ARRET
N°
[V]
C/
S.A. AKZO NOBEL DECORATIVE PAINTS FRANCE
copie exécutoire
le 11 mai 2023
à
Me Garnier
Me le Bras
CPW/MR/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 11 MAI 2023
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N° RG 22/03449 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IQGC
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 09 JUIN 2022 (référence dossier N° RG F20/00142)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [I] [V]
[Adresse 1]
[Localité 2]
non comparant
Représenté, concluant et plaidant par Me Stéphanie GARNIER de la SELARL CIRRAC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Etienne LEVY GAULIER de la SELARL CIRRAC, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEE
S.A. AKZO NOBEL DECORATIVE PAINTS FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée et concluant par Me Valérie LE BRAS de la SCP SOULIE COSTE-FLORET & AUTRES, avocat au barreau de PARIS
DEBATS :
A l'audience publique du 11 mai 2023, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 11 mai 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
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* *
DECISION :
La société Akzo nobel decorative paints emploie plus de 10 salariés et relève de la convention collective des industries de la chimie.
M. [V] a été embauché dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de technicien hotline machine à teinter à effet au 3 avril 2012 par la société Ici paints déco spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de peintures, devenue Akzo nobel decorative paints France (ci-après la société ou l'employeur) à la suite de son rachat en 2012 par la société néerlandaise Akzo nobel.
En avril 2013, le salarié a été promu au poste de responsable service clients machines à teinter, et a bénéficié du statut cadre à compter du 1er avril 2016.
Par lettre du 2 juillet 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement prévu le 19 juillet suivant et a été mis à pied à titre conservatoire. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 31 juillet 2019.
Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture et de l'exécution de son contrat de travail, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil le 23 juillet 2020, qui par jugement du 9 juin 2022 a :
jugé que le licenciement repose sur une faute grave,
débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes,
condamné le salarié à payer 1 000 euros à la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
M. [V] a interjeté appel de cette décision le 7 juillet 2022.
Vu les conclusions notifiées par la voie électronique le 1er décembre 2022, par lesquelles la partie appelante demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et de :
- fixer son salaire mensuel à 4 224,81 euros bruts,
- condamner la société à lui payer les sommes suivantes :
33 798,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
12 815,27 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
12 674,45 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 267,44 euros bruts au titre des congés payés afférents,
3 403,85 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 340,38 euros bruts au titre des congés payés afférents,
122,60 euros au titre des intérêts de retard pour paiement tardif des sommes dues au titre des astreintes de juin et juillet 2019,
5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance,
- en tout état de cause, débouter la société de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, condamner la société à lui payer 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la présente instance, et ordonner à la société de lui remettre une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document «à compter du prononcé du jugement.»
Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 2 décembre 2022, par lesquelles la partie intimée sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, et y ajoutant de condamner le salarié à lui verser 27 000 euros à titre de remboursement du montant total des commandes litigieuses passées depuis 2015 et une indemnité de procédure de 2 000 euros outre sa condamnation aux dépens. A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement déféré, elle demande à la cour de limiter à 12 674,43 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour procédure brutale et vexatoire comme de sa demande de remise sous astreinte de ses documents de fin de contrat, de ramener à de plus justes proportions l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter M. [V] du surplus de ses demandes.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS :
I - Sur le licenciement pour faute grave
Sur le bien fondé du licenciement
M. [V] fait valoir en substance que les manquements reprochés depuis 2015 pour justifier son licenciement sont en grande partie prescrits dès lors qu'il n'a pas dissimulé les commandes passées pour le service machines à teinter puisqu'il a toujours utilisé les systèmes informatiques de la société pour ses commandes qui ont ensuite toutes été validées par son supérieur hiérarchique et ont fait l'objet de factures adressées au service de comptabilité de la société qui les a validées ; que les commandes enregistrées en comptabilité figuraient donc dans les comptes déposés chaque année par la société qui ne peut dès lors sérieusement soutenir n'en avoir pris connaissance qu'en 2019. Il souligne qu'en tout état de cause les manquements allégués ne sont pas établis.
L'employeur réfute les moyens et l'argumentation de la partie appelante. Il réplique en substance que la cour devra retenir l'absence de prescription des faits fautifs dont il n'a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure de licenciement puisqu'ayant été alerté en mai 2019 il a dû diligenter une enquête pour avoir une connaissance précise de l'ampleur des commandes frauduleuses, et que de plus le salarié a réitéré ses agissements fautifs dans le délai de deux mois en ayant passé trois commandes en mai et juin 2019. Il souligne le bien fondé du licenciement prononcé.
Sur ce,
L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
La faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Les faits invoqués comme constitutifs d'une faute grave doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et doivent encore être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur.
S'il subsiste un doute concernant l'un des griefs invoqués par l'employeur, il profite au salarié.
