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02/05/2023 | FRANCE | N°21/04906

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 02 mai 2023, 21/04906


ARRET

N° 437





Société [13]





C/



CPAM DE L'ARTOIS

Etablissement Public FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (F IVA)













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 02 MAI 2023



************************************************************



N° RG 21/04906 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IHVL - N° registre 1ère instance : 18/00500



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D' ARRAS (

Pôle Social) EN DATE DU 06 septembre 2021





PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



La Société [13], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

MP : [YK] [Z]

[Adre...

ARRET

N° 437

Société [13]

C/

CPAM DE L'ARTOIS

Etablissement Public FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (F IVA)

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 02 MAI 2023

************************************************************

N° RG 21/04906 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IHVL - N° registre 1ère instance : 18/00500

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D' ARRAS (Pôle Social) EN DATE DU 06 septembre 2021

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

La Société [13], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

MP : [YK] [Z]

[Adresse 5]

[Adresse 3]

[Adresse 12]

[Localité 6]

Représentée et plaidant par Me Romain RAPHAEL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

ET :

INTIMES

Le FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (FIVA) subrogé dans les droits de Monsieur [Z] [YK], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 11]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée et plaidant par Me DELANNOY, avocat au barreau de LILLE substituant Me Mario CALIFANO de l'ASSOCIATION CALIFANO-BAREGE-BERTIN, avocat au barreau de LILLE

La CPAM DE L'ARTOIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée et plaidant par Mme [Y] [F] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 08 Décembre 2022 devant Mme Elisabeth WABLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 04 Avril 2023.

Le délibéré de la décision initialement prévu au 04 Avril 2023 a été prorogé au 02 Mai 2023.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Elisabeth WABLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 02 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.

*

* *

DECISION

Vu le jugement rendu le 6 septembre 2021 par lequel le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras, statuant dans le litige opposant le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) à la société [13], en présence de la CPAM de l'Artois, a:

- dit que la maladie professionnelle 30 C et le décès de Monsieur [Z] [YK] sont la conséquence de la faute inexcusable de la société [13],

- dit que le caractère professionnel de la maladie inscrite au tableau n°30 C et du décès de [Z] [YK] sont établis,

- déclaré inopposables à la société [13] les décisions de la CPAM de l'Artois du 3 octobre 2016 de prise en charge au titre de la législation professionnelle, respectivement de la maladie 30 C et du décès de Monsieur [YK],

- débouté la société [13] du surplus de ses demandes,

- fixé à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime,

- dit que cette majoration sera directement versée par la CPAM à Madame [H] [YK],

- fixé les indemnisations complémentaires de Monsieur [Z] [YK] comme suit:

* prejudice moral : 47100 euros,

* souffrances physiques: 16000 euros,

* préjudice d'agrément: 5000 euros

* préjudice esthétique: 3000 euros,

- fixé les indemnisations des ayants droit comme suit:

* [H] [YK] ( conjoint): 32600 euros,

enfants:

* [TU] [I] : 8700 euros,

* [YL] [R]: 8700 euros

* [SX] [C]: 8700 euros

* [N] [JN]: 8700 euros

* [T] [YK]: 8700 euros

* [RA] [AY]: 8700 euros

petits enfants:

* [S] [I] : 3300 euros

* [CC] [I] : 3300 euros

* [M] [R]: 3300 euros

* [W] [R]: 3300 euros

* [X] [C]: 3300 euros

* [P] [C]; 3300 euros

* [E] [JN]: 3300 euros

* [BE] [JN]: 3300 euros

* [O] [YK]: 3300 euros

* [Z] [YK]: 3300 euros

* [FV] [YK]: 3300 euros

* [XN] [YK]: 3300 euros

* [EX] [YK]: 3300 euros

* [L] [AY]: 3300 euros

* [OD] [AY]: 3300 euros

- dit que la CPAM de l'Artois versera directement au FIVA les sommes dues au titre des indemnisations complémentaires pour Monsieur [YK] et ses ayants droit,

- condamné la société [13] à rembourser à la CPAM de l'Artois les sommes avancées au titre de l'indemnisation complémentaire ( majoration de la rente et indemnisations de Monsieur [YK] et de ses ayants droit)

- condamné la société [13] à verser la somme de 1000 euros au FIVA au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [13] aux dépens,

Vu la notification du jugement à la société [13] le 24 septembre 2021 et l'appel du jugement relevé par celle-ci le 8 octobre 2021,

Vu les conclusions visées le 8 décembre 2022, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société [13] prie la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré inopposables à la société [13] les décisions de la CPAM de l'Artois du 3 octobre 2016 de prise en charge au titre de la législation professionnelle , respectivement de la maladie n°30 C et du décès de Monsieur [YK],

- ordonner à la CPAM de l'Artois de communiquer le jugement à intervenir à la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au travail compétente, en lui demandant de procéder au retrait des incidences de la maladie professionnelle et du décès de Monsieur [YK] du compte accidents du travail-maladies professionnelles ( AT-MP) de la société [13], et de rectifier en conséquence les taux de cotisations accidents du travail-maladies professionnelles ( AT/MP) de la société pour l'établissement concerné,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le caractère professionnel de la maladie inscrite au tableau 30 C et le décès de Monsieur [YK] sont établis,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la maladie professionnelle et le décès de Monsieur [YK] sont la conséquence de la faute inexcusable de la société [13]

- en conséquence infirmer le jugement déféré en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'égard de la société [13] et débouter le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante de l'ensemble de ses prétentions,

- dire et juger que la CPAM a violé les conditions de fond de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [YK] et juger en conséquence que les dispositions de l'article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale sont inapplicables au cas d'espèce, la CPAM ne pouvant pas exercer l'action récursoire contre la société [13] ,

- en conséquence, infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société [13] à rembourser à la CPAM de l'Artois les sommes avancées au titre de l'iindemnisation complémentaire ( majoration de la rente et indemnisation de Monsieur [YK] et de ses ayants droit),

à titre subsidiaire,

- si la cour considère que la société [13] a commis une faute inexcusable à l'encontre de Monsieur [YK] dont les conséquences lui sont opposables,

- ramener le quantum des préjudices physique et moral subis par Monsieur [YK] à de plus justes proportions,

- rejeter la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément subi par Monsieur [YK], ou a minima, le ramener à de plus justes proportions,

- ramener le quantum des préjudices personnels des ayants droit de Monsieur [YK] à de plus justes proportions,

en tout état de cause,

- condamner le FIVA et la CPAM de l'Artois à verser à la société [13] la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le FIVA et la CPAM de l'Artois aux dépens,

Vu les conclusions visées le 8 décembre 2022, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante ( FIVA) prie la cour de :

- déclarer l'appel recevable mais mal fondé,

- confirmer le jugement entrepris,

y ajoutant,

- condamner la société [13] à payer au FIVA une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la partie succombante aux dépens,

Vu les observations orales à l'audience par lesquelles la CPAM de l'Artois, par sa représentante, demande à la cour de confirmer le jugement déféré par adoption de motifs et sollicite le bénéfice de son action récursoire dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur serait retenue,

***

SUR CE LA COUR,

Monsieur [Z] [YK], salarié de 1970 à 1996 de la société devenue [13] en qualité d'ouvrier à l'ensachage d'engrais a fait l'objet d'un diagnostic de cancer broncho pulmonaire primitif le 11 septembre 2015.

Il est décédé le 3 décembre 2015 à l'âge de 74 ans.

e 31 décembre 2015, Madame [TU] [YK] épouse [I], fille de Monsieur [Z] [YK] a effectué une déclaration de maladie professionnelle pour le compte de ce dernier, accompagnée d'un certificat médical en date du 11 septembre 2015, faisant état sur la personne de Monsieur [Z] [YK] d'un « carcinome neuroendocrine à petites cellules associé à des plaques pleurales calcifiées ».

