ARRET
N°
S.A.S. MCD
C/
[K]
copie exécutoire
le 24/5/2023
à
Me COUCHOU-MELLOT
Me ECOMBAT
EG/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 24 MAI 2023
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N° RG 22/00251 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IKI7
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 16 DECEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F 20/00049)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. MCD agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Lieudit '[Localité 5]'
[Localité 2]
représentée et concluant par Me Delphine COUCHOU-MEILLOT, avocat au barreau de REIMS
représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
ET :
INTIMEE
Madame [X] [K]
née le 26 Août 1973 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée et concluant par Me Elise ECOMBAT de l'AARPI EPILOGUE, avocat au barreau de LAON
DEBATS :
A l'audience publique du 29 mars 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 24 mai 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 24 mai 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Mme [K], née le 26 août 1973, a été embauchée par la société MCD (la société ou l'employeur) par contrat à durée indéterminée à compter du 3 juillet 2017, en qualité de chargée d'affaires.
Son contrat est régi par la convention collective nationale du caoutchouc.
La société emploie plus de 10 salariés.
Mme [K] a été placée en arrêt de travail à compter du 19 mars 2019.
Par courrier du 21 janvier 2020, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 31 janvier 2020.
Par courrier du 4 février 2020, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.
S'estimant victime de discrimination dans le cadre de ce licenciement, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon le 26 mai 2020.
Par jugement du 16 décembre 2021, le conseil de prud'hommes a :
- débouté Mme [K] de sa demande de dire et juger que son retour au sein de la société MCD était imminent, ce dont avait parfaitement connaissance l'employeur ;
- dit et jugé qu'il n'était pas nécessaire de procéder au remplacement définitif de Mme [K] ;
- dit et jugé que le licenciement de Mme [K] intervenu le 4 février 2020 constituait une mesure discriminatoire prohibée ;
- déclaré le licenciement de Mme [K] nul et de nul effet ;
- condamné la société MCD à verser à Mme [K] la somme de 28 490,88 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
- condamné la société MCD à verser à Mme [K] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société MCD de ses demandes reconventionnelles ;
- condamné la société MCD aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions remises le 3 mars 2023, la société MCD, régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 16 décembre 2021, en ce qu'il :
- a dit et jugé qu'il n'était pas nécessaire de procéder au remplacement définitif de Mme [K];
- a dit et jugé que le licenciement de Mme [K] intervenu le 4 février 2020 constituait une mesure discriminatoire prohibée ;
- a déclaré le licenciement de Mme [K] nul et de nul effet ;
- l'a condamnée à verser à Mme [K] la somme de 28 490,88 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
- l'a condamnée à verser à Mme [K] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
- l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles.
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [K] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner Mme [K] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 1er février 2023, Mme [K] demande à la cour de :
- débouter la société MCD de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Laon le 16 décembre 2021 en ce qu'il a :
o dit et jugé qu'il n'était pas nécessaire de procéder à son remplacement définitif ;
o dit et jugé que son licenciement intervenu le 4 février 2020 constituait une mesure discriminatoire prohibée ;
o déclaré le licenciement nul et de nul effet ;
o condamné la société MCD à lui verser la somme de 28 490,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
o condamné la société MCD à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
o débouté la société MCD de ses demandes reconventionnelles ;
o condamné la société MCD aux entiers dépens de l'instance ;
- infirmer le jugement rendu le 16 décembre 2021 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dire et juger que son retour au sein de la société MCD était imminent, ce dont avait parfaitement connaissance l'employeur ;
Statuant de nouveau,
- juger que l'employeur a procédé au licenciement de sa salariée nonobstant sa connaissance de son retour imminent et qu'il a agi, en conséquence, avec une précipitation injustifiée,
- condamner la société MCD au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers frais et dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur la nullité du licenciement
1-1/ sur l'existence d'une discrimination
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison de son handicap.
