ARRÊT N°
DU
12 Avril 2023
------------
N° RG 18/05108 -
N° Portalis DBV4-V-B7C-HEZR
------------
COMMUNAUTE D AGGLOMERATION [Localité 11] METROPOLE
C/
[C] [M], SCI DU CENTRE D'EQUIPEMENT DU PIGEONNIER 'CEP' représentée par son liquidateur Me [S], DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SOMME
--------------
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS
JUGEMENT DU JUGE DES EXPROPRIATIONS DU DÉPARTEMENT DE LA SOMME EN DATE DU 19 octobre 2018
APPELANT :
COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION
AMIENS METROPOLE
[Adresse 12]
[Localité 11]
Représentant : Me Juliette DELGORGUE, avocat au barreau de LILLE
INTIME :
Monsieur [C] [M]
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Gilbert MATHIEU, avocat au barreau d'AMIENS
SCI DU CENTRE D'EQUIPEMENT DU PIGEONNIER 'CEP' représentée par son liquidateur Me [S], présent,
[Adresse 5]
[Localité 11]
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SOMME
pôle gestion publique - service des évaluations
[Adresse 3]
[Localité 11]
non comparant ni représenté
DÉBATS : A l'audience publique de la Chambre des Expropriations tenue à la Cour d'Appel d'AMIENS le 8 Février 2023, ont été entendus :
Monsieur [U], en son rapport,
Me [A] [O], Me [V] [D] et Maître [S], représentant les parties en leurs explications à l'appui de leurs mémoires respectifs régulièrement notifiés,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur BRILLET, Président de la Chambre des Expropriations,
Monsieur ADRIAN et Madame SEGOND, Conseillers à la Cour, désignés par ordonnance de Madame la Première Présidente en date du 16 décembre 2022,
Qui en a délibéré conformément à la loi et renvoyé l'affaire à l'audience du 12 Avril 2023 pour prononcer arrêt et indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu par mise à disposition de la copie au Greffe.
Madame PILVOIX, Greffier.
ARRÊT
FAITS ET PROCÉDURE
Pour les besoins de la réalisation d'un projet de re-qualification urbaine et commerciale, déclaré d'utilité publique par arrêté du 6 mars 2017 modifié le 10 août 2017, la communauté d'agglomération d'[Localité 11]- [Localité 11] métropole (l'expropriante) a engagé une procédure d'expropriation de l'ensemble immobilier constituant le centre commercial du Colvert à Amiens, appartenant à la SCI du centre d'équipement du pigeonnier (la SCI) et placé sous le régime de la loi n 65-557 du 10 juillet 1965, [C] [M] étant titulaire de parts de la SCI, en vertu desquelles il bénéficie de l'exploitation du lot n 38, représentant 3297/92136 millièmes de copropriété, situés sur les parcelles cadastrées CK n [Cadastre 10] et CL n [Cadastre 2].
Ce lot a été déclaré exproprié par ordonnance du 28 septembre 2017, l'offre d'acquisition étant notifiée à M. [S] en sa qualité de mandataire liquidateur de la SCI et à M. [M].
Faute d'accord sur l'indemnisation, l'expropriante a saisi le juge de l'expropriation de la Somme.
Par jugement du 19 octobre 2018, celui-ci a fixé l'indemnité à la somme de 93 858 euros se décomposant comme suit :
- 65 880 euros au titre de l'indemnité principale pour les parties privatives,
- 5 390 euros au titre d'indemnité accessoire pour la quote-part des parties communes,
- 7 588 euros au titre d'indemnité de remploi,
- 15 000 euros au titre de l'indemnité de perte de loyers.
Le jugement n'a pas été signifié.
Par déclaration adressée au greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postée le 21 décembre, l'expropriante a fait appel.
Par déclaration électronique du 26 février 2019, M. [M] a fait appel incident.
