ARRET
N° 396
[4]
C/
CPAM DE LA SOMME
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 11 AVRIL 2023
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N° RG 19/06410 - N° Portalis DBV4-V-B7D-HOYO - N° registre 1ère instance : 18/98
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AMIENS (Pôle Social) DE EN DATE DU 22 juillet 2019
ARRÊT DE LA 2IÈME CHAMBRE DE LA PROTECTION SOCIALE DE LA COUR D'APPEL D'AMIENS EN DATE DU 15 mars 2022
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
La société [4] (anciennement dénommée [5]), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
( salarié : M. [P] [I])
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me Nicolas BERETTI, avocat au barreau de PARIS substituant Me Gabriel RIGAL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1406
ET :
INTIME
La CPAM DE LA SOMME, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Mme Stéphanie PELMARD dûment mandatée
DEBATS :
A l'audience publique du 19 Janvier 2023 devant Mme Graziella HAUDUIN, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 Avril 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Blanche THARAUD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Graziella HAUDUIN en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Elisabeth WABLE, Président de chambre,
Mme Graziella HAUDUIN, Président,
et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 11 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Graziella HAUDUIN, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Vu le jugement en date du 22 juillet 2019 par lequel le pôle social du tribunal de grande instance d'Amiens, saisi d'une contestation de la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie déclarée par M. [P] [I] le 8 novembre 2016 (syndrome anxiodépressif), a notamment statué comme suit :
- déclaré irrecevable la demande de la SASU [5] relative à la contestation du taux d'incapacité permanente prévisible retenu par le médecin-conseil de la CPAM de la Somme ;
- rejeté en conséquence les demandes d'expertise médicale judiciaire et d'inopposabilité tirée de la violation des dispositions de l'article R. 143-8 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret n° 2003-614 du 3 juillet 2003 ;
- déclaré irrecevable la demande de la SASU [5] relative à la contestation du caractère contradictoire et des délais de l'instruction diligentée par la CPAM de la Somme ;
- déclaré irrecevable la demande de la SASU [5] relative à la contestation de la régularité de l'avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Tourcoing-Hauts-de-France ;
- dit que l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 7]-[Localité 6] est nul ;
- ordonné la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles d'Île-de-France afin qu'il donne son avis sur l'existence d'un lien entre la pathologie déclarée et l'exposition professionnelle de M. [P] [I] ;
- réservé les demandes respectives d'opposabilité et d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de M. [P] [I] ;
- réservé la demande d'indemnisation formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- réservé les dépens.
Vu l'arrêt en date du 15 mars 2022 par lequel la cour de céans, saisie de l'appel interjeté par la société [5] le 25 juillet 2019 de ce jugement, l'a réformé en ses dispositions déclarant irrecevable la contestation par le société [5] du taux d'incapacité de 25 % retenu concernant M. [P] [I] et déclaré cette contestation recevable ;
Et, avant dire droit sur la contestation de la société relative au taux d'incapacité permanente prévisible et à la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [P] [I], a notamment :
- ordonné en application de l'article R.142-16 du code de la sécurité sociale une mesure de consultation sur pièces,
- commis à cet effet Mme [D] [A], médecin, pour donner son avis sur ce taux d'incapacité permanente partielle prévisible à la date à laquelle le praticien-conseil s'est prononcé et d'adresser au greffe de la cour son rapport contenant cet avis dans le délai de quatre mois à compter de la réception du présent arrêt,
- dit que la cause sera à nouveau évoquée à l'audience du 18 octobre 2022,
- réservé les dépens et les frais non répétibles.
Vu le rapport déposé le 5 août 2022 par Mme [A], médecin consultant.
Vu le renvoi au 19 janvier 2023 accordé à l'audience du 18 octobre 2022 à la demande des parties.
