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01/06/2023 | FRANCE | N°22/01665

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 01 juin 2023, 22/01665


ARRET







[L]





C/



S.A.S. SERDIS



























































copie exécutoire

le 01 juin 2023

à

Me Trouvé

Me Sauvage

CPW/MR



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 01 JUIN 2023



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N° RG 22/01665 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IM42



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 22 MARS 2022 (référence dossier N° RG F20/00199)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



Madame [G] [L] épouse [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée, concluant et plaidant par Me William TROUVE, avocat au b...

ARRET

[L]

C/

S.A.S. SERDIS

copie exécutoire

le 01 juin 2023

à

Me Trouvé

Me Sauvage

CPW/MR

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 01 JUIN 2023

*************************************************************

N° RG 22/01665 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IM42

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 22 MARS 2022 (référence dossier N° RG F20/00199)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [G] [L] épouse [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée, concluant et plaidant par Me William TROUVE, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. SERDIS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée, concluant et plaidant par Me Gilbert SAUVAGE de l'ASSOCIATION CHEDOT SAUVAGE SAUVAGE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Catherine CHEDOT de l'ASSOCIATION CHEDOT SAUVAGE SAUVAGE

DEBATS :

A l'audience publique du 06 avril 2023, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 01 juin 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 01 juin 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Serdis exploite un hypermarché sous l'enseigne "E.Leclerc" à [Localité 4].

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 30 mai 1978, Mme [L] épouse [H] a été embauchée par la société Fodis aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Serdis (ci-après la société ou l'employeur) qui a repris le contrat de travail de la salariée le 30 juillet 1985. Au dernier état de la relation de travail, Mme [L] exerçait les fonctions de préemballeuse au rayon boucherie, en qualité de employée commerciale 2° niveau II échelon B3.

La convention collective applicable est celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Le 20 mars 2020 Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, prévu le 27 mars 2020. Sa mise à pied disciplinaire pour vol, sans solde, de 3 jours (du lundi 6 avril au mercredi 8 avril 2020 inclus) lui a été notifiée le 31 mars 2020.

Mme [L] a été placée en arrêt de travail de droit commun du 31 mars au 13 avril 2020.

Par lettre du 14 avril 2020, la société a renouvelé la notification de sa mise à pied disciplinaire sans solde de 3 jours du 27 au 29 avril 2020 inclus du fait de l'arrêt de travail intervenu le jour de la première notification et de l'absence d'exécution.

La salariée a fait valoir ses droits à la retraite à effet au 30 juin 2020 tenant compte du préavis de deux mois, par lettre du 15 avril 2020 remise en main propre à l'employeur le 16 avril, ainsi libellée : « Je vous informe par la présente, de manière précipitée par rapport à mes projets, suite au traitement qui m'est réservé dans la société à faire valoir mes droits à la retraite (...)».

Contestant la légitimité de la mise à pied, estimant que son départ en retraite est équivoque et doit d'analyser en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant une indemnisation au titre d'un harcèlement moral, une exécution déloyale du contrat de travail et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil le 10 septembre 2020, qui par jugement du 22 mars 2022 la juridiction prud'homale a :

dit que la mise à pied notifiée le 31 mars 2020 n'a plus d'objet et est injustifiée ;

annulé la mise à pied notifiée le 14 avril 2020 ;

condamné la société Serdis à payer à Mme [L] :

150,23 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 27 au 29 avril 2020, outre 15,02 euros au titre des congés payés afférents,

2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité ;

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

dit que les condamnations prononcées au titre des rappel de salaire et congés payés afférents produiront intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2020, date de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation ;

dit que la condamnation prononcée au titre des dommages et intérêts produira intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2022, date de mise à disposition de la décision ;

débouté Mme [L] du surplus de ses demandes ;

condamné la société Serdis aux dépens y compris ceux d'exécution.

