La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2023 | FRANCE | N°22/01450

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Cidp, 19 janvier 2023, 22/01450


DÉCISION























COUR D'APPEL D'AMIENS



JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 19 JANVIER 2023





A l'audience publique du 07 Décembre 2022 tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 1er juillet 2022 et saisie en application des articles 149-1 et

suivants du code de procédure pénale,



Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,



Dans la cause enregistrée sous le N° RG 22/01450 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IMRA du rôle général.



...

DÉCISION

COUR D'APPEL D'AMIENS

JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT

STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION

DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 19 JANVIER 2023

A l'audience publique du 07 Décembre 2022 tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 1er juillet 2022 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,

Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,

Dans la cause enregistrée sous le N° RG 22/01450 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IMRA du rôle général.

Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.

ENTRE :

Monsieur [M] [X]

né le [Date naissance 1] 1997 à [Localité 5]

de nationalité Française

Centre Pénitentiaire

N° écrou 13815

[Localité 2]

Représenté par Maître SCHULLER, avocat au barreau d'Amiens, substituant Me Emmanuel TRINK, avocat au barreau de PARIS

ET :

Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Ministère du budget, direction. des affaires juridiques Sous Direction du droit privé

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté, concluant et plaidant par Me Maître ABDELKRIM de la SELARL DORE TANY BENITAH, avocat au barreau d'Amiens.

EN PRÉSENCE DE :

M. Wilfrid GACQUER, Substitut général près la Cour d'Appel d'AMIENS.

Après avoir entendu :

- le Conseil du demandeur en ses requête, plaidoirie et observations,

- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,

- Monsieur le substitut général en ses conclusions et observations,

- le Conseil du demandeur ayant eu la parole le dernier.

L'affaire a été mise en délibéré conformément à la Loi et renvoyée à l'audience publique du 19 Janvier 2023.

A l'audience publique du 19 Janvier 2023, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :

Mis en examen du chef de recel de biens provenant d'un vol en bande organisée et de vol en bande organisée avec arme, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Senlis, M.[X] a été placé en détention provisoire le 21 août 2019. Il a été remis en liberté le 10 novembre 2020 et a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue le 30 septembre 2021 par le magistrat instructeur. Cette décision est définitive.

Durant cette période d'incarcération plusieurs peines ont été mises à exécution ainsi la durée de détention subie du chef de la procédure d'information ayant abouti au non lieu est de 132 jours

Par requête en date du 31 mars 2022, conclusions en date du 25 juillet 2022 et du 7 décembre 2022, M.[X] sollicite la somme de 3000 euros au titre de son préjudice matériel, 11 550 euros au titre de son préjudice moral (75 euros par jour) et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, exposant que sa détention provisoire a duré 154 jours.

S'agissant du préjudice moral, il expose qu'il n'était âgé que de 21 ans lors de son incarcération, qu'il s'est trouvé éloigné de sa famille en étant incarcéré à la maison d'arrêt d'[Localité 3] dans des conditions difficiles alors que sa mère avait été victime d'un lourd accident de voiture et qu'elle a subi plusieurs hospitalisations pendant sa détention.

Il fait valoir que le choc psychologique est d'autant plus important que les faits qui lui étaient reprochés étaient de nature criminelle.

Il expose que le préjudice matériel correspond aux honoraires de son avocat lors de la garde à vue, de son déferrement, de son interrogatoire de première comparution et de ses demandes de mise en liberté. Il verse aux débats une facture

Par conclusions en date du 29 juin 2022, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à l'irrecevabilité de la requête faute de certificat de non recours et subsidiairement demande qu'il soit constaté que la période d'incarcération concernée par le non-lieu est de 94 jours. Il relève que le casier judiciaire de M.[X] porte trace de plusieurs condamnations et qu'il avait déjà été incarcéré avant la détention provisoire en cause. Il propose que le préjudice moral subi soit évalué à 4 500 euros.

Il conclut au débouté de la demande formée au titre du préjudice matériel faute de facture justifiant des honoraires liés directement et exclusivement à la détention provisoire.

Il demande à la commission de déclarer M.[X] irrecevable en sa demande fondée sur l'article 475-1 du code de procédure pénale du code de procédure civile.

Par conclusions en date du 8 juillet 2022, la procureure générale a conclu à l'irrecevabilité de la demande faute de production du certificat de non recours et relevant que M.[X] a été détenu du 21 août 2019 au 1à novembre 2020 soit 447 jours a conclu au rejet de la demande au titre des honoraires, à l'irrecevabilité de la demande fondée sur l'article 475-1 du code de procédure pénale et à titre subsidiaire à l'admission de la requête dans les limites proposées par l'agent judiciaire de l'Etat.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 7 décembre 2022 de la commission d'indemnisation de la détention provisoire.