Si le licenciement est prononcé pour un motif disciplinaire, les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont soumis à la prescription de l'article L.1332-4 du code du travail selon lequel aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Ces dispositions ne s'opposent pas à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois si le comportement du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai. Le moyen tiré de la poursuite d'un fait fautif implique une appréciation de fait.
La prescription de deux mois énoncée par ce texte ne court que du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié, étant précisé que l'employeur, au sens de l'article L.1332-4 du code du travail, s'entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié même non titulaire de ce pouvoir. Toutefois, dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.
Une sanction disciplinaire ne devant pas être décidée dans la précipitation, il est admis que des vérifications puissent être préalablement opérées par l'employeur avant l'engagement de poursuites disciplinaires. C'est alors la date de la connaissance du résultat de ces investigations qui marque le point de départ du délai de prescription.
Sous ces réserves, le licenciement disciplinaire prononcé à raison de faits connus de plus de deux mois par l'employeur est sans cause réelle et sérieuse.
La cour rappelle en outre qu'en matière prud'homale, la preuve est libre, et les parties peuvent produire toutes pièces à l'appui de leur défense à la condition qu'elles soient licites et qu'elles soient soumis au principe de la contradiction. Il appartient aussi au juge d'apprécier la valeur probante et la portée de ces attestations ou courriers versés par les parties. Le juge ne peut, par principe, dénier toute valeur probante à une attestation ou un courrier émanant d'une personne liée à l'une des parties sans un examen préalable du contenu de l'attestation et des circonstances de l'espèce. Elle rappelle aussi que les préconisations de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité.
En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :
« (...) Vous vous êtes présenté à cet entretien, assisté de Monsieur [F] [S], Représentant du personnel au COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, au cours duquel nous vous avons exposé les motifs nous conduisant à envisager votre licenciement et avons recueilli vos observations. Celles-ci ne nous ont toutefois pas permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés. En conséquence, nous vous notifions, par la présente, notre décision de vous licencier pour faute grave pour les motifs exposés cl-après.
Vous avez été embauché (...) par contrat à durée indéterminée à compter du 3 avril 2012, en qualité de Technicien hotline machines à teinter. (...) En dernier lieu, et depuis le 1er avril 2013, vous occupez le poste de Responsable service client machines à teinter.
Le 20 mai 2019, Monsieur [X], Directeur régional des activités machines à teinter, et Monsieur [R], Responsable technique régional des activités machines à teinter, ont alerté le service Compliance, en la personne de Madame [U], Compliance manager Paints & Coatings, de soupçons de fraudes au sein du service Machines à teinter sur le site de [Localité 3].
Le 21 mai 2019, ces allégations ont été consignées sur le portail SpeakUp! du Groupe, conformément aux procédures prévues par le code de conduite, Madame [U] a alors été chargée de diriger les Investigations afin de faire la lumière sur les soupçons exposés, assistée de Madame [G], Responsable Juridique France.
Parmi les préoccupations rapportées, il a notamment été fait part de commandes et bons de commandes suspectes trouvés sur le logiciel SAP/SRM.
Il est apparu que les bons de commandes avaient été créés par vous-même, et se contentaient de mentionner une description générale des produits, telle que « Commande matériel technicien», ne permettant donc pas de connaître précisément les produits commandés. Aussi, afin de mener à bien les investigations, le service Compliance a sollicité du service comptable les factures correspondant à l'ensemble de ces commandes. A l'issue d'un délai de traitement de 4 semaines, le service Compliance a reçu les factures sollicitées et a pu poursuivre son enquête.
Les numéros de commandes ont ainsi été comparés aux numéros de commandes sur les sites internet des différents fournisseurs afin de vérifier la nature des produits qui avaient été commandés. C'est ainsi qu'il a été découvert que les produits correspondaient à du matériel de réparation de voitures et autres articles, notamment de téléphonie, internet et télévision, non utilisés au sein du service Machines à teinter.
Les investigations ont ainsi fait ressortir un nombre important de commandes suspectes réalisées par vos soins depuis 2015 auprès notamment de trois fournisseurs: Inmac, RS Componants et Conard.
Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué que la dénomination des produits sur les commandes pouvait être trompeuse et que nous ne pouvions nous y fier pour considérer une commande comme étant suspecte. Néanmoins, ainsi que nous vous l'avons précisé lors de l'entretien, et comme indiqué ci-dessus, le service Compliance ne s'est pas contenté d'étudier la liste des commandes mais a bien procédé à la vérification de la nature de chaque produit commandé sur les sites internet des fournisseurs, au moyen des numéros de commandes.
Compte tenu de ces éléments, et dans le cadre de ses investigations, le service Compliance s'est entretenu avec vous le 2 juillet 2019. A cette occasion, les commandes ne semblant pas présenter de lien avec les besoins du service Machines à teinter vous ont été présentées.
