ARRET
N°
[T]
C/
Association LES BARBAPAPAS
copie exécutoire
le 5/07/2023
à
Me MESUREUR
Me DORE
EG/IL/BG.
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 05 JUILLET 2023
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N° RG 22/04711 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ISXX
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 27 SEPTEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F20/00195)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [X] [T]
née le 07 Juin 1983 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée et concluant par Me Brigitte MESUREUR, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Christine HAMEL, avocat au barreau d'AMIENS
ET :
INTIMEE
Association LES BARBAPAPAS
prise en la personne de son représentant légal en exercice,
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée et concluant par Me Christophe DORE de la SELARL DORE-TANY-
BENITAH, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Isabelle LESPIAUC, avocat au barreau d'AMIENS
DEBATS :
A l'audience publique du 24 mai 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 05 juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 05 juillet 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Mme [T], née le 20 mai 1986, a été embauchée par l'association Les Barbapapas (l'association ou l'employeur), exploitant une micro-crèche, par contrat à durée déterminée à compter du 1er mars 2017 reconduit le 1er mars 2018 puis transformé en contrat à durée indéterminée à compter du 1er mars 2019, en qualité d'aide- puéricultrice.
Son contrat est régi par la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial.
La société emploie moins de 10 salariés.
Le 5 septembre 2019, l'employeur a adressé aux 4 salariés de la structure le courrier suivant :
«Ce courrier de mise en garde à votre attention intervient dans le cadre du non-respect de vos obligations réglementaires.
En effet, après le retour anticipé de Me [J] [S] ce vendredi 30 août 2019 à 15h00 sur site, elle a constaté que l'entretien de la crèche n'avait pas été effectué, particulièrement concernant les sols ainsi que les tables qui n'avaient pas été nettoyés.
En sachant que vos horaires de fin de formation étaient prévus à 15h, elle a eu la désagréable surprise de constater à son retour que vous étiez toutes parties. Je considère que vous aviez largement le temps de remplir vos obligations professionnelles.
Par conséquent, j'attire votre attention sur le fait qu'à compter du lundi 9 septembre 2019, la structure ne tolèrera plus le départ anticipé de l'équipe l'après-midi. Les horaires inscrits dans votre contrat de travail doivent être respectés.»
Mme [T] a été placée en arrêt de travail à compter du 23 septembre 2019.
Par courrier du 16 décembre 2019, elle a démissionné de son poste.
Estimant que le courrier du 5 septembre 2019 était une sanction injustifiée et que sa démission devait être requalifiée en prise d'acte de la rupture, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 5 juin 2020.
Par jugement du 27 septembre 2022, le conseil de prud'hommes a :
- dit que la contestation de la mise en garde du 5 septembre 2019 était irrecevable et confirmé que cette mise en garde n'était pas une sanction disciplinaire, mais un rappel au bon fonctionnement du service,
- débouté Mme [T] de ses demandes afférentes à la mise en garde du 5 septembre 2019,
- dit et jugé que la rupture du contrat de travail de Mme [T] s'analysait en une démission et devait produire les effets d'une démission et débouté Mme [T] de sa demande de requali'cation en prise d'acte de rupture et de 1`ensemble de ses demandes afférentes,
- débouté Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- pris acte que l'association Les Barbapapas reconnaît devoir à Mme [T] 245,21 euros au titre de l'indemnité de congés payés, et condamné en tant que de besoin l'association Les Barbapapas à lui payer,
- condamné Mme [T] à verser à l'association Les Barbapapas la somme de 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné Mme [T] aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 10 janvier 2023, Mme [T], régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 27 septembre 2022 en ce qu'il :
- a dit que la contestation de la mise en garde du 5 septembre 2019 était irrecevable et confirmé que cette mise en garde n'était pas une sanction disciplinaire mais un rappel au bon fonctionnement du service,
- l'a déboutée de ses demandes afférentes à la mise en garde du 5 septembre 2019,
- a dit et jugé que la rupture du contrat de travail s'analysait en une démission et devait produire les effets d'une démission et l'a déboutée de sa demande de requalification en prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur et de l'ensemble de ses demandes afférentes,
- l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- a pris acte que l'association Les Barbapapas reconnaissait lui devoir 245,21 euros au titre de l'indemnité de congés payés,
- a condamné en tant que de besoin l'association Les Barbapapas à lui payer 245,21 euros au titre de l'indemnité de congés payés,
- l'a condamnée à verser à l'association Les Barbapapas 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- l'a condamnée aux entiers dépens,