Le 7 avril 2022, Mme [L] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 13 mars 2023, Mme [L] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que lorsque le contrat de travail est rompu par l'effet du départ à la retraite d'un salarié la prise d'acte n'est pas possible, en ce qu'il l'a déboutée en conséquence de sa demande de dire que son départ à la retraire est équivoque et doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société Serdis à lui verser 27 071,30 euros à titre d'indemnité légale de licenciement outre 41 120,80 euros représentant 20 mois de salaire à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a limité sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité en matière de santé au travail à la somme de 2 000 euros, et statuant à nouveau de :

- dire que son départ en retraite est équivoque, doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui payer  :

-- 27 071,30 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

-- 41 120,80 euros (20 mois de salaire) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société à lui verser 15 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité, sous déduction des 2 000 euros alloués à ce titre en première instance,

- dire que l'ensemble de ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation pour toutes les sommes à caractère salarial et à compter de la décision à intervenir pour toutes les sommes à caractère indemnitaire,

- sur l'appel incident, juger que la cour n'est pas saisie de prétentions par la société au titre de son appel incident puisqu'elle se contente de solliciter l'infirmation du jugement sans formuler de demandes à la cour, et confirmer en conséquence la décision déférée sur l'objet de l'appel incident, et en tout état de cause si la cour s'estimait néanmoins saisie, débouter la société de ses demandes à ce titre,

- condamner la société à lui payer 2 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 1er février 2023, la société Serdis demande à la cour :

- de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la salariée de ses demandes liées à la requalification de son départ en retraite, ou à titre subsidiaire, si la cour devait infirmer ces dispositions, de juger que l'indemnité légale de licenciement après compensation avec l'indemnité de départ en retraite ne saurait excéder la somme de 18 847,16 euros et limiter l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire soit 6 168,12 euros,

- d'infirmer le jugement déféré en ses autres dispositions ou à titre subsidiaire, le confirmer et débouter la salariée de son appel pour un paiement de 15 000 euros,

- débouter Mme [L] de ses demandes tendant à juger que la cour n'est pas saisie de prétentions par la société et « confirmer en conséquence le jugement rendu le 22 mars 2022 par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a annulé la mise à pied notifiée à Mme [G] [H] le 14 avril 2020, condamné la société Serdis à lui payer une somme de 150,23 euros à titre de rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020 outre une somme de 15,02 euros au titre des congés payés sur le rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020, alloué à Mme [G] [H] des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, condamné la société Serdis à payer à Mme [H] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile »,

- débouter la salariée de ses demandes de condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS :

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Mme [L] fait valoir en substance que la cour n'est pas saisie de prétentions par la société Serdis au titre de son appel incident, puisque celle-ci se contente de solliciter l'infirmation du jugement sans formuler de demande à la cour.

La société Serdis réplique en substance qu'elle a expressément développé dans ses écritures les moyens qu'elle invoque à l'appui de son appel incident strictement défini dans son dispositif puisqu'elle demande l'infirmation de certains chefs du jugements ; que la cour est donc saisie de prétentions du fait de cette demande d'infirmation, conformément à l'alinéa 3 de l'article 954 du code de procédure civile ; que la cour devra donc débouter Mme [L] de sa demande tendant à juger que la cour n'est pas saisie de prétentions par la société et à voir confirmer en conséquence le jugement rendu le 22 mars 2022 par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a annulé la mise à pied notifiée à Mme [G] [H] le 14 avril 2020, condamné la société Serdis à lui payer une somme de 150,23 euros à titre de rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020 outre une somme de 15,02 euros au titre des congés payés sur le rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020, alloué à Mme [G] [H] des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, condamné la société Serdis à payer à Mme [H] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur ce,

Selon l'article 954, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquelles chacune de ces prétentions est fondée. Les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il résulte de ce texte, dénué d'ambiguïté, que le dispositif des conclusions de l'appelant ou de l'appelant incident, doit comporter, en vue de l'infirmation ou de l'annulation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige.

En outre selon l'article 954 alinéa 4 du même code, les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

L'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel est ainsi déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile.