Vous avez alors expliqué :
- D'une part, que le matériel de réparation de voitures pouvait également être utilisé pour effectuer la maintenance des machines à teinter. De même, vous avez indiqué que les crics pneumatiques ainsi que les supports mobiles pour véhicule pouvaient être utilisés au sein du service pour déplacer les machines à teinter.
Toutefois, plusieurs techniciens du service, responsables de la maintenance et de la réparation des machines, nous ont confirmé, sans le moindre doute, que ces produits n'étaient jamais utilisés au sein de l'entrepôt ou de l'atelier, et qu'ils n'y étaient d'ailleurs pas entreposés. Après avoir pris connaissance des documents retraçant l'ensemble des commandes suspectes, ils ont indiqué que ces produits n'étaient pas nécessaires aux techniciens et qu'ils ne les avaient jamais vus sur site.
Cela a également été attesté par Monsieur [X] et Monsieur [R], lesquels ont très précisément indiqué que l'ensemble des commandes identifiées comme suspectes par le service Compliance concernaient des produits qui n'étaient jamais utilisés par le service Machines à teinter. Ils ont également tous deux attesté n'avoir jamais vu ces produits au sein du service Machines à teinter en France.
- D'autre part, s'agissant de commandes qui ne pouvaient en aucun cas être en lien avec le matériel nécessaire au sein du service Machines à teinter et ne correspondant pas à du matériel de réparation (Apple Tv, cric pneumatique et filtres diesel pour voiture, Airpods notamment):
o Tantôt qu'il s'agissait bien de produits nécessaires pour votre activité professionnelle. C'est ainsi qu'au sujet des Airpods commandés le 27 décembre 2016, vous avez indiqué en avoir besoin pour travailler et faire les essais sur les machines à teinter, précisant qu'ils étaient également compatibles avec les téléphones de marque Samsung via le Bluetooth. Toutefois, le téléphone professionnel mis à votre disposition par la société est un téléphone de marque Samsung, ne nécessitant donc aucunement l'utilisation d'Airpods de marque Apple, ayant vocation à être utilisés avec un iPhone. Nous ne parvenons donc pas à comprendre en quoi ces Airpods auraient été nécessaires à votre activité. Plus encore, il est ressorti des investigations que vous avez réitéré une commande d'AirPods moins de deux ans et demi plus tard, le 19 avril 2019, auprès du même fournisseur.
o Tantôt, qu'il s'agissait d'erreurs de commandes que vous auriez par la suite annulées. Vous avez alors précisé avoir renvoyé les produits en question aux fournisseurs.
Poursuivant les investigations, le service Compliance a, immédiatement après cet entretien, contacté les différents fournisseurs afin de se faire communiquer la liste des produits commandés puis retournés.
Or, contrairement à ce que vous avez indiqué, il est apparu qu'un certain nombre de ces produits n'avaient jamais été retournés aux fournisseurs ni remboursés. Ainsi, s'agissant par exemple de l'Apple Tv box-dont on ne voit pas quelle pourrait être l'utilité au sein du service Machines à teinter - commandée le 24 octobre 2016, il nous a été confirmé par la société INMAC qu'elle ne lui avait jamais été renvoyée. De même, à titre d'illustration supplémentaire, la société RS COMPONENTS nous a confirmé que vous n'aviez jamais effectué de retour de matériel entre le 1er Janvier 2015 et le 30 juin 2019. Lors de l'entretien préalable qui s'est tenu le 19 juillet 2019, vous avez réitéré ces mêmes explications.
Alors que plusieurs techniciens du service, responsables de la maintenance et de la réparation des machines, nous ont confirmé, sans le moindre doute, que plusieurs produits que vous aviez commandés n'étaient jamais utilisés au sein de l'entrepôt ou de l'atelier, et qu'ils n'y étaient d'ailleurs pas entreposés, vous avez indiqué, sans apporter plus d'explications, que vous mettiez systématiquement à disposition de l'atelier de maintenance l'ensemble des matériels de maintenance et réparation des machines à teintes.
Vous avez également ajouté, de manière d'ailleurs contradictoire, que vous étiez, en réalité, dans l'impossibilité de retourner les produits résultant d'erreurs de commandes en raison des politiques de retour des différents fournisseurs. En effet, vous avez indiqué qu'après ouverture des cartons, les produits étaient considérés comme altérés et ne pouvaient donc plus être retournés. Nous n'avons pas manqué d'être surpris par cette nouvelle justification dans la mesure où, vous n'aviez, au préalable, pas fait part de telles difficultés rencontrées et où, qui plus est, vous aviez même précisé, tout au contraire, avoir renvoyé les produits en question aux fournisseurs, sauf un cric pneumatique commandé par erreur. Et pour autant, vous avez de nouveau commandez 3 crics pneumatiques l'année suivante. D'ailleurs, s'il s'est avéré que tous les produits n'avaient pas été renvoyés aux fournisseurs, il est également ressorti des investigations du service Compliance que certains avaient pu l'être. La politique de retour des produits ne semble donc pas si sévère que vous tentez de le faire croire...
