ARRET
N°
[C]
C/
S.A.S. NESTLE FRANCE
copie exécutoire
le 30 mars 2023
à
Me Delvallez
Me d'Aleman
CB/MR/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 30 MARS 2023
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N° RG 22/01087 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IL2P
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 17 FEVRIER 2022 (référence dossier N° RG 20/00002)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [V] [C]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté et concluant par Me Dorothée DELVALLEZ de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAON
ET :
INTIMEE
S.A.S. NESTLE FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée et concluant par Me Jean D'ALEMAN de la SELAS BRL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Grégoire de COURSON de la SELAS BRL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
DEBATS :
A l'audience publique du 02 février 2023, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Madame Corinne BOULOGNE indique que l'arrêt sera prononcé le 30 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 30 mars 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
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* *
DECISION :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er décembre 2008, M. [V] [C], né le 14 juin 1983, a été embauché par la société Nestlé France en qualité de conducteur évaporateur, statut ouvrier qualifié, niveau 3, échelon 2.
La convention collective applicable est celle de l'industrie laitière et celles de branches industries alimentaires diverses.
L'entreprise emploie un effectif supérieur à 11 salariés.
Le 30 août 2019 M. [V] [C] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 4 septembre 2019. Une mise à pied à titre conservatoire lui était également notifiée. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 24 septembre 2019, par lettre ainsi libellée:
"Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement le 13 septembre 2019, en présence de Mme [G] [D] et M. [E] [H], responsable de production. Au cours de cet entretien, où vous étiez accompagné de m. [S] nous vous avons présenté les faits qui vous sont reprochés et qui sont rappelés ci-après :
Le 31 juillet 2019, nous avons été informé par lettre en recommandé par M. [B], opérateur polyvalent conducteur de machine, de comportements susceptibles d'être constitutifs de discrimination dont il serait victime de votre part.
Compte-tenu de la gravité de ces accusations et de l'obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels à laquelle la société est tenue, nous avons procédé à des investigations pour mieux appréhender la situation factuelle à l'origine de ces accusations, la direction des ressources humaines a décidé de mener une enquête sous forme d'entretiens, afin de vérifier la matérialité des faits et de qualifier.
Cette enquête a eu pour objet de recenser et d'évaluer, de façon précise, les faits, gestes, paroles et attitudes étant susceptible de constituer des faits de discrimination.
Or, il ressort de l'enquête menée au sein de l'usine que nous pouvons constater les comportements fautifs suivants de votre part :
Le 28 mai 2019, vous avez eu une altercation avec M. [B] lors du redémarrage de l'egron. Alors que M. [B] vous demandait de le remplacer pour aller prendre une pause après le nettoyage des étages de l'Egron. Vous l'avez pris à partie en lui indiquant qu'il faisait " du travail d'arabe" ainsi que "t'es un fainéant". plusieurs témoignages concordants attestent de vos propos discriminants et agressifs à l'égard de M. [B].
Il ressort également de l'enquête menée au sein des équipes que vous appelez au quotidien M. [B] par le terme « couscous », en référence à ses origines familiales vous vous adressez également régulièrement à l'égard de vos collègues, y compris votre contremaitre, par d'autres surnoms péjoratifs. Vous avez ainsi pu vous adresser à votre contremaitre remplaçant de la manière suivante : « tu pues le chien mouillé » « le rouquin ».
Enfin, lors des différents entretiens réalisés dans le cadre de cette enquête il a été porté à notre connaissance que vous arrosiez à l'aide de la lance à incendie des intérimaires au niveau des évaporateurs au lavage des [Localité 6] dans le cadre de leur « bizutage ».
Nous vous rappelons que les valeurs de Nestlé prônent le respect, la dignité humaine et la sécurité.
Aucun propos, insultes ou injures à caractère racistes proférés sur le lieu de travail par un salarié et qui ont pour effet de porter gravement atteinte à la dignité humaine de la personne visée et à l'image de la société ne peuvent être tolérés.
Vous avez commis un abus caractérisé par une injure et des diffamations, et vous avez porté atteinte à l'image de la société. Vos paroles prononcées sortent du cadre de la liberté d'expression.
Par ailleurs, vous avez utilisé des robinets incendie armés (RIA). Or, l'utilisation de ces installations est règlementée car ils sont en permanence sous pression afin d'être efficace de suite en cas de feu. Il est formellement interdit de les utiliser pour le nettoyage des installations ou pour arroser ses collègues, encore plus dans le cadre de pratiques interdites de « bizutage ».
Nous ne pouvons accepter de tels écarts dans votre comportement, tant à l'égard de vos collègues qu'au regard des règles de sécurité en vigueur au sein de l'entreprise.
Votre attitude inacceptable rend impossible votre maintien à votre poste de travail.
Les éléments recueillis au cours de l'entretien préalable au licenciement ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des faits.
Par conséquent, au regard de tous ces motifs nous vous confirmons que nous ne pouvons pas poursuivre notre collaboration puisque les faits que nous avons constatés constituent une faute grave justifiant ainsi votre licenciement sans indemnités ni préavis.
Pour rappel, vous avez été mis à pied conservatoire du 30 aout 2019 au 24 septembre 2019.
Par conséquent, la période non travaillée du 30 août 2019 au 24 septembre 2019 ne sera pas rémunérée.
Votre solde de tout compte ainsi que votre Attestation Pôle emploi et votre certificat de travail vous seront adressés dans les meilleurs délais.
Le 10 janvier 2020, M. [V] [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon afin de faire constater l'existence d'un harcèlement moral à son encontre, de requalifier son licenciement en licenciement nul ou subsidiairement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenir le versement d'indemnités de rupture outre des dommages et intérêts, la remise des documents de fin de contrat, le remboursement par la société des allocations chômage qui lui ont déjà été payées ainsi que le versement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 17 février 2022 la juridiction prud'homale a :
dit que le licenciement pour faute grave de M. [V] [C] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
condamné la société Nestle France, en la personne de son représentant légal, à verse à M. [V] [C] les sommes suivantes :
- 1 .0l4,89 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, outre 101,49 euros brut à titre de congés payés afférents,
- 6.774,00 euros brut à titre d°indemnité compensatrice de préavis, outre 677,40 euros brut à titre de congés payes afférents,
- 9.220 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 5.000 euros à titre de dommages-intérêts préjudice moral,
- 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
enjoint à la société Nestle France, en la personne de son représentant légal, de remettre à M. [V] [C] les documents sociaux rectifiés (bulletin de salaire, attestation pôle emploi et certificat de travail) dans un délai de 30 jours maximum à compter de la date du jugement sous astreinte de 20 euros par jour de retard et par document ;
débouté M. [V] [C] de ses autres demandes ;
débouté la société Nestle France de sa demande reconventionnelle au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 8 mars 2022, M. [V] [C] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées par les parties.
Vu les dernières écritures notifiées par la voie électronique le 2 mai 2022, dans lesquelles M. [V] [C] demande à la cour de :
infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Laon du 17 février 2022 en ce qu'il a :
- dit que le licenciement pour faute grave était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société, en la personne de son représentant légal à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- débouté M. [V] [C] de ses autres demandes ;
Statuant à nouveau des chefs de ces chefs, de :
confirmer le jugement pour le surplus et y ajoutant, de :
dire qu'il a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, à tout le moins de discrimination ;
dire que le licenciement était nul ;
Subsidiairement, de :
dire que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
écarter par application du barème d'indemnisation prévue à l'article L1235-3 du code du travail
par application des dispositions de l'article L1235-3-1 dudit code, subsidiairement pour défaut de conformité à l'article 10 de la convention 158 de l'OIT et à l'article 24 de la charte sociale européenne, et encore plus subsidiairement parce qu'il porte une atteinte disproportionnée aux droits du salarié ;
condamner la société Nestlé France à lui payer les sommes suivantes :
- 1014,89 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, outre 101,49 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- 6774 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (deux mois de salaire), outre 677,40 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- 9220 euros à titre d'indemnité de licenciement sur la base d'une ancienneté de 10 années et 8 mois et une rémunération mensuelle moyenne de 3387 euros (base la plus favorable de la moyenne des 12 derniers mois);
- 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ;
- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral distinct ;
- 4000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonner le remboursement par la société Nestlé France des allocations chômage qui lui ont été payées du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'allocations et ce par application des articles L1234-4 et L1234-5 du code du travail ;
ordonner la remise des documents sociaux rectifiés (bulletin de salaire, attestation pôle emploi et certificat de travail) dans le délai de huit jours de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte passée ce délai d'une somme de 20 euros, par jour de retard et par document ;
condamner la société Nestlé France aux entiers dépens.
