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26/01/2023 | FRANCE | N°20/05223

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 26 janvier 2023, 20/05223


ARRET

N° 102





[F]





C/



S.A.S. [7]

CPAM DE L'OISE













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 26 JANVIER 2023



*************************************************************



N° RG 20/05223 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H4OD - N° registre 1ère instance : 19/01071



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 10 septembre 2020





PARTIES EN CAUSE :r>




APPELANT





Monsieur [I] [F]

[Adresse 3]

[Localité 5]





Représenté et plaidant par Me Barbara VRILLAC, avocat au barreau de SENLIS











ET :





INTIMES





S.A.S. [7] agissant poursuites et diligences de ses représen...

ARRET

N° 102

[F]

C/

S.A.S. [7]

CPAM DE L'OISE

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 26 JANVIER 2023

*************************************************************

N° RG 20/05223 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H4OD - N° registre 1ère instance : 19/01071

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 10 septembre 2020

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [I] [F]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté et plaidant par Me Barbara VRILLAC, avocat au barreau de SENLIS

ET :

INTIMES

S.A.S. [7] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée et plaidant par Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

CPAM DE L'OISE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Affaires Juridiques

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée et plaidant par Mme [H] [B] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 01 Décembre 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2023.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,

Mme Chantal MANTION, Président,

et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 26 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.

*

* *

DECISION

Saisi par M. [I] [F] d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7], son employeur, comme étant la cause de la maladie professionnelle déclarée le 12 juillet 2010, selon certificat médical initial du 21 mai 2010, soit un syndrome dépressif, le tribunal judiciaire de Beauvais, pôle social, par jugement du 10 septembre 2020 a :

- déclaré irrecevable la société [7] tendant à dire prescrite l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de M. [I] [F],

- déclaré irrecevable la société [7] en sa demande tendant à l'infirmation de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [I] [F],

- débouté M. [I] [F] de sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7] dans la survenance de la maladie professionnelle déclarée le 12 juillet 2010,

- débouté M. [I] [F] de ses demandes d'indemnisation susbséquentes,

- débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [I] [F] aux dépens nés postérieurement au 31 décembre 2018,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

M. [F] a relevé appel le 20 octobre 2020 de ce jugement qui lui avait été notifié le 28 septembre 2020.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 9 novembre 2021 lors de laquelle l'affaire a été renvoyée au 12 mai 2022 puis au 1er décembre 2022.

Aux termes de ses conclusions parvenues au greffe le 28 novembre 2022, oralement développées à l'audience, M. [F] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Beauvais en date du 10 septembre 2020 en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7] dans la survenance de la maladie professionnelle déclarée le 12 juillet 2010,

et de ses demandes susbséquentes tendant à la mise en oeuvre d'une expertise médicale et à l'allocation d'une indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de ses divers préjudices,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné au paiement des dépens nés postérieurement au 31 décembre 2018,

Statuant à nouveau,

- constater que la société [7] a commis une faute inexcusable ayant entraîné sa maladie professionnelle,

- lui accorder la majoration de sa rente prévue par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale,

- fixer une provision de 6 000 euros à la charge avancée de la CPAM au titre de la réparation des préjudices personnels, augmentée des intérêts légaux à compter de la saisine du tribunal ou subsidiairement à compter de l'arrêt à intervenir, réparation complémentaire allouée au titre de la faute inexcusable,

- procéder à la désignation d'un médecin expert afin de déterminer ses différents taux d'incapacité et de déterminer son dommage personnel après consolidation,

- dire que les frais d'expertise médicale seront à la charge avancée de la CPAM,

- condamner la société [7] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

Par ailleurs, M. [F] sollicite oralement la confirmation du jugement quant à l'irrecevabilité de la demande de prescription de son action et de celle tenant à l'infirmation de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.

A l'appui de ses demandes, il expose qu'il a été engagé en qualité d'agent de production le 21 septembre 1998 au sein de la société [7] ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de jus de fruits ; qu'il a été victime de faits de harcèlement de 2000 à 2004 de la part de son employeur pris en la personne de son dirigeant, M. [M], harcèlement doublé d'une discrimination syndicale en 2003 lors d'élections professionnelles ; qu'il a dû subir des changements de plannings répétés, a été contraint de travailler 60 jours sans un seul jour de repos en avril et mai 2000 ; que son employeur pour occulter le nombre d'heures supplémentaires réalisées, versait une prime exceptionnelle ; qu'il l'a accusé de façon mensongère d'avoir le 27 février 2004 'failli volontairement toucher le pied de M. [V], son chef d'équipe, avec le FEN', cet évènement ayant donné lieu à une mise à pied conservatoire ; que son employeur a multiplié les sanctions disciplinaires injustifiées ; qu'il a été placé en arrêt de travail du 16 mars 2004 au 25 septembre 2004 ; qu'il a été licencié le 9 décembre 2004.

