ARRET
N° 104
CPAM DE L'OISE
C/
Société [6]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 26 JANVIER 2023
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N° RG 21/00352 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H653 - N° registre 1ère instance : 18/00172
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 17 décembre 2020
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
CPAM DE L'OISE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Affaires Juridiques
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Mme [X] [Z] dûment mandatée
ET :
INTIMEE
Société [6] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
A.T. : Mme [C] [I]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée et plaidant par Me Pascal PERDU, avocat au barreau d'AMIENS
DEBATS :
A l'audience publique du 14 Novembre 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 26 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.
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DECISION
Par jugement du 17 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Beauvais, pôle social, a :
- déclaré recevable et bien fondé le recours formé par la société [6],
- déclaré inopposable à la société [6] la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident survenu au préjudice de Mme [C] [I] le 10 novembre 2017,
- condamné la CPAM de l'Oise aux dépens nés postérieurement au 31 décembre 2018.
Par courrier expédié le 7 janvier 2021, la CPAM de l'Oise a interjeté appel du jugement.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 22 février 2022, lors de laquelle l'affaire a été renvoyée à l'audience du 14 novembre 2022.
Par conclusions préalablement communiquées et soutenues oralement à l'audience, la CPAM demande à la cour de :
- dire et juger son appel recevable,
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- déclarer opposable à la société [6] la décision de prise en charge au titre accident du travail des faits survenus le 10 novembre 2017,
- débouter la société [6] de ses demandes, fins et conclusions.
La CPAM fait valoir que le fait accidentel survenu sur le parking d'un client s'est produit au temps et au lieu du travail et qu'il n'est pas établi que la salariée aurait interrompu sa mission pour un motif strictement personnel ; que cette dernière a été victime d'un syndrome dépressif consécutif à un fait anormal consistant en le fait d'être photographiée à son insu par son employeur sur son lieu de travail ; que la présomption d'imputabilité s'applique et l'employeur ne démontre pas que le travail n'a joué aucun rôle dans la survenance du fait litigieux.
Elle précise que la rédaction d'un arrêt de travail en maladie est sans incidence sur l'appréciation du caractère professionnel du fait accidentel.
Par conclusions visées par le greffe le 10 mai 2022 soutenues oralement à l'audience, la société [6] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- condamner la CPAM de l'Oise aux dépens.
La société [6], entreprise de services à personne, expose que dans le courant de l'année 2017, Mme [I] a adopté une attitude de refus d'exécution des prestations qui lui étaient confiées, ce qui a justifié sa convocation à un entretien préalable le 27 octobre 2017 puis à son licenciement le 17 novembre 2017 ; que le 17 novembre 2018, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes en exploitant le fait du 10 novembre 2017 qui a été reconnu initialement comme un arrêt maladie par le médecin ; qu'aucun certificat d'accident du travail n'a été délivré avant le prononcé du licenciement.
Elle soutient que l'évènement du 10 novembre 2017 ne peut être qualifié d'accident du travail ; que sa salariée s'est soustraite à l'autorité de l'employeur pendant 30 minutes, celle-ci n'étant arrivée sur les lieux de sa seconde prestation qu'à 11h40 alors qu'elle avait terminé sa première prestation de la matinée à 11h08 et qu'elle aurait du arriver 3 minutes plus tard en voiture ou 20 minutes plus tard à pied ; qu'un tel comportement qui fait fi des directives de l'employeur ne peut avoir pour conséquence que de la priver de la présomption d'imputabilité ; que la CPAM dénature les circonstances des faits, en l'occurrence l'intervention de Mme [W], présente pour la remise des clés qui n'a pu faire état que de sa surprise au regard du retard de la salariée qui était venue en voiture, tandis que Mme [I] et sa fille ont fait semblant de se méprendre sur l'objet du cliché photographique ; que la réaction de sa salariée qui s'est roulée au sol, était disproportionnée et ne peut être que rattachée à une situation personnelle et autonome étant observé qu'elle a déjà été hospitalisée en psychiatrie et que sa plainte a été classée sans suite.
