ARRET
N°51
CPAM DE [Localité 2] [Localité 3]
C/
[F]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 12 JANVIER 2023
*************************************************************
N° RG 20/00152 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HTMY - N° registre 1ère instance : 17/00842
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LILLE EN DATE DU 20 DÉCEMBRE 2019
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
CPAM DE [Localité 2] [Localité 3], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Madame [I], dûment mandatée
ET :
INTIMEE
Madame [X] [F]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Marion MANDONNET, avocat au barreau d'AMIENS, substituant Me Marion NIVELLE, avocat au barreau de LILLE
DEBATS :
A l'audience publique du 29 Septembre 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Marie-Estelle CHAPON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président de chambre,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 12 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Myriam EL JAGHNOUNI, Greffier.
*
* *
DECISION
Le 27 septembre 2013, Mme [F], salariée de la société [5] en qualité de télé-conseillère, a été victime d'un accident du travail dont les circonstances sont ainsi relatées dans la déclaration d'accident du travail : 'elle s'est cognée la main sur son bureau en voulant décoincer le fil du téléphone'.
Le certificat médical initial du docteur [S] en date du 28 septembre 2013 fait état d'un traumatisme de la main gauche par choc direct.
Suite à la prise en charge de l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2]-[Localité 3] (la CPAM) a fixé la date de consolidation au 25 septembre 2016, puis un taux d'incapacité permanente partielle de 0% pour des 'séquelles d'une contusion de la main gauche au niveau d'un moignon d'amputation, état antérieur, douleurs' (décision du 20 mars 2017).
Saisi par Mme [F] d'une contestation de cette décision, le tribunal de grande instance de Lille, pôle social, par jugement du 20 décembre 2019, a :
- déclaré recevable le recours de Mme [F],
- fixé à 10% le taux d'incapacité permanente partielle de Mme [F] au 25 septembre 2016, avec toutes les conséquences de droit,
- condamné la CPAM aux dépens de l'instance à l'exclusion des frais résultant de la consultation médicale et de l'expertise,
- dit que les dépens de la première instance sont à la charge de la CPAM,
Le jugement a été notifié le 26 décembre 2019 à la CPAM qui en a relevé appel le 7 janvier 2020.
La présente cour a désigné le docteur [T] comme médecin consultant, lequel a rendu un avis le 8 janvier 2022 au terme duquel il conclut à un taux d'incapacité de 0%.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 17 mai 2022, date à laquelle l'affaire a été renvoyée à celle du 29 septembre 2022.
Par conclusions soutenues oralement à l'audience, la CPAM de [Localité 2]-[Localité 3] demande à la cour de :
- faire droit aux demandes, fins et conclusions de la CPAM,
- infirmer, en toutes ses dispositions, la décision du tribunal de grande instance de Lille,
- confirmer le taux de 0% au 25 septembre 2016,
- débouter Mme [F] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [F] aux entiers dépens.
A l'appui de ses demandes, elle indique que compte tenu de l'état antérieur et des douleurs qui ne sont pas indemnisables, il n'y a pas lieu à une indemnisation au titre de l'accident du travail.
Elle reprend également les observations de son praticien conseil qui soulève que les douleurs des moignons sont en rapport avec une dystrophie cutanée post-brûlure, constitutive d'un état antérieur.
Elle sollicite l'entérinement des conclusions du docteur [T] qui sont claires, précises et non équivoques.
Par conclusions reçues au greffe le 3 octobre 2022 , Mme [X] [F] demande à la cour de :
- débouter la CPAM de [Localité 2]-[Localité 3] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer la décision querellée en ce qu'elle a fixé à 10% son taux d'incapacité au 25 septembre 2016,
- condamner la CPAM de [Localité 2]-[Localité 3] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient que le docteur [T] ne prend pas en considération les douleurs neuropathiques résultant de l'accident du travail susceptibles de la gêner dans ses activités quotidiennes de façon telle que cette gêne due à l'intensité des douleurs justifie de fixer un taux d'incapacité.