(...) [CF: liste de commandes en page 6 non reprise ici]
Après l'entretien préalable, et afin de nous permettre de prendre une décision éclairée, nous avons d'ailleurs interrogé les fournisseurs sur les conditions de retour des produits. Ceux-ci nous ont confirmé leurs modalités de retours, venant contredire vos explications.
Ces seuls achats représentent d'ores et déjà un montant total de plus de 27.000 euros TTC. A titre d'illustration supplémentaire, les investigations menées par le service Compliance ont également fait ressortir des échanges écrits avec une salariée mise à disposition par notre prestataire pour la gestion du courrier au sujet de l'achat de coques de téléphone portable.
Alors que celle-ci vous indiquait avoir du mal à choisir entre deux modèles, vous n'avez pas hésité pas à lui proposer de commander les deux modèles, afin de lui éviter d'avoir à faire un choix. C'est ainsi que, le 22 mai 2019, vous avez effectivement passé commande pour les deux modèles de coques de téléphone portable qui vous avaient été indiqués par cette personne, sans que cela ne puisse être justifié par de quelconques besoins professionnels.
Un tel comportement s'analyse en une fraude, et caractérise, de manière plus générale, une violation de vos obligations les plus élémentaires, notamment s'agissant du respect du code de conduite.
De tels agissements sont en totale contradiction avec les règles de compliance, d'intégrité, de conformité et avec le code de conduite dont vous avez pourtant parfaitement connaissance.
Pour rappel, parmi les règles édictées par le code de conduite en matière d'intégrité, figurent notamment les principes suivants :
«Nous distinguons clairement les intérêts personnels des intérêts professionnels » ;
« Nous prenons soin des biens de l'entreprise et les utilisons à bon escient », ce qui implique notamment de «protéger les biens, les ressources et les systèmes d'information de l'entreprise et de veiller à leur sécurité en permanence » et, à ce titre, d'utiliser « ces biens à bon escient et de manière responsable » et de les protéger « contre toute perte, tout dommages et toute mauvaise utilisation ». Ainsi, dans le respect du code de conduite, les salariés doivent veiller « à utiliser ces biens et ressources pour ce à quoi ils sont destinés» ;
« Nous sommes vigilants face aux fraudes éventuelles et signalons toute activité suspecte», ce qui passe en premier lieu par le respect des « processus d'approbation et principes de reporting comptables et financiers internes».
Cela est d'autant plus grave qu'il vous appartient, en votre qualité de Responsable service client au service Machines à teinter, de former le personnel aux procédures de l'entreprise et aux règles en vigueur et de vérifier l'application des procédures, dont notamment le code de conduite.
A ce titre, vous avez d'ailleurs été amené à suivre, depuis 2013, de nombreuses formations en e-learning s'agissant des règles en matière de compliance. Singulièrement, vous avez achevé, le 1er décembre 2015, la formation e-learning relative au nouveau code de conduite. Plus encore, le 21 juin 2016, s'est tenu l'atelier propre au service Machines à teinter relatif au code de conduite, auquel vous étiez présent.
Outre les graves manquements commis dans le cadre de vos fonctions, vous êtes tenu ainsi d'un devoir d'exemplarité consubstantiel à vos fonctions de responsable. En passant des commandes sans lien avec les besoins du services Machines à teinter au nom de la société, vous avez indiscutablement violé les règles applicables au sein de la société et manqué à vos obligations contractuelles, dont notamment votre obligation de loyauté. C'est pourquoi, nous n'avons d'autre choix que de vous notifier votre licenciement pour faute grave, rendant impossible votre maintien dans l'entreprise. Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture, et vous cesserez donc, dès la date d'envoi de ce courrier, de faire partie des effectifs de notre société (...).»
Le licenciement de M. [V] est ainsi motivé par le grief d'avoir, à compter de 2015, passé de manière frauduleuse des commandes au nom de la société pourtant sans lien avec les besoins du service Machines à teinter, en ne respectant pas ainsi le code de conduite applicable au sein de la société et en manquant à ses obligations contractuelles, dont notamment l'obligation de loyauté, causant un préjudice financier à la société.
Il n'est pas contesté qu'en sa qualité de responsable service client machines à teinter, M. [V] devait s'assurer de la mise à dispositions aux techniciens des outils leur étant nécessaire pour exécuter leurs missions et qu'il avait la charge de passer les commandes pour ce faire. Il est à noter que l'employeur ne justifie pas avoir notifié au salarié le moindre avertissement ni lui avoir adressé le moindre rappel à l'ordre officiel durant l'exécution du contrat de travail.
