ARRET
N°
[F]
C/
S.A.R.L. BEAUTY TECH
copie exécutoire
le 26 avril 2023
à
Me Daimé
Me Mendes
LDS/MR/SF
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 26 AVRIL 2023
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N° RG 22/01074 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ILZW
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 02 MARS 2022 (référence dossier N° RG 21/00066)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [R] [F]
[Adresse 3]
[Localité 1]
concluant par Me Aurelien DAIME, avocat au barreau de COMPIEGNE
ET :
INTIMEE
S.A.R.L. BEAUTY TECH agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège :
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée et concluant par Me Sandrine MENDES de la SELARL S.P.A.D.A, avocat au barreau de PARIS
Me Aurélie GUYOT, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
DEBATS :
A l'audience publique du 01 mars 2023, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 26 avril 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 26 avril 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
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DECISION :
La Société Beauty sales force, devenue Beauty tech (la société ou l'employeur), est une entreprise de conseil en produits de beauté qui emploie plus de dix salariés et applique la convention collective des bureaux d'études techniques.
Elle a embauché Mme [R] [F], par contrat à durée indéterminée, à compter du 9 mai 2017, en qualité de VRP exclusif.
Le 1er septembre 2020, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant trois griefs : une modification unilatérale de son contrat de travail en ce qui concerne sa rémunération, du travail dissimulé par le paiement d'une partie de la rémunération sous forme de remboursement de frais et le non-paiement de l'intégralité du temps de travail.
Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons le 12 juillet 2021 afin de voir requalifier sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement du 2 mars 2022, le conseil a :
- dit que la salariée était recevable mais mal fondée en toutes ses demandes,
- requalifié la prise d'acte de la rupture en démission,
- dit que la société avait déjà fourni les éléments ayant permis le calcul de la rémunération variable pour l'année 2020 afin que Mme [F] puisse calculer son reliquat de commission sur 2020,
- dit qu'il était du pouvoir de direction de l'entreprise de modifier unilatéralement le contrat de travail avec le règlement des ventes pièce 9,
- débouté la salariée de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement, rappel d'heures supplémentaires et congés payés y afférents, rappel de temps de trajet excédentaire domicile- lieu de travail et congés payés afférents, dommages-intérêts pour non-paiement du salaire intégral, indemnité de travail dissimulé et rappel de commissions
- débouté la salariée de sa demande de contrepartie financière concernant la clause de non-concurrence et des congés payés afférents,
- débouté la salariée de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de sa demande concernant les dépens,
- débouté la salariée de ses demandes concernant la remise des documents de fin de contrat sous astreinte, en paiement des intérêts légaux de droit, d'anatocisme et d'exécution provisoire,
- dit n'y avoir lieu à fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 874,28 euros brut,
- condamné Mme [F] à payer à la société la somme de 7 811,91 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
Mme [F], qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de la juger recevable et bien fondée en toutes ses demandes et de :
- Infirmer jugement en ce qu'il a jugé qu'elle était non recevable et non fondée en ses demandes, en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de la rupture en démission, en ce qu'il a dit que la Société Beauty tech avait déjà fourni les éléments ayant permis le calcul de la rémunération variable pour l'année 2020, qu'il était du pouvoir de direction de l'employeur de modifier unilatéralement le contrat de travail et qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes,
- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société la somme de 7 811,91 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Statuant à nouveau,
- Requalifier la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Constater la modification unilatérale du contrat de travail,
- Condamner la société à lui payer les sommes suivantes :
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (4 mois) 11 497,12 euros (net)
- indemnité compensatrice de préavis (3 mois) 8 622,84 euros (brut)
- congés payés y afférents 862,28 euros (brut)
- indemnité de licenciement 2 515 euros (net)
- rappels d'heures supplémentaires 2 681,64 euros (brut)
-congés payés y afférents 268,16 euros (brut)
- rappels de temps de trajets excédentaires domicile-lieu de travail 4 920,36 euros (brut)
- congés payés y afférents 492,04 euros (brut)
- dommages et intérêts pour non-paiement du salaire intégral 5 000 euros (net) - indemnité de travail dissimulé (6 mois) 17 245,68 euros (net)
- rappel de commissions 5 000 euros (brut) (à parfaire)
- contrepartie financière de la clause de non-concurrence 45 988,48 euros (brut)
- congés payés y afférents 4 598,85 euros (brut)
- article 700 du code de procédure civile 4 000 euros (net)
- Ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,
- Condamner la société aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution du jugement à intervenir,
- Ordonner le paiement des intérêts légaux de droit à compter de la saisine,
- Ordonner l'anatocisme,
- Débouter la société de ses demandes reconventionnelles.