Elle expose que le professeur [Y], premier médecin désigné par le tribunal, a assimilé les douleurs à une forme mineure d'algodystrophie justifiant un taux de 10 à 20% et que le docteur [B], second médecin désigné par le juridiction de première instance, a proposé un taux de 10% en précisant que l'incapacité fonctionnelle au niveau des mains qui n'était pas modifiée, était accentuée par les douleurs. Elle considère que ces médecins qui l'ont rencontrée contrairement au docteur [T] qui a réalisé une expertise sur pièces, ont pu prendre en considération son cas très particulier en raison des importantes séquelles de brûlures intervenues dans son enfance.
Elle produit également un certificat médical en date du 12 septembre 2022 du docteur [C] qui relève que le moignon était asymptomatique avant l'accident.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs
En application de l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
La cour rappelle qu'en matière d'incapacité permanente partielle, il convient de se placer au jour de la consolidation pour évaluer le taux d'incapacité. Les éléments postérieurs, s'ils peuvent le cas échéant justifier une révision dans les conditions de l'article L 443-1 du code de la sécurité sociale, n'ont donc pas en principe à être pris en compte.
Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l'estimation médicale du taux d'incapacité doit faire la part entre ce qui revient à l'état antérieur et ce qui revient au sinistre professionnel.
Le praticien conseil du service médical conclut à un taux d'incapacité de 0% pour des séquelles d'une contusion de la main gauche au niveau du moignon d'amputation consistant en des douleurs sur état antérieur.
Il ressort de l'avis du professeur [Y] commis par les premiers juges les éléments suivants : « Madame [F] a été victime de graves brûlures à l'âge de six mois à la suite desquelles les doigts des deux mains ont dû être amputés, et une reconstruction chirurgicale de la pince a été effectuée quatre ans plus tard par le transfert d'un orteil sur le premier métacarpien. Ces brûlures ont laissé comme séquelles des troubles trophiques cutanés avec une peau très fine en regard des moignons. Le traumatisme de la main gauche survenu le 28 septembre 2013 a été immédiatement responsable d'un hématome et d'une ecchymose, puis suivi de douleurs résiduelles persistantes à type de douleurs neuropathiques. Le cas très particulier de Mme [F] en raison des importantes séquelles de brûlures fait qu'il n'apparaît pas dans le barème indicatif des taux d'invalidité permanente résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles.
On peut raisonnablement comparer les douleurs neuropathiques qu'elle présente à la suite du traumatisme aux douleurs liées à une algodystrophie post-traumatique du membre supérieur. Ceci permet de fixer un taux d'incapacité permanente partielle à la date de consolidation entre 10 et 20 pour cent. ».
Le docteur [B], second médecin commis par le tribunal de grande instance de Lille, a relevé : « le questionnaire DN4 évoqué par le docteur [Y], est un questionnaire en 10 points qui porte sur le caractère des douleurs ressenties. Pour qu'on puisse parler de douleurs neuropathiques, il faut au moins 4 réponses positives sur les 10. Dans le cas de Mme [F], on arrive à 5 sur 10. Par ailleurs, il n'y a jamais eu d'algodystrophie diagnostiquée. Il s'agit d'un traumatisme simple qui s'est en fait compliqué par la persistance de douleurs et c'est pour arriver à quantifier ces douleurs que le professeur [Y] assimile les douleurs à l'algodystrophie.
Il y a une incapacité fonctionnelle au niveau des mains de Mme [F] qui n'a pas été modifiée et que la douleur accentue. Si on comparait les capacités fonctionnelles de la main de Mme [F] avant et après l'accident du travail, il n'y aurait pas une grosse différence. La différence est essentiellement liée aux douleurs. J'estime que le taux de 10% est correct. ».
