ARRET
N°
[M]
C/
Association ACCOMPLIR ENSEMBLE UN DEVENIR
copie exécutoire
le 29/03/2023
à
Me FABING
Me DELVALLEZ
LDS/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 29 MARS 2023
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N° RG 22/01465 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IMR3
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LAON DU 15 MARS 2022 (référence dossier N° RG 20/00096)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [J] [M]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté et concluant par Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
ET :
INTIMEE
Association ACCOMPLIR ENSEMBLE UN DEVENIR
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée et concluant par Me Dorothée DELVALLEZ de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAON
DEBATS :
A l'audience publique du 08 février 2023, devant Mme Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Mme Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 29 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 29 mars 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er novembre 2005, M. [M] a été embauché par l'association Accomplir Ensemble un Devenir (AED), ci-après nommée l'employeur, en qualité d'agent éducatif faisant fonction d'éducateur technique.
L'association a pour activité la création, l'administration et la gestion d'établissements et services sociaux et médico-sociaux en faveur des publics fragiles et d'une manière générale au bénéfice des personnes devant bénéficier d'une protection au titre de l'action sanitaire et social.
Elle est dirigée par Mme [V] depuis le 1er octobre 2018 qui a pris la suite de M. [Y] et présidée par M. [R].
La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
L'effectif de l'association est supérieur à 10 salariés.
Le 12 février 2020 M. [M] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 24 février 2020 et mis à pied à titre conservatoire.
Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 2 mars 2020, par lettre ainsi libellée :
« Le 12 février 2020, nous avons été informés de faits qui se sont déroulés au sein de votre atelier le lundi 10 février :
Vous avez lancé un seau, destiné à récolter des déchets, vidé sur 2 jeunes présents dans votre atelier ([N] et [S]), puis avez asséné des coups de règle en fer ainsi que des claques derrière la téte à ces 2 jeunes qui selon leurs propres mots « rigolaient ». Vous avez isolé un autre jeune ([U]) dans un vestiaire dans le noir, porte ouverte.
Ces événements ont été confirmés par l'ensemble des jeunes présents dans l'atelier.
Après enquête interne, il apparait qu 'ils s'inscrivent dans un contexte de harcèlement vis-ci-vis de M. [N], un des deux jeunes victimes des coups et un autre jeune [B] suite à un incident que vous avez surpris en octobre dernier (fellation entre les deux jeunes dans les toilettes de l'internat). Cet incident a été traité par la direction, pourtant selon les jeunes, vous avez abordé la question à de nombreuses reprises à votre initiative.
Par ailleurs, certains de vos collègues ont été témoins de propos déplacés à l'egard de Monsieur [N] toujours concernant cet incident et son attitude vis-à-vis de la sexualité.
Selon toute vraisemblance, le lundi 10 février, vous avez à nouveau engagé la discussion sur ce sujet et l'hilarité des jeunes a déclenché votre réaction.
Au regard de la nature de l'activité de l'établissement auprès d'enfants et d'adolescents en situation de handicap, cet ensemble de faits et votre comportement représentent un manquement grave au protocole de bientraitance.
Cette conduite entrave le bon fonctionnement de notre activité et ne nous permet pas de vous compter plus longtemps dans notre effectif.
Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l'association s'avère impossible y compris pendant la durée de votre préavis. »
Le 28 septembre 2020, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon afin de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences de droit.
Par jugement du 15 mars 2022, la juridiction prud'homale a :
dit que le licenciement pour faute avait une cause réelle et sérieuse ;
débouté M. [J] [M] de l'ensemble de ses demandes ;
débouté l'association AED de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.