Il soutient que la question du caractère professionnel de la maladie (syndrome dépressif réactionnel à des difficultés de travail au terme du certificat médical initial) bénéficie de l'autorité de la chose jugée en vertu d'un jugement du tribunal judiciaire de Beauvais du 27 mars 2017.

Sur la faute inexcusable, il fait valoir que son employeur avait connaissance des modifications de plannings, du non-respect des temps de travail et de repos puisqu'il faisait compléter deux fiches de pointage, une 'officielle' mentionnant les horaires contractuels et une 'officieuse' comportant les horaires réellement effectués et que plusieurs fiches ont été falsifiées, des modifications du temps de travail dans le but de lui nuire et de le séparer de M. [S], délégué syndical, du harcèlement qui s'est intensifié lorsqu'il s'est syndiqué, et qu'il savait que tous ces agissements ne pouvaient qu'avoir des répercussions néfastes sur sa santé.

Il reproche au tribunal d'avoir jugé que les fiches de pointage n'établissaient pas le non-respect des temps de repos et que s'agissant des changements de planning, les attestations étaient peu circonstanciées et n'étaient pas corroborées par des éléments tangibles. Il lui reproche en outre de ne pas avoir pris en compte ses pièces 21 à 23, ni le fait que ses absences étaient justifiées par ses arrêts maladie et non par un abandon de poste.

Il développe que son employeur informé de la situation n'a pris aucune mesure pour le protéger et assurer sa sécurité : lors de l'altercation en février 2004, lors de sa demande d'attestation à M. [J] le 27 avril 2004 puisque rédigée deux mois après l'altercation, ce dernier indiquant n'avoir jamais entendu ou vu M. [M] le harceler moralement ou physiquement, lors de la réception de la prise d'acte de la rupture du fait de l'employeur envoyée le 7 octobre 2004 et l'accusant une nouvelle fois de harcèlement.

Par conclusions réceptionnées par le greffe le 29 novembre 2022 soutenues à l'audience, la société [7] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais mais l'infirmer en ce qu'il a considéré qu'elle était irrecevable à dire prescrite l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de M. [F] et qu'elle était irrecevable en sa demande tendant à l'infirmation de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [F],

En tout état de cause,

- rejeter l'ensemble des demandes présentées par M. [F] devant le cour,

- le condamner à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [7] invoque, sur le fondement de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, la prescription de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, la déclaration de maladie datant du 12 juillet 2010 et le certificat médical initial du 21 mai 2010 alors que l'assuré a été licencié pour faute grave le 9 décembre 2004 et que la demande aurait du être effectuée dans les 2 ans, soit au plus tard le 9 décembre 2006.

Elle fait valoir que l'appelant n'établit pas les faits qu'il allègue ; qu'elle-même justifie par des attestations de l'absence de toute problématique organisationnelle au sein de l'entreprise ; que M. [F] a toujours été déclaré apte chaque année par la médecine du travail entre 1998 et fin 2003. Elle conteste avoir tenu les propos qui sont prêtés à son dirigeant le 7 février 2004 lors d'une prétendue altercation avec M. [F] et soutient que l'attestation de M. [T] est mensongère ; que celle de M. [S] n'est pas plus crédible, ce dernier ayant toujours cherché à nuire à son employeur et ne fournissant aucun élément daté et circonstancié;

Elle conteste avoir fait travailler M. [F] sans respecter les jours de repos ainsi que les faits de harcèlement, observant que ce dernier a déclaré avoir été harcelé de 2002 à 2004 sans jamais s'en être plaint et en ayant été déclaré apte sans réserve pendant ces années.

Elle soutient qu'elle n'a jamais dissimulé des heures supplémentaires par des primes exceptionnelles qui étaient versées sous quatre conditions (assiduité, polyvalence, hygiène, organisation du travail) ; qu'elle n'a falsifié aucune fiche de pointage, M. [F] ne démontrant nullement l'existence des fiches officieuses qu'il allègue. Elle observe que malgré un délégué syndical omniprésent et contrôlant la totalité des documents entre la direction et ses employés, aucun salarié n'a entrepris d'action judiciaire de dénonciation auprès de l'inspection du travail

et/ou auprès des prud'hommes durant cette période en dehors de M. [F] près de huit années après son licenciement.

