DÉCISION
N°
COUR D'APPEL D'AMIENS
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT
STATUANT EN MATIÈRE DE RÉPARATION
DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 19 JANVIER 2023
A l'audience publique du 7 Décembre 2022 tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 1er juillet 2022 et saisie en application des articles 149-1 et suivants du code de procédure pénale,
Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,
Dans la cause enregistrée sous le N° RG 22/01361 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IMMP du rôle général.
Après communication du dossier et avis de la date d'audience au Ministère public.
ENTRE :
Monsieur [N] [E]
né le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 4]
de nationalité Française
Centre Pénitentiaire
[Localité 2]
Ayant pour conseil, Me Philippe OHAYON, avocat au barreau de PARIS
ET :
Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Ministère du budget, direction. des affaires juridiques Sous Direction du droit privé
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté, concluant et plaidant par Me Maître VANDENDRIESSCHE , avocat au barreau d'Amiens.
EN PRÉSENCE DE :
M. Wilfrid GACQUER, Substitut général près la Cour d'Appel d'AMIENS.
Après avoir entendu :
- le Conseil de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ses conclusions, plaidoirie et observations,
- Monsieur le substitut général en ses conclusions et observations,
L'affaire a été mise en délibéré conformément à la Loi et renvoyée à l'audience publique du 19 janvier 2023.
A l'audience publique du 19 janvier 2023, Madame la Présidente a rendu la décision suivante :
Mis en examen du chef de recel de biens provenant d'un vol en bande organisée et de vol en bande organisée avec arme, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Senlis, M. [E] a été placé en détention provisoire le 21 août 2019. Il a été remis en liberté le 8 janvier 2021 et a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue le 30 septembre 2021 par le magistrat instructeur. Cette décision est définitive.
Durant cette période d'incarcération ont été mises à exécution plusieurs peines ainsi la durée de détention subie du chef de la procédure d'information ayant abouti au non lieu est de 5 mois et 21 jours.
Par requête en date du 28 mars 2022, M. [E] sollicite la somme de 645 euros au titre de son préjudice matériel, 50 000 euros au titre de son préjudice moral et 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il expose que le préjudice matériel correspond aux frais engagés par son conseil dans le cadre de la détention provisoire dont il justifie par facture et par calcul d'itinéraires entre [Localité 5] et la maison d'arrêt de [Localité 2] et entre [Localité 5] et [Localité 6].
S'agissant du préjudice moral, il expose que les conditions de son incarcération ont été particulièrement difficiles en raison du confinement lié à la COVID 19 : confinement en cellule, rares visites, désespoir lié à son innocence. Il ajoute qu'il subit de graves répercussions psychologiques, présentant de sérieux troubles psychologiques.
Il fait valoir que les incarcérations antérieures ne pourront être prises en compte dans l'évaluation de son préjudice car le choc psychologique est d'autant plus important que la peine encourue était lourde à savoir 30 ans de réclusion criminelle. Il rappelle que selon la jurisprudence de la commission nationale de réparation des détentions : le choc psychologique enduré en raison de l'importance de la peine encourue pour un crime dont il se savait innocent n'est pas amoindri par des incarcérations antérieures à l'occasion de procédures correctionnelles.
Par conclusions en date du 8 août 2022, l'agent judiciaire de l'Etat conclut au sursis à statuer dans l'attente du certificat de non recours et subsidiairement demande qu'il soit constaté que la période d'incarcération concernée par le non-lieu est de 14 jours période pour laquelle le préjudice moral subi sera évalué à 600 euros. Il demande à la commission de débouter M. [E] de sa demande de préjudice matériel et de réduire la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile qui ne pourra excéder 800 euros.
Il relève que seule la période du 21 août au 3 septembre 2019 apparaît sur la fiche pénale, que celle du 18 octobre 2019 au 11 février 2020 n'apparaît pas et que celle invoquée du 18 mars au 12 mai 2020 ne peut être retenue puisque M. [E] a été libéré le 18 mars 2020.
Par conclusions en date du 29 septembre 2022, la procureure générale a conclu au rejet de la demande faute de production du certificat de non recours et soutient que seule la période du 21 août 2019 au 3 septembre 2019 peut être retenue et à titre subsidiaire à l'admission de la requête dans les limites proposées par l'agent judiciaire de l'Etat, au rejet de la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile faute de facture.
L'affaire a été évoquée à l'audience du 7 décembre de la commission d'indemnisation de la détention provisoire.
CECI EXPOSE
1.Sur la recevabilité :
L'article 149 du code de procédure pénale dispose : Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L141-2 et L141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. A la demande de l'intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants.
Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3.
En application de l'article R 26 du même code, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présenté dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que les dispositions de l'article 149 du code précité.
Il résulte de ces articles qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.
Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, en lien de causalité direct et certain avec la privation de liberté.
Mis en examen du chef de recel de biens provenant d'un vol en bande organisée et de vol en bande organisée avec arme, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Senlis, M. [E] a été placé en détention provisoire le 21 août 2019. Il a été remis en liberté le 8 janvier 2021 et a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue le 30 septembre 2021 par le magistrat instructeur. Cette décision est définitive, un certificat de non recours ayant été établi par le greffier du cabinet d'instruction le 8 juillet 2022.
La lecture de sa fiche pénale permet de constater que M. [E] a été placé en détention provisoire le 21 août 2019 et sa mise en liberté a été ordonnée par le juge d'instruction le 8 janvier 2021. Durant cette période, il a été détenu pour autre cause :
- du 4 septembre 2019 au 18 octobre 2019 : exécution du jugement du tribunal correctionnel de Senlis du 27 novembre 2011
- du 13 février 2020 au 18 mars 2020 : détention provisoire dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Pontoise
-à compter du 13 mai 2020 : exécution du jugement du tribunal correctionnel de Senlis du 27 novembre 2011 : exécution du jugement du tribunal correctionnel de Pontoise du 13 mai 2020, confirmé par arrêt de la la cour d'appel de Versailles du 9 septembre 2020.
Contrairement à ce que soutiennent l'agent judiciaire de l'Etat et la procureure générale, il a donc été détenu provisoirement dans le cadre de la procédure ayant abouti au non-lieu :
- du 21 août 2019 au 3 septembre 2019
- du 18 octobre 2019 au 12 février 2020
- du 18 mars 2020 au 12 mai 2020
soit durant 5 mois et 21 jours.
Sa requête formée par courrier recommandé avec accusé réception enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Amiens le 28 mars 2022 est donc recevable.
2.Sur l'indemnisation du préjudice matériel :
S'il est constant que le coût correspondant aux frais de défense engagés dans le cadre de la détention provisoire constitue un préjudice matériel susceptible d'être indemnisé, seules les prestations qui sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la liberté'peuvent être prises en compte.
Par ailleurs en application de l'article 12 du décret n° 2205-790 du 12 juillet 2005, un compte détaillé d'honoraires doit être délivré par l'avocat à la demande de son client.
Or en l'espèce aucune facture n'est versée aux débats attestant de ces honoraires.
Seul les déplacements de son conseil lors des débats devant le juge des libertés et de la détention apparaissent justifiés.
Il convient donc d'allouer à M. [E] la somme de 32,56 euros au titre du préjudice matériel et de le débouter du surplus de sa demande de ce chef.
3. Sur l'indemnisation de son préjudice moral :
Le préjudice moral au sens de l'article 149 du code de procédure pénale résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne injustement privée de liberté, ce choc carcéral correspondant à l'émotion violente et inattendue provoquée par la perturbation physique et psychique éprouvée par une personne écrouée dans un établissement pénitentiaire.
Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles en raison de la fragilité de l'intéressé et peut être minoré lorsque le l'intéressé avait déjà connu la prison auparavant.
Néanmoins le choc psychologique enduré en raison de l'importance de la peine encourue pour un crime dont elle se savait innocente n'est pas amoindri par des incarcérations antérieures à l'occasion de procédures correctionnelles.
En l'espèce M. [E] qui avait déjà été incarcéré auparavant, a été mis en examen et incarcéré du chef de recel de biens provenant d'un vol en bande organisée et de vol en bande organisée avec arme, infractions punies de 30 ans de réclusion criminelle, ce qui est de nature à aggraver un préjudice psychologique.
Par ailleurs la période d'incarcération de M. [E] s'est déroulée pendant la pandémie COVID 19, entraînant une aggravation réelle des conditions de détention en raison de la suppression ou de la limitation de l'ensemble des activités sociales, culturelles ou sportives afin de réduire les interactions humaines, il conviendra donc de retenir ces circonstances comme un second facteur d'aggravation de son préjudice moral.
Au regard de ces différents éléments et notamment de la durée de 5 mois et 22 jours de la privation de liberté subie, il convient de lui accorder la somme de 12 000 euros en réparation du préjudice moral subi au titre de cette détention.
4.Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1000 euros.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,
Déclare la requête de M. [E] recevable,
Alloue à M. [E] les sommes de :
- 12 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 32,56 euros en réparation de son préjudice matériel
- 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Rappelle que la présente décision est assortie, de plein droit de l'exécution provisoire,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
FAIT ET PRONONCE à l'audience publique tenue par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'Appel d'Amiens en date du 1er juillet 2022, siégeant au Palais de Justice de ladite ville, le 19 janvier 2023.
Assistée de Madame Agnès PILVOIX, Greffier,
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE.