ARRET
N°
Association LA MAISON FAMILIALE RURALE DE [Localité 5]
C/
[U]
copie exécutoire
le 24/5/2023
à
Me OUAZIB
Me SIMON
EG/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 24 MAI 2023
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N° RG 22/01629 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IM2V
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 03 MARS 2022 (référence dossier N° RG F21/00104)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Association LA MAISON FAMILIALE RURALE DE [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 5]
concluant par Me Laëtitia OUAZIB, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
Madame [Z] [U]
née le 08 Décembre 1970 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
concluant par Me Murielle SIMON, avocat au barreau de BEAUVAIS
DEBATS :
A l'audience publique du 29 mars 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 24 mai 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 24 mai 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Mme [U], née le 8 décembre 1970, a été embauchée par l'association La maison familiale rurale de [Localité 5] (l'association ou l'employeur) par contrat à durée déterminée du 1er septembre au 31 août 2012, en qualité de surveillante de nuit et de personnel de service pour l'entretien de locaux.
La relation de travail s'est poursuivie en contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2012.
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [U] exerçait les fonctions de surveillante animatrice de nuit avec tâches administratives.
Son contrat est régi par la convention collective nationale des maisons familiales rurales.
La société emploie plus de 10 salariés.
Par courrier du 17 avril 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 mai 2021.
Par courrier du 6 mai 2021, elle a été licenciée pour faute grave.
Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Beauvais le 19 mai 2021.
Le conseil de prud'hommes de Beauvais par jugement du 3 mars 2022 a :
- dit que le licenciement de Mme [U] ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse,
- condamné la MFR à payer à Mme [U] les sommes suivantes :
- 13 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 4 935 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 4 532 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés compris,
- 800 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile
avec exécution provisoire de droit dans la limite de 9 mois de salaires ; la moyenne des 3 derniers mois de salaires étant fixée à 2 060 euros,
- ordonné le remboursement à Pôle emploi dans la limite de 6 mois d'indemnité chômage,
- condamné la MFR aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 1er juillet 2022, l'association La maison familiale rurale de [Localité 5], régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :
- annuler, infirmer ou à tout le moins réformer le jugement du conseil de prud'hommes du 3 mai 2022 en ce qu'il :
- a dit le licenciement de Mme [U] sans cause réelle et sérieuse ;
- l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :
- 13 000 euros net d'indemnité pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 4 935 euros net d'indemnité légale de licenciement
- 4 532 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés compris
- 800 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- a ordonné le remboursement à Pôle emploi dans la limite de 6 mois d'indemnité de chômage ;
- l'a condamnée aux entiers dépens.
Et en conséquence,
- dire et juger qu'elle justifie d'une faute grave justifiant le licenciement de Mme [U],
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses demandes,
- ordonner à Mme [U] la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire de droit en application du jugement rendu pour un montant total de 8 347,95 euros net,
- condamner Mme [U] à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 25 août 2022, Mme [U] demande à la cour de :
- dire et juger la MFR recevable mais mal fondée en son appel ;
- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel incident ;
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Beauvais le 3 mars 2022 en ce qu'il a :
' dit que son licenciement ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse,
' condamné la MFR à lui payer les sommes suivantes :
4 935 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement,
4 532 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés compris,
800 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile
' ordonné le remboursement à Pôle emploi dans la limite de 6 mois d'indemnité chômage,
' condamné la MFR aux entiers dépens,
- l'infirmer sur le quantum indemnitaire et condamner la MFR à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
Y ajoutant,
- condamner la MFR à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur la rupture du contrat de travail
1-1/ sur le bien fondé du licenciement
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.
En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :
«Suite à notre entretien qui s'est tenu le 3 mai 2021, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants :
- Donner les clés à des élèves issus de la classe de terminale le mardi 30 mars 2021, permettant d'accéder à l'ensemble des locaux de la MFR de Saint-Sulpice, pour que ceux-ci révisent leur CCF prévu le lendemain.
