés d'amiante fussent démolis par dynamitage sur le site de [Localité 16], ce qui projetait dans les airs des quantités d'amiante importantes.

Cette exposition à l'amiante résulte également du témoignage fait par M. [N] en 2005 dans le cadre de la reconnaissance de la maladie professionnelle de M. [Y], à une époque où il ne savait pas qu'il serait concerné un jour par ce type de maladie, si bien qu'il est possible d'accorder un certain crédit à ce témoignage, sans considérer qu'il s'agirait d'une attestation que M. [N] se serait faite à lui-même pour les besoins de la cause.

La société [20] prouve donc de manière incontestable une exposition à l'amiante sur le site de [Localité 16].

En revanche, la question de savoir si la société [20] doit être considérée comme étrangère au site de [Localité 16] ou au contraire comme successeur de la société qui exploitait ce site lorsque M. [N] l'a quitté, est beaucoup plus nébuleuse.

La société [20] explique à ce propos que le site de [Localité 16] a fait l'objet de cessions successives, par la société [6] à la Société [8] puis, en 2007, par la société [12] à la société [3], puis par la société [3] à la société [15], qui doit être considérée comme successeur et avec laquelle elle n'a aucun lien. Ceci n'est pas contesté par la CARSAT, qui considère cependant qu'il s'agit là de circonstances indifférentes à la solution du présent litige.

Dans le même ordre d'idéés, elle invoque également le fait qu'en 2000, c'est la société [12] qui a contesté devant le Conseil d'État l'inscription de l'usine de [Localité 16] sur l'annexe de l'arrêté du 3 juillet 2000 ouvrant droit à l'ACAATA, d'où elle déduit que si elle l'a fait et si son action a été déclarée recevable, c'est qu'elle avait un intérêt à agir. Ce raisonnement est juste mais il n'échappe pas à la critique de la CARSAT, selon laquelle ces circonstances sont indifférentes à la solution du présent litige.

La société [20] explique également que la maladie de M. [Y], qui a eu le même parcours professionnel que M. [N], ne lui a pas été imputée. Cependant, la pièce qu'elle verse aux débats, à savoir un jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille en date du 8 mars 2012, n'établit aucunement que la maladie professionnelle de M. [Y] n'a pas été imputée sur son compte employeur mais simplement que M. [Y] a été débouté de son action en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de trois de ses anciens employeurs, dont la société [19], aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société [20], au motif qu'il était défaillant dans la charge de la preuve qui lui incombait. Ce jugement n'est donc pas très probant. Il n'est d'ailleurs pas inutile de relever que dans ses motifs, le tribunal a retenu, dans un paragraphe destiné à identifier les employeurs de M. [Y], que celui-ci avait été employé par la Société [9] - [5] sur le site de [Localité 16] jusqu'au 2 octobre 1977 et qu'à compter du 3 octobre 1977, tout en faisant partie des effectifs de [5], il avait été muté au sein du site [Localité 11] - [Localité 14], où son contrat de travail avait été successivement poursuivi par les sociétés [17], [18], [10], [19] SNC puis [19] SAS.

De la même manière, il apparaît que dans les dernières années où il travaillait sur le site de [Localité 16], M. [N] était embauché par la Société [9], dite [9], et qu'au moment où il a commencé à travailler sur le site de [Localité 14], il était toujours embauché par cette même Société [9], dite [9]. Il ne s'agit certes pas de la même société que celle qui, selon le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille, employait M. [Y] au moment où il est passé du site de [Localité 16] à celui de [Localité 14] mais le constat est le même : la société qui l'employait à la fin de son emploi à [Localité 16] est la même que celle qui l'employait au début de ses fonctions à [Localité 14].

Cela résulte du certificat de travail établi le 27 février 2004 par la société [19] lorsque M. [N] a fait valoir ses droits à la retraite, qui mentionne la société [9] comme étant son dernier employeur à [Localité 16] et son premier employeur à [Localité 14].

Cela résulte également de la demande de mutation faite par M. [N] le 26 mai 1976, sur un imprimé fourni par la Société [9] pour passer de son service à [Localité 16] à l'usine de [Localité 11] (site de [Localité 14]), dans lequel il lui était demandé de motiver sa demande de mutation et dans lequel était également sollicité l'avis de sa hiérarchie. Ceci tend à établir qu'il s'agissait d'un mouvement interne à la même société, et non pas d'un changement d'employeur, auquel cas il aurait démissionné.

En outre, il résulte du certificat de travail mentionné ci-dessus que celui-ci est formulé de la manière suivante : Je soussigné [...] certifie que M. [O] [N] a fait partie de notre personnel [...] du 29/08/1963 au 31/03/1978 [et...] du 1/04/1978 au 29/02/2004, ce qui indique assez clairement que la société [19] a considéré qu'il existait une continuité entre les différents employeurs de M. [N], y compris lorsqu'il est passé d'un site à l'autre.

La société [20] a beau expliquer que cela résulte d'une erreur liée à une reprise d'ancienneté, ceci n'est que moyennement convainquant puisque, d'une part, ce n'est pas conforme aux textes applicables au certificat de travail que doit délivrer l'employeur au salarié à l'expiration du contrat de travail et que, d'autre part, cela tend à confirmer l'hypothèse d'un simple transfert de contrat de travail.

S'il est difficile, en l'état du dossier, d'avoir des certitudes, on doit à tout le moins admettre que la société [20] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce que M. [N] a travaillé pour plusieurs employeurs qui l'auraient exposé au risque de ses maladies ni, partant, que les conditions d'application de l'article 2 4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 seraient réunies.

Elle doit donc être déboutée de sa demande d'inscription au compte spécial.

Sur les mesures accessoires :

La société [20] étant déboutée de ses demandes principale et accessoire, elle doit également être déboutée de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles.

Il convient de la condamner aux entiers dépens de l'instance.

Par ces motifs :

La cour, statuant par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoire, en premier et dernier ressort :

- Déboute la société [20] de sa demande tendant à voir retirer de son compte employeur les incidences financières liées aux deux maladies professionnelles de M. [N] et de sa demande tendant à les inscrire au compte spécial,

- Déboute la société [20] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société [20] aux dépens.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Tarification
Numéro d'arrêt : 21/03659
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;21.03659 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award