La demande d'infirmation de tel ou tel chef du jugement ne suffit pas à émettre une prétention sur le fond des demandes qui ont été tranchées par ce chef de jugement, de sorte que lorsqu'une partie entend résister à la demande de son adversaire, elle doit émettre la prétention que celle-ci soit rejetée, le débouté étant une prétention au fond et les demandes ne pouvant être implicites.

En l'espèce, Mme [L] a entendu limiter son appel aux dispositions du jugement déféré portant sur le rejet de ses demandes formées au titre de la rupture du contrat de travail et sur la limitation apportée au montant des dommages et intérêts alloués pour exécution déloyale du contrat de travail, harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité en matière de santé au travail.

Les conclusions de la société Serdis comportent un dispositif, qui seul saisit la cour, dans lequel elle demande la confirmation de certaines dispositions du jugement déféré critiquées par Mme [L] en cause d'appel, et l'infirmation du jugement déféré en ses autres dispositions ou à titre subsidiaire, le confirmer et débouter la salariée de son appel pour un paiement de 15 000 euros,

- débouter la salariée de ses demandes tendant à juger que la cour n'est pas saisie de prétentions par la société et confirmer en conséquence le jugement rendu le 22 mars 2022 par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a annulé la mise à pied notifiée à Mme [G] [H] le 14 avril 2020, condamné la société Serdis à lui payer une somme de 150,23 euros à titre de rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020 outre une somme de 15,02 euros au titre des congés payés sur le rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020, alloué à Mme [G] [H] des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, condamné la société Serdis à payer à Mme [H] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la salariée de ses demandes de condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour.

Ainsi, si la société sollicite dans les motifs de ses conclusions le rejet de l'ensemble des demandes de Mme [L], pour autant elle ne reprend pas cette prétention dans le dispositif, se bornant à demander à la cour de réformer la décision entreprise, sans formuler aucune prétention relative aux dispositions du jugement de ces chefs et aux demandes de Mme [L] qu'elle maintient en cause d'appel. L'employeur demande dès lors uniquement le rejet de l'appel formé par cette dernière portant sur le montant alloué à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Il s'ensuit que la société demande l'infirmation de dispositions du jugement déféré sans en tirer de conséquences en formulant expressément dans le dispositif de ses conclusions la prétention résultant de sa demande d'infirmation, et que la cour d'appel n'est donc saisie d'aucune prétention de la société Serdis quant aux dispositions du jugement ayant :

- annulé la mise à pied notifiée à Mme [L] le 14 avril 2020,

- condamné la société Serdis à lui payer une somme de 150,23 euros à titre de rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020 outre une somme de 15,02 euros au titre des congés payés sur le rappel de salaire sur la période du 27 au 29 avril 2020,

- alloué à Mme [G] [H] des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- condamné la société Serdis à payer à Mme [H] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

dont l'intimée demande la confirmation.

Sur le montant alloué à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité en matière de santé

La réparation intégrale du préjudice subi par Mme [L] du fait d'une exécution déloyale de son contrat de travail par l'employeur, harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité en matière de santé, a été fixée par le conseil de prud'hommes à 2 000 euros.

Mme [L], qui estime ce montant insuffisant, fait valoir en substance qu'en premier lieu son employeur n'a pas hésité à l'accuser à tort et injustement de vol alors qu'elle n'avait jamais eu aucun reproche en 42 ans d'ancienneté ; que ces agissements de l'employeur ont eu pour conséquence de détériorer sa santé, l'obligeant à prendre des antidépresseurs ; qu'en second lieu, pendant la pandémie, l'employeur l'a fait travailler sur la surface de vente sans protection particulière alors même que les salariés affectés au travail de bureau étaient pourvus de notamment de masques, son préjudice étant sur ce point un préjudice essentiellement moral et d'évidence supérieur à celui indemnisé par le conseil de prud'hommes.