CECI EXPOSE

1.Sur la recevabilité

L'article 149 du code de procédure pénale dispose : Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.

Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3.

En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présenté dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.

Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.

Mis en examen du chef de recel de biens provenant d'un vol en bande organisée et de vol en bande organisée avec arme, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Senlis, M.[X] a été placé en détention provisoire le 21 août 2019. Il a été remis en liberté le 10 novembre 2020 et a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue le 30 septembre 2021 par le magistrat instructeur. Un certificat de non appel a été établi par le greffier le 8 juillet 2022. Cette décision est définitive.

La lecture de sa fiche pénale permet de constater que M.[X] a été placé en détention provisoire le 21 août 2019 et sa mise en liberté a été ordonnée par le juge d'instruction le 10 novembre 2020. Durant cette période, il a été détenu pour autre cause:

- du 23 octobre 2019 au 30 novembre 2019 : exécution du jugement du tribunal correctionnel de Senlis du 1er mars 2019,

- du 12 février 2020 au 2 mars 2020: détention provisoire dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Pontoise

- du 3 mars 2020 au 19 avril 2020: exécution du jugement du tribunal correctionnel de Senlis du 4 octobre 2019,

- à compter du 13 mai 2020: exécution du jugement du tribunal correctionnel de Pontoise du 13 mai 2020, confirmé par arrêt de la la cour d'appel de Versailles du 9 septembre 2020.

Contrairement à ce que soutiennent l'agent judiciaire de l'Etat et la procureure générale, il a donc été détenu provisoirement dans le cadre de la procédure ayant abouti au non-lieu:

du 21 août 2019 au 22 octobre 2019: 2 mois et 1 jour

du 1er décembre 2019 au 111 février 2020: 2 mois et 11 jours

du 20 avril 2020 au 12 mai 2020: 23 jours

soit durant 5 mois et 4 jours.

Sa requête formée par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 31 mars 2022 est donc recevable.

2.Sur l'indemnisation du préjudice matériel

S'il est constant que le coût correspondant aux frais de défense engagés dans le cadre de la détention provisoire constitue un préjudice matériel susceptible d'être indemnisé, seules les prestations qui sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la liberté peuvent être prises en compte.

Par ailleurs en application de l'article 12 du décret n° 2205-790 du 12 juillet 2005, un compte détaillé d'honoraires doit être délivré par l'avocat à la demande de son client.

Or en l'espèce aucune facture n'est versée aux débats attestant de ces honoraires.

Il convient donc de débouter M.[X] de sa demande au titre du préjudice matériel.

3.Sur l'indemnisation de son préjudice moral:

Le préjudice moral au sens de l'article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne injustement privée de liberté, ce choc carcéral correspondant à l'émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.

Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles en raison de la fragilité de l'intéresse et peut être minoré lorsque le l'intéressé avait déjà connu la prison auparavant.

Néanmoins le choc psychologique enduré en raison de l'importance de la peine encourue pour un crime dont elle se savait innocente n'est pas amoindri par des incarcérations antérieures à l'occasion de procédures correctionnelles.

En l'espèce M.[X] qui avait déjà été incarcéré le 7 décembre 2018 en exécution de la peine de 6 mois d'emprisonnement prononcée en comparution immédiate le 28 janvier2019, a été mis en examen et incarcéré du chef de recel de biens provenant d'un vol en bande organisée et de vol en bande organisée avec arme. Ces infractions sont punies de 30 ans de réclusion criminelle, ce qui est de nature à aggraver un préjudice psychologique.

M.[X] qui invoque la séparation d'avec ses parents et son isolement ne justifie par aucune pièce des liens qu'il entretenait avec eux ni de ce qu'il était proche de sa mère, étant relevé que son casier judiciaire porte mention de plusieurs condamnations prononcées par les tribunaux pour enfants.

Au regard de ces différents éléments et notamment de la durée de 5 mois et 4 jours de la privation de liberté subie, il convient de lui accorder la somme de 11 000 euros en réparation du préjudice moral subi au titre de cette détention.

4.Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

L'équité justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1000 euros.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions

Déclare la requête de M.[X] recevable ;

Alloue à M.[X] les sommes de :

- 11 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M.[X] de sa demande au titre du préjudice matériel ;

Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 1er juillet 2022, siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 19 Janvier 2023.

Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Cidp
Numéro d'arrêt : 22/01450
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;22.01450 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award