ARRET
N° 545
CPAM DU VAUCLUSE
C/
S.A.S. [5]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 01 JUIN 2023
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N° RG 21/00900 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IABM - N° registre 1ère instance : 18/00024
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 25 janvier 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
La CPAM DU VAUCLUSE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Mme [N] [B] dûment mandatée
ET :
INTIMEE
La société [5] (SAS), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
M.P. : M. [K] [G]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée et plaidant par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS
DEBATS :
A l'audience publique du 02 Mars 2023 devant Mme Chantal MANTION, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Chantal MANTION en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président de chambre,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 01 Juin 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Le 5 décembre 2012, M. [K] [G], salarié de la société [5] en qualité de dépanneur en service après-vente, a établi une déclaration de maladie professionnelle sur la base d'un certificat médical initial du 21 novembre 2012 faisant état d'une « leucémie aiguë lymphoblastique ».
La pathologie a été prise en charge au titre de la législation professionnelle dans le cadre du tableau 4 des maladies professionnelles et l'état de santé de M. [K] [G] a été déclaré consolidé le 16 août 2017.
Par décision du 3 novembre 2017, la caisse primaire d'assurance maladie du Vaucluse (ci-après la CPAM) lui a attribué un taux d'incapacité permanente partielle de 67 % pour des séquelles d'une leucémie aiguë par manipulation de benzène.
Saisi par la société [5] d'un recours contre cette décision, le tribunal judiciaire de Lille, par jugement du 25 janvier 2021, a :
- déclaré recevable la demande de la société [5]
é,
- fixé le taux d'incapacité permanente partielle de M. [K] [G] opposable à l'employeur, à la date de consolidation de la pathologie professionnelle, à 5 %,
- condamné la CPAM aux dépens.
Par courrier recommandé expédié le 15 février 2021, la CPAM du Vaucluse a régulièrement interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 27 janvier 2021.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 8 septembre 2022, date à laquelle l'affaire a fait l'objet d'un renvoi au 2 mars 2023.
À l'audience, les parties ont repris oralement leurs écritures.
Par conclusions du 2 mars 2023, la CPAM du Vaucluse demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 25 janvier 2021,
- fixer le taux d'incapacité opposable à l'employeur à 67 % pour les séquelles de la maladie professionnelle de M. [K] [G],
- débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes.
Elle fait valoir que le taux d'incapacité de 67 %, préconisé par le chapitre 7.5 du barème d'invalidité pour indemniser les séquelles de la leucémie, est justifié par une surveillance spécialisée, des contrôles biologiques ainsi que les conséquences et effets secondaires des thérapeutiques.
Elle précise que la pathologie est survenue suite à une exposition au benzène dans le cadre de l'activité professionnelle et que le barème précité prévoit l'indemnisation de la maladie et de ses conséquences.
Elle ajoute que le docteur [I], médecin commis par la cour, conclut à un taux médical de 67 % en exposant qu'en cas de rémission, le taux de survie n'est pas de 100 %, et soutient que le sapiteur en hématologie, désigné dans la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, a précisé les conséquences de la pathologie et les séquelles liées à la chimiothérapie agressive.
Par conclusions en date du 23 février 2023, la société [5] demande à la cour de :
- confirmer la décision déférée,
- débouter la CPAM du Vaucluse de l'ensemble de ses demandes.
Elle rappelle que le barème indicatif d'invalidité n'a pas de valeur contraignante, de sorte que les médecins et les juridictions peuvent s'en départir dès qu'ils en exposent les raisons.
Elle fait état d'un bon état général du salarié à la date de consolidation, M. [G] se trouvant alors en rémission et ne bénéficiant plus de traitement particulier depuis un an.
Elle expose que le barème d'invalidité n'a pas pour finalité d'indemniser une maladie ou une lésion initiale et qu'en cas d'aggravation, la révision du taux d'incapacité est possible, de sorte qu'il n'est pas pertinent d'anticiper une rechute éventuelle et de l'inclure dans le taux d'incapacité initial, lequel est déterminé par les séquelles constatées à la date de consolidation.
Motifs
En application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux d'incapacité permanente partielle est déterminé d'après la nature de l'infirmité, de l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
Le barème indicatif d'invalidité (maladies professionnelles), en son point 7.5 afférent aux leucémies, indique : « Leur réparation est essentiellement fonction :
- du type cytologique de la prolifération maligne et du pronostic qui lui est lié ;
- du risque infectieux majeur omniprésent ;
- de la réponse aux thérapeutiques.