La société Beauty tech, par conclusions remises le 5 juillet 2022, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- Débouter Mme [F] de toutes ses demandes,
- Condamner cette dernière à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS :
1/ Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail :
1-1/Sur la demande au titre des heures supplémentaires :
Mme [F] soutient qu'à défaut d'avoir le statut de cadre autonome et de convention individuelle de forfait, elle était soumise à la législation sur la durée journalière et hebdomadaire de travail et avait droit au paiement de toutes ses heures supplémentaires. Elle invite la cour à résister à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les VRP ne sont pas soumis aux dispositions relatives à la réglementation sur le temps de travail qu'elle considère comme contraire à la loi et erronée.
Elle fait valoir que l'employeur n'ayant jamais mis en place de système de contrôle du temps de travail, n'est pas en mesure de justifier de son temps de travail et que le tableau de synthèse qu'elle produit oblige l'employeur à répondre à sa demande en apportant ses propres éléments.
La société réplique que les VRP, compte tenu de l'autonomie dont ils disposent dans l'organisation de leur temps de travail, sont exclus des dispositions de la législation sur la durée du travail, ainsi que le rappelle expressément le contrat, de sorte que Mme [F] ne peut pas prétendre au paiement d'heures supplémentaires. Elle se prévaut de la jurisprudence de la Cour de cassation, des dispositions de l'article L. 7311-3 du code du travail et de la circulaire DRT 94-4 du 21 avril 1994 relative à l'organisation du travail.
Il est de jurisprudence constante que les VRP, qui organisent eux-même leur planning de travail et ne sont donc pas astreints à un horaire précis et contrôlable, sont exclus de la législation sur les heures supplémentaires. Cette exclusion résulte, non pas de leur contrat de travail, comme dans le cas des cadres ou salariés autonomes pour lesquels seule la conclusion d'une convention de forfait permet d'exclure l'application des règles sur le temps de travail, mais de leur statut, dont les spécificités sont rappelées dans l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1971, qui fait de l'autonomie le principe et l'encadrement du planning l'exception.
En l'espèce, le contrat de travail prévoit spécifiquement que Mme [F], organisant son travail de manière autonome, ne sera pas soumise à la législation sur la durée journalière et hebdomadaire de travail.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté cette demande.
1-2/ Sur la demande au titre des temps de trajet :
Mme [F] soutient que les temps de trajet excédant le temps normal de trajet entre son domicile et son lieu de travail habituel auraient dû être indemnisés par application de l'article L. 3121 -4 du code du travail en l'absence de convention ou d'accord collectif ou encore d'engagement unilatéral de l'employeur ce qui n'a pas été le cas, peu important que ses fonctions soient itinérantes.
La société fait valoir que les déplacements sont inhérents au statut de VRP, que Mme [F] n'avait pas de lieu de travail habituel et qu'elle ne peut prétendre par conséquent au bénéfice des dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail qui figure dans la partie du code intitulé « durée du travail, repos et congés ».
Ainsi qu'il a été dit, les règles sur la durée du travail ne sont pas applicables aux VRP or, comme le fait remarquer à juste titre l'employeur, l'article L. 3121-4, qui dispose que s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, le temps de déplacement professionnel fait l'objet d'une contrepartie, figure au titre II du livre 1er de la troisième partie du code du travail qui concerne la durée du travail, le repos et les congés. Ainsi, peu important que le temps de déplacement ne soit pas considéré comme du travail effectif, les règles tenant à sa contrepartie ne s'appliquent pas à Mme [F].
Il y a donc lieu de confirmer le jugement qui a rejeté cette demande.
