ARRET
N° 454
CPAM DE L'OISE
C/
[K]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 04 MAI 2023
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N° RG 21/03399 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IEX3 - N° registre 1ère instance : 19/88
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 20 mai 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
CPAM DE L'OISE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et plaidantpar Mme [G] [I] dûment mandatée
ET :
INTIMEE
Madame [V] [K] épouse [E]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me Gaelle DEFER, avocat au barreau de BEAUVAIS substituant Me Thierry BERTHAUD de la SELARL BERTHAUD ET
DEBATS :
A l'audience publique du 06 Février 2023 devant Mme Jocelyne RUBANTEL, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 04 Mai 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Jocelyne RUBANTEL en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 04 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.
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DECISION
Mme [E], salariée de la société [5] en qualité d'aide-comptable, a le 18 octobre 2017 transmis une déclaration d'accident du travail survenu le 17 octobre 2017, accompagnée d'un certificat médical du même jour faisant état d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel.
Après instruction de la demande, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise a le 17 janvier 2018 notifié une décision de rejet que Mme [E] a contesté devant la commission de recours amiable.
Saisi le 13 août 2018 de la contestation de la décision de la commission de recours amiable en date du 30 mai 2018, notifiée le 13 juin 2018, le tribunal judiciaire de Beauvais, par jugement prononcé le 20 mai 2021 a :
- déclaré Mme [E] fondée en son recours,
- dit que l'accident survenu le 17 octobre 2017 au préjudice de Mme [E] doit être pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise au titre de la législation relative aux risques professionnels,
- condamné la caisse primaire d'assurance maladie aux dépens de l'instance nés postérieurement au 31 décembre 2018.
La caisse primaire d'assurance maladie a par lettre recommandée expédiée le 18 juin 2021 relevé appel du jugement qui lui avait été notifié par courrier dont elle avait accusé réception le 21 mai 2021.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 5 juillet 2022, date à laquelle elle a fait l'objet d'un renvoi contradictoire au 6 février 2023 pour permettre aux parties d'échanger pièces et conclusions.
Aux termes de ses écritures visées par le greffe le 30 janvier 2023, oralement développées à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise demande à la cour de :
- dire et juger son appel recevable,
- infirmer dans son intégralité le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que Mme [E] ne rapporte pas la preuve de la survenance d'un fait accidentel au sens de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale qui serait survenu le 17 octobre 2017,
- confirmer la décision de refus de prise en charge en date du 17 janvier 2018,
- débouter Mme [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, la caisse primaire d'assurance maladie rappelle la distinction entre la maladie professionnelle et l'accident du travail, soulignant qu'une situation de harcèlement moral dans un contexte professionnel dégradant, exclut la qualification d'accident du travail.
Elle rappelle d'autre part que admettre que l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur constitue un fait accidentel reviendrait à admettre que tout événement qui se produit au temps et au lieu du travail relèverait de la législation professionnelle.
La caisse primaire d'assurance maladie précise avoir refusé la prise en charge alors qu'une dégradation des conditions de travail, à la supposer établie, ne constitue pas un accident du travail et alors que les éléments du dossier ne corroborent pas les dires de l'assurée.
Mme [E] avait cité des témoins (Mesdames [Z] et [N]) à qui des questionnaires ont été adressés, lesquels ont affirmé que l'employeur avait formulé une demande banale, sans employer de termes blessants ni faire preuve d'agressivité.
Or, le jugement s'est fondé sur le témoignage de Mme [N] qui a précisé que l'employeur s'inquiétait de ne pas voir le travail avancer, mais sans relater le moindre élément faisant état du fait accidentel.
Mme [E] a produit la transcription d'un fichier audio, contenant deux enregistrements sonores qu'elle a elle-même effectués sur son lieu de travail le 17 octobre 2017, à l'insu de son employeur et de ses collègues.
Or, une preuve doit être obtenue loyalement, et par ailleurs, Mme [E] ne démontre pas que le mode de preuve litigieux était le seul dont elle disposait pour établir les faits dont dépendaient ses droits. En effet, Mme [E] n'était pas isolée dans l'entreprise, et pouvait prouver le harcèlement dont elle se dit victime par le dépôt d'une plainte, des attestations de collègues, la production de mails par exemple.
La caisse primaire souligne qu'aucun élément ne permet d'affirmer que l'homme dont les propos ont été enregistrés est bien l'employeur, la date et le lieu de l'enregistrement n'étant pas établis, précisant que Mme [E] n'a jamais fait état de cet enregistrement pendant l'instruction du dossier, ni devant la commission de recours amiable.