Vu les dernières écritures notifiées par la voie électronique le 20 juillet 2022, dans lesquelles la société Nestlé France demande à la cour :
dire que le licenciement de M. [V] [C] reposait sur une faute grave ;
constater qu'elle n'a commis aucun manquement à l'égard de M. [V] [C] et qu'elle a exécuté loyalement le contrat de travail ;
Par conséquent, il est demandé à titre principal de :
infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [V] [C] :
- 1 014,89 euros au titre du rappel de salaire relative à la mise à pied conservatoire,
- 101,49 euros au titre des congés payés afférents,
- 6 774 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (2 mois), outre 677,40 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
- 9 920 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (10 ans et 8 mois d'ancienneté) ;
- 5 000 euros au titre d'un préjudice moral distinct ;
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonner à M. [V] [C] le remboursement des sommes déjà versées à titre provisoire ;
condamner M. [V] [C] à lui verser 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire, de :
réduire le montant de la condamnation dans le respect de l'article L. 1235-1 du code du travail à un maximum de 33 870 euros, dans l'hypothèse où la Cour venait à considérer que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 octobre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 2 février 2023 .
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur l'exécution du contrat de travail
Sur le harcèlement moral
M. [C] rapporte que dans son courrier de contestation du licenciement il avait exposé avoir été victime de harcèlement moral en se faisant insulter à plusieurs reprises par certains collègues, que M. [S] avait lors de l'entretien préalable évoqué des pratiques ayant cours au sein de l'usine, que le tableau d'affichage avait été détourné de sa fonction pour présenter un photomontage le représentant en hibou, que les photomontages étaient discriminants en se focalisant sur certaines caractéristiques, à savoir l'embonpoint, la couleur de peau ou faisaient référence à des caricatures tels le père cocu ou le hibou.
Il ajoute que l'employeur lui a demandé s'il était l'auteur de ces photomontages alors qu'il en connaissait son identité puisqu'il s'était dénoncé tout en le mettant en cause ; que ce salarié M. [B] avait diffusé des photos de photomontages via messenger et qu'alors qu'il se prétend discriminé il raméne des pizzas à partager pendant les pauses et entretient des relations cordiales avec ses collègues, qu'en réalité M. [B] voulait se venger car il avait fait l'objet de deux procédures disciplinaires.
Enfin il argue avoir subi un état dépressif profond ayant nécessité un traitement médical car il craignait d'être la cible de photomontages, que l'enquête menée à charge l'a profondément affecté du fait des fausses accusations et des intimidations.
La société Nestlé conteste le harcèlement moral rétorquant qu'il était normal qu'elle l'entende sur l'identité des photomontages, qu'il n'a pas été sanctionné pour ce fait.
Sur ce
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L.1154-1du même code, le salarié a la charge de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte du premier de ces textes que les faits susceptibles de laisser présumer une situation de harcèlement moral au travail sont caractérisés, lorsqu'ils émanent de l'employeur, par des décisions, actes ou agissements répétés, révélateurs d'un abus d'autorité, ayant pour objet ou pour effet d'emporter une dégradation des conditions de travail du salarié dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d'une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l'employeur révélateurs d'un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d'autorité, de direction, de contrôle et de sanction.