Vu les conclusions n°4 visées par le greffe le 18 octobre 2022 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société [4] (anciennement dénommée [5]) demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,
A titre liminaire :
- recevoir le recours de la société en ses fins et prétentions,
- homologuer le rapport d'expertise du docteur [A] le 5 août 2022 et en tirer toutes les conséquences,
A titre principal :
- juger que la CPAM ne justifie pas d'un taux d'IPP d'au moins 25% par M. [I] le 19 janvier 2017,
- juger que la CPAM ne justifie pas du lien de causalité direct et essentiel entre l'activité professionnelle et la pathologie déclarée par M. [I],
- en conséquence, déclarer inopposable à la société la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la pathologie du 27 octobre 2016 déclarée par M. [I];
Vu les conclusions visées par le greffe le 19 janvier 2023 et soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la CPAM de la Somme demande à la cour de :
- débouter la société [5] de ses demandes,
- écarter les conclusions du docteur [A] en ce qu'elles se fondent sur une appréciation erronée du taux d'IPP,
- dire que la caisse démontre le bien-fondé du taux d'IP prévisible justifiant la transmission de M. [I] au CRRMP,
- dire que les avis des CRRMP établissent le lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et l'activité professionnelle,
en conséquence, dire que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle est opposable à l'employeur,
Si la cour acceptait d'user de son pouvoir d'évocation afin que le litige puisse être jugé au fond :
- dire que la condition de prise en charge de la pathologie, c'est à dire l'existence d'un lien direct et essentiel entre cette pathologie et l'activité professionnelle de l'assuré, est caractérisée par trois CRRMP,
- confirmer la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [I],
- dire qu'elle est opposable à l'employeur,
- dans tous les cas, condamner la société [5] à payer à la caisse la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens incluant les frais de la consultation du docteur [A].
SUR CE, LA COUR :
1. Mme [A], médecin consultant désignée par la cour, a conclu comme suit :
« Il n'est produit par la société [5] et par la CPAM de la Somme aucun document médical qui permettrait d'apprécier l'état de M. [I].
On sait seulement qu'il est en arrêt de travail continu depuis octobre 2016, qu'il est suivi par un psychiatre mensuellement ainsi que par un psychologue et qu'il prend un traitement antidépresseur hypnotique (non précisé).
L'avis du médecin conseil ne mentionne pas de critères de gravité : il est noté un sommeil difficile avec des ruminations, des pleurs épisodiques, une tristesse, une apathie et une adynamie. Il n'est pas mentionné de tentative d'autolyse.
Par référence au guide barème d'invalidité (4.4.2) le taux accordé est dans le cas d'états dépressifs chroniques avec asthénie persistante de 10 à 20% et de 50 à 100% dans le cas d'une grande dépression mélancolique et anxiété pantophobique. De la description des symptômes qui est faite par le médecin conseil M. [I] correspond au premier cas et le taux d'IPP n'est donc pas supérieur à 20%. Il est de ce fait inférieur à 25%. »
Les éléments sur lesquels se fonde la CPAM pour justifier que le taux d'IPP prévisible est au moins égal à 25% sont :
-le colloque médico administratif du 19 janvier 2017 dans lequel il est uniquement mentionné que le taux d'IPP prévisible est égal ou supérieur à 25% en sorte que le dossier de M. [I] est orienté vers le CRRMP en application de l'alinéa 4 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale alors applicable,
- l'attestation du service médical, Mme. [J], médecin-conseil, datée du 12 mars 2019, dont l'avis est rédigé comme suit : « la pathologie : syndrome dépressif d'intensité sévère nécessitant des soins et un arrêt de travail qui justifie un taux d'IPP supérieur à 25% selon le barème indicatif chapitre 4.2.1.1 : névrose post-traumatique.»,
- l'attestation du service médical, Mme. [J], médecin-conseil, datée du 15 mars 2019, dont l'avis est rédigé comme suit : « la date de première constatation médicale est bien située à la date du 12 janvier 2015. Elle correspond à l'arrêt de travail prescrit au titre maladie pour la même pathologie que celle figurant sur le CMI de la MP. »
- l'argumentaire en réponse du médecin conseil, Mme [H], aux observations du médecin conseil de la société employeur, M. [O] et au compte rendu de M. [C], médecin consultant désigné par le tribunal de grande instance, d'où il ressort qu'elle a personnellement examiné M. [I] le 8 décembre 2016, soit à une date proche de la déclaration de maladie (26 octobre 2016), que l'intéressé est en arrêt de travail depuis 2015 pour la même pathologie, que son examen a permis d'objectiver des signes cliniques patents du syndrome dépressif ( visage figé, apathique, troubles du sommeil, ruminations, pleurs, grande tristesse, perte de poids, suivi par un psychiatre une fois toutes les trois semaines et par un psychologue du travail une fois par mois, prise d'un traitement médicamenteux qualifié de lourd et composé d'antidépresseurs et d'anxiolytiques), que l'état est corroboré par les suites de la prise en charge assurée par le docteur [R], psychiatre, qui a prolongé l'arrêt de travail du 14 février au 30 septembre 2017 pour « troubles présentant un caractère de gravité nécessitant des soins spécifiques, une éviction professionnelle et une prise en charge spécialisée».