La société Serdis réplique en substance que a prétention indemnitaire de Mme [L] en cause d'appel est injustifiée dès lors que l'atteinte à la santé est particulièrement limitée dans le temps puisque la salarié n'a été que 15 jours en arrêt de travail, avec une exécution du contrat de travail postérieure pendant la période de préavis sans qu'il ne soit justifié que les prescriptions médicales (pour des affections buccales et gastriques essentiellement) aient été renouvelées, l'antidépresseur ayant été prescrit dans l'hypothèse d'angoisse dont il n'est pas démontré qu'elle serait liée à la sanction ; qu'il n'existe aucune violation de l'obligation de sécurité en matière de santé au travail ni une violation de l'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Sur ce,

L'exécution déloyale du contrat de travail par la société Serdis, le harcèlement moral et la violation de l'obligation de sécurité en matière de santé ont été retenus par le conseil de prud'hommes, et la cour n'est saisie que de la question de la réparation du préjudice étant résulté pour Mme [L] de ces manquements de l'employeur.

Les éléments suivants permettant d'apprécier le préjudice subi sont établis :

- après plus de 41 ans d'ancienneté, Mme [L] s'est subitement vue notifier le 31 mars 2023 une mise à pied disciplinaire pour des faits de vol qu'elle a toujours contestés, renouvelée le 14 avril 2020, la mise à pied ayant été annulée ;

- Mme [L] a été placée en arrêt de travail du 31 mars au 13 avril 2020 ;

- le 31 mars 2020, son médecin traitant lui a prescrit des antidépresseurs, et celui-ci atteste dans un certificat médical du 8 juin 2020, que Mme [L] «a déclaré avoir été convoquée pour un entretien sur son lieu de travail par le directeur de l'entreprise le 27/03/2020. Le jour de la consultation, elle présentait des signes cliniques d'anxiété avec troubles du sommeil suite à cet entretien, ainsi qu'au manque de moyen matériel (gants, masques) sur son lieu de travail en pleine crise de Coronavirus.» ;

- par lettre du 8 avril 2020, la salariée a écrit à l'employeur pour contester la mesure disciplinaire de la façon suivante : « (...) Je ne peux que vous confirmer mon indignation face à cette accusation mensongère et ridicule après tant d'années de bons et loyaux services. En effet et comme j'ai eu l'occasion de vous l'indiquer lors de notre entretien du 27 mars 2020, je n'ai jamais commis ce que vous me reprochez, naturellement sans preuve. Je vous avoue même être profondément choquée et meurtrie de cette accusation. Je vous rappelle enfin qu'à ce jour je suis en arrêt maladie jusqu'au 14 avril 2020. Je vous demande de revenir sur votre décision que j'estime totalement injustifiée. (...) ».

Le 29 mai 2020 que Mme [L] a de nouveau adressé à l'employeur une lettre dans laquelle elle réfute à nouveau les faits reprochés dans le cadre de la mise à pied disciplinaire, en ajoutant : «Enfin, il m'est insupportable de lire que vous parlez de «cette période particulière de pandémie» alors que précisément je dénonce le fait que nous avons longtemps travaillé dans des conditions déplorables, sans protection adéquat (manque de masques, de gel hydroalcoolique, pas de règle de distanciation.»

La dégradation de l'état de santé de Mme [L] est établie à la date du 31 mars 2020 au vu de son arrêt de travail de 15 jours, des antidépresseurs prescrits à cette date et de l'attestation du docteur [B] qui la confirme.

Le lien entre cette dégradation et les conditions de travail à la date du 31 mars 2020 est avérée au regard de la concomitance entre ces éléments qui corrobore les déclarations de la salariée à son médecin traitant dont il a attesté le 8 juin 2020, ce lien étant en outre appuyé par les courriers de la salariée dénonçant les agissements de l'employeur. Le préjudice moral en étant résulté pour Mme [L] est également prouvé. L'intéressée ne justifie cependant pas de la persistance de problèmes de dépression ou même de la persistance d'angoisses postérieurement à son arrêt de travail de 15 jours et à la notification par l'employeur de la mise à pied différée le 14 avril 2020, ni d'un préjudice moral subsistant au-delà de cette période.