Le salarié verse aux débats :
- le courrier qu'il a envoyé à l'employeur le 3 octobre 2019 faisant part du harcèlement qu'il a subi lorsque M. [B] a été recruté en contrat à durée déterminée et qu'il a participé avec d'autres personnes à une affiche caricaturant l'équipe et qui le représentait en hibou, qu'il s'est senti humilié car cette affiche avait été placée à la vue de tous
- des photomontages envoyés par SMS par M. [B] à M. [R]
- le compte rendu de l'entretien préalable rédigé par M. [S] ayant assisté le salarié qui indique que l'employeur a demandé s'il était l'auteur des photomontages alors qu'il a reconnu peu après que l'auteur s'était dénoncé.
Le salarié présente ainsi des éléments de fait qui sont de nature à laisser supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l'employeur se doit d'établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs à tout harcèlement moral.
La société produit les différentes auditions des salariés dans le cadre de l'enquête.
La cour relève que si M. [C] a été caricaturé en hibou, cet événement ne s'est produit qu'une fois et que les autres membres de l'équipe étaient aussi caricaturés.
La cour relève que les photomontages, dont certaines de très mauvais goût, n'ont pas été envoyés à M. [C] mais à son collègue qui aurait pu s'en plaindre.
Enfin lors de l'entretien préalable il était indispensable de confronter les dires des collègues du salarié avec les siens et il n'est pas anormal de lui demander s'il était l'auteur de photomontages.
Ainsi, la société Nestlé contredit utilement les éléments du salarié et justifie que les agissements que ce dernier dénonce étaient justifiés objectivement et non constitutifs de harcèlement moral.
Pour ces motifs, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a débouté M. [C] de sa demande au titre du harcèlement moral.
Sur la discrimination
M. [C] soutient avoir été victime de discrimination de l'employeur qui a traité différemment son cas de celui de ses collègues en procédant à son licenciement faisant valoir que les salariés auteurs d'affichages de caricatures n'ont été sanctionnés que de mises à pied disciplinaire et les cadres qui n'étaient pas intervenus l'ont été d'avertissements, que deux autres personnes mises en cause n'ont pas été auditionnées lors de l'enquête diligentée par l'employeur.
La société rétorque qu'elle n'a pas eu d'attitude discriminatoire envers M. [C] car il n'a pas été licencié pour avoir créé les photomontages.
Sur ce
Les dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail rappellent qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation, en raison de ses activités syndicales.
Aux termes de l'article L.1134-1 du même code, il appartient en cas de litige au salarié concerné de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008, et il incombe alors à l'employeur, au vu des éléments ainsi produits, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, M. [M] auteur des photomontages a été sanctionné par une mise à pied disciplinaire, de même les collègues de travail de [C] étant précisé que ceux-ci ne se sont pas vus reprocher des insultes à caractère raciste, ce qui est son cas ; que les cadres sanctionnés par des avertissements n'avaient non plus proféré ce type d'insultes.
Par ailleurs au cours de l'enquête 16 personnes ont été entendues, s'agissant des collègues les plus proches du salarié en ce compris M. [B], que l'employeur a pu considérer que ce nombre était suffisant pour être parfaitement éclairé. D'ailleurs M. [C] n'explicite pas en quoi l'audition de ces deux dames auraient pu contredire utilement les faits reprochés.
La cour, par confirmation du jugement, jugera que M. [C] n'a pas été victime de discrimination.
Sur la rupture du contrat de travail
Sur le licenciement
La société Nestlé soutient que le comportement injurieux, raciste et humiliant à l'égard d'un collègue justifie le licenciement pour faute grave, qu'il en est de même pour le bizutage, qu'elle a reçu une plainte de M. [B] faisant état d'insultes racistes à son égard et a diligenté une enquête le 28 août 2019 au cours de laquelle 16 salariés ont été entendus et se sont révélés concordants sur le fait que M. [C] proférait des insultes à l'adresse de M. [B] dont certaines étaient racistes. Elle relate que le 28 mai 2019 une altercation est survenue entre M. [C] et M. [B] devant témoins, que M. [B] est allé déposer une plainte en gendarmerie.
Elle précise que le fait que M. [B] emploie lui-même le terme couscous n'enlève en rien la gravité des propos tenus à son égard, que le fait d'être cordial envers certaines personnes ne remet pas en cause le comportement répréhensif du salarié.