Le 29 mars 2022, M. [M] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juin 2022, M. [M] demande à la cour de :
infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Laon le 15 mars 2022 en ce qu'il a :
- dit que le licenciement pour faute avait une cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, et plus généralement en toutes ses dispositions lui causant un grief ,
Statuant à nouveau, de :
dire que son licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;
condamner l'association AED au paiement de la somme de 1 528,80 euros au titre de la mise à pied conservatoire outre la somme de 152,88 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied ;
condamner l'association AED au paiement de la somme de 4 229,42 euros brut au titre du préavis outre la somme de 422,94 euros brut de congés payés sur préavis ;
condamner l'association AED au paiement de la somme de 12 833,46 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
condamner l'association AED au paiement de la somme de 27 805,91 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
condamner l'association AED au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
ordonner le remboursement par l'association AED à Pôle emploi de tout ou partie des indemnités de chômage qui lui ont été versées du jour de son licenciement au jour de l'arrêt à intervenir, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,
dire que ces sommes porteront intérêt de droit à compter de la saisine du conseil des prud'hommes ;
Y ajoutant, de :
condamner l'association AED au paiement de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
condamner l'association AED aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 12 septembre 2022, l'association Accomplir Ensemble un Devenir (AED) demande à la cour de :
la déclarer recevable et bien fondée en ses moyens, fins et prétentions ;
rejeter toutes fins, moyens et conclusions contraires ;
confirmer le jugement de première instance dans son intégralité ;
déclarer que M. [J] [M] est irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes et l'en débouter ;
condamner M. [J] [M] à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [J] [M] aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
EXPOSE DES MOTIFS :
1-1/ Sur la qualité du signataire de la lettre de licenciement :
M. [M] soutient qu'en application du document intitulé «document unique des délégations » la lettre de licenciement devait comporter la double signature du président et de la directrice générale et qu'en l'absence de cette seconde signature, s'agissant d'une irrégularité de fond, son congédiement est sans cause réelle et sérieuse.
L'association répond que son président est investi de tous les pouvoirs pour assurer l'exécution des décisions du conseil d'administration et plus généralement de tous les pouvoirs nécessaires sur le plan administratif et financier pour représenter l'association dans tous les actes de la vie civile et qu'il a exécuté la décision du conseil d'administration du 23 avril 2020 de sanctionner M. [M] et d'engager une procédure de licenciement.
Il est constant que la décision de licencier, et donc de signer la lettre de licenciement, relève des attributions du président d'une association à défaut de dispositions statutaires attribuant cette compétence à un autre organe. L'absence de qualité à agir du signataire de la lettre de licenciement est une irrégularité de fond qui prive de cause réelle et sérieuse le licenciement.
En l'espèce, l'article 11 des statuts de l'association stipule que le président assure l'exécution des décisions du conseil d'administration et des assemblées générales, qu'il représente l'association dans tous les actes de la vie civile et qu'il est de ce fait investi de tous les pouvoirs nécessaires sur le plan administratif et financier. Il ne contient pas de disposition attribuant spécifiquement la compétence de licencier à un autre organe. Le président de l'association a donc statutairement le pouvoir de licencier.
En l'espèce, l'article 11 des statuts de l'association stipule que le président assure l'exécution des décisions du conseil d'administration et des assemblées générales, qu'il représente l'association dans tous les actes de la vie civile et qu'il est de ce fait investi de tous les pouvoirs nécessaires sur le plan administratif et financier. Il ne contient pas de disposition attribuant spécifiquement la compétence de licencier à un autre organe. Le président de l'association a donc statutairement le pouvoir de licencier.
Le document unique des délégations applicable au 1er janvier 2020, au chapitre 10, stipule, d'une part, que le président « (aidé du bureau et de la commission GRH voire du conseil d'administration s'il y a lieu), décide des sanctions portant sur un licenciement en lien avec la directrice générale », cette dernière étant chargée de régler les procédures et, d'autre part, que la directrice générale décide en concertation avec le président des sanctions du niveau d'un éventuel licenciement pour les affaires les plus graves ».
Au chapitre 11, il est précisé que le président et la directrice générale cosignent les lettres de licenciement.
Les statuts prévalant sur toute autre disposition ainsi que le précise le document unique, donc sur ce dernier, il y a lieu de dire que le président disposait des pleins pouvoirs pour procéder au licenciement de M.[M] et que l'absence de signature de la directrice générale n'a pas pour effet d'invalider le licenciement.
1-2/ Sur le fond :
M. [M] soutient que l'employeur ne rapporte pas la preuve du comportement maltraitant qu'il lui impute. Il donne sa propre version des faits exempte de maltraitance et dénie toute force probante aux comptes rendus d'entretiens dont il affirme qu'ils n'ont pas été menés dans le respect du protocole interne, aux attestations et au certificat médical produits par l'association. Il soutient qu'il n'a fait que pallier l'inaction de l'association face aux violences sexuelles subies par l'un des usagers lourdement handicapé.
Il affirme que la décision de le licencier a été prise et annoncée avant l'entretien préalable.
Il en conclut que le véritable motif de son licenciement pourrait être la fermeture prévue de l'atelier qu'il animait et la volonté de l'association de se prémunir d'une affaire d'attouchements sexuels alors qu'elle avait été précédement mise en cause, en 1998, à ce sujet.
L'association fait valoir que dès qu'elle a été informée par M. [M] des faits de nature sexuelle dont ce dernier a été témoin entre MM [I] et [D], elle a pris les mesures nécessaires en lien avec les familles et le psychologue de l'Impro, que le salarié a néanmoins manifesté vis-à-vis des jeunes gens concernés une attitude proche du harcèlement manifestée par des faits de violence certes isolés, mais doublés d'une attitude et de propos obscènes et inacceptables, que les faits reprochés au salarié sont corroborés par les déclarations des usagers et de collègues de travail et qu'il ressort de ces éléments que M. [M] est manifestement sorti de son rôle d'éducateur technique en abordant à de multiples reprises et à sa seule initiative les faits à caractère sexuel impliquant M. [I] et M. [D], faisant ressentir au premier un sentiment de honte et de harcèlement et au second des humiliations publiques.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
En premier lieu, la cour constate que le salarié ne fait aucune offre de preuve s'agissant des motifs cachés à son licenciement qui tiendraient à la suppression de son poste et/ou à un souhait de l'association de se prémunir d'une nouvelle implication dans une affaire de harcèlement sexuel entre usagers dont elle a la responsabilité. Ce moyen est donc écarté.
Par ailleurs, le fait que dans le formulaire de remontée des informations relatives aux événements menaçant la sécurité, la santé ou le bien-être des personnes accueillies adressé à l'agence régionale de santé des Hauts de France le 19 février 2020, il soit mentionné au chapitre « dispositions prises ou envisagées par la structure », concernant l'organisation du travail, « remplacement de l'auteur des faits à prévoir. Dans l'attente aménagement des emplois du temps », ne suffit pas à considérer que la décision de licencier a été prise avant l'engagement de la procédure sachant que le salarié faisait l'objet d'une mise à pied conservatoire.
Sur le fond, si les déclarations des usagers doivent être prises avec précaution notamment au regard de leur handicap voire de la tendance de l'un d'entre eux, reconnue par la psychologue, Mme [W], à l'exagération, celles-ci sont convergentes et corroborées par les attestations des parents des victimes selon lesquelles leurs enfants depuis l'incident du 12 février 2020 craignent M. [M] et ceux de Mme [W] les ayant recueillis. Le seul fait que les déclarations des usagers n'aient pas été signées ne suffit donc pas à les invalider.
Ces témoignages, non utilement contestés, contredisent la version des faits donnée par le salarié selon laquelle il n'a fait que mettre fin, avec fermeté mais sans violence, à un chahut de nature sexuelle dont était victime M. [D].
De plus, la réaction inappropriée du salarié conduisant à humilier M. [D] devant ses camarades courant décembre 2020 est attestée par la psychologue qui déclare en avoir été témoin et qui qualifie ce comportement de maltraitance psychologique.
Par ailleurs, M. [M] ne conteste pas utilement le signalement porté par une éducatrice spécialisée, Mme [P], selon laquelle celui-ci lui a raconté, courant décembre 2019, qu'il avait demandé à M. [D] « si les excréments retrouvés dans l'évacuation d'une douche à La Source proviendraient du fait qu'en retirant sa bite la merde est retombée ou s'il démonte l'évacuation de la douche pour se la mettre dans le cul ' ».
L'ensemble de ces éléments montre une propension du salarié à sortir de son rôle et à revenir excessivement sur les faits survenus entre MM [I] et [D] en des termes et des circonstances pour le moins anormales et génératrices d'anxiété pour les jeunes dont il avait la charge, sans que le constat, avéré ou non, d'une prétendue inertie de l'association soit de nature à la justifier.
Enfin, le seul fait que M. [M] ait auparavant fait preuve de qualités professionnelles reconnues, ainsi qu'en atteste M. [Y], ancien président de l'association, n'exclut pas la faute et ne l'excuse pas.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont estimé que les faits reprochés au salarié étaient constitutifs d'une faute grave et ont rejeté l'ensemble de ses demandes.
2/ Sur les demandes accessoires :
Le salarié, qui perd le procès, est tenu aux dépens de première instance et d'appel et sera condamné à verser à l'association la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera débouté de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, par arrêt contradictoire,
confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [J] [M] à payer à l'association Accomplir ensemble un devenir la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le déboute de sa demande présentée sur le même fondement,
le condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.