L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, Mme [K] affirme qu'elle a été victime de discrimination à raison de son état de santé et de son handicap en ce qu'elle a été licenciée au motif de son absence prolongée alors que l'employeur avait connaissance de son retour imminent éventuellement à temps partiel thérapeutique, qu'un échange sur les conditions de ce retour avait eu lieu sans qu'elle soit informée que sa remplaçante était déjà en poste, et que sa reprise de travail avait été retardée par la carence de l'employeur dans l'aménagement de son poste conformément aux préconisations du médecin du travail.
Mme [K] verse notamment aux débats :
- les courriels adressés à son employeur entre le 19 mars 2019 et le 10 janvier 2020 l'informant de sa situation médicale,
- un compte-rendu d'entretien intervenu le 16 janvier 2020 avec Mme [J], responsable des ressources humaines, concernant les conditions de son retour,
- des courriels adressés à Mme [J] les 17 et 21 janvier 2020, ainsi qu'à M. [M], président de la société le 18 janvier 2020 concernant les suites de cet entretien,
- la convocation à l'entretien préalable du 21 janvier 2020 et la lettre de licenciement du 4 février 2020,
- un courrier adressé à l'employeur le 24 février 2020 demandant le paiement de son préavis du fait de la fin de son arrêt de travail, et le solde de tout compte mentionnant un versement à ce titre,
- un courrier du médecin du travail du 31 juillet 2019 à l'issue d'une visite de pré-reprise préconisant une étude de poste,
- un échange de courriels du 31 juillet 2019 entre le médecin du travail et l'employeur sur les conditions de sa reprise de poste.
L'employeur conteste avoir été informé du retour imminent de Mme [K] ou de la possibilité d'un temps partiel thérapeutique et précise avoir fait le nécessaire pour l'aménagement de poste de la salariée dès juillet 2019 en vue de son éventuel retour.
Néanmoins, il ressort du compte rendu de l'entretien intervenu le 16 janvier 2020, rédigé non contradictoirement par Mme [K] mais dont le contenu est corroboré et complété par les courriels adressés les 17 et 18 janvier 2020 à la responsable des ressources humaines et au président de la société, que l'employeur était informé, dès ces dates, qu'elle n'envisageait pas de rupture conventionnelle mais souhaitait reprendre son poste au besoin à temps partiel thérapeutique et en bénéficiant de l'aménagement préconisé par le médecin du travail.
La procédure de licenciement ayant été engagée le 21 janvier 2020, soit quelques jours après cet entretien, pour aboutir à une lettre de notification motivée par l'impact négatif sur le fonctionnement de l'entreprise de l'absence prolongée de la salariée du fait de son arrêt-maladie, les éléments présentés par cette dernière laissent présumer l'existence d'une situation de discrimination à raison de son état de santé.
Pour démontrer que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, l'employeur soutient que l'absence prolongée de la salariée perturbait le bon fonctionnement de l'entreprise eu égard à la nature de ses fonctions, qui nécessitaient une formation longue, des connaissances techniques spécifiques ainsi qu'une bonne maîtrise de son portefeuille clients, et à la difficulté de recruter en contrat à durée déterminée pour ce type de poste dans ce secteur géographique.
Mme [K] répond que la désorganisation du service n'était pas imputable à son arrêt de travail puisqu'elle existait préalablement, que l'organisation du service permettait d'en assurer la continuité même en son absence, qu'il n'est pas justifié d'une désorganisation de l'entreprise dans son ensemble, et que son remplacement en contrat à durée déterminée était parfaitement possible.
Au titre des problèmes de fonctionnement imputables à l'absence de la salariée, la lettre de licenciement vise les points suivants :
«- Mauvais suivi des demandes d'interventions, dysfonctionnement interne, lié à la mauvaise transmission des informations entre le client et l'ordonnancement ont engendré un grand retard dans l'organisation des opérations et une hausse des réclamations clients.
- Approximation des devis qui ont été fournis avec disparition d'expertise MCD dans la réponse client.