Par un arrêt mixte du 9 janvier 2020, la cour d'appel d'Amiens a :
- confirmé le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité principale pour les parties privatives à la somme de 65 880 euros, l'indemnité de remploi à la somme de 7.588 euros et l'indemnité pour perte de loyers sur un an à la somme de 15 000 euros,
- sursis à statuer tant sur le principe de l'indemnisation des parties communes que le quantum de la réparation et avant-dire droit de ce chef :
- ordonné une expertise aux fins de rechercher en tenant compte de la nature des activités du centre commercial, de sa situation et de l'état des locaux, la valeur des parties communes à la date du 19 octobre 2018,
- réservé les dépens.
Par ordonnance en date du 14 avril 2021, M. [X] [B] a été désigné en remplacement de Mme [R]. L'expert a établi un rapport en date du 4 mai 2022.
Le 28 novembre 2022, l'expropriante a remis au greffe ses conclusions et pièces, qui ont été notifiées le lendemain aux parties, par lettres recommandées avec demande d'avis de réception, régulièrement reçues par leurs destinataires ou par personnes habilitées.
M. [M] a déposé ses conclusions au greffe le 19 janvier 2023, notifiées le lendemain aux parties, par lettres recommandées avec demande d'avis de réception.
M. [S], ès qualités de liquidateur amiable de la SCI, a remis au greffe le 23 janvier 2023 une lettre, notifiée le 24 janvier suivant aux parties, par lettres recommandées avec demande d'avis de réception.
Le commissaire du gouvernement n'a pas conclu en suite du dépôt du rapport d'expertise.
Les parties ont été régulièrement convoquées le 13 septembre 2022 à l'audience du 8 février 2023.
A l'audience du 8 février 2023, seuls la Communauté d'agglomération d'[Localité 11] métropole, représentée par son conseil, M. [M], représenté par son conseil, et M. [S], ès qualités de liquidateur amiable de la SCI, ont comparu et ont soutenu leurs écritures respectives.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions, l'expropriante demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a alloué dans le cadre « de l'expropriation du local lot de copropriété numéro 38 du Centre Commercial du Colvert, situé sur les parcelles cadastrées CK n [Cadastre 10] de 5 239 m² et CL n [Cadastre 2] d'une superficie de 2 767 m² situées [Adresse 6], une indemnité accessoire pour la quote-part des parties communes à hauteur de 5 390 euros.
- condamner la SCI et M. [M] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A cette fin, en substance, elle soutient que la jurisprudence considère de manière constante que dans le cadre d''une emprise totale sur une copropriété, l'autorité expropriante devient propriétaire de la totalité de l'immeuble et que le terrain nu compris dans les parties communes n'a pas de valeur intrinsèque, même s'il s'agit d'un espace utilisable comme parking, et ne fait donc pas l'objet d'une indemnisation distincte. Il ne peut pas être prévu une indemnité distincte pour les parties privatives et les parties communes, puisque celles-ci sont indissociables et ne peuvent être évaluées séparément. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de valorisation distincte des parties communes et le jugement doit donc être donc censuré pour y avoir procédé. Subsidiairement, il conteste la méthode et les conclusions du rapport d'expertise ayant retenu une valeur unitaire fixée à
55 euros/m².
Aux termes de ses conclusions, M. [M] demande à la cour de :
- dire l'expropriante mal fondée en son appel,
- faire droit à sa demande,
- réformer le jugement en ce qu'il a alloué une indemnité d'expropriation de 5 390 euros pour l'expropriation de la quote-part des parties communes lui incombant,
- fixer l'indemnité complémentaire que l'expropriante devra verser à la SCI pour l'expropriation des parties communes représentant une surface de 3 713 m² situées sur les parcelles cadastrées CK n [Cadastre 10] et CL n [Cadastre 2] situées [Adresse 6] et [Adresse 4] rattachées au local numéro n 38 du Centre commercial du Colvert à la somme de 35 825 euros augmentée de l'indemnité de remploi et accessoire de 5 082 euros dont il a vocation à percevoir de la SCI à charge pour le liquidateur de la SCI de lui reverser ladite somme,
- dire que les frais d'expertises sont à la charge de l'expropriant,
- condamner en tout état de cause l'expropriante à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- le condamner en outre aux dépens et aux frais d'expertise.
