ARRET
N°
S.A.S. AZURIAL
C/
[X]
copie exécutoire
le 29/03/2023
à
Me BERRY
Me PAINEAU
LDS/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 29 MARS 2023
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N° RG 22/02757 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IO4A
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 10 MAI 2022 (référence dossier N° RG 21/00050)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. AZURIAL
représentée par son président ès qualités de représentant légal de la société
[Adresse 1]
[Localité 3]
concluant par Me Hugues BERRY, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
ET :
INTIMEE
Madame [J] [X]
née le 01 Mai 1972 à [Localité 5] (Somme)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée et concluant par Me Maëva PAINEAU de la SELARL PAINEAU MAÉVA, avocat au barreau d'AMIENS
DEBATS :
A l'audience publique du 08 février 2023, devant Mme Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Mme [V] [T] indique que l'arrêt sera prononcé le 29 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme [V] [T] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 29 mars 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 7 octobre 2008, Mme [X], née le 1er mai 1972, a été embauchée par la société Azurial, ci-après nommée l'employeur ou la société, en qualité d'agent de service à temps partiel. À la faveur de différents avenants, elle occupait, au dernier état de la relation contractuelle, le poste d'employé administratif à temps complet.
Au regard de son état de santé, Mme [J] [X] a été placée en arrêt de travail à compter du 17 mars 2020.
La convention collective applicable est celle des entreprises de propreté.
L'entreprise emploie un effectif supérieur à 10 salariés.
Le 17 juin 2020 Mme [X] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 30 juin 2020. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 16 juillet 2020.
Le 12 mars 2021, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Creil afin de voir constater que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et que la société soit condamnée à lui verser des indemnités liées à la rupture du contrat outre des dommages et intérêts.
Par jugement du 10 mai 2022, la juridiction prud'homale a :
fixé le salaire mensuel brut moyen de la salariée à 1 595,57 euros ;
dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
condamné la société, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mme [X] les sommes suivantes :
- 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3 460,20 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés inclus ;
- 4 383,82 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonné à la société, prise en la personne de son représentant légal, de rembourser à Pôle emploi, les indemnités chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au 10 mai 2022, date de mise à disposition du jugement, à concurrence de trois mois d'indemnités de chômage et dit qu'une copie certifiée conforme au jugement serait adressée à la direction générale nationale de Pôle empoi par le secrétariat-greffe à l'expiration du délai d'appel ;
dit que les condamnations prononcées aux titres de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés inclus, d'indemnité légale de licenciement devront produire intérêts au taux légal en vigueur à compter du 29 mars 2021, date de citation remise à l'étude de Me [U] [P], huissier de justice, pour l'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation ;
dit que la condamnation prononcée à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devra produire intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2022, date de mise à disposition du jugement ;
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
ordonné l'exécution provisire de l'intégralité du jugement ;
Le 2 juin 2022, la société Azurial a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 26 août 2022, la société Azurial demande à la cour de :
infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [X] comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il l'a condamnée à lui payer une indemnité légale de licenciement, une indemnité de préavis et de congés payés afférents, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Et statuant à nouveau :
dire que le licenciement de Mme [X] était justifié par une faute grave ;
débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes ;
condamner celle-ci à lui verser la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Selon ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 octobre, Mme [X] demande à la cour de :
déclarer la société irrecevable et mal fondée en son appel ;
l'en débouter intégralement ;
déclarer qu'elle est recevable et bien fondée en son appel incident ;
l'y accueillir ;
Et statuant de nouveau, de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris sauf en ce qu'il a
accordé 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;
condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
- 18 873,84 euros à titre d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3 145,64 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;
assortir l'ensemble des condamnations pécuniaires du taux d'intérêt légal à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes de Creil ;
Et en tout état de cause, de :
voir ordonner l'exécution provisoire ;
condamner la société à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
EXPOSE DES MOTIFS :
1/ Sur le bien fondé du licenciement pour faute grave :
La société expose qu'elle a eu accès à la messagerie professionnelle de Mme [X] pendant le confinement qui a révélé des faits caractérisant une violation grave de ses obligations professionnelles, manquant à ses devoirs de réserve, de discrétion et de confidentialité en détournant à des fins personnelles des messages et des informations relatives à son employeur ou à d'autres salariés dont elle a eu à connaître dans le cadre exclusivement professionnel de ses fonctions d'assistante administrative.
Elle conteste que ces agissements n'aient eu d'autre finalité que de permettre à Mme [X] d'accomplir les tâches qui lui incombaient depuis son domicile alors qu'à aucun moment il ne lui a été demandé de travailler en dehors des locaux de l'entreprise, qu'elle était dans l'ignorance de ce que la salariée accomplissait des tâches depuis son ordinateur et sa messagerie personnels et que celle-ci qualifie elle-même les informations détournées de confidentielles.
La salariée fait valoir qu'elle a poursuivi ses tâches professionnelles alors même qu'elle était en arrêt de travail, raison pour laquelle elle a utilisé sa boîte personnelle, n'ayant pas accès à sa boîte professionnelle depuis chez elle ; qu'elle n'a pas envoyé le code confidentiel de la messagerie de M. [F] à Mme [G] mais le processus pour paramétrer une messagerie sur un téléphone portable ; qu'elle avait besoin du chiffre d'affaires des années 2016 à 2019 pour préparer la réunion d'exploitation ainsi que pour préparer de nombreux devis et que l'employeur était informé de ce qu'elle s'envoyait des informations professionnelles sur son adresse e-mail personnelle ; que les informations sur le chiffre d'affaires des collaborateurs de l'agence qu'elle a transmises à Mme [G] qui s'inquiétait de l'avenir de la société, n'ont rien de confidentiel puisqu'elles étaient systématiquement communiquées à chaque chargé de clientèle à l'occasion des réunions d'exploitation mensuelles ; que le courriel du 21 février 2020 qui lui est reproché n'avait rien de méprisant, ni d'insultant à l'égard de Mme [C] mais concernait l'anniversaire de son chien et n'a été adressé qu'à deux collègues et, enfin, qu'il est d'usage qu'en cas d'urgence, qu'elle signe les bons de commande, ce qui était le cas en l'espèce.