Elle ajoute que l'enquête a révélé en outre que d'autres salariés étaient affublés de sobriquets humiliants par M. [C] et que certains salariés s'étaient fait arroser par lui grâce à la lance à incendie étant précisé que le pompier de l'équipe était M. [C], que les ' jeux d'eau' dans une zone d'évaporation du lait pour être transformé en poudre de lait pour nourrisson met en danger la sécurité sanitaire de la production de l'entreprise.
M. [C] rétorque que les deux premiers faits sont constitutifs de discrimination à son égard, sur le troisième grief il argue que M. [B] s'est plaint d'être harcelé, que des témoins ne l'ont pas entendu dire que M. [B] faisait du travail d'arabe.
Il fait valoir que c'est M. [B] qui à son arrivée a dit que son surnom était couscous, que ce sobriquet a donc été utilisé, que son compte facebook mentionne ce surnom, qu'il ne peut se plaindre de moqueries qu'il a initiées, que l'usage dans l'usine était d'avoir un surnom lui-même étant surnommé grosse barrique ou le hibou, qu'il verse de nombreux témoignages qui louent ses qualités humaines.
Il réplique que les faits d'usage de la lance à incendie dans le cadre d'un bizutage ne sont pas datés alors qu'il les conteste puisqu'il s'agissait seulement de nettoyer les évaporateurs, que M. [U] ne l'incrimine pas sur ce point.
Sur ce
Pour que le licenciement disciplinaire soit justifié, l'existence d'une faute avérée et imputable au salarié doit être caractérisée.
La faute grave s'entend d'une faute constitutive d'un manquement tel qu'il rend impossible la poursuite du contrat de travail et qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce la lettre de licenciement qui circonscrit le litige vise plusieurs griefs, il est reproché au salarié d'avoir :
- le 28 mai 2019, avoir dit à M. [B] qu'il faisait " du travail d'arabe" ainsi que "t'es un fainéant"
- vous appelez au quotidien M. [B] par le terme « couscous », en référence à ses origines familiales vous vous adressez également régulièrement à l'égard de vos collègues, y compris votre contremaitre, par d'autres surnoms péjoratifs (à votre contremaitre remplaçant de la manière suivante : « tu pues le chien mouillé » « le rouquin »
- vous arrosiez à l'aide de la lance à incendie des intérimaires au niveau des évaporateurs au lavage des [Localité 6] dans le cadre de leur « bizutage ».
Sur le premier grief
L'employeur a versé aux débats la lettre de plainte de M. [B] qui relate avoir été victime de propos racistes dés son arrivée à l'usine, qu'il était appelé Couscous, [N] [O], le terroriste de [Localité 5], [J], il lui était reproché de faire du travail d'arabe, de bougnoule, qu'il devait retourner dans son pays.
L'enquête a permis d'entendre 16 personnes, dont certaines ont visiblement éludé les questions posées.
Il convient de relever que plusieurs témoins ont décrit M. [C] comme une forte personnalité, intimidant les gens, ne s'arrêtant que s'il rencontre une autre forte personnalité qui s'oppose à lui et lui fixe des limites. Il apparait aussi que M. [K] responsable d'équipe de M. [C] était jeune et avait des difficultés à s'imposer.
Il était présent le 28 mai lorsqu'une vive altercation est survenue entre M. [C] et M. [B], a indiqué avoir entendu le salarié insulté son collègue de fainéant, qu'il avait fait du travail d'arabe. M. [U] confirme que le terme 'travail d'arabe' avait déjà été tenu par M. [C].
Le grief est caractérisé.
Sur le second grief
Il est constant que le surnom de M. [B] est couscous, qu'il s'est présenté comme tel à son arrivée et le mentionne sur sa page facebook. Cependant ce sobriquet a fini par l'affecter et il s'en est plaint auprès de M. [K] dont les échanges de SMS sont éloquents ' je n'accepterai plus aucune insulte de [V], il m'a insulté tout la nuit, il a voulu se montrer devant le nouveau, à longueur de journée j'entends bougnoule, l'arabe, le voleur , le fainéant, je n'ai plus envie de venir bosser, je vais demander à changer d'équipe...'.