Le docteur [T],commis par la cour, a émis l'avis suivant : « On note que Mme [F] [X] avait consulté son chirurgien traitant qui lui a proposé une prise en charge chirurgicale spécialisée pour ces douleurs, douleurs qui, selon son chirurgien traitant, sont en rapport avec les troubles trophiques et non pas d'origine traumatique récente. L'assurée n'a pas donné suite.
L'analyse de l'ensemble des pièces médicales versées au dossier conduit à retenir que les séquelles constatées à la date de consolidation du 25.09.2016 de l'accident du travail du 29.09.2013 consistent en des douleurs d'un moignon sur un état antérieur connu nécessitant une prise en charge spécifique. Ces séquelles sont bien en rapport avec l'état antérieur et ne peuvent pas être imputées à l'accident du travail du 29.09.2013. Il n'y a donc pas d'élément en faveur d'une incapacité permanente partielle secondaire à cet accident.
Conclusion:
À la date du 25/09/2016, le taux d'incapacité permanente partielle était de 0%. ».
Il résulte de l'examen du médecin conseil, tel que relaté par le médecin consultant du tribunal, que Mme [F] présentait des douleurs neuropathiques des moignons des doigts de la main gauche sur un état antérieur à type de dystrophie cutanée post-brûlure.
Le docteur [B] indique que l'incapacité fonctionnelle de la main gauche n'a pas été modifiée par l'accident du travail du 27 septembre 2013.
Mme [F] fait valoir que ses douleurs se sont accentuées depuis l'accident et produit un certificat de son médecin traitant en date du 12 septembre 2022 dans lequel il note que son moignon était asymtomatique avant le traumatisme du 27 septembre 2013 et qu'elle présente depuis des douleurs à ce niveau.
Toutefois, le chirurgien orthopédiste de Mme [F] consulté le 20 février 2014 soit à une période plus proche de la date de consolidation, qui rappelle que Mme [F] a été victime d'un traumatisme assez brutal sur l'extrémité de la main gauche au regard de la zone d'amputation sur les séquelles de brûlures de cette main, retient que les douleurs des moignons sont en rapport avec une dystrophie cutanée post brûlure pour laquelle il serait légitime d'envisager un traitement spécifique (...).
Le médecin consultant de la cour, après avoir analysé les pièces médicales dont le compte rendu du chirurgien orthopédiste et les bilans radiographiques, conclut ainsi de manière fondée que les douleurs sont en rapport avec les troubles trophiques et ne sont pas d'origine traumatique ; qu'elles sont liées à l'état antérieur.
Au surplus, le barème indicatif U.C.A.N.S.S ne prévoit pas de taux d'incapacité pour les douleurs neuropathiques post-traumatique de la main de sorte que les seules douleurs même si elles se sont accentuées, ne sont pas indemnisables en l'absence d'algoneurodystrophie diagnostiquée comme c'est le cas en l'espèce. Il ne peut donc pas non plus être fait application de la fourchette du barème prévue par le point 4.2.6 relatif à l'algodystrophie de forme mineure du membre supérieur.
Au vu de ces éléments, les douleurs ne peuvent être imputées à l'accident du travail de sorte que le taux d'incapacité permanente partielle ne pouvait être supérieur à 0% à la date de consolidation.
Le jugement sera infirmé.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Mme [X] [F], qui succombe, sera déboutée de sa demande tendant à la condamnation de la CPAM de [Localité 2]-[Localité 3] à lui payer les frais irrépétibles d'appel qu'elle a exposés.
Sur les dépens
En application de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [X] [F], partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt rendu contradictoirement en dernier ressort par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant de nouveau,
Fixe à 0% le taux d'incapacité permanente partielle attribué à Mme [X] [F] à la date de consolidation du 25 septembre 2016 s'agissant de l'accident du travail du 27 septembre 2013.
Déboute Mme [X] [F] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [X] [F] aux dépens de l'instance.
Le Greffier, Le Président,