Le salarié soulève la prescription du grief et en conteste le bien fondé.
Il ressort des explications et des éléments de preuve produits par les parties des incertitudes et imprécisions sur la date de connaissance des faits, leur ampleur et leur gravité empêchant de retenir le 16 juillet 2019 ou même le 20 mai 2019 comme date de cette connaissance.
Tout d'abord, il résulte des termes mêmes de la lettre de licenciement qu'à la suite de faits dénoncés par deux salariés nommés le 20 mai 2019, l'employeur n'a entrepris des vérifications concrètes qu'à partir du 2 juillet 2019 sans aucun motif opérant, alors qu'il ne justifie avoir accompli auparavant une quelconque autre diligence afin de vérifier la réalité et le degré de gravité des faits litigieux qu'il affirme ainsi avoir été dénoncés.
Au demeurant, rien au dossier n'établit que le 20 mai 2019 la société aurait, comme elle le prétend sans communiquer d'éléments précis et concordants et sans la retranscription de la communication, été alertée par M. [X], directeur régional des activités de machines à teinter du groupe et M. [R], responsable régional technique de ces mêmes activités dont les postes sont situés aux Pays Bas, de soupçons de fraudes au sein du service sur le site de [Localité 3] en France. La société ne prouve pas non plus que le 21 mai 2019, les allégations de ces deux salariés, qui ne sont d'ailleurs pas reproduites à la procédure, ont été consignées comme elle l'indique sur le portail Speak Up! du groupe. Le seul courriel imprécis de Mme [U] du 28 mai 2019 quant aux dénonciations ne saurait sur ce point suffire.
Ensuite, alors même que la société soutient qu'elle n'aurait eu une connaissance précise des faits de détournements, de leur ampleur et de leur gravité qu'à l'issue d'un rapport d'enquête interne déclenchée en mai 2019, elle ne conteste cependant pas utilement que les commandes passées depuis 2015 par M. [V] étaient passées en toute transparence sur le logiciel SAP/SRM de la société, validées par son supérieur hiérarchique M. [W], et systématiquement contrôlées par le service de comptabilité enregistrant et payant les factures, ce contrôle par le service de comptabilité n'étant donc pas un contrôle purement formel. Le salarié démontre également qu'il a été demandé par courriel à M. [X] de valider une commande le 8 décembre 2017 sans qu'aucune difficulté n'ait été alors révélée.
Le fait que le N+1 de M. [V], M. [W], ait également été licencié, est un élément inopérant en l'absence de toute preuve d'une concertation, connivence ou collusion entre les deux salariés.
La cour observe qu'il ressort du rapport d'enquête produit par la société qu'il était simplement reproché à M. [W] un manque de contrôle des commandes lui ayant été soumises, ce qui n'est pas imputable à M. [V], et les manquements de M. [W], à les supposer réels, ne sont pas de nature à empêcher de retenir que l'employeur était bien informé par son biais du matériel commandé. De la même manière, dès lors que l'employeur reconnaît ainsi indiscutablement qu'il appartenait au N+1 d'effectuer les vérifications nécessaires, il ne saurait être valablement reproché à M. [V] d'avoir tenté de dissimuler le contenu réel des commandes sous un intitulé générique. Il sera encore relevé qu'il résulte du compte rendu de l'entretien préalable de M. [W] produit par l'employeur lui-même, que le N+1 avait alors souligné avoir «toujours demandé le motif des commandes et que celles-ci étaient le plus souvent liées au fonctionnement du service.» A aucun moment il n'y précise avoir constaté que M. [V] aurait effectué des commandes personnelles, étant souligné qu'il indique que «tous les matériels commandés ont été livrés à l'atelier et remis aux personnes concernées», un «tableau de matériel dont ont besoin les techniciens sous sa responsabilité [étant] au mur dans les locaux à la vue de tous».
L'allégation selon laquelle l'employeur, malgré ces éléments, n'aurait été informé de suspicions de fraude qu'à compter de mai 2019, n'est donc pas crédible. Ni l'entretien tenu par Mme [U] dans le cadre de l'enquête interne ni l'entretien préalable ne permettent de rapporter la preuve contraire.