Elle ajoute que le docteur [F], médecin psychiatre du centre hospitalier, a délivré un arrêt de travail en maladie pour une durée de trois jours et que par la suite, Mme [I] a revu son médecin traitant, le docteur [U], qui lui a délivré un avis de prolongation de cet arrêt de travail, toujours en maladie.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé plus ample des demandes et des moyens.
MOTIFS
Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident de travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeurs.
Pour bénéficier de la présomption d'imputabilité au travail de l'accident survenu au temps et au lieu de travail édictée par ces dispositions, il appartient à la caisse, dans ses rapports avec l'employeur, d'apporter la preuve d'un fait dommageable survenu au temps et au lieu du travail.
Il est constant que constitue un accident du travail un évènement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion. Des troubles psychiques peuvent ainsi caractériser un accident du travail si leur apparition est brutale et liée au travail.
La présomption d'imputabilité de l'article L. 411-1 peut être renversée par la preuve d'une cause totalement étrangère au travail.
En l'espèce, le 10 novembre 2017, la société [6] a établi une déclaration d'accident du travail pour un accident subi le 10 novembre 2017 à 11h40 par Mme [C] [I], salariée dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'aide ménagère/garde d'enfant, accident qui a été constaté immédiatement par un préposé de l'employeur et dont les circonstances sont ainsi relatées : 'Mme [I] arrivait sur le lieu d'intervention et a eu une crise, malaise. Elle a eu une crise et est tombée au sol en poussant des hurlements, elle semblait avoir du mal à respirer et ne répondait pas aux interlocuteurs qui essayaient de lui parler. Pas de blessures physiques constatées'.
Mme [I] a été transportée au centre hospitalier lequel a établi un arrêt de travail jusqu'au 13 novembre 2017. Cet arrêt de travail a été prolongé jusqu'au 27 novembre 2017 par le docteur [U], lequel a établi un Cerfa accident du travail daté du 10 novembre 2017 indiquant 'duplicata après reconnaissance AT/employeur; annule le précédent' et mentionnant au paragraphe constatations détaillées :'choc émotionnel sur lieu de travail-espionnage par le personnel de la société- peur panique avec hospitalisation CH [Localité 7] puis en psychiatrie en urgence'. Un certificat de prolongation du 17 décembre 2017 au 21 février 2018 est également produit pour un syndrome anxiodépressif en rapport avec les problèmes relationnels au travail.
Les horaires de travail de Mme [I] indiqués sur la déclaration le jour de l'accident sont 9 h/ 13h15-13h45/15h45 et il est fait état d'un témoin, Mme [W].
Il n'est pas contesté que l'accident est survenu lors de l'arrivée de Mme [I] sur le parking du client chez lequel elle devait intervenir.
L'appelante reproche au tribunal d'avoir, pour déclarer inopposable la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, écarté la présomption d'imputabilité au motif que Mme [I] s'était soustraite à l'autorité de son employeur au cours de son déplacement professionnel et que la CPAM n'établissait pas la preuve d'un fait accidentel survenu par le fait du travail en se bornant à faire valoir que l'assurée avait été victime d'un syndrome dépressif consécutif à un fait anormal consistant en le fait d'être photographiée à son insu pour le compte de son employeur sur son lieu de travail.
