ARRET
N° 109
[L]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SOMME
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 26 JANVIER 2023
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N° RG 21/01537 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IBHO - N° registre 1ère instance : 19/00476
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE AMIENS EN DATE DU 15 février 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [K] [L]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me DORY, avocat au barreau d'AMIENS substituant Me Pascal BIBARD de la SELARL CABINETS BIBARD AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 94
ET :
INTIMEE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SOMME agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Mme [C] [W] dûment mandatée
DEBATS :
A l'audience publique du 01 Décembre 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 26 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.
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DECISION
Le 30 décembre 2016, Mme [K] [L], salariée de la société [6] en qualité de préparatrice de commandes du 1er décembre 2006 au 18 novembre 2018, a déclaré un accident du travail survenu le 15 novembre 2016 décrit dans une annexe à sa déclaration comme un geste suicidaire aux urgences du centre hospitalier [5] qu'elle expliquait par un harcèlement moral au travail. Etait joint à la déclaration un certificat médical initial du 15 novembre 2016 du docteur [R], psychiatre, faisant état d'une « tentative d'autolyse médicamenteuse et par phlébotomie le 15.11.16 suite à une appréhension anxieuse majeure à la reprise de son activité professionnelle avec réaction dépressive et anxieuse mixte dans les suites nécessitant une hospitalisation complète en milieu spécialisé ».
Préalablement, la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme (ci-après la CPAM) avait reçu le 16 décembre 2016 un certificat médical initial établi le 15 décembre 2016 par le docteur [G], médecin généraliste, mentionnant un « geste suicidaire sur réaction dépressive prolongée ' hospitalisation en milieu spécialisé ».
Le 27 mars 2017, la CPAM a notifié à Mme [L] une décision de refus de prise en charge de l'accident déclaré au titre de la législation professionnelle au motif que « l'évènement du 15 novembre 2016 s'est déroulé en dehors du temps et du lieu de travail. Dès lors, il revient à la victime d'apporter les éléments de preuve que l'accident a une origine professionnelle. Les éléments de l'enquête ne permettent pas d'établir que la cause de l'acte du 15 novembre 2016 ait une origine professionnelle. Les seules déclarations de la victime ne sont pas suffisantes pour établir le lien entre l'acte et l'activité professionnelle ».
Mme [L] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la CPAM qui n'a pas statué dans le délai qui lui était imparti, puis saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Amiens le 2 juin 2017. Suite au retrait du rôle de l'affaire, Mme [L] a sollicité du tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire, sa réinscription par conclusions du 8 novembre 2019.
Par jugement du 15 février 2021, le tribunal judiciaire d'Amiens, pôle social, a :
- débouté Mme [L] de sa demande,
- dit n'y avoir lieu à prise en charge de l'accident du 15 novembre 2016 au titre de la législation sur les risques professionnels,
- condamné Mme [L] aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe le 12 mars 2021, Mme [L] a relevé appel du jugement.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 26 avril 2022, lors de laquelle l'affaire a fait l'objet d'un renvoi au 1er décembre 2022.
Par conclusions visées par le greffe le 29 novembre 2022 soutenues oralement à l'audience, Mme [L] demande à la cour de :
- dire qu'elle est recevable et bien fondée en son action,
- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Par conséquent et statuant à nouveau,
- décider que sa tentative de suicide relève d'un accident du travail,
- décider partant que l'accident du travail du 15 novembre 2016 dont elle a été victime doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels,
En tout état de cause,
- condamner l'organisme intimé à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Mme [L] expose qu'elle a développé un syndrome dépressif réactionnel à la dégradation de ses conditions de travail liée à la surveillance constante de son employeur aux fins de productivité et à son mode de gestion dictatorial ; que souffrant d'un malaise croissant, elle a bénéficié d'un arrêt de travail à partir du 23 juin 2016 ; que le simple fait d'envisager son retour dans le cadre le cas échéant d'un mi-temps thérapeutique l'a poussée au comble du désespoir et à tenter de se suicider le 15 novembre 2016 ; qu'elle ne voulait plus revivre le harcèlement psychologique qu'elle subissait. Elle précise qu'elle bénéficie d'une pension d'invalidité de catégorie 2 en lien avec son déséquilibre psychologique provoqué par ses conditions de travail et qu'elle a finalement été licenciée pour inaptitude le 15 novembre 2018 après un avis d'inaptitude du médecin du travail en date du 1er août 2018 mentionnant l'absence de contact avec ses employeurs.