Après instruction du dossier et par courriers en date du 3 octobre 2016, la CPAM de l'Artois a notifié à l'employeur une décision de prise en charge de la maladie déclarée au titre du tableau n°30 des maladies professionnelles ainsi qu'une décision de prise en charge du décès de Monsieur [Z] [YK] au titre de la législation professionnelle, ce décès étant considéré comme imputable à la maladie professionnelle déclarée.

Une rente de conjoint survivant a été attribuée à Madame [H] [YK], sa veuve, le 11 octobre 2016, rectifiée le 1er décembre 2016.

Les ayants droit de Monsieur [Z] [YK] ont par la suite saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante ( FIVA) , et accepté les offres d'indemnisation effectuées par cet organisme.

Le 19 juin 2018, le FIVA, subrogé dans les droits des ayants droit de Monsieur [Z] [YK] a engagé une action en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de la société [13].

Par jugement dont appel, le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras a statué sur cette demande comme indiqué précédemment.

La société [13] conclut à titre principal l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu le caractère professionnel de la maladie de Monsieur [Z] [YK] et de son décès, en ce qu'il a dit que cette maladie et le décès de Monsieur [Z] [YK] étaient la conséquence de la faute inexcusable de la société [13], et en ce qu'il l'a condamnée à rembourser à la CPAM de l'Artois les sommes avancées par elle à titre indemnitaire.

La société [13] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce 'il lui a déclaré inopposables les décisions de la CPAM de l'Artois en date du 3 octobre 2016 reconnaissant le caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [Z] [YK] .

Elle indique sur ce point qu'elle n'a pas été informée par la CPAM de la déclaration de maladie professionnelle concernant Monsieur [Z] [YK] et n'en a eu connaissance que dans le cadre de l'action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur , qu'il en est de même s'agissant du décès de Monsieur [Z] [YK], qu'elle n'a ainsi aucunement été associée à la procédure d'instruction conduisant à ces décisions, de sorte qu'elle est fondée à contester le caractère professionnel de la maladie et du décès et à solliciter l'inopposabilité des décisions de prise en charge pour violation manifeste du principe du contradictoire.

La société [13] conteste en outre le caractère professionnel de la maladie de Monsieur [Z] [YK] au motif que les conditions du tableau n°30 des maladies professionnelles ne sont pas remplies, qu'aucun élément ne permet de retenir l'existence d'un lien entre l'environnement professionnel de ce dernier , la maladie contractée, et son décès, qu'il n'est pas établi que le cancer broncho pulmonaire dont était atteint Monsieur [Z] [YK] était un cancer primitif, et que la caisse n'a pas vérifié les conditions tenant à la durée d'exposition et à la nature des travaux réalisés par Monsieur [Z] [YK].

La société souligne que son activité ne supposait en aucun cas un contact direct et habituel de celui-ci avec la poussière d'amiante, dès lors que son activité est une activité de production d'engrais agricoles.

Elle observe que Monsieur [Z] [YK] a exclusivement exercé des fonctions de manutention et expédition d'engrais produits par la société, , que les sites de [Localité 9] et du [Localité 8] n'ont jamais fait l'objet d'un classement ACAATA, et que le fait que Monsieur [Z] [YK] ait pu ponctuellement participer au chargement de bateaux transportant les engrais produits par la société ne lui confère aucunement la qualité de docker professionnel.

Elle soutient que la CPAM n'a pas seulement violé les conditions d'information de la société au cours de la procédure d'instruction du dossier , mais également des conditions de fond en ne diligitant pas d'enquête et en ne vérifiant pas les conditions permettant la reconnaissance d'une maladie professionnelle, de sorte que la CPAM doit selon elle conserver la charge financière d'une éventuelle faute inexcusable.

La société soutient qu'elle n' a en toute hypothèse pas commis de faute inexcusable.

Elle estime que l'inhalation habituelle de poussières d'amiante par Monsieur [Z] [YK] n'est pas démontrée, et conteste une quelconque conscience d'un danger qui lui serait imputable, soulignant notamment qu'elle n'est pas un transformateur d'amiante et ne pouvait avoir conscience des risques afférents à l'amiante.