Quant au préjudice étant résulté pour Mme [L] des conditions de travail en période de risque sanitaire lié au coronavirus du fait d'un manquement de l'employeur en raison d'une absence de protection suffisante de la salariée, qui est établi au regard des développements qui précèdent quant à l'étendue de la saisine de la cour, il apparaît infime. En effet, la salariée ne justifie pas avoir alerté l'employeur d'une difficulté quelconque avant mai 2020, alors qu'elle ne démontre l'existence d'un lien entre les conditions de travail et la dégradation de son état de santé du fait d'angoisses créées par l'existence de risques durant la période de crise sanitaire que par ses propres déclarations à son médecin traitant qui les a reproduites dans son attestation sans, à l'évidence, que le médecin ne puisse témoigner de faits réels personnellement constatés, et par son propre courrier adressé à l'employeur en mai 2020. Elle ne produit par ailleurs pas le moindre élément objectivant une angoisse ou un préjudice quelconque ayant perduré au-delà de son arrêt de travail de 15 jours.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats, des moyens débattus et explications fournies, compte tenu des circonstances des agissements reprochés à l'employeur, de leur courte durée et des conséquences dommageables telles qu'elles ressortent des éléments qui précèdent, que ces manquements ont eu sur la salariée, que l'indemnité à même de réparer intégralement son préjudice a été exactement évalué par le conseil de prud'hommes dont la décision sera confirmée.

Sur la rupture

Mme [L] fait valoir que son départ à la retraite est équivoque et doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la société Serdis a cru pouvoir lui infliger une mise à pied disciplinaire au bout de 42 ans de bons et loyaux services sans aucun reproche, en l'accusant de faits de vol sans preuve et ce malgré ses fermes dénégations, le conseil de prud'hommes ayant d'ailleurs retenu l'absence de démonstration de la matérialité des faits ; qu'elle a fait l'objet de pressions pour reconnaitre un vol qu'elle n'a pas commis et la société Serdis qui a refusé de faire droit à sa demande d'annulation de la sanction a même au contraire entendu la réitérer en violation de la règle non bis in idem, manifestant un véritable acharnement à son égard ; que le fait d'avoir pris sa retraite de manière anticipée devant le traitement qui lui était réservé, a occasionné une minoration de 10% de la pension servie jusqu'au 30 juin 2023, soit une perte de 1 333,44 euros.

La société Serdis réplique en substance que si Mme [L] affirme avoir fourni 42 années de bons et loyaux service, l'employeur a également exécuté ses obligations vis à vis de son employée pendant ce même temps, sans qu'elle ne fasse état du moindre manquement à ses obligations, et ce n'est que postérieurement à la réception de la mise à pied notifiée le 31 mars 2020 et avant même d'avoir reçu la notification postérieure du 14 avril 2020 qui ne sera réceptionnée que le 22 avril, que Mme [L] a fait valoir ses droits à retraite ; qu'il n'existe pas d'acharnement à l'encontre de la salariée dans le cadre de la notification de la sanction et non plus de réitération d'une sanction pour des mêmes faits, alors en outre que la mesure disciplinaire prise dans le stricte respect du règlement intérieur et du droit de la défense, est consécutive aux faits reprochés et reconnus par la salariée lors de l'entretien préalable, a tenu compte de son ancienneté de 42 ans ; qu'à supposer même que la cour confirme l'annulation de la sanction disciplinaire, il lui appartient alors de déterminer si la simple notification de cette sanction constituait en elle-même un fait suffisamment grave empêchant la poursuite des relations de travail, ce qui n'est pas le cas, étant souligné que Mme [L] a accompli son préavis ; que subsidiairement, Mme [L] a perçu une indemnité de rupture du contrat de travail du fait de son départ en retraite qu'il y a lieu de déduire du montant de l'indemnité de licenciement réclamé, et eu égard aux faits de la cause et l'absence de justification d'un préjudice, les dommages et intérêts lui étant alloués ne sauraient dépasser 6 168,12 euros.