Elle ajoute que les modifications de planning ont visé tous les salariés via un accord d'entreprise sur les 35 heures prévoyant la possibilité d'annualiser les heures de travail qui venaient en compensation des périodes creuses liées à la variation des commandes en fonction des saisons.

Elle conclut que la qualification de maladie professionnelle attachée au syndrome dépressif réactionnel diagnostiqué par un certificat médical initial du 21 mai 2010 doit être rejetée.

Par conclusions du 30 novembre 2022 oralement développées à l'audience, la CPAM de l'Oise demande à la cour de :

- sur la prescription de la demande en reconnaissance de la maladie professionnelle, confirmer le jugement dont appel,

- sur la contestation de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [F], confirmer le jugement dont appel,

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande de reconnaissance de faute inexcusable, étant précisé que cette reconnaissance de faute inexcusable ne pourra intervenir qu'après constatation par la cour du caractère professionnel de la pathologie de M. [F],

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

- dire que la rente sera majorée à son taux maximum et que la majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité que ce soit en aggravation ou en diminution,

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la provision sollicitée par M. [F] au titre du préjudice résultant des souffrances morales et physiques,

- débouter M. [F] de sa demande relative à l'indemnisation de son préjudice financier,

- le débouter de sa demande relative aux intérêts légaux,

- limiter la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices limitativement énumérés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et le cas échéant à ceux non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale (tels que décrits ci-dessus) pour lesquels l'assuré social justifierait la nécessité d'obtenir l'avis de l'expert,

- dire que la CPAM pourra récupérer auprès de l'employeur le montant des indemnités et majorations complémentaires susceptibles d'être versées à M. [F] en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, le capital représentatif de la majoration de la rente, les frais d'expertise médicale,

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur l'article 700 du code de procédure civile.

Elle rappelle que l'employeur a été débouté de son recours contre la décision de prise en charge de la maladie en date du 31 mars 2011, par jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Beauvais du 27 mars 2014 devenu définitif, et que la maladie a fait l'objet de deux avis favorables des CRRMP des régions Nord Picardie et Ile de France.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des demandes des parties et des moyens qui les fondent.

Motifs

Sur la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable

L'article 480 du code de procédure civile dispose que 'le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4."

En l'espèce, il y a lieu de rappeler que le 31 mars 2011, la CPAM de l'Oise a pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels la maladie déclarée par M. [F] le 12 juillet 2010, et ce après avis du CRRMP Nord-Picardie s'agissant d'une maladie hors tableau en application de l'article L.461-1 4ème et 5ème alinéas du code de la sécurité sociale.

Par jugement du 12 juillet 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Beauvais saisi par M. [F] le 12 juillet 2013 d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7], a :

- déclaré recevable comme non prescrite l'action de M. [I] [F] en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

- ordonné avant dire droit, la saisine du CRRMP d'Ile de France afin qu'il donne son avis sur l'existence d'un lien entre la pathologie déclarée et l'exposition professionnelle de M. [I] [F] (...),

- sursis à statuer sur les demandes des parties dans l'attente de l'avis du comité (...).

Ce jugement qui a statué sur une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, à savoir la prescription, et qui n'a pas été frappé d'appel, bénéficie de l'autorité de la chose jugée.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la société [7] n'était plus recevable en sa demande tendant à voir déclarer prescrite l'action de M. [F] en reconnaissance de la faute inexcusable.

Sur le caractère professionnel de la maladie

Il est constant que l'employeur assigné en reconnaissance de la faute inexcusable peut soutenir en défense à cette action que l'accident ou la maladie n'a pas d'origine professionnelle, le contentieux de la faute inexcusable étant autonome et indépendant de celui relatif à l'opposabilité de la prise en charge par la CPAM de l'accident ou de la maladie qui concerne les seuls rapports caisse/employeur.

En l'espèce, la décision de prise en charge de la maladie a fait l'objet d'un recours de la part de l'employeur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Beauvais qui, par jugement du 27 mars 2014, a rejeté la demande en inopposabilité de cette décision après avoir statué sur le fond en relevant que la société [7] n'apportait aucun élément permettant de déclarer inopposable à son égard la décision et qu'elle ne formulait aucune demande de nature à remettre en cause l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui avait retenu un lien diret et essentiel entre l'affection présentée et l'exposition professionnelle.

Ce jugement qui rejette la contestation du caractère professionnel de la maladie est définitif.

L'autorité de la chose jugée qui y est attachée entraîne l'irrecevabilité de toute nouvelle contestation du caractère professionnel de la maladie.

Le jugement dont appel du tribunal judiciaire de Beauvais en date du 10 septembre 2020 sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la société [7] en sa demande tendant à l'infirmation de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [I] [F].