A titre subsidiaire, la société [13] sollicite la réduction des indemnisations allouées par les premiers juges et le rejet de la demande faite au titre du préjudice d'agrément de Monsieur [Z] [YK].

Le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) conclut à la confirmation du jugement déféré, tant en ce qu'il a reconnu la faute inexcusable de l'employeur, qu'en ce qui concerne les conséquences financières de celle-ci.

Il oppose que Monsieur [Z] [YK] a accompli des travaux entrant dans le cadre de la liste du tableau n°30 , et que celui-ci a été exposé de manière certaine et habituelle à l'inhalation de poussières d'amiante durant 26 ans dans le cadre de ses activités au sein de la société devenue [13].

Il observe que la société [10], aux droits de laquelle se trouve la société [13] produisait des engrais et produits chimiques, qu'à ce titre, de nombreux fours et autres systèmes soumis à de très fortes contraintes de température étaient utilisés, isolés, floqués et calorifugés en « réfractaire thermique en amiante », et que l'ensemble des salariés travaillant en atelier, quelle que soit leur fonction, a été exposée aux poussières d'amiante stagnant dans l'usine.

Il précise que Monsieur [Z] [YK] effectuait la manipulation d'engrais en poudre sur le site de [Localité 9], que le conduit d'ensachage était en matériau amiante , qu'il transportait sur le dos des sacs d'engrais vers la voie de chemin de fer et inhalait habituellement des poussières d'engrais et d'amiante à chaque sac, qu'il utilisait régulièrement des tresses d'amiante pour boucher des fuites des trappes, et qu'il intervenanit aussi au niveau du four calorifugé avec du réfractaire à base d'amiante.

Le FIVA fait valoir par ailleurs que la société [13] n'établit pas que la maladie litigieuse aurait eu une cause totalement étrangère au travail, ou que le travail n'aurait joué aucun rôle dans l'apparition ou l'aggravation de la maladie de Monsieur [Z] [YK], qu'elle ne renverse donc pas la présemption de l'article L 461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, et que quatre anciens collègues de l'interessé ont attesté de son exposition à l'amiante.

S'agissant de la faute inexcusable alléguée à l'encontre de l'employeur, le FIVA soutient qu'il existait à l'époque d'exposition de Monsieur [Z] [YK] une réglementation préventive contre les affections respiratoires et que la société ne pouvait pas ne pas avoir conscience du danger encouru par lui.

Il ajoute que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires et efficaces pour préserver la santé de Monsieur [Z] [YK], dès lors que ce dernier ne bénéficiait d'aucune mesure de protection respiratoire particulière en dépit de son exposition à l'inhalation de poussières d'amiante .

La CPAM de l'Artois s'en rapporte à justice sur l'appréciation de la faute inexcusable alléguée à l'encontre de la société [13] et sollicite le bénéfice de son action récursoire en cas de reconnaissance de cette faute inexcusable, observant que les irrégularités affectant le cas échéant la procédure d'instruction sont sans incidence sur son action récursire.

***

* Sur l'inopposabilité à l'employeur des décisions de prise en charge de la maladie et du décès de Monsieur [Z] [YK] :

La décision déférée n'est pas expressément critiquée sur ce point et sera dès lors confirmée de ce chef, avec toutes conséquences.

* Sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur:

Sur le caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [Z] [YK]:

Aux termes de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Ainsi, sont présumées maladies professionnelles, sans que la victime ait à prouver le lien de causalité entre son affection et son travail, les maladies inscrites et définies aux tableaux prévus par les articles L.461-2 et R.461-3 du Code de la Sécurité Sociale et ce, dès lors qu'il a été établi que le salarié qui en est atteint a été exposé de façon habituelle au cours de son activité professionnelle, à l'action d'agents nocifs.

A partir de la date à laquelle un travailleur a cessé d'être exposé à l'action des agents nocifs inscrits aux tableaux susmentionnés, la caisse ne prend en charge la maladie que si la première constatation médicale intervient pendant le délai fixé à chaque tableau.

Il appartient à l'employeur qui entend contester le caractère professionnel de la maladie de combattre la présomption par la production d'éléments probants.