Il ressort du dossier, en particulier de l'enquête administrative, :
- que le jour des faits, Mme [I] a effectué une première prestation de 2 heures à [Localité 5] jusqu'à 11h08 et qu'elle devait se rendre chez un second client à [Localité 4], situé à 2 kilomètres et à trois minutes en voiture selon l'itinéraire Mappy produit par la société en pièce 13 ;
- que Mme [I] explique dans sa plainte pénale pour harcèlement moral déposée le 13 novembre 2017 (pièce 6 CPAM) qu'elle avait 15 minutes pour se rendre à pied sur le lieu de sa seconde prestation et qu'elle a prévenu son employeur par message de son retard puisqu'il y avait 30 minutes de marche entre les deux lieux de sorte que ce dernier l'a autorisée à arriver à 11h30 au lieu de 11h15 ; qu'elle a prévenu sa fille qui est venue la chercher en voiture et que lors de leur arrivée, elle a été choquée lorsque sa fille lui a dit que Mme [W], adjointe de la responsable de la société Mme [K], était en train de la prendre en photo pour prouver qu'elle se déplaçait en voiture ;
- que Mme [D] [G], fille de Mme [I], confirme qu'elle accompagnait sa mère qui n'avait plus de véhicule, sur son lieu de travail, et que celle-ci s'est effondrée lorsque Mme [W] a refusé de supprimer la photo et a dit que sa responsable lui avait demandé de la mettre en faute pour la licencier (pièce 5 CPAM) ;
- que le représentant de l'employeur indique dans le questionnaire employeur que Mme [I] a été prise en flagrant délit de mensonge et s'est roulée par terre et que c'est Mme [W], qui était présente dans le cadre de la prestation pour l'encadrement et la remise des clefs, qui les a prévenu (pièce 7 CPAM) et dans sa lettre de réserves du 10 janvier 2018, qu'une procédure de licenciement de Mme [I] était en cours pour différents motifs et leurs rapports devenus très conflictuels (pièce 8 CPAM)
- que selon Mme [W] (pièce 9 CPAM), Mme [I], qui a été prise en porte à faux vis-à-vis de la société car elle ne se déplaçait pas à pied contrairement à ce qu'elle avait affirmé, a eu une réaction disproportionnée ; que Mme [W] répond s'agissant de la photographie : 'non, je n'ai pas photographié Mme [I]. Compte tenu que Mme [I] refusait certaines prestations en invoquant qu'elle ne possédait plus de moyen de transport et qu'elle devait se rendre à pied à celles-ci (en justifiant de cette sorte ses absences répétées), j'ai photographié la voiture qui la véhiculait pour témoigner du mensonge. En effet nous avions reçu de sa part le SMS ci-joint (Okay pour la mission de demain mais j'y serais vers 11h30 ou 40 étant donné que je ne suis pas véhiculée et que c'est un peu près 35 min de marche).'
Ces éléments qui ne résultent pas des seules affirmations de Mme [I], établissent que quelque soit le contexte dans lequel il est intervenu, un fait dommageable consistant en le fait d'être photographiée par son employeur à son insu à l'origine d'un choc émotionnel s'est produit le 10 novembre 2017 et qu'il est survenu au temps et au lieu du travail de Mme [I].
La présomption d'imputabilité au travail du fait accidentel trouve ainsi à s'appliquer.
Le tribunal a à tort écarté cette présomption en considérant que Mme [I] s'était volontairement soustraite à l'autorité de son employeur durant son trajet dès lors qu'elle aurait dû arriver à 11h15 à Gouvieux puisqu'elle était en voiture et que le fait accidentel a eu lieu à 11h30. Il n'est en effet nullement démontré que Mme [I] a interrompu sa mission pour un motif personnel durant son trajet et son retard ou son changement de mode de transport ne peuvent avoir aucune incidence dès lors qu'elle se trouvait sur son lieu de travail au moment des faits.
La société [6] invoque une réaction démesurée de sa salariée qui serait la conséquence d'une pathologie psychiatrique préexistante.
Toutefois à supposer cette pathologie établie, il n'en reste pas moins que la réaction émotionnelle est bien survenue en raison de l'attitude de l'employeur sur le lieu du travail.
Ainsi, en l'absence de preuve d'une cause totalement étrangère au travail de nature à renverser la présomption d'imputabilité, la décision de prise en charge du fait accidentel au titre de la législation sur les risques professionnels en date du 16 avril 2018 est opposable à la société [6].
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement.
Succombant en son recours en inopposabilité de la décision de la CPAM, la société [6] sera condamnée aux dépens de première instance nés postérieurement au 31 décembre 2018 et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Beauvais, pôle social, le 17 décembre 2020,
Statuant à nouveau,
Déboute la société [6] de ses demandes,
Déclare opposable à la société [6] la décision de prise en charge en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident survenu au préjudice de Mme [C] [I] le 10 novembre 2017,
Condamne la société [6] aux dépens de première instance nés postérieurement au 31 décembre 2018 et d'appel.
Le Greffier, Le Président,