Par ailleurs le responsable d'équipe M. [K] était aussi affublé d'un sobriquet ' le rouquin' alors que M. [C] lui disait aussi qu'il sentait le chien mouillé, outre M. [K] plusieurs salariés ont confirmé ces propos.
Si l'utilisation de ce surnom et la remarque désobligeante ne sont pas datées, elle apparaissent habituelle et l'employeur a engagé la procédure dés qu'il en a été informé.
Le grief est établi.
Sur le troisième grief
Le bizutage est une forme de violence qui justifie une sanction. Par ailleurs l'activité de l'entreprise est la fabrication de poudre de lait pour bébés et il est impératif de prendre le maximum de précautions pour empêcher tout risque d'infectation bactérienne.
Les auditions de M. [R], [M] et [U] révèlent que les intérimaires étaient arrosés dans les ateliers avec un robinet incendie armé. Sur question M. [R] indique que seuls les pompiers utilisent cet engin.
M. [C] est pompier et assume cette fonction tant à l'intérieur de l'usine qu'à l'extérieur. Cependant si M. [U] reconnaît avoir participé au bizutage à l'eau, il ne met pas en cause M. [C], pas plus que M. [M] qui indique qu'il avait entendu qu'il utilisait la lance à incendie mais n'avait pas vu l'intéressé le faire. Il s'agit d'un témoignage indirect alors que M. [R] ne le met pas plus en cause directement et que M. [C] ne devait pas être le seul pompier de l'usine.
Dans ces conditions il existe un doute qui doit profiter au salarié.
Ainsi il est établi que deux griefs sur trois sont caractérisés et sont suffisamment graves pour fonder le licenciement pour faute grave. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, au vu des pièces et documents versés aux débats de tenir établis les griefs constitutifs de faute grave énoncés dans la lettre de notification du licenciement pour faute grave, cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.
En conséquence la cour par infirmation du jugement jugera désormais que le licenciement pour faute grave est bien-fondé.
Sur les conséquences du licenciement
M. [C] sollicite l'indemnisation du licenciement en raison du harcèlement moral et de la discrimination.
Subsidiairement il demande la condamnation de l'employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société s'y oppose considérant que le licenciement pour faute grave était fondé et que ni le harcèlement moral ni la discrimination ne sont établis.
Sur ce
La cour ayant jugé précédemment que ni le harcèlement moral ni la discrimination n'étaient établis, le licenciement ne peut être jugé nul.
La cour ayant jugé précédemment que le licenciement pour faute grave était bien-fondé, le salarié doit par conséquent être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime ainsi que de ses prétentions relatives aux indemnités de rupture, indemnité compensatrice de préavis et indemnité légale (ou conventionnelle) de licenciement.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à verser au salarié diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, à titre d'indemnité légale de licenciement, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés sur préavis, à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et de congés payés y afférents et le rappel de salaires consécutif à la mise à pied disciplinaire.
La cour, par infirmation du jugement, déboutera M. [C] de ses demandes indemnitaires.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement entrepris sera infirmé.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Nestlé les frais irrépétibles exposés par elle pour l'ensemble de la procédure.
M. [C] sera condamné à payer à la société Nestlé la somme de 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera débouté de sa demande à ce titre.
Succombant M. [C] sera condamné aux dépens de l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par jugement contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Laon du 17 février 2022 en ses dispositions soumises à la cour, sauf en qui concerne le débouté de la demande de M. [V] [C] au titre du harcèlement moral et de la discrimination
Statuant à nouveau et y ajoutant
Dit que le licenciement de M. [V] [C] est fondé sur une faute grave
Déboute M. [V] [C] de ses demandes d'indemnisation de licenciement
Condamne M. [V] [C] à payer à la société Nestlé la somme de 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Déboute M. [V] [C] de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Rejette les demandes plus amples ou contraires au présent arrêt,
Condamne M. [V] [C] aux dépens de l'ensemble de la procédure.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.