Il fait valoir que l'expropriante se fourvoie à raison d'un postulat erroné issu d'une appréciation de la situation juridique elle-même erronée et d'un « bidouillage » articulé par méconnaissance des statuts de la SCI et des règles applicables en matière d'attribution des lots dans le cadre d'une SCI d'attribution, et aussi le choix de générer autant d'ordonnance d'expropriation qu'il y a de parts sociales donnant lieu à attribution de lots en cas de retrait d'associé ou de liquidation partage de la société. Il soutient que la jurisprudence invoquée par l'expropriante est inapplicable dans le cas d'espèce, la SCI étant seule propriétaire de l'ensemble des parcelles dont celles constituant l'assiette des parties communes correspondant à une surface de 3 713 m² n'ayant pas été inclue ni dans l'arrêté de cessibilité ni dans l'ordonnance d'expropriation. La SCI étant propriétaire de l'ensemble des biens et droits édifiés sur les parcelles CK [Cadastre 10] et CL [Cadastre 2] d'une surface globale de 8 006 m², la référence à des lots et des millièmes est donc totalement inappropriée, n'étant pas en présence d'une copropriété. Ce qui est considéré comme des millièmes par l'expropriante n est en réalité que la quote-part des droits détenus par chaque associé au sein de la SCI, déterminée en fonction du nombre de parts sociales lui appartenant, soit dans, en ce qui le concerne, 3 297 parts sociales sur les 91 236 formant le capital social. Il ajoute que l'arrêté de cessibilité et l'ordonnance d'expropriation visent expressément les parties bâties dites privatives composées exclusivement des cellules commerciales attribuables aux détenteurs de parts sociales à l'exclusion donc des parties non bâties. Il prétend que s agissant d'un projet global de restructuration se traduisant par la démolition des locaux actuels et l'édification sur les deux parcelles d'un ensemble immobilier comportant des locaux commerciaux et des parties collectives dites communes, la SCI et les porteurs de parts sont donc fondés à voir étendre à l'ensemble des biens et droits appartenant à la SCI, l'expropriation et se voir en conséquence indemnisés de la totalité des biens bâtis et non-bâtis, dont les parties qualifiées de communes et constituées par le terrain nu non visé ni par l'arrêté de cessibilité ni par l'ordonnance d'expropriation.
Il critique le jugement en ce qu'il a fixé à 40 euros/m² la valeur du terrain à bâtir, sur la base d'une vente intervenue le 21 décembre 2018, soit postérieurement au jugement dont appel, donc en contravention avec l'article L 13-15 I al 1 du code d'expropriation. Il fait sien le rapport d'expertise judiciaire, sauf en ce qui concerne la décote proposée. Il sollicite que la cour retienne la valeur de 267 euros/m², soit une indemnité principale de 991 371 € pour la surface concernée (3 713 m²), soit donc une somme de 35 825 euros devant lui revenir compte tenu de ses droits dans la SCI. Il y ajoute une somme de 5 082 euros au titre de l'indemnité de remploi prévu par l'article R. 13-46 du code de l'expropriation.
M. [S], ès qualités, demande à la cour de fixer l'indemnité sur la base de 267,45 euros du m² pour 3 713 m² sans aucune décote. Il sollicite que l'indemnité lui soit remise à charge de la redistribuer aux associés de la SCI.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties reprises à l'audience s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
MOTIFS
1. Sur le cadre de l'opération d'expropriation
La procédure administrative puis judiciaire a été menée depuis l'origine comme en matière d'expropriation d'un immeuble soumis au statut de la copropriété.
1.1 Selon un arrêté préfectoral du 16 août 2017, dont aucune partie ne conteste le caractère définitif, la déclaration de cessibilité au profit de la Communauté d'agglomération d'[Localité 11] métropole porte sur des immeubles (parcelles et lots de copropriété) désignés dans un état parcellaire et deux plans annexés.
Cet état parcellaire liste ainsi un ensemble d'immeubles cadastrés CK [Cadastre 7] (nature de sol ' contenance 0ha 00a 58ca ' indivision [I] propriétaire), CK [Cadastre 9] (nature de sol ' contenance 0ha 04a 71ca ' SCI Arkmin propriétaire), CK [Cadastre 10] (0ha 52a 39ca) et CL [Cadastre 2] (0ha 27a 67ca).
Les assiettes foncières de ces parcelles sont donc bien expropriées.
S'agissant des deux dernières, l'état parcellaire joint à l'arrêté de cessibilité désigne des « fractions d'immeubles dans une copropriété » avec « numéro du lot », « quote-part dans la propriété du sol afférente au lot » et indication du-es propriétaire-s et du-es « porteurs de parts sociales ».
C'est ainsi qu'il vise, parmi d'autres, le lot n 38, avec pour quote-part dans la propriété du sol afférente au lot 3297/91236 èmes et indication comme propriétaire la SCI puis, en qualité de titulaire de parts sociales, M. [M].
Le propre titre de propriété de M. [M] indique au demeurant que les biens sociaux immobiliers concernés sont un local commercial formant le lot numéro 38 et les 3 297/91 236èmes de toutes les parties communes de l'ensemble immobilier.
1.2 Il a été engagé devant le juge de l'expropriation autant d'instances que de lots pour lesquels il n'y a pas eu d'accord sur le montant de l'indemnisation entre l'expropriante et les « propriétaires » mentionnés, l'ensemble en conformité dans cette hypothèse avec les articles 16-2 de la loi n 65'557 du 10 juillet 1965 et L. 221-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
1.3 L'ordonnance d'expropriation en date du 28 septembre 2017, dont aucune partie ne conteste davantage le caractère définitif, désigne comme suit « les immeubles, portions d'immeubles et droits réels » expropriés :
« Sur le terrain de la commune d'[Localité 11]:
- sol situé [Adresse 6] cadastré section CK n [Cadastre 10] pour une superficie de 0ha 52a 39ca
- sol situé [Adresse 4] et [Adresse 6] cadastré section CL n [Cadastre 2] pour une superficie de 0ha 27a 67ca
Lot de copropriété n 38 Local commercial pour 3297/91236 millièmes ».
Soit exactement la reprise de l'arrêté de cessibilité s'agissant de ce « lot », l'ensemble en conformité avec les mentions portées sur l'état parcellaire que le juge de l'expropriation n'a pas le pouvoir de modifier.
L'ordonnance rappelle d'ailleurs que la déclaration d'utilité publique du 6 mars 2017 a été modifiée par arrêté préfectoral du 10 août suivant, lequel a prévu le retrait des emprises expropriées de la propriété initiale dans les immeubles soumis à la loi numéro 65'557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
1.4 La contestation développée par M. [M] pour critiquer le cadre juridique précité de la procédure d'expropriation, fondée sur l'inexistence de toute copropriété et de mise en place d'un syndicat de copropriété au motif que la SCI est en réalité restée seule propriétaire des parcelles, est largement dépassée.
En effet, la présente cour, dans son précédent arrêt du 9 janvier 2020, lequel n'a fait l'objet d'aucun pourvoi en cassation, a définitivement consacré ce cadre en confirmant l'indemnité principale pour les parties privatives telle que fixée par le premier juge (65 880 euros outre l'indemnité de remploi et d'indemnités de perte de loyer) et a sursis à statuer sur le principe et le quantum de l'indemnisation des parties communes.
2. Sur la demande d'indemnisation au titre des parties communes.
Tant l'arrêté préfectoral de cessibilité que l'ordonnance d'expropriation ont, s'agissant de la procédure concernant le lot de copropriété n 38, cantonné celle-ci, s'agissant des parties communes, à la seule portion correspondant aux 3 297/91 236èmes.