Statuant à nouveau,
- annuler la mesure disciplinaire du 5 septembre 2019,
- dire et juger que sa démission devait s'analyser en une prise d'acte de rupture et devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner l'association Les Barbapapas à lui payer les sommes suivantes :
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour mise en garde du 5 septembre 2019 injustifiée,
- 4 600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3 066,70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 306,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- 1 086,60 euros à titre d'indemnité de licenciement légale,
- 1 597,50 euros à titre de solde d'indemnité compensatrice de congés payés, solde de 15 jours
(2017 à 2020) + 10 jours de congés supplémentaires (octobre 2019 à janvier 2020)
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'association Les Barbapapas aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 25 janvier 2023, l'association Les Barbapapas demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 27 septembre 2022,
En conséquence,
- dire et juger Mme [T] irrecevable en son action en contestation de la mise en garde du 5 septembre 2019,
A titre subsidiaire,
- débouter Mme [T] de sa demande d'annulation de la mise en garde du 5 septembre 2019,
- débouter également Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée,
- dire et juger que la rupture du contrat de travail à l'initiative de Mme [T] s'analyse en une démission et qu'elle doit produire les effets d'une démission,
- débouter Mme [T] de sa demande de requalification de la démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail devant produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail,
- débouter Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
Statuant à nouveau en cause d'appel,
- condamner Mme [T] à lui payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [T] aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur l'exécution du contrat de travail
1-1/ sur l'existence d'une sanction disciplinaire
Mme [T] soutient qu'elle a fait l'objet d'une sanction disciplinaire injustifiée notifiée par courrier du 5 septembre 2019 en représailles à une revendication collective sur les congés payés.
L'employeur soulève l'irrecevabilité de la demande d'annulation au motif que le courrier en question constitue une simple mise en garde adressée à l'identique aux 4 salariées de la structure sans imputation de faute, et non une sanction disciplinaire.
L'article L.1331-1 du code du travail dispose que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
En l'espèce, le 5 septembre 2019, l'employeur a adressé aux 4 salariés de la structure le courrier dont le contenu a été rappelé dans l'exposé du litige.
Si ce courrier vise un comportement fautif consistant dans le non-respect des exigences d'hygiène liées aux fonctions de la salariée, il n'en tire aucune conséquence disciplinaire ni ne met en garde cette dernière contre les suites possibles d'une réitération, se contentant de l'informer que ce manquement conduit à mettre fin à une tolérance sur les heures de départ.
Il ne saurait donc relever du champ disciplinaire et c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré les demandes d'annulation et de dommages et intérêts subséquentes irrecevables.
1-2/ sur le rappel de congés payés
Mme [T] affirme que l'employeur ne l'a pas intégralement remplie de ses droits au titre des congés payés, la demande de congés payés des 28, 29 et 30 juin 2017 et le cahier de pointage produits étant falsifiés, ce qui a donné lieu à signalement par l'inspecteur du travail au procureur de la République.
L'employeur conteste toute falsification et reconnaît devoir 3,5 jours de congés payés non pris après règlement de 3 jours au titre des congés payés de base, aux termes du solde de tout compte de janvier 2020, et de 8,5 jours au titre des congés payés supplémentaires, aux termes du solde de tout compte de mai 2020.
En application des dispositions de l'article L.3141-28 alinéa 1 du code du travail, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d'après les dispositions des articles L. 3141-24 à L. 3141-27.
L'indemnité de congés payés n'est due qu'autant qu'un droit à congés payés a été acquis.
En l'espèce, à la suite de plusieurs échanges entre les parties et l'inspecteur du travail et des paiements faits par l'employeur, le litige élevé autour de la question du droit à congés payés et de l'indemnité en découlant ne concerne plus que la question de savoir si Mme [T] a posé ou non des congés les 28, 29 et 30 juin 2017.
Or, l'employeur produit une demande de congés du 27 juin 2017 et un décompte mensuel d'heures travaillées par les salariées comportant une signature non manifestement différente de celle qui se trouve sur les contrats de travail sous le nom de Mme [T].
Par ces pièces, qui ne sauraient être valablement contredites par l'attestation de Mme [O] se souvenant 3 ans après des dates de congé de sa collègue ni par une plainte pour faux dont l'issue est inconnue, l'employeur établit que c'est à bon droit qu'il a décompté 3 jours en 2017 pour ne plus devoir que 245,21 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.
Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef.
2/ Sur la rupture du contrat de travail
Mme [T] fait valoir que le contexte conflictuel et la dégradation de ses conditions de travail existant lors de la remise de sa lettre de démission doivent conduire à requalifier cette dernière en prise d'acte de la rupture du contrat de travail en raison des manquements de l'employeur quant au respect de ses droits de salariée, notamment concernant la gestion des congés payés et la préservation de sa santé.
L'employeur répond que la lettre de démission, ne comportant aucune réserve et étant dépourvue de tout caractère équivoque, ne peut être requalifiée en prise d'acte de la rupture, et conteste tout manquement de sa part dans l'exécution du contrat de travail.
L'article L.1232-1 du code du travail dispose notamment que le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord.
La volonté de démissionner doit être clairement exprimée et non équivoque.
Il appartient aux juges de rechercher si la démission sans réserve, qui revêt a priori tous les aspects d'une démission sans équivoque, n'a pas été donnée en raison de circonstances antérieures ou contemporaines à la démission.
La démission provoquée par un comportement fautif de l'employeur doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, bien que Mme [T] ait donné sa démission sans réserve le 16 décembre 2019, il ressort des courriers d'échange avec l'employeur des 15 septembre et 3 octobre 2019, du courrier adressé avec ses collègues à l'inspecteur du travail le 10 octobre 2019, du courrier de ce dernier du 6 novembre 2019, et du courriel qu'elle lui a adressé le 19 décembre 2019 qu'un conflit sur les droits à congés payés, non résolu au jour de la démission, l'opposait à l'association.
Ces éléments de nature à rendre équivoque la volonté de démissionner de Mme [T] conduisent à examiner les circonstances de la rupture du contrat de travail.
Si l'inspecteur du travail a pu constater, lors de sa visite du 4 novembre 2019, une ambiance de travail dégradée au regard notamment des litiges en cours entre les salariées et l'employeur, Mme [T] en arrêt de travail depuis le 23 septembre 2019 ne peut s'en prévaloir sans démontrer que ce dernier a adopté un comportement fautif à son encontre avant cette date.
Or, il a été précédemment retenu qu'elle n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire et les attestations de ses collègues, également en conflit avec l'employeur, qui déclarent qu'elle venait travailler «avec la boule au ventre», «pleurait» et «avait des palpitations» mais ne décrivent aucun agissement précis du supérieur hiérarchique sur cette période susceptible de provoquer cet état, ne permettent pas d'établir un manquement justifiant la rupture.
De même, le fait qu'il lui ait été demandé de restituer les clés du local professionnel le 8 octobre 2019 alors qu'elle était en arrêt de travail depuis deux semaines relève du pouvoir d'organisation de l'employeur qui n'apparaît pas en soi fautif.
Reste les revendications liées aux droits à congés payés supplémentaires dont l'employeur a accepté le principe, dès avant la démission, à la suite de la mise au point faite par l'inspecteur du travail dans son courrier du 6 novembre 2019, mais toujours en cours le 16 décembre 2019 quant au calcul du nombre de jours pris par Mme [T].
Sur ce point, bien que l'employeur ne puisse se prévaloir valablement de son ignorance des dispositions de la convention collective applicable en matière de congés payés supplémentaires, il convient de noter que sur les 8 jours supplémentaires qui auraient dû être accordés chaque année, 5 jours étaient déjà octroyés à ce titre par usage au sein de la structure.
Mme [T] ayant été informée par courriel du 13 novembre 2019 de l'accord de l'employeur pour régulariser le calcul des congés payés sur 3 ans et respecter à l'avenir les dispositions de la convention collective, ce seul retard dans l'application de ses droits est insuffisant à justifier la rupture du contrat de travail au torts de l'employeur.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté Mme [T] de sa demande d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
3/ Sur les demandes accessoires
Mme [T] succombant en ses demandes, il convient de confirmer le jugement entrepris quant aux dépens et frais irrépétibles, de la débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles et de mettre à sa charge les dépens d'appel.
L'équité commande de la condamner à payer à l'association Les Barbapapas 200 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
confirme le jugement du 27 septembre 2022 en ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
condamne Mme [X] [T] à payer à l'association Les Barbapapas 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
rejette le surplus des demandes,
condamne Mme [X] [T] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.