Elle fait valoir que la jurisprudence admet le caractère d'accident du travail s'agissant d'une tentative de suicide d'un salarié à son domicile pendant un arrêt de travail ; que peu importe la date d'apparition de la lésion dès lors que le lien de causalité avec le travail est démontré ; que les nombreuses attestations de ses collègues et l'avis même du médecin du travail établissent le lien entre son geste suicidaire et les conditions de travail dégradées ; que le harcèlement moral a été caractérisé par le conseil de prud'hommes de Beauvais par jugement du 26 janvier 2021 confirmé par la cour d'appel le 16 mars 2022. Elle conteste le raisonnement de la CPAM et du tribunal selon lequel il est impossible de présumer un lien entre la tentative de suicide et les faits de harcèlement de la part de l'employeur parce que cette tentative n'est pas intervenue au temps et au lieu du travail ; qu'il est paradoxal de penser que sa tentative de suicide est sans lien avec le travail alors qu'elle était en arrêt maladie avec traitement médicamenteux du fait du harcèlement moral de son employeur à son endroit.
Elle s'oppose à la qualification de maladie professionnelle en exposant qu'il ne faut pas apprécier le processus anxio-dépressif dans la globalité mais la tentative de suicide en tant qu'évènement isolé.
Par conclusions visées par le greffe le 14 avril 2022 et soutenues oralement à l'audience, la CPAM de la Somme demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d'Amiens le 15 février 2021,
- débouter Mme [L] de ses demandes,
- constater que Mme [L] n'apporte pas la preuve du lien entre son travail et la tentative de suicide survenue le 15 novembre 2016,
En conséquence,
- dire n'y avoir lieu à la prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l'accident du 15 novembre 2016,
- dans tous les cas, rejeter la demande de Mme [L] formulée au titre de l'article 700.
La CPAM soutient que la tentative d'autolyse de Mme [L] n'a pas eu lieu au temps et au lieu du travail ; qu'elle n'était pas sous la subordination de son employeur ; qu'elle ne bénéficie donc pas de la présomption d'imputabilité.
Elle fait valoir que l'assurée n'apporte pas la preuve d'un lien direct et certain entre le travail et son geste suicidaire ; qu'aucun élément contemporain en lien avec le travail n'est susceptible d'expliquer cet acte qui ne résulte pas d'une lésion soudaine mais d'un syndrome dépressif apparu progressivement dans un contexte de dégradation des conditions de travail ; que le processus progressif dans lequel s'inscrit la tentative de suicide est exclusif de la notion d'accident du travail. Elle ajoute que le fait que Mme [L] bénéficie d'une pension d'invalidité est inopérant en ce que cette pension lui a été accordée près de deux ans après sa tentative de suicide.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample des moyens.
MOTIFS
Aux termes de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
En application de ces dispositions, constitue un accident de travail un évènement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail dont il en est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Il appartient au salarié qui allègue avoir été victime d'un accident du travail d'établir autrement que par ses seules affirmations, les circonstances de l'accident et son caractère professionnel.
Le salarié bénéficie d'une présomption d'imputabilité pour tout accident survenu au temps et au lieu de travail. A défaut, il incombe au salarié de rapporter la preuve que l'accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail.