Elle ajoute qu'en réalité, la société cherchait à faire des économies en se débarrassant de certains salariés dont elle.
Elle met également en avant son dévouement et ses excellents états de service.
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
En l'espèce, aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à Mme [X] les agissements suivants :
- après avoir frauduleusement obtenu les codes d'accès à la messagerie professionnelle d'un chargé de clientèle, M. [F], les avoir transmis à une autre chargée de clientèle, Mme [G] ;
- avoir détourné depuis sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle les résultats financiers de l'agence Picardie et le montant des commissions versées à titre de rémunération variable à deux chargés de clientèle ;
- avoir envoyé à Mme [G] tous les éléments de rémunération des collaborateurs de l'agence Picardie ainsi qu'un message sur la livraison d'un nouveau téléphone portable à un autre salarié de la société ;
- avoir échangé avec deux salariées de la société des mails professionnels au sujet d'une autre salariée de la société , Mme [C], qui, à l'occasion de son anniversaire, est assimilée à un chien et stigmatisée, en plus d'être moquée, en raison de son origine ethnique ;
- avoir signé aux lieu et place de la responsable d'agence et de plus sans en référer à cette dernière, un bon de commande au profit d'une de ses collègues Mme [G].
Ainsi que l'a constaté le conseil de prud'hommes, l'email litigieux du 9 août 2019 ne contient pas les codes d'accès confidentiels de la boîte mail de M. [F], aucun élément ne permet d'établir que Mme [X] ait divulgué des informations stratégiques sur la société en se transmettant à elle-même, de son adresse électronique professionnelle vers son adresse personnelle, le chiffre d'affaires de l'agence Picardie pour les années 2016 à 2019 ou, encore, en envoyant à Mme [G] les éléments de rémunération des collaborateurs de l'agence, la société ne démentant pas le fait que ces informations sont communiquées chaque mois à l'ensemble des chargés de clientèle à l'occasion de réunions d'exploitation.
Il est, par ailleurs, démontré que l'anniversaire du chien de Mme [X] était le même jour que celui de Mme [C] de sorte que l'interprétation du courriel du 21 février qui est faite par l'employeur est excessive. De plus, il est rapporté la preuve qu'il régnait dans l'entreprise un esprit potache qui conduisait certains salariés, notamment Mme [C], à s'envoyer des messages humoristiques ou moqueurs de plus ou moins bon goût sans que cela suscite de réprobation particulière.
Enfin, l'employeur ne justifie pas des modalités d'acceptation des bons de commande et ne contredit pas la salariée lorsque celle-ci affirme qu'il était d'usage qu'elle signe les bons de commande urgents sans attendre l'aval de sa hiérarchie.
Ainsi, au vu des éléments versés aux débats en cause d'appel, il apparaît que les premiers juges, à la faveur d'une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, non utilement critiquée en cause d'appel, ont à bon droit écarté dans les circonstances particulières de l'espèce l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.
2/ Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Le licenciement étant injustifié, la salariée peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture, mais également à des dommages et intérêts à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
L'employeur n'apporte aucun élément au soutien de sa demande d'infirmation du jugement quant à l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents et l'indemnité légale de licenciement.
L'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, Mme [X] peut prétendre à une indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, d'un montant compris entre 3 et 11 mois de salaire.
Mme [X] ne justifie pas de sa situation professionnelle et économique au-delà du 26 juillet 2020.
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de l'absence d'élément quant à la situation de Mme [X] à la suite de son licenciement, de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci, la cour fixe à 11'500 euros les dommages et intérêts dus à la salariée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
3/ Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral :
Mme [X] soutient qu'elle a subi un préjudice moral ayant été injustement licenciée pour faute grave, privée de son emploi qu'elle affectionnait et targuée d'être raciste.
L'employeur fait valoir notamment que la salariée ne caractérise aucun fait distinct du licenciement lui-même et de ses conséquences et n'établit, ni même ne décrit aucun préjudice particulier qui ne soit pas réparé par l'allocation de l'indemnité prévue à l'article L. 1235-3 du code du travail.
La cour rappelle que le salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse peut prétendre à des dommages-intérêts distincts de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de comportement fautif de l'employeur dans les circonstances de la rupture.
En l'espèce, la salariée ne justifie pas d'un préjudice distinct de la perte de l'emploi et du caractère fallacieux des motifs de licenciement déjà indemnisés sur le fondement de l'article L. 1235-3. Il y a donc lieu de confirmer le jugement qui a rejeté sa demande de ce chef.
4/ Sur les demandes accessoires :
Mme [X] ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a fait application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail dans la limite de trois mois de prestations.
Il est rappelé que les condamnations de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation et que, par application de l'article 1231-7 du code civil, les demandes de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce et non à compter de la mise en demeure.
La demande tendant au prononcé de l'exécution provisoire est sans objet s'agissant d'une décision insusceptible de recours suspensif.
La société, qui perd le procès en appel, doit en supporter les dépens et sera condamnée à verser à Mme [X] la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Azurial à payer à Mme [X] la somme de 10'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la société Azurial à payer à Mme [X] la somme de 11'500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jugement et à compter de l'arrêt pour le surplus,
Condamne la société Azurial à payer à Mme [X] la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.