La désignation d'un second CRRMP en application de l'article R. 142-24-2 du code de la sécurité sociale par un jugement avant dire droit du 12 juillet 2018 dans le cadre de l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable ne modifie en rien l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 27 mars 2014.

Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La charge de la preuve incombe au salarié.

- Sur la conscience du danger

Il convient de rappeler que M. [F], né en 1965, agent de fabrication de 1998 à décembre 2004 au sein de la société [7], a établi une déclaration de maladie professionnelle le 12 juillet 2010 visant une dépression nerveuse comportant la date du 16 mars 2004 comme date de première constatation médicale. Le certificat médical initial a été rédigé le 21 mai 2010 par le docteur [Y], psychiatre, qui atteste 'suivre M. [F] depuis le 22 juin 2004, il est alors venu me consulter pour un syndrome dépressif réactionnel à des difficultés professionnelles'. Figure au dossier un avis d'arrêt de travail initial à compter du 16 mars 2004 qui a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 25 septembre 2004.

M. [F] attribue sa maladie à des faits de harcèlement de 2000 à 2004 doublés d'une discrimination syndicale en 2003 à l'approche d'élections syndicales

Il soutient que les faits de harcèlement de la part de son employeur, pris en la personne de son dirigeant, M. [M], se sont manifestés par un non-respect par ce dernier de ses temps de travail et de repos (en particulier en avril et mai 2000 où il a été contraint de travailler 60 jours sans repos), par des changements brusques de son planning de travail à partir de mars 2004 pour ne plus côtoyer M. [S] (délégué du personnel), par une accusation mensongère le 27 février 2004 qui s'est suivie d'une mise à pied disciplinaire ; que son employeur ne pouvait ignorer ces faits et leurs répercussions néfastes sur son état de santé.

S'agissant du non-respect des temps de repos, le contrat de travail de M. [F] indique une durée hebdomadaire de 39 heures du lundi au vendredi de 8h à 17h et le samedi de 8h à 16h avec une pause déjeuner d'une heure. Il prévoit que les horaires peuvent varier en fonction des impératifs de production.

Les premiers juges ont retenu que si M. [F] avait déclaré lors de l'enquête avoir été contraint de travailler 60 jours sans interruption à son retour d'arrêt de travail en août 2003, les fiches de pointage et les bulletins de salaire produits par l'employeur (pièce 19) montraient que le salarié avait travaillé en août et septembre 2003 sur l'amplitude horaire habituelle (de 8h/8h30 à 16h/17h30) et qu'il avait bénéficié sur cette période de tous ses jours de repos dominicaux et de quatre mercredis de repos.

M. [F] soutient devant la cour que l'employeur faisait compléter deux fiches de pointage, une 'officielle' mentionnant les horaires contractuels et une 'officieuse' comportant les horaires réellement effectués et que plusieurs fiches ont été falsifiées, en particulier celles qui comportent la mention 'R' au lieu de 'repos'et celles qui comportent des erreurs sur son nom. Il cite ainsi les fiches des mois de janvier 2002 (pièce 25-78), décembre 2002 (pièce 25-98), mars à juin 1999 (pièces 25-11 à 25-17), mars et mai 2000 (pièce 25-35 et 25-41).

Outre l'absence de preuve de l'existence de fiches officieuses, la cour relève que les fiches produites comportent la signature de M. [F], qu'une seule fiche comporte le nom de [R] au lieu de [F] (avril 2000) et qu'il ne peut être déduit de la mention repos en abrégé 'R' la falsification des fiches concernées. Au surplus, cette abréviation concerne deux fiches en 2002 et quelques fiches en 1999 et 2000 qui sont trop éloignées de la date de la constatation de la maladie pour retenir un lien entre le prétendu non-respect du temps de repos à l'époque et le syndrome dépressif constaté le 22 juin 2004.

Enfin, les premiers juges ont justement considéré que le témoignage du collègue de l'assuré, M. [S], délégué du personnel et représentant syndical, qui déclare 'avoir été témoin direct de tous les agissements de (leurs supérieurs) envers Monsieur [I] [F] en ce qu'ils l'ont fait travaillé pendant des mois sans arrêt après que j'ai été élu délégué du personnel et syndical' était peu circonstancié. Il sera ajouté que le témoin évoque la période qui a suivi les élections qui ont eu lieu en septembre 2003 selon les déclarations de M. [F] lors de l'enquête alors que les feuilles de pointage au cours de cette période font état de repos hebdomadaires.