En l'espèce, il est constant que Mme [L] a fait une tentative de suicide le 15 novembre 2016 au sein du centre hospitalier [5] à [Localité 4] où elle était hospitalisée depuis le 11 novembre 2016 et alors qu'elle était en arrêt de travail depuis le 24 juin 2016.
Les premiers juges ont justement retenu que la présomption d'imputabilité de l'accident au travail ne pouvait s'appliquer, la tentative d'autolyse n'étant intervenue ni au temps ni au lieu du travail et Mme [L] ne se trouvant pas sous la subordination de son employeur. Ce point n'est pas contesté.
Pour rapporter la preuve du lien direct entre le geste suicidaire et le travail, Mme [L] invoque la pression et les faits de harcèlements au travail à l'origine de son mal-être et d'idées noires qui ont conduit à son arrêt de travail le 23 juin 2016 ainsi que l'angoisse à l'idée d'une reprise de travail prochaine à mi-temps qui a conduit à son hospitalisation le 11 novembre 2016.
Elle a déclaré lors de l'enquête administrative que la détérioration des conditions de travail remontait à 3 à 4 ans depuis le changement de la direction générale dans la société.
Si l'existence de conditions de travail détériorées voire conflictuelles est établie par les dix attestations de collègues qu'elle produit (pièces 3 à 12), aucune de ces attestations ne fait état d'une intervention de l'employeur, ni d'une prochaine reprise de travail pouvant expliquer l'angoisse qu'elle décrit dans les jours qui ont précédé la tentative d'autolyse.
Il ressort au contraire de l'enquête administrative de la CPAM que Mme [L] était en arrêt de travail jusqu'au 15 décembre 2016 et que la question de sa reprise n'avait pas été évoquée avec son employeur avec lequel elle n'avait eu aucun contact selon les déclarations de Mme [Y], directrice des ressources humaines.
Le certificat médical du 15 novembre 2016 du docteur [R], psychiatre, faisant état d'une « tentative d'autolyse médicamenteuse et par phlébotomie le 15.11.16 suite à une appréhension anxieuse majeure à la reprise de son activité professionnelle avec réaction dépressive et anxieuse mixte dans les suites nécessitant une hospitalisation complète en milieu spécialisé » ne permet pas non plus d'établir un lien de causalité entre le geste suicidaire et un événement précis imputable au travail dès lors qu'il repose sur les explications de l'assurée s'agissant des raisons de son angoisse.
Il en est de même de l'avis d'inaptitude du médecin du travail préconisant l'absence de contact entre la salariée et ses employeurs dès lors qu'il a été établi le 1er août 2018, soit plus de deux années après l'accident, étant rappelé qu'aucune restriction n'avait été auparavant notée par le médecin du travail (avis d'aptitude du 14 septembre 2015).
Enfin, le fait que Mme [L] bénéficie d'une pension d'invalidité à compter du 1er juillet 2018 et la condamnation de son employeur par la chambre prud'homale de la cour d'appel le 16 mars 2022 pour des faits de harcèlement moral ne font qu'établir une dégradation des relations de travail sur plusieurs mois à l'origine d'un syndrome dépressif et l'impact de l'état de santé de Mme [L] sur sa capacité de travail.
Ainsi, Mme [L] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, au-delà de ses affirmations, de l'existence d'un ou plusieurs événements précis survenus par le fait ou à l'occasion du travail dans un temps voisin du geste suicidaire survenu près de cinq mois après son dernier jour de travail.
Les premiers juges ont à juste titre considéré que la qualification d'accident du travail ne pouvait pas être retenue en l'absence de lien direct établi entre le fait du 15 novembre 2016 et le travail de sorte que le rejet de la demande de prise en charge de l'accident était fondé.
Le jugement sera donc confirmé.
L'équité et la solution du litige conduisent à rejeter la demande de Mme [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Enfin, en application de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [L] qui succombe, supportera les dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute Mme [K] [L] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [K] [L] aux dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,