- Laisser les élèves dans une salle isolée des autres élèves, sans surveillance, ce qui a permis à ces élèves de voler leur sujet d'examen. Le métier de surveillant consiste à surveiller les jeunes avec rigueur et conscience professionnelle d'une part mais également accompagner les jeunes dans l'aide aux devoirs, cela relève des valeurs des MFR.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'association est impossible. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, dès réception ou présentation de ce présent courrier soit le 7 mai 2021, sans indemnité de préavis ni de licenciement.»
L'employeur se prévaut des dispositions du règlement intérieur et des témoignages de plusieurs salariés pour soutenir que Mme [U] a gravement manqué à ses obligations de surveillante en remettant les clefs des locaux à des internes, qui les ont utilisées pour dérober des sujets d'examen, et en laissant ces jeunes sans surveillance dans une salle isolée, faits commis dans un contexte de défiance à l'égard de sa hiérarchie.
Mme [U] reconnaît avoir donné les clés des locaux à des élèves de terminale le 30 mars 2021 mais conteste la gravité des faits qui lui sont reprochés affirmant qu'il s'agissait d'une pratique admise par l'employeur afin de permettre à ces élèves de réviser en soirée dans des locaux sans surveillance, les clés étant de toute façon en libre accès, et que la preuve qu'il en est résulté un vol de document n'est pas rapportée.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail. Le doute profite au salarié.
En l'espèce, si Mme [U] reconnaît la matérialité des faits qui lui sont reprochés, il convient de constater que les pièces produites par l'employeur ne permettent pas d'établir leur caractère fautif avec certitude.
En effet, les griefs invoqués par l'employeur concernant des élèves de terminale, majeurs ou proches de la majorité, la nécessité d'une surveillance continue et l'interdiction de leur remettre des clés pour leur permettre d'accéder à une salle de classe en autonomie ne vont pas de soi.
Or, à considérer que le document non daté et non signé intitulé «SURVEILLANCE», qui s'adresse tant aux élèves, qu'aux formateurs et autres personnels de l'association et que l'employeur qualifie de règlement intérieur, soit opposable à Mme [U], il n'apporte aucun élément sur la gestion des clés des locaux et ne fixe aucune interdiction quant à la possibilité de laisser des élèves réviser en salle de cours le soir.
De même, si les témoignages de M. [F] et Mme [R], formateurs, et de Mme [P], ancienne directrice, produits par l'employeur, font état de l'interdiction de remettre les clés des locaux aux élèves et de les laisser dans une salle de classe sans surveillance le soir, ils sont contredits par ceux de MM. [J] et [I], formateurs, et de M. [K], ancien président du conseil d'administration, qui mentionnent l'absence d'interdiction et une pratique usuelle afin de favoriser l'autonomie des élèves.
Quant au témoignage de M. [X], exerçant les mêmes fonctions de surveillant que Mme [U], il ne confirme aucune interdiction générale se limitant à indiquer : «l'ancienne directrice, Madame [P] [W], m'avait interdit de laisser les clefs de l'établissement aux élèves. Ce protocole avait été prorogé par Mme [M], actuelle directrice.»
Dès lors, un doute subsiste quant au caractère fautif des faits reprochés à la salariée, ce doute devant lui profiter pour déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse par confirmation du jugement entrepris.
1-2/ sur les conséquences pécuniaires
L'employeur demande l'infirmation des condamnations pécuniaires liées au caractère injustifié du licenciement mais ne développe aucun moyen pour ce faire.
Mme [U] demande l'infirmation du quantum des dommages et intérêts alloués mais ne développe aucun moyen pour ce faire.
Il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur ces points, et de rejeter la demande de restitution des sommes déjà versées.
2/ Sur les demandes accessoires
L'employeur succombant totalement, il convient de confirmer le jugement entrepris quant aux dépens et aux frais irrépétibles, et de le condamner aux dépens d'appel.
L'équité commande de condamner l'employeur à payer à Mme [U] 1 700 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel, et de rejeter sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
confirme le jugement du 3 mars 2022 en ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
condamne l'association La maison familiale rurale de [Localité 5] à payer à Mme [Z] [U] la somme de 1 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
rejette le surplus des demandes,
condamne l'association La maison familiale rurale de [Localité 5] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.