S'agissant des changements brusques de plannings, ils ne sont pas caractérisés par le seul planning du mois de mars 2004 fixant les horaires de M. [F] de 10h à 18h alors au surplus que son contrat de travail prévoyait la possibilité de changer les horaires pour des raisons de production. En outre, les pressions et motifs de ce changement résultent des seules déclarations de M. [F], qui n'établit pas avoir alerté son employeur ou la médecine du travail sur ce point.

Enfin, sur l'évènement du 27 février 2004, M. [F] qui soutient que M. [M] l'a agressé verbalement, produit l'attestation de M. [T] rédigée ainsi : 'Le 27 février 2004, vers 16h00, alors que je traversais le couloir pour me rendre dans le bureau (secrétariat), j'ai entendu Monsieur [L] [M] parler d'un ton élevé à Monsieur [F] [I] qui se trouvait à son poste de travail. Monsieur [L] lui avait dit en ces termes ' Je sais que c'est toi qui pousse le délégué'. Calmement, Monsieur [F] lui a répondu 'non, le délégué n'a pas besoin de moi pour faire son travail'; J'ai ensuite entendu Monsieur [M] accuser Monsieur ([F]) d'avoir touché le pied de son chef d'équipe avec le FEN et comme Monsieur [I] protestait sans s'énerver, Monsieur [M] lui a demandé de le rejoindre tout de suite dans son bureau'.

Toutefois, ce témoignage, qui n'est pas conforme à l'article 202 du code de procédure civile en l'absence de pièce d'identité, n'a pu qu'être écarté par les premiers juges au regard de l'attestation du même témoin en date du 24 avril 2012 produite par la société [7] dans laquelle il déclare avoir établi une fausse attestation à la demande de M. [F] pour l'aider car 'selon les dires de M. [F] le 27 février 2004, il a heurté le pied de son chef d'équipe, Monsieur [V] [A] avec son chariot élévateur en roulant très vite sans contrôler l'engin car il s'était énervé contre M. [M], président de la société. Suite à cette faute, M. [S] et [F] m'ont demandé d'établir une fausse déclaration, celle du 28 02 2004 pour protéger M. [F].' Le témoin précise qu'il n'a pas entendu M. [L] [M] parler d'un ton élevé à M. [F] car son bureau est au premier étage et qu'il se trouvait au rez-de-chaussée.

Les pièces 21 à 23 figurant au dossier de M. [F] que ce dernier reproche au tribunal de ne pas avoir prises en compte et qui montrent que M. [T] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire le 10 mai 2004 pour des faits qu'il a contesté par un courrier du 17 mai 2004 dans lequel il considérait que cela devenait du harcèlement, ne permettent pas plus de prendre en compte le témoignage de M. [T] sur l'événement du 27 février 2004.

Pour établir le harcèlement de son employeur, M. [F] verse également au dossier une attestation de son collègue, M. [S] qui déclare en sa qualité de délégué du personnel, ' avoir assisté M. [I] [F] le 9 mars 2004 en la présence de M. [L] [M] à un entretien en vue d'un licenciement, lors de cette discussion, M. [M] reprochait à M. [I] [F] de ne pas se plier à sa seule autorité, mais le plus grave c'est qu'il a reconnu avoir bousculé violemment M. [I].'

La société [7] qui conteste toute bousculade, établit que M. [F] a fait l'objet non pas d'un licenciement mais d'une mise à pied disciplinaire motivée par les faits du 27 février 2004 qualifiés de fautes graves dans un courrier du 11 mars 2004 ; que par courrier du 12 novembre 2004, au motif d'une absence non autorisée depuis le 11 octobre 2004, une nouvelle mise à pied de trois jours lui a été infligée. Il n'apparaît pas que l'employeur ait agi en dehors de l'exercice normal de son pouvoir de sanction ainsi que l'a relevé le tribunal.

Enfin, la cour note que l'appelant ne produit aucun témoignage relatant un état de souffrance au travail en réaction à l'attitude de ses supérieurs.

En considération de ce qui précède, la seule attestation de M. [S], peu circonstanciée, est insuffisante pour établir des faits de harcèlement. Par suite la conscience par l'employeur d'un danger qui aurait consisté dans le mal-être du salarié généré par ledit harcèlement n'est pas démontrée.

Le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et de ses demandes d'indemnisation subséquentes.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelant qui succombe sera condamné aux dépens de l'appel.

Par ces motifs

La cour, statuant publiquement par décision contradictoire mise à disposition au greffe,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Beauvais, pôle social, en date du 10 septembre 2020,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [I] [F] aux dépens de l'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 20/05223
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;20.05223 ?
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