ARRET
N° 106
S.A.S. [5]
C/
CPAM AISNE
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 26 JANVIER 2023
*************************************************************
N° RG 21/01423 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IBAI - N° registre 1ère instance : 16/679
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE ARRAS EN DATE DU 25 janvier 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. [5] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siègeA.T. : Mr [G] [F]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Mme [O] dûment mandatée
ET :
INTIME
CPAM AISNE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée et plaidant par Mme [N] [H] dûment mandatée
DEBATS :
A l'audience publique du 01 Décembre 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 26 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.
*
* *
DECISION
Saisi par la société [5] d'un recours contre la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne (la CPAM) ayant rejeté sa contestation liée aux conséquences financières de la prise en charge de l'accident survenu à son salarié, le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras a, par jugement du 25 janvier 2021, :
- déclaré la société [5] recevable,
- déclaré opposable à la société [5] la décision de la CPAM de l'Aisne de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident du travail du 18 juin 2008 de son salarié M. [G] [F],
- condamné la société [5] aux dépens.
Par courrier expédié le 8 mars 2021, la société [5] a interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 10 février 2021.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 26 avril 2022, lors de laquelle l'affaire a été renvoyée à l'audience du 1er décembre 2022.
Par conclusions visées par le greffe le 5 mai 2022 soutenues oralement à l'audience, la société [5] demande à la cour de :
- la recevoir en son appel et le dire bien fondé,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré opposable à son égard la décision de prise en charge de l'accident déclaré par M. [F] au titre de la législation professionnelle,
Statuant à nouveau,
- déclarer inopposable à son égard la décision de prise en charge de l'accident déclaré par M. [F],
- débouter la CPAM de l'Aisne de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre.
La société [5] soutient que la demande de la CPAM tendant à voir déclarer prescrite la saisine par l'employeur de la commission de recours amaiable est forclose ; qu'en effet, la question a été définitivement tranchée par le jugement dès lors qu'elle n'a interjeté appel que du chef de l'opposabilité de la décision de prise en charge.
Si la cour acceptait de statuer sur ce point, elle sollicite la confirmation du jugement dès lors que la CPAM ne lui a pas notifié la décision de prise en charge de l'accident dont elle n'a eu connaissance qu'à compter du 5 janvier 2012 suite à la notification de ses taux de cotisations AT MP ; qu'aucun délai de prescription ne peut lui être opposé étant précisé qu'aucun texte ne prévoyait la notification de la décision de prise en charge à l'employeur avant le 1er janvier 2010 ; que le recours conservatoire de taux AT/MP qu'elle a effectué le 5 mars 2012 a en tout état de cause interrompu le délai de prescription.
Sur le respect du principe du contradictoire, elle expose que la caisse qui lui a adressé le 5 août 2008 un courrier indiquant qu'elle avait recours à un délai complémentaire d'instruction devait ainsi obligatoirement respecter le principe du contradictoire ; qu'en s'abstenant de lui adresser un questionnaire, elle n'a pas mené son enquête contradictoirement de sorte que la décision de prise en charge doit être déclarée inopposable. L'inopposabilité s'impose également dès lors que la caisse ne l'a pas informée de la clôture de l'instruction.
Par conclusions visées par le greffe le 16 novembre 2022 soutenues oralement à l'audience, la CPAM de l'Aisne demande à la cour de :
A titre principal,
- juger recevable son appel incident portant sur la prescription de l'action de la société [5],
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Arras déclarant le recours de la société [5] recevable,
Et rejugeant,
- constater l'irrecevabilité du recours de la société [5] pour cause de prescription,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement déclarant la décision de prise en charge de l'accident du travail du 18 juin 2018 de M. [F] opposable à la société [5],
- débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes.
La CPAM soutient que son appel incident portant sur l'irrecevabilité de l'action de l'employeur devant la commission de recours amiable pour cause de prescription est recevable et bien fondé ; qu'en effet, elle a adressé un courrier informant l'employeur de la mise en place d'un délai complémentaire d'instruction le 5 août 2008 et de l'intervention d'une décision au plus tard le 5 octobre 2008 ; qu'en conséquence l'employeur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la décision de prise en charge à cette date, qui constitue le point de départ du délai de prescription ; qu'ainsi, l'employeur qui a saisi la commission de recours amiable le 3 septembre 2015 était prescrit, et ce depuis le 5 octobre 2013.
Sur le respect du principe du contradictoire, elle fait valoir que le courrier du 5 août 2008 était manifestement erroné puisque par une décision notifiée à l'assuré le 15 juillet 2008, elle avait pris en charge d'emblée l'accident du travail en l'absence de réserve de l'employeur ; qu'elle n'a donc diligenté aucune enquête nonobstant les termes du courrier du 5 août 2008 ; qu'il ne s'agissait que de recourir au délai complémentaire dans l'attente du certificat médical initial ; qu'en conséquence, elle n'était pas tenue par une obligation d'information et le courrier manifestement erroné du 5 août 2008 ne saurait caractériser un quelconque manquement à son obligation d'information ; que l'opposabilité de la décision de prise en charge doit donc être confirmée.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé plus ample des moyens.
MOTIFS
Sur la prescription du recours de la société [5]
- sur la recevabilité de la demande
En application de l'article 550 du code de procédure civile, l'appel incident peut être formé, en tout état de cause, alors même que celui qui l'interjetterait serait forclos pour agir à titre principal.