Il n'est donc pas justifié de faire droit aux demandes des intimés tendant à étendre l'indemnisation à la totalité des parties communes.
2.1 Le principe d'une indemnisation de la valeur des parties communes distincte de l'indemnisation du lot privatif est contesté par l'expropriant, rejoint sur cette question par le commissaire du gouvernement.
2.2 En application des articles 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 545 du code civil et L321-1 du code de l'expropriation, il importe à la cour de s 'assurer que, au-delà de la méthode employée, les indemnités allouées indemnisent l'exproprié de l'intégralité de son préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
Il ne s'agit pas en l'espèce d'accorder une indemnité spécifique à des parties communes non dissociables des parties privées ne disposant pas d'une valeur propre. Au contraire, il s'agit d'indemniser la part de parties communes correspondant à l'assiette non bâtie des parcelles visées par l'arrêté de cessibilité et l'ordonnance d'expropriation, soit une surface non négligeable de 3 713 m². Cette assiette est parfaitement dissociable des locaux commerciaux constituant les parties privatives. Elle est par ailleurs constructible à la date de référence, même d'une façon limitée.
Ce sol commun non bâti renferme donc un potentiel de constructibilité justifiant une indemnisation. L'expropriante échoue à convaincre la cour qu'elle ne doit pas être prise en compte.
Par ailleurs, cette dernière n'établit pas comme elle le prétend que les termes privilégiés de comparaison, constitués selon elle des traités d'adhésion régularisés pour d'autres lots du centre commercial du Colvert, laissent ressortir une valeur unitaire englobant, pour chacun des lots, les parties communes et privatives.
Ainsi, aux termes des traités d'adhésion datés du 27 mars 2018 produits concernant huit cessions au profit d'Amiens Métropole par la SCI Boucault, la SCI Ami, les consorts [N] et [F], les consorts [P] et [W], la SCI Karama, les consorts [J] et [E], la SCI de la Rabouillère et les consorts [Z], la désignation des biens telle qu elle ressort des ordonnances d'expropriation est rappelée. Une indemnité principale correspondant à la valeur vénale des biens a été proposée et acceptée. Cette indemnité est calculée sur la base de la surface mesurée par M. [H], géomètre expert, puis pondérée en fonction de son utilité commerciale. Le métrage effectué par M. [H] pour chaque lot concerne exclusivement les parties privatives, à l'exclusion de toute référence aux parties communes.
Par ailleurs, il ressort clairement du détail de son offre, telle que présentée et justifiée notamment dans son mémoire afin de fixation de l'indemnité d'expropriation, qu'elle n'inclut en rien, directement ou indirectement, les parties communes, en tout cas les parties non bâties.
Ainsi, il est indiqué :
« L'estimation des immeubles prenants en compte le préjudice direct, matériel et certain, est établi en fonction de 3 critères :
'la consistance physique des biens (leur nature)
'la consistance juridique des biens (document d'urbanisme)
'la date de référence applicable en matière d'expropriation.
En conséquence, l'évaluation des immeubles est établie en fonction de leur situation à la date de référence, et tient compte de leur consistance physique et juridique décrite au II du présent mémoire valant offre ».
Le point II du mémoire « désignation des parcelles et des emprises à acquérir » se borne à mentionner la désignation cadastrale, sur les parcelles CK [Cadastre 10] et CL [Cadastre 2], mentionner le numéro de lot de copropriété (38) avec indication des millièmes de copropriété, et à intégrer deux plans, celui de l'assiette foncière de la copropriété et parcelle expropriée et celui de la cellule commerciale expropriée en précisant : « le bien à exproprier est une cellule commerciale à usage de café sise au sein d'une copropriété. Son métrage, détaillant la surface du local en fonction de l'affectation des espaces qui le composent, a été réalisé par le cabinet de géomètre expert [H] en janvier 2016. Il est inséré en annexe du mémoire ».
Ce métrage ne vise que des locaux au sous-sol et au rez-de-chaussée (surface de vente, sous-sol aménagé, réserves, sanitaires, labo et chambre froide, circulations) pour une surface de 131,60 m² (que l'expropriant, dans son mémoire, a proposé de pondérer à 117 m²).