Sur ce,

Le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite.

En l'espèce, l'intéressée avait, préalablement à ce départ, adressé un courrier à l'employeur en invoquant une mise à pied injustifiée pour des faits vivement contestés et le fait qu'elle était affectée par la façon dont elle était ainsi traitée par l'employeur après plus de 40 ans d'ancienneté, ce qui caractérise l'existence d'un différend rendant le départ en retraite équivoque à la date à laquelle il a été décidé.

Ce départ en retraite doit dès lors s'analyser en une prise d'acte de la rupture.

La mise à pied du 31 mars 2020 que la société Serdis a entendu remplacer le 14 avril suivant du fait de l'arrêt de travail de la salariée ayant empêché l'exécution des trois jours de mise à pied, a fait l'objet d'une annulation par le conseil de prud'hommes.

Il est par ailleurs établi que les accusations injustifiées dont elle a fait l'objet malgré sa très importante ancienneté sans aucune sanction ni même aucun recadrage ou rappel à l'ordre, et ses vives protestations réitérées, ont affecté la salariée qui a été placée en arrêt de travail et s'est vue prescrire des antidépresseurs, l'employeur ayant entendu réitérer la sanction à l'issue de l'arrêt maladie, malgré cette situation et le fait qu'aucun texte ne lui permettait d'en différer l'exécution au motif d'une absence d'exécution en raison de l'arrêt de travail pour maladie débutant le jour où devait commencer la mise à pied.

Compte tenu de leur impact avéré sur la salariée qui n'avait jamais fait l'objet de la moindre sanction malgré une ancienneté très importante, les agissements de l'employeur constituent un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Le départ anticipé à la retraite doit donc s'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision déférée sera infirmée de ce chef et en ce qu'elle a rejeté les demandes subséquentes formées par Mme [L].

L'appelante est fondée à réclamer l'indemnité de licenciement dont le montant de 27 071,30 euros n'est pas spécifiquement contesté par l'employeur qui souligne en revanche avec pertinence et sans être contredit, que l'indemnité de retraite de 8 224,14 euros perçue par Mme [L] doit se compenser avec cette somme, de sorte que la société Serdis sera condamnée à payer à la salariée la somme figurant au dispositif de la présente décision.

Mme [L] est également fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

Justifiant d'une ancienneté de plus de 30 années pleines et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, Mme [L] peut prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au présent litige d'un montant se situant entre 3 et 20 mois de salaire.

Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture et du fait que la prise de retraite de manière anticipée a occasionné à la salariée une minoration de 10% de la pension servie jusqu'au 30 juin 2023 (soit une perte de 1 333,44 euros), du montant de la rémunération mensuelle versée à Mme [L] (2 056,04 euros brut), de son âge (pour être née le 19 février 1958) au moment de la rupture, de son importante ancienneté (42 ans), le préjudice subi est intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 15 000 euros.

Sur les intérêts

Les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision les ayant prononcé. La décision déférée sera donc de ce chef confirmée s'agissant des condamnations prononcées en première instance confirmées en cause d'appel, et il y sera ajouté en ce qui concerne les condamnations ici prononcées.

Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société Serdis succombant au principal, sera condamnée aux dépens d'appel. Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de Mme [L] les frais qu'elle a dû exposer en cause d'appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens et il convient donc de lui allouer une somme de 2 100 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré en ses dispositions sur la rupture du contrat de travail et les demandes subséquentes de la salariée ;

Confirme sur le surplus le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le départ en retraite de Mme [L] s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ,

Condamne la société Serdis à verser à Mme [L] les sommes suivantes:

- 18 847,16 euros à titre d'indemnité légale de licenciement après compensation avec l'indemnité de rupture perçue lors du départ en retraite ;

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit que ces sommes allouées en cause d'appel porteront intérêts au taux légal, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances de nature salariale et à partir de la présente décision pour les créances indemnitaires ;

Condamne la société Serdis à verser à Mme [L] 2 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la société Serdis aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/01665
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;22.01665 ?
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