1-3/ Sur la demande de dommages-intérêts pour non paiement intégral du salaire :
Mme [F] relie cette demande au fait que ses heures supplémentaires et ses temps de déplacement ne lui ont pas été rémunérés or, ainsi qu'il a été dit, elle n'avait pas droit aux sommes réclamées.
Il convient par conséquent de rejeter également cette demande.
1-4/ Sur la demande de rappel de commissions :
C'est à juste titre que l'employeur fait valoir que la salariée ne présente aucun moyen au soutien de sa demande de rappel de commissions à hauteur de 5 000 euros « à parfaire » de sorte qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, cette demande ne pourra être que rejetée par confirmation du jugement.
1-5/ Sur la demande au titre du travail dissimulé :
Mme [F] soutient que l'employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé par dissimulation du temps de travail réel en refusant de payer les heures supplémentaires qu'elle accomplissait tous les mois sans lui avoir fait signer une convention de forfait ainsi qu'en occultant une partie de sa rémunération en lui ayant imposé de modifier une facture d'outillage qui était à son nom et à son bénéfice et de la mettre au nom de la société, puis en lui faisant un virement du même montant, ce dans le but évident de déguiser une part de rémunération variable et de frauder l'URSSAF sur le paiement des cotisations sociales.
L'employeur conteste ses allégations qu'il qualifie de purement fantaisistes et fait remarquer que le virement dont la salariée se prévaut n'émane pas de la société Beauty sales force qui était son employeur à l'époque.
L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.
Aux termes de l'article L .8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.
En l'espèce, il a déjà été dit que le non paiement des heures supplémentaires est justifié.
En revanche, la salariée produit aux débats une facture du magasin Leroy-Merlin du 8 février 2019, pour du matériel de bricolage au nom de la société Beauty Tech pour un montant de 1 326,06 euros, un échange de SMS aux termes duquel il est question de faire refaire des factures normalement au nom du mari de Mme [F] à celui de la société en faisant en sorte que le montant corresponde, ainsi qu'un avis de virement du 13 février suivant, de la société Beauty Tech, d'un montant de 1 326,06 euros avec comme libellé d'opération "RBT BEAUTY TECH".
L'employeur ne s'explique pas sur cette manoeuvre et sur la destination du matériel facturé à son nom.
Les documents produits établissent suffisamment que la société a fictivement remboursé à Mme [F] des frais, évitant ainsi qu'une partie de sa rémunération soit soumise à cotisations.
L'élément intentionnel résultant nécessairement du caractère fictif de l'opération, l'infraction de travail dissimulé est caractérisée.
Il en résulte que Mme [F] est bien fondée à réclamer une indemnité égale à six mois de salaire, soit la somme, non spécifiquement contestée dans son montant, de 17 245,68 euros net.
2/ Sur la rupture du contrat de travail :
Mme [F] soutient que la société a manqué à son obligation de paiement du salaire en ne réglant aucune heure supplémentaire, ni les temps de trajet excédentaires entre son domicile et son lieu de travail, en payant des commissions minorées sur la base d'une modification unilatérale du contrat de travail et et en commettant l'infraction de travail dissimulé.
L'employeur conteste ces manquements et fait valoir que s'il y avait eu modification unilatérale du contrat de travail, son impact étant minime, cela n'empêchait pas la poursuite du contrat de travail et ne pouvait justifier la prise d'acte.
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
- Sur la modification du contrat de travail s'agissant du calcul de la rémunération variable :
Il est constant que les objectifs peuvent être définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction à condition qu'ils soient réalistes mais il est également constant que le mode de rémunération contractuelle d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode de rémunération serait plus avantageux que l'ancien ou que la modification serait minime et qu'une clause du contrat de travail ne peut valablement permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié.
La clause de variation qui confère à l'employeur la faculté de faire varier un élément de rémunération en fonction des objectifs est valable dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, qu'elle ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération au-dessous des minima légaux et conventionnels.
En l'espèce, le 1er janvier 2018, les parties avaient signé un avenant au contrat de travail fixant les conditions de calcul de la partie variable de la rémunération de la salariée aux termes duquel il était précisé que le barème pourrait être modifié à tout moment par la société en fonction de l'évolution des produits et des marchés.