Le contenu produit du rapport très succinct de 5 pages de Mme [U] qui apparaît avoir été mené à charge à l'encontre de M. [W] et de M. [V], ne permet pas en outre de lever les doutes sur l'étendue de la connaissance de l'employeur avant qu'il ne décide de la mise à pied, ni d'éclaircir les circonstances dans lesquelles elle a été décidée, puisque ce rapport ne reprend pas même précisément l'identité de tous les salariés interrogés ni le détail de toutes les auditions de salariés, et est communiqué sans ses annexes. En outre, il apparaît que le rapport comporte de très nombreuses affirmations sèches que rien au dossier ne permet de vérifier.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'alors que les faits reprochés à M. [V] entre 2015 et 2019 ont été contrôlés par le supérieur hiérarchique de l'intéressé et par le service comptabilité, la société ne rapporte pas la preuve que ce contrôle classique ne lui permettait pas d'apprécier la réalité et la gravité du comportement fautif reproché à M. [V]. Ni l'enquête interne ni l'entretien préalable ne démontrent que l' employeur n'a pu avoir une connaissance précise et exacte des fautes qu'à l'issue de ces démarches.
S'agissant des trois commandes passées par le salarié postérieurement au 1er mai 2019, à savoir les 16 mai, 17 mai et 3 juin 2019, qui ne sont quant à elles pas antérieures de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement du 2 juillet 2019, à nouveau chaque commande était passée sur le logiciel SAP/SRM de l'entreprise dont il n'est pas démontré qu'il n'aurait pas été accessible à tous, validée par le supérieur hiérarchique, contrôlé par le service de comptabilité.
Les suppositions de l'employeur quant à un lien entre ces commandes avec la constitution par le salarié le 27 septembre 2019 d'une société dont l'objet est la mécanique sur véhicules légers, ne saurait suffire à établir qu'il a passé des commandes en mai et juin 2019 pour son compte personnel.
Les attestations produites par la société ne permettent d'ailleurs aucunement de retenir que le matériel commandé par M. [V] à ces dates n'étaient pas utiles aux techniciens, ni que M. [V] se serait approprié le matériel commandé et l'aurait sorti de l'atelier, alors que :
- les témoignages de M. [R] et de M. [X] de juillet 2019, qui ne travaillent pas à l'atelier, ne sont pas techniciens mais sont directement rattachés à la direction du groupe et sont affectés aux Pays Bas, dont rien ne démontre qu'ils ont effectué des constatations sur l'utilisation ou la non utilisation de matériels sur site à l'atelier de [Localité 3] courant 2019 ou même avant cela, sont très succinctes et imprécises, les deux salariés censés être à l'origine de l'enquête interne en mai 2019 affirmant péremptoirement que les équipements commandés par M. [V] ne sont normalement pas utilisés par le service machine à teinter ;
- la seconde attestation de M. [X] rédigée le 30 juin 2021 est dépourvue de force probante dès lors qu'il y affirme, uniquement en qualité de témoin indirect, que M. [V] aurait avoué à M. [E] avoir commandé des outils à des fins personnelles, sans que M. [E] ne le confirme dans une attestation ni qu'aucun autre élément du dossier ne corrobore ses dires, et alors que la lettre de licenciement ne fait pas état de cet aveu démenti par M. [V] dans ses conclusions, dont l'employeur affirme pourtant avoir eu connaissance en juillet 2019 ;
- une attestation non pertinente de M. [M], technicien de maintenance, dont il ressort certes qu'il n'a jamais personnellement vu ni utilisé à l'atelier le coffret clefs à cliquet 11 en 1 commandé le 3 juin 2019, le jeu de 5 clefs à tuyauter commandé le 16 mai 2019 et le phaseo din rail power supply commandé le 17 mai 2019, mais qu'il a néanmoins pu voire lui-même utilisé à l'atelier plusieurs autres outils et matériels commandés par M. [V], étant relevé par la cour qu'il indique dans le document «ce que j'ai vu et utilisé» de la liste du matériel litigieux alors qu'ils étaient plusieurs techniciens à l'atelier, et qu'il a pris le soin de préciser que «Une partie du matériel peut également avoir été expédié aux techniciens itinérants» ;
- une attestation de M. [N], actuellement responsable équipe machine à teinter et qui était auparavant technicien itinérant affecté au secteur Bretagne, dont il ressort qu'il précise, s'agissant du coffret à cliquet 11 en 1, que «cela peut faire partie de la panoplie d'un technicien terrain», contrairement au jeu de 5 clés à tuyauté et au phaseo din rail power supply, étant observé par la cour qu'il souligne néanmoins que ses commentaires sont fait «en fonction de mon expérience au sein du service machine à teinter», sans que l'employeur ne communique d'éléments permettant d'apprécier la pertinence de ce témoignage au regard de cette expérience alléguée (en particulier son ancienneté dans le poste) et sa présence à l'atelier.
D'ailleurs, M. [V] produit quant à lui un tableau récapitulatif extrêmement précis du matériel commandé et de l'utilité pour l'atelier ou l'utilisation qui en était faite selon lui, contraire aux allégations de M. [N] s'agissant des matériels dont il affirme péremptoirement qu'il n'avaient pas d'utilité pour le service, le témoignage de la partie appelante n'ayant pas moins de valeur que celle de M. [N].