En l'espèce, il est justifié de la pathologie visée au tableau n°30 C des maladies professionnelles concernant Monsieur [Z] [YK], par la production du colloque médico- administratif, lequel reprend expressément le libellé complet du syndrome en ces termes:  « 30 C dégénérescence maligne broncho pulmonaire compliquant les lésions pleurales ( plaques pleurales ) », et fait état d' une date de première constatation médicale au 7 octobre 2014.

Suivant certificat en date du 10 mars 2016, le Docteur [LJ] [GT] a en outre certifié que le décès de Monsieur [Z] [YK] était secondaire à un carcinome pulmonaire suite à une exposition professionnelle à l'amiante.

Par ailleurs, il ressort du rapport effectué le 18 juin 2003 par l'inspection du travail concernant un autre salarié que la société [10], aux droits de laquelle se trouve la société [13] comportait de nombreuses instatallations isolées à l'amiante, et qu'il était nécessaire, pour assurer le remplissage des wagons , de poser des tresses d'amiante dans les angles et aux différentes ouvertures pour éviter les fuites.

Les témoignages d'anciens collègues de Monsieur [Z] [YK] ayant travaillé dans la même équipe que lui et sur les mêmes périodes attestent del' exposition de celui-ci à l'amiante.

Monsieur [J] [D] indique en effet:  «  ... Monsieur [Z] [YK] a été aux services des expéditions , affecté à toutes les tâches inhérentes au service. Ce qu'il faut savoir ' est que la grande majorité de nos locaux était recouverte de tôles dites Fibro-amiantées, que nos locaux étaient traversés par des canalisations transportant des produits liquides chauds qui étaient protégés en intégralité par des produits amiantés. Des joints de toutes sortes étaient à base d'amiante, des tresses de tous calibres en amiante étaient utilisés pour le calfeutrage des joints de portes camions ou wagons chargés en vrac. Des toiles de toutes dimensions en amiante étaient utilisées lors des travaux de découpage aux soudures dans les locaux où il y avait présence d'engrais azotés.... L'activité de fabrication et manipulation du produit exigeait l'utilisation en permanence de l'amiante dans ' le colmatage des wagons dans le cas du transport pour vrac...C'est dans ces conditions qu'a travaillé Monsieur [YK] dès son embauche... nous utilisions en abondance de l'amiante ...des plaques, des toiles ou des tresses d'amiante de tous calibres; Dans le cadre du chargement des wagons métalliques...il fallait absolument procéder à rendre étanches les portes matérales en utilisant des tresses de calibre adapté en faisant pénétrer celles-ci avec un marteau et un burin, ce qui occasionnait pas mal de déchets ou de poussières... ».

Monsieur [A] [G], ancien collègue de Monsieur [YK] confirme l'exposition de celui-ci à l'inhalation de poussières d'amiante, en indiquant: « ...Pendant 7 mois, j'ai travaillé dans une équipe avec [Z] [YK] au poste de porteur de sacs... pendant des années, l'amiante était pour nous du textile comparable au tissu. Il circulait dans l'usine sous toutes les formes. Exemple aux postes de chargement: on utilisait de la tresse d'amiante pour boucher des fuites et ainsi compenser la vétusté des trappes de wagons..exemple d'amiante les bâtiments de l'usine( sauf les bureaux administratifs)... ».

Monsieur [V] [B] indique quant à lui: « .. ayant travaillé plus de 30 ans avec Monsieur [Z] [YK] , je soussigné que nous travaillions dans une atmosphère amiantée... ».

Monsieur [K] [OE] précise dans le même sens: « ayant été collègue de Monsieur [Z] [YK] pendant 20 ans, il s'avère en effet que dans cette usine nous étions en présence d'amiante et en manipulation régulièrement ( toiles d'amiante, joint amianté, tôles en Fibro... ».

Il résulte de ec qui précède que l'exposition de Monsieur [Z] [YK] à l'inhalation de poussières d'amiante est établie, et que les conditions visées au tableau 30 C des maladies professionnelles sont remplies.