- Retard très important dans l'organisation des interventions services ayant pour conséquence une augmentation globale des coûts des dysfonctionnements de 115K euros en 2018 à 234K euros en 2019.
- En Chine, désorganisation dans la production des joints sur notre établissement en Chine. Ainsi, de nombreux produits ont été fabriqués en urgence, ce qui a engendré une désorganisation sur la chaîne dans notre usine de fabrication, qui a du parfois être arrêté afin de fabriquer d'autres produits nécessités par l'urgence.
- De même, en raison de l'urgence clients, à plusieurs reprises, les approvisionnements ont nécessité des transports en avion plutôt qu'en bateaux. Ce qui a un coût non négligeable pour l'entreprise : Le budget Fret Aérien vers notre site français a subi une augmentation de 13% pour MCD en 2019 par rapport à 2018 pour un CA vente au départ de la France stable.»
Or, d'une part, ces dysfonctionnements sont d'ordre général sans préciser en quoi ils se rapportent à l'activité spécifique de Mme [K] dans l'entreprise en sa qualité de chargée d'affaires pour certains clients, et d'autre part, sur les 5 échanges de courriels produits pour en établir la réalité, seul celui du 4 décembre 2019 fait référence à l'absence de cette dernière «entre autre» alors que l'évaluation annuelle 2018 mentionnait déjà une désorganisation commençant à avoir des conséquences sur l'efficacité du service, et que le même courriel du 4 décembre 2019 se conclut par «... et malgré tous ces freins quotidiens, on réussit une belle année 2019».
L'ampleur des dysfonctionnements décrits et leur imputabilité à l'absence de Mme [K] n'étant pas démontrées, l'employeur ne rapporte pas la preuve que la décision de licencier Mme [K] était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont déclaré nul le licenciement de Mme [K].
Le fait de dire que l'employeur avait connaissance du retour imminent de la salariée et qu'il n'était pas nécessaire de procéder à son remplacement définitif n'étant que des moyens et non des prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur ces points.
1-2/ sur les conséquences pécuniaires de la nullité du licenciement
L'employeur souligne la patience dont il a fait preuve pendant les 10 mois d'absence de Mme [K] alors qu'elle annonçait régulièrement son retour et qu'il avait aménagé son poste de travail, la connaissance par cette dernière du risque de rupture de son contrat de travail à l'issue de l'entretien avec la responsable des ressources humaines le 16 janvier 2020, et l'absence de lien entre le déménagement de la salariée et son activité professionnelle.
Mme [K] souligne la brutalité du licenciement et la déloyauté de l'employeur qui a engagé la procédure de licenciement quelques jours seulement après un entretien sur les conditions de son retour alors que sa remplaçante était déjà recrutée en CDI.
En l'espèce, il convient de noter, comme les premiers juges, que lors de l'entretien du 16 janvier 2020 avec la responsable des ressources humaines, Mme [K] a pu valablement croire que son licenciement n'était pas une option alors que sa remplaçante était déjà recrutée, et que l'engagement de la procédure de licenciement moins d'une semaine après cet entretien plutôt rassurant a constitué une mauvaise surprise peu compréhensible comme elle le précise dans le courriel adressé au président de la société le 30 janvier 2020.
Compte tenu des circonstances de la rupture et du montant de la rémunération versée à la salariée, c'est par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont fixé à 28 490,88 euros les dommages et intérêts alloués à Mme [K].
2/ Sur les demandes accessoires
L'employeur succombant totalement, il convient de confirmer le jugement entrepris quant aux dépens et aux frais irrépétibles, et de le condamner aux dépens d'appel.
L'équité commande de le condamner à payer à Mme [K] 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel, et de rejeter sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
confirme le jugement du 16 décembre 2021 en ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
condamne la société MCD à payer à Mme [X] [K] 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
rejette le surplus des demandes,
condamne la société MCD aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.