A aucun moment ces traités d'adhésion, le mémoire précité ou l'avis du domaine sur la valeur vénale du 8 août 2017 annexé n'exposent en quoi les parties communes non bâties d'une surface de 3 713 m² influencent la valeur vénale au m² retenue (en l'espèce 540 euros pour le lot n 38), fut-ce pour les seuls millièmes attachés à ce lot. Ni la surface, ni la nature, ni l'affectation (parking, circulation) de ces parties communes non bâties ne sont évoquées.
Il en est de même du mémoire du Commissaire du gouvernement.
2.3 Ce dernier avance pour sa part deux arguments non décisifs pour rejeter la demande d'indemnisation.
Le premier tient au fait que l'expropriation des parties communes d'un ensemble en copropriété ouvre droit à indemnisation au profit du syndicat des propriétaires, lequel est seul habilité à présenter une demande d'indemnité. Toutefois, en l'espèce, et comme il l'indique lui-même dans son mémoire, il n'existe aucun syndicat des copropriétaires. Celui-ci n'a concrètement pas été mis en place puisque la SCI est restée seule propriétaire.
Le second tient au fait que, s'agissant d'un immeuble en copropriété, il ne serait possible d'évaluer distinctement le terrain et les constructions que si la partie non bâtie du terrain était constructible à la date de référence au regard des règles d'urbanisme applicables.
Cependant, en l'espèce, il n'est pas contesté que les parcelles étaient classées en zone UR du PLU de la ville d'[Localité 11] à la date de référence. La constructibilité est certes limitée, ce qui influe négativement sur la valeur, mais n'est pas exclue. Le rapport d'expertise judiciaire synthétise les occupations et utilisations du sol autorisées (page 43-44)
2.4 Il résulte de tout ce qui précède que, sauf à ne pas satisfaire les dispositions de l'article L321-1 du code de l'expropriation et consacrer un enrichissement sans cause au profit de l'expropriante, c'est à juste titre que le premier juge a retenu qu'une indemnité spécifique devait être prévue et qu'elle devait correspondre à 3 297/91 236 de la valeur de la surface concernée (3 713 m²).
Au demeurant, s'il avait existé un syndicat de copropriété, l'action aurait été menée contre ce dernier s'agissant des parties communes, mais, en application l'article 16'1 de la loi du 10 juillet 1965, les sommes représentant leur prix se seraient in fine divisées de plein droit entre les copropriétaires dans les lots desquels figurent ces parties communes, ce proportionnellement à la quotité de ses parties afférentes à chaque lot. Maître [S] ès qualités aurait donc eu vocation à la même indemnisation finale.
2.5 En l'état des pièces versées au débat, la SCI est bien seule propriétaire des biens immobiliers précités.
Ainsi que les motifs du précédent arrêt de cette cour l'ont d'ailleurs déjà indiqué, maître [S] est fondé à demander que l'indemnité à fixer s'agissant des parties communes lui soit remise ès qualité de liquidateur de la SCI, propriétaire du lot n 38, à charge de la redistribuer par ses soins aux associés.
3. Selon les articles L322-1 et L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance d'après leur consistance à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété.
3.1 Mettant en 'uvre une évaluation par comparaison à partir de quatre ventes de terrains à bâtir dans le même secteur intervenues les 8 février 2017, 4 mai 2017, 20 avril 2018 et 18 juillet 2018, l'expert judiciaire retient un prix au mètre carré de référence de 267,47 euros sur lequel, compte tenu des caractéristiques physiques (configuration, surface foncière, accessibilité, environnement) et juridiques du bien exproprié (règlement de copropriété, état descriptif de division, parties communes, plan local d'urbanisme, zone UR), il propose une décote de 80 %, soit une estimation finale de 55 euros le mètre carré.
La décote proposée par l'expert est contestée de toute part, quoique différemment.