Toutefois, il résulte de l'examen comparé de cet avenant et du règlement des ventes 2020 que la salariée a refusé d'approuver et de signer lorsqu'il lui a été soumis, que ce ne sont pas les objectifs qui sont modifiés mais bien la structure de la rémunération puisque la comparaison n'est même pas possible entre les deux modes de calcul, la société ne s'expliquant à aucun moment sur ce point.
En effet, l'avenant de 2018 prévoyait, d'une part, une rémunération variable sur l'activité des indépendants avec une commission sur chiffre d'affaires minimum, une commission évolutive sur objectifs, une prime par catégories de produits, une prime sur les ouvertures, une prime sur le taux de fidélité, une prime d'objectifs et de machines pour l'activité « les équipements » et, d'autre part une « rémunération variable sur l'activité des chaînes visitées » avec des primes d'objectifs en fonction des activités et, enfin des éléments « bonus de fin d'année 2018 » selon que les objectifs étaient atteints ou non.
Selon le règlement des ventes 2020, la rémunération variable devait être calculée, sur le « portefeuille CA direct et indirect-Marques et Savoir Acheter » comprenant des commissions, des primes annuelles et une prime de fidélité, « sur le portefeuille CA direct » comprenant trois types de commissions et des primes « lead », « sur le CA direct en portefeuille sur les clients existants » et enfin « sur le CA direct en portefeuille sur les nouveaux clients ».
L'employeur était d'ailleurs bien conscient de la modification structurelle que représentait ce nouveau règlement des ventes puisqu'il a demandé à la salariée d'y apposer sa signature précédée de la mention « lu et approuvé » et « bon pour accord sans réserve ».
Il en résulte qu'en appliquant à Mme [F] un nouveau système de calcul de sa rémunération variable sans son accord, la société a procédé à une modification unilatérale de son contrat de travail.
Ce bouleversement imposé constitue un manquement justifiant à lui seul la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé de ce chef et en ce qu'il a condamné la salariée à payer à l'employeur une somme au titre du préavis non exécuté.
2-1/ Sur les conséquences de la requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Mme [F] peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
Sur l'indemnité de licenciement :
Le calcul de l'indemnité s'effectue sur la totalité de l'ancienneté, soit jusqu'à la fin du contrat de travail, période de préavis incluse, y compris lorsque le salarié n'a pas exécuté son préavis.
En l'espèce, il y a lieu de retenir comme salaire de référence la moyenne mensuelle des 12 derniers mois précédant le licenciement, plus favorable à Mme [F], soit 2 620,97 euros.
Compte tenu d'une ancienneté de 3 ans et 5 mois, préavis compris, l'indemnité de licenciement due par la société est de 2 238,75 euros.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis :
L'indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires brut et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, qu'aurait perçus le salarié s'il avait travaillé pendant cette période, y compris les commissions.
Le préavis applicable aux VRP ayant plus de deux ans d'ancienneté est de trois mois par application de l'article L. 7313-9 du code du travail.
L'indemnité compensatrice de préavis est due, peu important que le salarié licencié ait été ou non en mesure d'exécuter son préavis.
En l'espèce, la société sera condamnée à verser à Mme [F] la somme de 7 862, 91 euros de ce chef outre les congés payés y afférents.
Sur les dommages-intérêts :
L'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, Mme [F] peut prétendre à une indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, d'un montant compris entre 3 et 4 mois de salaire.
Mme [F] ne conteste pas avoir trouvé un nouvel emploi après avoir pris acte de la rupture de son contrat de travail.
En considération de la situation particulière de la salariée et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer la réparation qui lui est due à la somme mentionnée au dispositif.
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office à la société de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée, depuis son licenciement dans la limite de six mois d'indemnité.
3/ Sur la demande au titre de la clause de non-concurrence :
Mme [F] soutient qu'elle avait droit à une contrepartie pécuniaire mensuelle à la clause de non-concurrence égale à deux tiers de mois de salaire, l'employeur n'ayant pas renoncé à l'application de la clause. Elle conteste avoir violé cette clause estimant, au terme d'une analyse syntaxique de la clause, que celle-ci lui interdisait seulement de démarcher et traiter des clients attachés à la société Beauty Tech au moment de son embauche et ce dans un rayon de 150 km² et non pas d'être embauchée par une société concurrente. Elle ajoute qu'il n'est pas prouvé qu'elle se soit elle-même livrée à des actes de concurrence.