Il est également établi que le décès de Monsieur [Z] [YK] est consécutif à la maladie professionnelle contractée au vu du certificat précité du Docteur [LJ] [GT].

Les contestations de la société [13] portant sur le caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [Z] [YK] sont en conséquence inopérantes et seront rejetées, étant observé qu'une enquête a été effectuée par la CPAM.

Sur la preuve de la faute inexcusable de l'employeur:

Aux termes de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié , l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article précité, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie reconnue d'origine professionnelle, dès lors qu' il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve d'une faute inexcusable imputable à son employeur

L'article L 4121-1 du code du travail dispose en outre que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, et que l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En vertu de l'article R 4321-4 du même code, l'employeur met à la disposition des travailleurs, en tant que de besoin, les équipements de protection individuelle appropriés et, lorsque le caractère particulièrement insalubre ou salissant des travaux l'exige, les vêtements de travail appropriés; il veille à leur utilisation effective.

En l'espèce, l'exposition de M [YK] à l'inhalation de poussières d'amiante est démontrée pour les raisons ci dessus développées.

S'agissant de la conscience que l'employeur avait ou aurait dû avoir du danger auquel était exposé le salarié, il convient de rappeler que les effets néfastes de la poussière d'amiante sont connus depuis le début du XXème siècle pour avoir été mis en évidence notamment :

- dès 1906 dans le rapport Aribault établi par un inspecteur du travail à la suite du décès consécutif à l'inhalation des poussières d'amante

- dans les débats scientifiques qui ont eu lieu en France à partir de 1930 et qui ont reconnu les risques liés à l'amiante, notamment, dans un article du Docteur [U] publié en 1930 dans la revue "La Médecine du Travail"

- dans un rapport Lynch de 1935 puis dans une étude Doll lesquels ont établi une relation entre l'asbestose et l'accroissement du risque du cancer du poumon ;

- dans un rapport de la société de médecine et d'hygiène du travail établi en 1954 et classant l'amiante parmi les dérivés minéraux à l'origine des cancers professionnels ;

- dans un rapport du BIT de 1974 sur l'amiante précisant les risques pour la santé et leur prévention.

Par ailleurs la reconnaissance officielle du risque est intervenue dès l'ordonnance du 3 août 1945 et le décret du 31 décembre 1946 créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles relatif à la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de la silice libre ou de l'amiante et a été confirmée par les décrets des 31 août 1950 et 3 octobre 1951 qui créent le tableau n° 30 des maladies professionnelles propres à l'asbestose puis par le décret du 5 janvier 1976 incluant le mésothéliome et le cancer broncho-pulmonaire dans ce tableau comme complication de l'asbestose.

Le fait qu'un tableau des affections respiratoires liées à l'amiante ait été créé dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises a eu pour conséquence que tout entrepreneur était dès cette époque informé ou, à tout le moins, aurait dû être informé de la dangerosité de ce produit et était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans son usage, peu important qu'il s'agisse d'une entreprise fabriquant des produits à base d'amiante ou utilisant des matériels contenant un tel matériau.

Il résulte de ces éléments que la société devenue [13] qui utilisait des matériels contenant de l'amiante ne pouvait ignorer la dangerosité du matériau officiellement reconnue depuis 1945 et confirmée en 1950 et qu'à tout le moins elle aurait dû avoir conscience de ce danger.

S'agissant de l'absence de mise en 'uvre de mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger d'exposition à l'inhalation d'amiante, il ressort des témoignages concordants cités précedemment qu'aucune mesure de protection individuelle ou collective n'avait été mise en place par l'employeur pour préserver Monsieur [YK] des dangers en lien avec l'amiante.

La société ne peut pas se prévaloir de l'insuffisance de la législation et de la réglementation applicables pour échapper à ses responsabilités, une telle insuffisance, à la supposer établie, ne constituant pas une cause d'exonération mais seulement de possibilité de mise en 'uvre de la responsabilité de l'État.