La société s'appuie quant à elle sur les avis du 15 mars 2019 et complémentaire du 15 mai 2019 de M. [O], son médecin conseil, qui critiquent en substance la fiabilité des éléments figurant sur le colloque, les avis des médecins conseil et l'argumentaire de Mme [H], précités, s'agissant de la citation du barème indicatif ou leur absence de contemporanéité avec la décision de prise en charge.
En l'espèce, l'argumentaire de Mme [H], médecin conseil de la caisse, s'il est effectivement daté du 22 mai 2019, se réfère d'une part pour sa majorité à ses constatations du 8 décembre 2016, donc antérieures à la décision de prise en charge survenue le 23 mai 2017.
Il convient de constater que le médecin consultant désigné par la cour s'est prononcé à défaut d'éléments produits par les parties, et a apprécié la situation en application du barème indicatif d'invalidité (4.4.2) , soit le paragraphe relatif aux troubles psychiques chroniques- états dépressifs d'intensité variable de 10 à 20% quand ils sont associés à une asthénie persistante, ou à l'opposé de 50 à 100%, quand ils sont avec une grande dépression mélancolique, une anxiété pantophobique.
Au vu de l'ensemble des éléments précédents qui font apparaître une dégradation de la santé de M. [I] d'une gravité suffisante, la fixation par le médecin conseil d'un taux d'incapacité prévisible de 25% ne peut être tenue pour erronée, étant rappelé que, comme le fait valoir à bon droit la caisse, le barème utilisé n'est qu'indicatif.
Il doit en conséquence être retenu que la CPAM a pu régulièrement saisir le CRRMP en application de l'alinéa 4 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dans sa version alors applicable.
2. Il ressort des éléments du dossier que trois CRRMP ont émis un avis :
- celui de la région [Localité 8] Hauts de France le 10 mai 2017 qui a retenu un lien direct entre le travail et la pathologie,
- celui de la région [Localité 7] [Localité 6] le 4 octobre 2018, annulé par le jugement entrepris pour absence de communication de l'avis du médecin du travail et qui ne fait l'objet d'aucune contestation utile par la caisse, même à titre incident,
- celui de la région Ile de France le 26 novembre 2019, désigné par le tribunal de grande instance d'Amiens par le jugement déféré, qui a également retenu un lien direct entre le travail et la pathologie et dont l'irrégularité et l'insuffisance de motivation sont invoquées par la société appelante.
A cet égard, il ressort de l'avis même que l'avis motivé du médecin du travail a été en possession de ce dernier CRRMP et la société appelante ne démontre pas le contraire. Aussi, cet avis comporte une motivation comportant l'analyse par le comité des conditions de travail et de la chronologie de la pathologie en sorte que le lien direct et essentiel entre les deux a été démontré, si bien que le grief d'absence de motivation sera écarté.
Enfin, la société appelante ne verse aucun élément de nature à démontrer que la pathologie dont souffre M. [I] a une cause totalement étrangère au travail.
La décision de prise en charge de la pathologie dont souffre M. [I] sera en conséquence déclarée opposable à la société [4].
3. Il convient de rappeler que les frais de consultation sont à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie.
La société appelante, qui succombe, sera donc condamnée à supporter les dépens d'appel et à verser à la CPAM de la Somme 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
Vu l'arrêt de la cour en date du 15 mars 2022 ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a annulé l'avis du CRRMP de la région [Localité 7] [Localité 6] ;
Y ajoutant :
Dit la décision de prise en charge par la CPAM de la Somme au titre de la législation sur les risques professionnels de la pathologie déclarée le 8 novembre 2016 par M. [P] [I] opposable à la société [4] ;
Rejette toutes autres demandes ;
Rappelle que les frais de consultation sont à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie ;
Condamne la société [4] aux dépens d'appel et à verser à la CPAM de la Somme 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,