La société répond que la contrepartie financière de la clause de concurrence n'est pas due à la salariée qui est entrée au service d'une société concurrente et conteste l'interprétation faite par Mme [F] de la clause figurant au contrat de travail.
En l'espèce, il est mentionné au contrat de travail que « Madame [R] [F] accepte la clause de non-concurrence, au terme de la première période d'essai et pendant une durée de deux ans, sur une zone géographique s'étendant à 150 km autour de son dernier secteur attribué, à compter de la date de rupture définitive du présent contrat, à l'initiative de Madame [R] [F], pour quelque motif que ce soit, Madame [R] [F] s'interdit :
de démarcher ou de traiter directement ou indirectement avec la clientèle attachée la société Beauty Sales Force ou Beauty tech au moment de son embauche dans la dite société Beauty Sales Force et, après 6 mois de présence, à toute la clientèle nouvellement acquise depuis son embauche, d'engager ou de faire engager des membres du personnel de l'une ou l'autre société à entrer à son service ou au service d'une entreprise à laquelle elle participait directement ou indirectement ou par personne interposée et susceptible de concurrencer l'activité de la société Beauty Sales Force ou Beauty tech (...) ».
De la syntaxe approximative de cette phrase, qui doit s'interpréter en faveur de Mme [F], il se déduit qu'elle fait interdiction à cette dernière, notamment, de démarcher ou de traiter avec la clientèle déjà attachée à la société au moment de son embauche ou à celle qui a été acquise après six mois de présence et d'engager ou de faire engager des membres du personnel de la société à son service ou au service d'une entreprise à laquelle elle participerait directement indirectement ou par personne interposée et susceptible de concurrencer son activité, et non pas d'être embauchée par une société concurrente.
Par conséquent, le seul fait pour Mme [F] d'avoir été embauchée par la société Artdéco cosmetic France dont l'activité est le commerce de produits de beauté ne suffit pas à constituer une violation de la clause de non-concurrence.
L'employeur ne justifie pas de l'existence d'actes de concurrence directe ou indirecte concernant la clientèle de la société au moment de l'embauche ou acquise après six mois de présence et dans un rayon de 150 km autour de son secteur géographique qui était les départements des Ardennes, de la Marne, de l'Aisne, de la Meuse et de l'Oise.
C'est donc à bon droit que Mme [F] sollicite le versement de la somme, non spécifiquement contestée, de 45 988,48 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et 4 598,85 euros au titre des congés payés y afférents.
4/ Sur les demandes accessoires :
Les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau d'orientation et de conciliation du conseil de prud'hommes et les sommes de nature indemnitaire à compter de la décision qui les prononce.
La capitalisation des intérêts dus pour une année entière sera ordonnée conformément à la demande.
La société devra remettre à la salariée les documents de fin de contrat conformes à la présente décision sans que la nécessité d'assortir cette obligation d'une astreinte soit justifiée.
Perdant le procès en appel pour l'essentiel, elle sera condamnée à verser Mme [F] la somme précisée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a rejeté les demandes concernant le rappel d'heures supplémentaires et congés payés y afférents, de rappel au titre des temps de trajet domicile-travail et les congés payés y afférents, de dommages et intérêts pour non-paiement du salaire intégral et de rappel de commissions,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Requalifie la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Beauty tech à payer à Mme [R] [F] les sommes de :
- 17 245,68 euros à titre de dommages intérêts pour travail dissimulé,
- 2 238,75 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 7 862, 91 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 786,29 euros au titre des congés payés y afférents,
- 7 870 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 45 988,48 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et 4 598,85 euros au titre des congés payés y afférents,
Dit que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les sommes de nature indemnitaire à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
Ordonne à la société Beauty tech de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée, depuis son licenciement dans la limite de six mois d'indemnité,
Ordonne à la société Beauty tech de remettre à Mme [F] les documents de fin de contrat conformes à la présente décision,
Rejette la demande d'astreinte,
Condamne la société Beauty tech à payer à Mme [R] [F] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.