De même l'absence de remarques notamment de la médecine du travail , ne constitue pas une cause d'exonération, ni la preuve que des mesures prises étaient suffisantes pour prévenir le danger lié à l'exposition à la poussière d'amiante.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société devenue [13] avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé Monsieur [Z] [YK] , et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La décision déférée sera par voie de conséquence confirmée en ce qu'elle a dit que la maladie professionnelle et le décès de Monsieur [Z] [YK] étaient la conséquence de la faute inexcusable de la société [13].

* Sur les conséquences financières de la faute inexcusable :

sur la majoration de la rente de conjoint survivant:

En application de l'article L452-2 alinéas 1 et 4 du code la sécurité sociale, les ayants droit qui percoivent une rente en application des articles L434-7 à L 434-14 du code de la sécurité sociale, ont droit à une majoration de leurs rentes.

En l'espèce, et au regard des dispositions précitées, les premiers juges ont justement fixé à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de Monsieur [Z] [YK], à savoir Madame [H] [YK], et dit que cette majoration lui serait versée directement par la CPAM .

La décision déférée sera confirmée de ce chef.

Sur l'indemnisation des préjudices de Monsieur [Z] [YK] :

Les premiers juges ont, au vu de la pathologie dont était atteint Monsieur [Z] [YK] et des soins lourds qu'il a reçus , fait une exacte appréciation du préjudice moral, des souffrances physiques et du préjudice esthétique subis par Monsieur [Z] [YK].

La décision déférée sera confirmée de ces chefs.

S'agissant du préjudice d'agrément, les témoignages de proches montrent que Monsieur [Z] [YK], du fait de sa maladie , ne pouvait plus être choriste basse, activité qu'il pratiquait depuis trente ans dans deux chorales.

En considération de ces éléments, les premiers juges ont exactement apprécié tant dans son principe que son montant le préjudice d'agrément subi par Monsieur [Z] [YK].

La décision déférée sera confirmée de ce chef;

Sur l'indemnisation des préjudices des ayants droit de Monsieur [Z] [YK]:

Les premiers juges ont exactement apprécié le préjudice moral subi par Madame [H] [YK], veuve de Monsieur [Z] [YK], ainsi que par les enfants et petits enfants de celui-ci suite à son décès.

La décision déféréesera confirmée de ces chefs et en ce qu'elle a dit que la CPAM de l'Artois versera directement au FIVA, en sa qualité de subrogé dans les droits des ayants droit de Monsieur [YK], les sommes dues au titre des indemnisations complémentaires leur revenant.

* Sur l'action récursoire de la CPAM de l'Artois à l'encontre de la société [13] :

C'est à juste raison que les premiers juges, au regard des dispositions de l'article L 452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale , ont condamné la société [13] à rembourser à la CPAM de l'Artois les sommes avancées au titre de l'indemnisation complémentaire ( majoration de la rente et indemnisations de Monsieur [YK] et de ses ayants droit), étant observé que les irrégularités de procédure retenues par les premiers juges ne privent pas la caisse de son action récursoire.

La décision déférée sera confirmée de ce chef.

* Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Les premiers juges ont fait une juste appréciation de l'équité.

Il serait inéquitable de laisser à la charge du FIVA l'ensemble des frais irrépétibles exposés en appel.

La société [13] sera condamnée à lui verser une somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Le surplus des demandes faites sur ce fondement sera rejeté.

* Sur les dépens :

Le décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 (article 11) ayant abrogé l'article R.144-10 alinéa 1 du code de la sécurité sociale qui disposait que la procédure était gratuite et sans frais, il y a lieu de mettre les dépens de la procédure d'appel à la charge de la partie perdante, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

CONFIRME la décision déférée

Y AJOUTANT,

INVITE à toutes fins la CPAM de l'Artois à communiquer le jugement à intervenir à la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au travail compétente,

DEBOUTE la société [13] de ses demandes contraires,

CONDAMNE la société [13] aux dépens

CONDAMNE la société [13] à payer au FIVA une somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

DEBOUTE la société [13] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, s'agissant des frais irrépétibles exposés en appel,

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 21/04906
Date de la décision : 02/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-02;21.04906 ?
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