Subsidiairement, elle souligne que le document audio ne rapporte pas la preuve de la survenance d'un fait accidentel.
Enfin, Mme [E] ne peut se fonder sur les attestations de ses deux collègues qui n'étaient pas présentes le jour des faits, Mme [N] ne faisant que relater ce qu'elle a pu entendre dans le cadre des enregistrements audio.
Mme [E], aux termes de ses écritures transmises par RPVA le 30 janvier 2023 demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner la CPAM à payer à Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, Mme [E] expose avoir été embauchée en qualité d'aide-comptable au sein de la société [5] le 3 avril 2017, dans un contexte difficile alors que la saisie comptable de l'année 2016 n'avait pas été faite, et que très rapidement, M. [U], son employeur, a outrepassé son pouvoir hiérarchique, adoptant un comportement tyrannique, injurieux et irrespectueux à son égard, et devant ses collègues.
Le 17 octobre 2017, il s'est montré plus acerbe que d'habitude et, en outre, injurieux, au point qu'elle a dû prendre en urgence son traitement pour les problèmes cardiaques dont elle souffre, et elle a décidé de consulter son médecin-traitant qui lui a immédiatement délivré un arrêt de travail, et prescrit anti-dépresseurs et anxiolytiques.
Elle a ensuite déposé une main courante puis une plainte le 9 juillet 2018 pour harcèlement moral.
Elle soutient que le tribunal judiciaire était fondé à déclarer recevable l'enregistrement audio qu'elle a fait retranscrire, la Cour de cassation ayant dans un arrêt du 30 septembre 2020 apporté un tempérament au principe d'irrecevabilité de la preuve obtenue de façon déloyale en retenant que la droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit, et que l'atteinte soit proportionnelle au but poursuivi.
Elle souligne que son employeur a depuis déposé plainte contre elle pour enregistrement illicite, mais sans contester être la personne enregistrée, et que la date et l'heure des enregistrements sont établis par le procès-verbal de transcription de l'huissier qu'elle a saisi.
Elle soutient encore que les témoignages produits par l'employeur pendant l'enquête de la caisse primaire sont de pure complaisance.
Enfin, le témoignage, même édulcoré de Mme [N], confirme que ces témoignages sont mensongers.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des demandes des parties et des moyens qui les fondent.
Motifs
Sur la demande principale
En vertu des dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».
Il appartient à celui qui sollicite la prise en charge au titre de la législation professionnelle de rapporter la preuve de la réalité du fait survenu au temps et au lieu du travail, et ayant entraîné une lésion.
Mme [E] a le 17 octobre 2017 déclaré un accident du travail survenu le même jour, ayant entraîné selon le certificat médical initial joint un syndrome anxio-dépressif réactionnel.
Mme [E] décrivait comme suit les circonstances de l'accident « charge de travail- insultes humiliantes-charge de travail-agressivité » et indiquait que le siège des lésions était une crise de tachycardie, stress, la nature des lésions étant un harcèlement au travail.
En renseignant le questionnaire qui lui a été adressé, Mme [E] a indiqué qu'en la voyant alors qu'elle venait récupérer des souches de chéquiers pour faire le pointage, son patron avait commencé à la harceler comme les autres jours.
L'employeur indiquait que Mme [E] avait quitté son travail en saluant ses collègues, et sans signaler le moindre problème, et qu'ils avaient constaté par la suite qu'elle avait repris ses effets personnels.
Mme [Z] indiquait que l'employeur avait demandé à Mme [E] où elle en était de l'établissement du bilan, ce que cette dernière avait pris comme une agression, alors qu'il s'agissait d'une demande banale, sans que l'employeur ait tenu des propos injurieux.
Mme [Z] précisait que le mari de Mme [E] était ensuite venu faire un scandale, son épouse s'étant plainte auprès de lui.
Mme [N] expliquait quant à elle qu'elle se trouvait dans son bureau avec le dirigeant, qui avait alors demandé à Mme [E] où elle en était avec le bilan, précisant que depuis six mois, ils n'avaient cessé de demander des éléments sur ce point, affirmant que le dirigeant ne s'était pas montré agressif, menaçant, ni n'avait élevé la voix. Elle ajoutait qu'ils avaient ensuite constaté que Mme [E] avait repris ses affaires, puis son mari était venu faire un scandale, alors qu'il n'y avait eu aucun incident avec Mme [E].