Il s'ensuit que, contrairement à ce qu'expose la société [5], la CPAM est recevable en son appel incident portant sur la prescription du recours.
- sur le bien-fondé de la demande
Il est constant qu'en l'absence de texte spécifique, l'action de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels se prescrivent selon les règles de droit commun.
L'article 2224 du code civil issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 dispose que 'les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu et aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
Selon l'article 26 II de la loi du 17 juin 2008, les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
En l'espèce, l'accident du travail a été déclaré le 18 juin 2008 et pris en charge le 15 juillet 2008 alors que la CPAM n'avait aucune obligation à l'époque de notifier à l'employeur sa décision, cette obligation ayant été instaurée à compter du 1er janvier 2010 par décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009.
A supposer qu'il en soit justifié, ce qui n'est pas le cas, la notification à l'employeur alléguée par la CPAM le 15 juillet 2008 de la décision de prise en charge de l'accident n'a donc pas pu ouvrir un délai de recours à l'employeur.
Il y a donc lieu de rechercher in concreto les éléments de fait permettant de retenir la date à compter de laquelle l'employeur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'engager son action en inopposabilité de la décision de prise en charge.
La société [5] soutient qu'elle a eu connaissance de la prise en charge de l'accident du 15 juillet 2008 lors de la notification du taux AT/MP 2012 par la CARSAT le 2 janvier 2012 au titre des sinistres 2008, 2009 et 2010, de sorte que le délai de prescription de 5 ans a commencé à courir à compter de cette date et que sa saisine de la commission de recours amiable le 26 août 2015 n'était pas prescrite.
La CPAM invoque un courrier recommandé du 5 août 2008 avec avis de réception au terme duquel elle informe l'employeur du recours à un délai complémentaire d'instruction dans l'attente du certificat médical initial et soutient que l'employeur aurait dû avoir connaissance de ce qu'une décision interviendrait nécessairement dans un délai de deux mois soit le 5 octobre 2008 au plus tard.
Cependant la cour retient avec le tribunal que ce courrier ne peut, seul, être suffisant pour constituer le point de départ du délai de prescription dès lors que ce courrier n'impliquait pas une décision de prise en charge.
Dès lors que l'employeur n'était pas informé d'une décision de prise en charge, aucun délai de prescription ne pouvait avoir commencé à courir.
La société [5] justifie de la notification par la CARSAT du taux AT/MP le 2 janvier 2012 au titre de l'année 2008 notamment et produit un courrier du 5 mars 2012 qu'elle a adressé à la CARSAT dans lequel elle liste les salariés concernés dont M. [F] pour un AT du 18 juin 2008 et informe la CARSAT des recours qu'elle a engagés.
En considération de ces éléments, le tribunal a légitiment retenu que le délai de prescription avait commencé à courir à compter du 2 janvier 2012, date à laquelle la société [5] avait eu connaissance de la prise en charge de l'accident de 2008 du fait de son impact sur son taux de cotisations, et que son recours devant la commission de recours amiable le 26 août 2015 n'était pas prescrit.
La fin de non-recevoir tirée de la prescription est rejetée.
Le jugement qui a déclaré l'action de la société [5] recevable sera donc confirmé.
Sur le respect du principe du contradictoire
L'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable, dispose :
'Hors les cas de reconnaissance implicite, et en l'absence de réserves de l'employeur, la caisse primaire assure l'information de la victime, de ses ayants droit et de l'employeur, préalablement à sa décision, sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de leur faire grief.
En cas de réserves de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès.'
Il résulte de l'article R. 441-14 du même code dans sa version applicable que lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; qu'à l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
En l'espèce, le courrier du 5 août 2008 adressé par la CPAM à l'employeur visant une déclaration d'accident du travail concernant M. [F] reçue le 10 juillet 2008 indique : « Une décision relative au caractère professionnel de cet accident n'a pu être arrêtée dans le délai réglementaire [']. En effet le certificat médical ne nous est pas parvenu. En conséquence, un délai complémentaire d'instruction est nécessaire ».
Toutefois, il ressort du dossier que la CPAM a pris en charge l'accident d'emblée le 15 juillet 2008 selon le courrier notifié à l'assuré à cette date qui était la seule notification prévue à l'époque. En outre, le jugement fait état parmi les pièces du dossier de la CPAM, d'une copie du certificat médical portant un tampon de la CPAM du 23 juin 2008 ce qui montre qu'elle l'avait reçu à cette date.
Ces éléments démontrent que le courrier du 5 août 2008 est bien une communication erronée de la part de la CPAM à l'employeur et que l'organisme social n'a pas diligenté d'enquête.
Même si par ce courrier, la CPAM a notifié par erreur un délai d'instruction à l'employeur, cette notification n'a pas pu avoir d'effet juridique quant aux obligations de la CPAM en la matière, la prise en charge étant intervenue d'emblée.
Aucun manquement au respect du contradictoire ne peut dès lors lui être reproché.
La société [5] sera donc déboutée de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de ce chef.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré opposable à l'employeur la décision de prise en charge de l'accident du travail.
Sur les dépens
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société [5] est condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Déclare recevable l'appel incident interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Condamne la société [5] au paiement des dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,