Maître [S] ès qualités et M. [M] contestent cette décote de 80 %, soutenant qu'aucun des postes de celle-ci mis en avant ne sont pertinents.
L'expropriante prétend pour sa part que la somme de 55 euros au m² est au contraire excessive, contestant les ventes prises en compte par l'expert judiciaire pour des motifs tenant à la localisation des biens en cause et à la différence de classement au PLU des parcelles concernées.
3.2 Faute d'éléments de comparaison en tous points utiles identiques, l'expert a pris en compte des ventes antérieures au jugement dont appel relatives à des parcelles non bâties situées dans la zone nord d'[Localité 11] à une distance inférieure à 1,5 km des parcelles expropriées.
L'application d'une décote est très largement justifiée en lien notamment, parmi les éléments pris en compte par l'expert, avec le classement des parcelles expropriées en zone UR du PLU. La constructibilité est largement réduite, ce qui influence notablement à la baisse leur valeur vénale.
L'influence d'un tel classement est notamment confirmée par les deux ventes proposées à titre de comparaison par l'expropriante. L'une, postérieure au jugement comme étant intervenue les 20 et 21 décembre 2018, présente cependant les mêmes caractéristiques que celle ayant servi de fondement à la décision du premier juge (1 258 m² classée en UR pour 50 320 euros, soit 40 euros/m²). La seconde, en date du 25 juin 2018, porte sur des parcelles de terrain non bâti, également classée en UR, [Adresse 13], pour une valeur unitaire de 15 euros/m².
L'expert judiciaire écarte néanmoins à juste titre ces deux ventes. Celles-ci sont intervenues entre la commune d'[Localité 11] et un établissement public (l'OPHLM vendeur pour celle du 25 juin 2018 et l'établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux acheteur pour celle des 20 et 21 décembre 2018). La condition d'un marché de libre concurrence entre les acheteurs, sans réserves, avec une publicité suffisante n'est pas réalisée. Les valeurs de ses ventes ne reflètent pas utilement la valeur du marché.
La décote proposée d'une manière argumentée et convaincante par l'expert dans son rapport d'expertise mérite d'être consacrée, ce qui conduit la cour à retenir la valeur de 55 euros du mètre carré proposé par ce dernier.
Il n'y a pas lieu de prévoir une indemnité de remploi supplémentaire en lien avec la quote part de parties communes.
L'indemnité accessoire pour la quote-part des parties communes doit donc être élevée à la somme de 7380 euros (3 713 x 55 x 3 297 / 91 236).
Le jugement est infirmé en ce sens.
4. Le jugement mérite confirmation en ce qui concerne les dépens.
La déclaration d'appel de l'expropriante ne conteste par le jugement en ce qui concerne sa condamnation au titre des frais irrépétibles.
L'expropriante, qui succombe en son appel, est condamnée aux dépens de la présente instance comprenant les frais d'expertise conformément à l'article 695-4 du code de procédure civile.
Elle est par ailleurs condamnée à payer à M. [M] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, après débats publics, en dernier ressort,
Vu l'arrêt en date du 9 janvier 2020,
Statuant dans la limite du litige restant à juger,
Infirme le jugement, sauf en ce qui concerne les dépens de première instance,
Fixe l'indemnité que la Communauté d'agglomération d'[Localité 11] dénommée [Localité 11] Métropole doit verser à la SCI du centre d'équipement du pigeonnier, représentée par son liquidateur amiable, maître [S], la quote-part des parties communes à la somme de 7 380 euros,
Condamne la Communauté d'agglomération d'[Localité 11] dénommée [Localité 11] Métropole à payer à M. [C] [M] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne la Communauté d'agglomération d'[Localité 11] dénommée [Localité 11] Métropole aux dépens de l'instance d'appel.
A l'audience du 12 Avril 2023 l'arrêt a été rendu par mise à disposition au Greffe et la minute a été signée par Monsieur BRILLET, Président, et Madame PILVOIX, Greffier.
Le Greffier, Le Président,