Par décision du 17 janvier 2018, la caisse primaire d'assurance maladie, au vu de ces éléments, a opposé un refus de prise en charge estimant que la preuve d'un accident survenu au temps et au lieu du travail n'avait pu être établie du fait des contradictions constatées.
La commission de recours amiable a confirmé la décision de refus de prise en charge, relevant que Mme [E] indiquait que les faits s'étaient produits à 14 h 20, que l'employeur disait qu'elle avait terminé normalement sa journée de travail, et que les deux témoins qu'elle citait attestaient que l'employeur n'avait eu aucune parole déplacée, menaçante ou agressive.
Devant les premiers juges, Mme [E] a produit la transcription réalisée par un huissier de justice de l'enregistrement d'une conversation dont elle affirme qu'elle est intervenue entre elle-même et son employeur le jour des faits.
Mme [E] soutient qu'il s'agit bien de la transcription de l'échange intervenu entre elle et son employeur, à l'origine de son malaise, et en veut pour preuve que celui-ci a déposé plainte à son encontre pour atteinte à la vie privée.
Si Mme [E] produit la copie d'un dépôt de plainte du 26 novembre 2018 de son employeur, rien ne permet d'établir qu'il concerne l'enregistrement ayant donné lieu à une transcription faite par un huissier de justice le 12 juin 2018, et M. [U] ne reconnaît pas pour autant être la personne ainsi enregistrée dès lors qu'il indique avoir eu connaissance de l'enregistrement par les services de police et ne l'avoir jamais entendu.
Mais surtout, il résulte de l'article 9 du code de procédure civile et du principe de loyauté dans l'administration de la preuve que l'enregistrement d'une conversation réalisée à l'insu de l'auteur des propos invoqués constitue un procédé déloyal, qui doit conduire à le déclarer irrecevable.
Le tribunal pour déclarer recevable cette transcription a retenu que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d'un tel élément dès lors que cette production est indispensable à l'exercice d'un droit et que l'atteinte à la vie privée est proportionnée au but poursuivi.
L'intimée reprend cette argumentation, se prévalant d'un arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale du 30 septembre 2020.
Or, l'arrêt cité concerne non pas l'enregistrement d'une conversation mais l'utilisation d'une diffusion de documents sur un compte [6], et par ailleurs, Mme [E] ne justifie aucunement de ce qu'elle ne pouvait rapporter la preuve qui lui incombe par un autre moyen, et notamment les témoignages.
Il convient dès lors d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable ce moyen de preuve.
Mme [E] a également produit en première instance comme en cause d'appel une attestation émanant de Mme [D], qui indique avoir été comptable au sein de l'entreprise du 15 mai 2017 au 12 juin 2017, et relate que les dirigeants, face à l'impossibilité de fournir des chiffres, manifestaient leur irritation envers elle et Mme [E], en les qualifiant d'irresponsables et de nulles.
Il ne peut cependant être déduit aucun élément quant à un incident qui se serait produit le jour du fait accidentel déclaré, dès lors qu'à cette date, Mme [D] ne travaillait plus au sein de l'entreprise.
Également, Mme [E] produit une attestation de Mme [N] qui indique avoir eu connaissance de la transcription de l'enregistrement par un fonctionnaire de police qui lui en a lu quelques extraits, et précise que dans l'énervement, M. [U] pouvait dire des choses qu'il ne pensait pas, qu'il voulait amener Mme [E] à se rendre compte de l'importance de son travail, qu'il n'avait pas envie d'être désagréable ni de s'énerver, mais qu'il voulait être compris.
Ce témoignage ne corrobore pas les dires de Mme [E], étant rappelé qu'en renseignant le questionnaire transmis par la caisse primaire d'assurance maladie, le même témoin indiquait que le dirigeant n'avait pas fait preuve d'agressivité et qu'il n'avait pas haussé la voix.
Les éléments produits par Mme [E] sont insuffisants pour démontrer la réalité d'un fait accidentel à l'origine des lésions dont elle demande la prise en charge.
Dès lors, le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions.
Dépens
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [E] est condamnée aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
La demande de Mme [E] doit être rejetée alors qu'elle succombe en toutes ses demandes.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoire, en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Beauvais le 20 mai 2021,
Déclare irrecevable la production d'une transcription de l'enregistrement d'une conversation à l'insu de son auteur,
Déboute Mme [E] de l'ensemble de ses demandes,
La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel,
La déboute de la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,