Les rémissions et l'ensemble des problèmes qu'elles posent doivent être jugés avec les plus prudentes réserves car, à la fin, l'espérance de vie reste le facteur le plus déterminant.
Leucoses ' leucémies : 67 à 100 % avec prise en charge au titre de la législation Accidents du travail ' Maladies professionnelles de la surveillance hématologique et de toutes les thérapeutiques nécessaires. »
En l'espèce, le praticien conseil du service médical de la caisse conclut à un taux d'incapacité de 67 % pour des séquelles d'une leucémie aiguë suite à une exposition au benzène.
Le docteur [C], médecin consultant désigné par les premiers juges, énonce : « Il s'agit de l'évaluation des séquelles à la date de consolidation d'une leucémie aiguë lymphoblastique. Force est de constater qu'un courrier spécialisé à deux ans avant cette date de consolidation indique : " intéressé jeune, en bon état général avec des aptitudes professionnelles retrouvées, seulement en difficulté psychologique possiblement réactionnelle à la gravité de la pathologie". À l'évaluation de cet état clinique, le taux d'incapacité permanente partielle peut être proposé à 5% pour persistance d'une tension psychique permanente. »
Aux termes de son rapport, le docteur [I], commis par la cour, relève pour sa part : « M. [G] présente une leucémie aiguë lymphoblastique reconnue au titre des maladies professionnelles. Cette maladie a été traitée par chimiothérapie et il n'a plus de traitement actif depuis 2015. Il subit une simple surveillance et est actuellement en rémission.
En cas de rémission, le taux de survie est de 70 à 90 %. Certes l'état clinique actuel justifie d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5 %. Cependant, comme dans les cancers du poumon, le barème propose un taux de 67 à 100 %. À ma connaissance, seul le FIVA, dans les cancers pulmonaires liés à l'inhalation de fibres d'amiante, propose à 5 ans une indemnisation en fonction des séquelles effectivement retrouvées. Cependant, ce type d'indemnisation n''est pas la règle dans le code de la sécurité sociale. Le taux de 67 % est donc justifié.
Conclusion :
À la date du 17 août 2017, les séquelles décrites justifient le maintien d'un taux d'incapacité permanente partielle de 67 %. »
L'employeur critique l'évaluation retenue et l'application du point 7.5 du barème précité, qui n'est qu'indicatif, compte tenu des suites thérapeutiques favorables, en l'absence de signe de récidive de la pathologie professionnelle à 5 ans de traitement, et fait valoir qu'à la date de consolidation, M. [G] ne présentait que peu ou pas de séquelles.
Dès lors que la pathologie a été reconnue au titre du tableau 4 des maladies professionnelles, désignant les hémopathies provoquées par le benzène, et que les séquelles décrites à la date de consolidation sont concordantes avec celles engendrées par la maladie professionnelle et le traitement thérapeutique subi, l'application du point 7.5 du barème d'invalidité, certes indicatif, qui vise les leucémies et prévoit une indemnisation en fonction du type cytologique et du pronostic lié, du risque infectieux majeur omniprésent et de la réponse aux traitements, est justifié.
La cour rappelle qu'aux termes des recommandations du barème d'invalidité, les rémissions de l'hémopathie doivent être appréciées avec les plus prudentes réserves et le facteur le plus déterminant demeure l'espérance de vie.
En l'espèce, M. [K] [G] a été reconnu atteint d'une leucémie aiguë lymphoblastique, suite à une exposition au benzène, laquelle a été traitée par un protocole de chimiothérapie FRALLE induisant plusieurs phases de chimiothérapies lourdes avec induction, trois cures de consolidation et deux intensifications, ainsi qu'une douzaine de ponctions lombaires.
Le docteur [I] tient compte des suites thérapeutiques favorables et des séquelles persistant à la date de consolidation pour appliquer la fourchette basse du barème, préconisant un taux d'incapacité de 67 %.
En considération des éléments soumis à l'appréciation de la cour, contradictoirement débattus, et en référence aux préconisations du barème d'invalidité, les séquelles présentées par M. [K] [G] justifiaient l'attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 67 % à la date de consolidation du 16 août 2017.
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la société [5], partie succombante, est condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Lille en date du 25 janvier 2021,
Statuant à nouveau,
Fixe à 67 % le taux d'incapacité permanente partielle de M. [K] [G] en réparation des séquelles de la maladie professionnelle consolidée à la date du 16 août 2017,
Déclare ce taux opposable à la société [5],
Condamne la société [5] aux dépens de l'instance d'appel.
Le Greffier, Le Président,