Il s'ajoute que c'est à juste titre que M. [V] souligne que M. [N] n'était pas affecté à [Localité 3], mais était technicien itinérant sur le secteur de la Bretagne, et que même s'il était placé sous sa subordination, rien au dossier ne permet de vérifier qu'il a pu effectivement faire des constatations au sein de l'atelier dès lors que la société affirme sans le moindre document à l'appui que «n'ayant aucun établissement en Bretagne, le seul site de rattachement de M. [N] était bien le site de [Localité 3].». M. [V] produit pourtant une attestation de M. [D], dont il ressort qu'il n'a jamais vu ce technicien itinérant «participer à des activités au sein de notre atelier à [Localité 3]». De plus, M. [V] n'est pas utilement contredit lorsqu'il souligne que M. [N] a bénéficié d'une promotion quelques semaines après son licenciement au poste qu'il occupait auparavant, et son témoignage doit donc être examiné avec circonspection.
Au demeurant, la force probante des attestations de M. [M] et de M. [N] est encore affaiblie du fait que, si le premier a souligné ne pas avoir vu ni utilisé certains des outils de la liste soumise par l'employeur, le second a au contraire précisé que ces mêmes outils ont été ou ont pu être envoyés à des techniciens de terrain ou peuvent faire partie de la panoplie pour les techniciens. Il en va ainsi pour exemple de la poignée à cardan désaxer, poignée tournevis (ligne 13 de la liste de matériels), du coffret clés à cliquet 11 en 1 (ligne 20 de la liste). Parallèlement, il apparaît que M. [M] précise au contraire avoir vu et/ou utilisé certains outils à l'atelier ce qui n'est pas validé par M. [N] (pour exemple en ligne 32 de la liste de matériels), M. [V] produisant également des attestations de deux autres salariés dont il ressort que des techniciens présents à l'atelier avaient bien l'utilité de certains matériels commandés.
Enfin, le rapport d'enquête réalisé tardivement en juillet 2019 pour une alerte alléguée au 20 mai 2019, extrêmement succinct, qui ne vise pas précisément les trois commandes litigieuses dont la dernière a été réalisée postérieurement au 20 mai 2019, qui est rempli d'affirmations non confirmées par les pièces produites à la présente procédure, ne précise pas l'identité de la plupart des techniciens cités («plusieurs techniciens du services, responsables de la maintenance et de la réparation des machines nous ont confirmé (...)», «alors que plusieurs techniciens du services, responsables de la maintenance et de la réparation des machines (...)»), et ne reprend pas intégralement toutes les auditions, apparaît avoir été mené à charge à l'encontre de M. [V], et n'apparaît pas suffisant pour prouver la réalité de la fraude et du comportement déloyal reprochés par l'employeur. D'ailleurs, il n'est pas démontré que Mme [U], qui a rédigé ce rapport, ait pu effectué la moindre constatation de la présence, de l'utilisation ou du stockage de matériels au sein de l'atelier dans le cadre de cette enquête, alors qu'à compter du 1er juillet 2019 le matériel présent dans l'atelier était en cours de déménagement à destination des Pays-Bas, à la suite d'une décision de délocalisation du service, ce que confirme M. [D] dans son attestation. Pour autant, la société ne produit pas même le moindre inventaire du matériel dont le chargement avait débuté dès avant le début de l'enquête.
Il s'évince de ces éléments qu'alors que le salarié soutient que le type de matériel commandé les 16 et 17 mai 2019 et 3 juin 2019 s'inscrivait parfaitement dans le cadre des activités du service machines à teinter, l'employeur ne démontre pas l'absence de lien entre ce matériel et l'activité du service, ni que M. [V] aurait passé ces commandes pour son usage personnel, ni encore qu'il aurait tenté de dissimuler des éléments quelconques. De plus, même à retenir que ces trois commandes résulteraient d'une erreur, en tout état de cause il ne résulterait pas alors de l'examen des pièces une intention délibérée du salarié de les commettre.
Les pièces, documents et attestations en sens contraire produits par les parties ne permettent de tenir les faits reprochés au salarié comme établis avec certitude, en sorte que le doute devant profiter au salarié comme prévu à l'article L.1235-1 du code du travail, l'imputabilité des faits reprochés postérieurs au 1er mai 2019 ne peut être établie avec certitude et constituer l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ainsi, aucune réitération de faits fautifs justifiant qu'il soit fait échec à la prescription de l'article L.1332-1 sus-visé ne peut être invoquée.
L'ensemble des faits antérieurs à mai 2019 sont donc prescrits, alors qu'il existe un doute quant aux faits postérieurs reprochés au salarié.
En conséquence, par infirmation du jugement déféré, il y a lieu de dire dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [V].
Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
M. [V] peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire outre les congés payés afférents, à l'indemnité conventionnelle de licenciement, à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents, qu'il sollicite en les ayant exactement calculés, et dont le principe ou le montant ne sont pas spécifiquement contestés par l'employeur. La cour fait donc droit à ses demandes.
Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, M. [V] peut en outre prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail en sa rédaction applicable au litige. Compte tenu d'une ancienneté de 7 ans révolus, il est fondé à réclamer une indemnisation comprise entre 3 et 8 mois de salaire.
En considération des conditions de la rupture et eu égard notamment à son âge (pour être né le 14 janvier 1977), à l'ancienneté de ses services, à sa rémunération mensuelle (4 224,81 euros) à sa formation et à ses capacités de retrouver un nouvel emploi à la suite de son licenciement (étant souligné qu'il justifie du versement de l'ARE à compter du 29 octobre 2020 et qu'il a créé sa société à la même période), la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation intégrale qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt.
La demande reconventionnelle nouvelle de remboursement étant exclusivement formée par la société à titre principal dans le seul cadre d'une confirmation du jugement déféré ayant jugé le licenciement pour faute grave fondé, il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce point dès lors que le jugement est infirmé, même si M. [V] demande de rejeter la demande en tout état de cause.
Sur les dommages et intérêts pour procédure brutale et vexatoire
M. [V] fait valoir en substance qu'alors qu'il s'était toujours distingué par son sérieux et la qualité de son travail pendant des années, il a fait l'objet d'un traitement choquant et disproportionné qui lui a causé un préjudice distinct des seules conséquences de la rupture du contrat de travail.
L'employeur s'oppose à la demande en répliquant que M. [V], qui ne produit aucune pièce à l'appui de sa demande, n'apporte aucun élément de nature à prouver l'existence et l'étendue de son préjudice, alors qu'il ne l'a pas licencié de manière vexatoire mais a au contraire pris le soin de mener des investigations pour pouvoir apprécier les faits avant de prendre une décision.
Sur ce,
M. [V] ne vise pas de pièce à l'appui de ses allégations et ne justifie pas de circonstances vexatoires ou humiliantes ayant entouré son licenciement, de sorte que la preuve d'une attitude fautive à cet égard fait défaut autant que celle d'un préjudice. Il doit en conséquence, par voie de confirmation, être débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la remise des documents de fin de contrat
Il convient d'ordonner à la société de délivrer à M. [V] une attestation destinée à Pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte conformes à la présente décision, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte à ce stade laquelle n'apparaît pas s'imposer pour garantir l'exécution de la décision.
Sur le remboursement des indemnités à Pôle emploi
Conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, la société sera condamnée à rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [V] dans la proportion de six mois. Il sera ajouté en ce sens.
II - Sur les intérêts de retard pour paiement tardif des astreintes de juin et juillet 2019
M. [V] fait valoir qu'il percevait chaque mois des primes d'astreinte à hauteur de 160 euros bruts mais qu'à compter de juin 2019 la société a cessé de les lui verser sans explication et n'a régularisé la situation qu'un an après, en juillet 2020 ; que ce paiement tardif des salaires est illégal et constitue un manquement de l'employeur à ses obligation justifiant sa demande.
La société s'oppose à la demande sans faire d'observations particulières sur ce point.
Sur ce,
M. [V], qui ne conteste pas avoir reçu le paiement de ses astreintes, ne produit pas de document justifiant de la date exacte du versement qui n'est pas prouvée. Il s'ensuit que le montant soumis au titre des intérêts n'est pas justifié et que la cour n'est pas en mesure de déterminer le montant pouvant réellement être alloué. Le salarié sera donc, par voie de confirmation, débouté de sa demande.
III - Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le sens de la présente décision conduit à infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [V] les frais irrépétibles exposés par lui pour l'ensemble de la procédure et il convient de lui octroyer à ce titre la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt. La société, partie succombante principale, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et sa demande d'indemnité de procédure sera rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement par décision mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, et de sa demande relative aux intérêts de retard pour paiement tardif des astreintes de juin et juillet 2019 ;
La confirme de ces seuls chefs ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé ;
Condamne la société Akzo nobel decorative paints à payer à M. [V] les sommes suivantes :
- 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- 12 815,27 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 12 674,45 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 267,44 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 3 403,85 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 340,38 euros au titre des congés payés afférents,
- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure ;
Ordonne à la société Akzo nobel decorative paints de délivrer à M. [V] une attestation destinée à Pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte conformes à la présente décision ;
Rejette la demande d'astreinte ;
Condamne la société Akzo nobel decorative paints à rembourser à l'antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à M. [V] depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations ;
Déboute la société Akzo nobel decorative paints de sa demande d'indemnité de procédure ;
Condamne la société Akzo nobel decorative paints aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.