ARRET
N°
[M]
C/
Association APEI DE [Localité 4]
copie exécutoire
le 14/12/2022
à
Me BERTOLOTTI
Me DUFOUR
EG/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 14 DECEMBRE 2022
*************************************************************
N° RG 21/05029 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IH6D
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 06 OCTOBRE 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [E] [M]
né le 24 Octobre 1963
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté et concluant par Me Fabrice BERTOLOTTI de la SELARL XY AVOCATS, avocat au barreau de COMPIEGNE
ET :
INTIMEE
Association APEI DE [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée et concluant par Me Mickael DUFOUR de la SELAS FIDAL, avocat au barreau d'AMIENS
DEBATS :
A l'audience publique du 19 octobre 2022, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 14 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 14 décembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
*
* *
M. [M] a été embauché par l'APEI de [Localité 4] (l'association ou l'employeur) le 1er septembre 2011 par contrat à durée indéterminée, en qualité de psychologue.
Son contrat est régi par la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
L'association emploie plus de 10 salariés.
Par courrier du 6 juin 2019, l'APEI de [Localité 4] a signifié au salarié sa mise à pied à titre conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 18 juin 2019.
Par courrier du 24 juin 2019, le salarié a été licencié pour faute grave.
M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons, le 11 décembre 2019, afin de demander notamment la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 6 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a :
- pris acte de la résolution du litige sur les rappels de salaires et congés payés afférents pour la somme de 663,52 euros ;
- fixé la moyenne du salaire brut mensuel à 5 368,48 euros ;
- débouté M. [M] de sa demande de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné l'APEI de [Localité 4] à payer à M. [M] la somme de 42 035,20 euros net au titre de l'indemnité de licenciement ;
- condamné l'APEI de [Localité 4] à payer à M. [M] la somme de 21 473,72 euros brut à titre d'indemnité de préavis ;
- condamné l'APEI de [Localité 4] à payer à M. [M] la somme de 2 147,39 euros brut au titre des congés payés sur indemnité de licenciement ;
- condamné l'APEI de [Localité 4] à payer à M. [M] la somme de 3 400,03 euros brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;
- condamné l'APEI de [Localité 4] à payer à M. [M] la somme de 340 euros brut au titre des congés payés sur rappel de salaire ;
- débouté M. [M] de sa demande en paiement de la somme de 80 527,20 euros net au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de sa demande subsidiaire pour la somme de 42 947,84 euros net ;
- condamné l'APEI de [Localité 4] à payer à M. [M] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- fixé le cours des intérêts légaux sur les créances salariales et assimilées à la date de saisine du conseil par M. [M] ;
- débouté M. [M] de sa demande d'exécution provisoire ;
- débouté l'APEI de [Localité 4] de sa demande de juger le licenciement constitutif d'une cause réelle et sérieuse ;
- condamné l'association APEI de [Localité 4] aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 12 janvier 2022, M. [M], régulièrement appelant de ce jugement, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'association APEI de [Localité 4] à lui payer les sommes de :
- 42 035, 20 euros net au titre de l'indemnité de licenciement ;
- 21 473,72 euros brut à titre d'indemnité de préavis ;
- 2 147,39 euros brut au titre des congés payés y afférent ;
- 3 400,03 euros brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;
- 340 euros brut au titre des congés payés sur rappel de salaire ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit son licenciement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse ;
Et statuant à nouveau,
- dire le licenciement comme ne reposant sur aucune cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
- condamner l'association APEI de [Localité 4] aux sommes suivantes :
- 42 947,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 7 avril 2022, l'APEI de [Localité 4] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- pris acte de la résolution du litige sur les rappels de salaires et congés payés afférents pour la somme de 663,52 euros ;
- fixé la moyenne du salaire brut mensuel à 5 368,48 euros ;
- débouté M. [M] de sa demande de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- débouté M. [M] de sa demande en paiement de la somme de 80 527,20 euros net au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de sa demande subsidiaire pour la somme de 42 947,84 euros net ;
- infirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
Et statuant à nouveau,
- dire et juger le licenciement de M. [M] constitutif d'une faute grave ;
- débouter M. [M] de l'ensemble de ses autres demandes ;
- condamner M. [M] à 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions de l'appelant pour le détail de son argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur le bien fondé du licenciement
M. [M] critique le jugement entrepris en ce qu'il a retenu une cause réelle et sérieuse de licenciement alors qu'en application de la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, le licenciement disciplinaire n'est possible que pour faute grave ou à la suite d'au moins deux des sanctions disciplinaires moins graves (observation, avertissement, mise à pied), dont il n'a jamais fait l'objet.
Il ajoute que l'employeur ne démontre pas l'existence d'une faute grave qui lui serait imputable, l'enquête menée sur dénonciation d'un comportement harcelant de sa part étant dépourvue de tout caractère impartial et contradictoire, voire de réalité, ne révélant aucun fait précis, circonstancié et répété, la date des attestations produites n'étant pas cohérente avec le déroulement des faits invoqué par l'employeur, les témoignages étant identiques, imprécis, mensongers, décontextualisés, et pour certains, animés d'un esprit de vengeance.
Il souligne que son licenciement a été «monté de toute pièce» pour permettre la suppression des séances d'analyse institutionnelle des pratiques gênantes pour la direction.
L'association répond qu'elle ne pouvait rester sans réaction au courrier dans lequel une salariée démissionnaire dénonçait le comportement déplacé de M. [M] et aux plaintes d'autres salariés s'étant sentis dénigrés par ce dernier lors des séances d'analyse institutionnelle des pratiques.
Elle précise que les faits dénoncés ont été retranscrits dans un courrier du secrétaire du CSE et dans les comptes-rendus de ce dernier, que le caractère non contradictoire de l'enquête, qui a été menée avant toute décision disciplinaire, n'est pas de nature à l'invalider, et que bon nombre des attestations produites par le salarié ne respectent pas les formes de l'article 202 du code de procédure civile.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.
En l'espèce, la lettre de licenciement, adressée le 24 juin 2019, est motivée comme suit :
«Nous faisons suite à 1'entretien préalable en date du 18 juin dernier auquel vous n'avez pas daigné vous présenter.
Votre absence à cet entretien ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation des faits, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité pour les motifs suivants :
Nous avons été alertés dernièrement par Madame [A] [L] des difficultés d'ordres relationnelles qu'elle a rencontrées au travail avec vous et qui ont conduit à sa démission en septembre 2018.
Les informations relatées par cette dernière, à savoir votre attitude vexatoire et hautaine à son égard et, misogyne en général, nous ont conduits à mener notre enquête en interne.
Au terme de cette enquête, il ressort des différents témoignages recueillis que vous dévoyez les réunions d'A.I.P. (Analyse Institutionnelle des Pratiques) devenues «A.P.P.'' (Analyse des Pratiques Professionnelles) pour y tenir des propos calomnieux à la fois envers vos collègues psychologues, mais également des directeurs et des éducateurs des différents établissements pour lesquels, devant leurs subordonnés ou collègues, vous n'hésitez pas à remettre en cause ouvertement leurs compétences.
Bon nombre des personnes présentes lors des réunions A.P.P. nous ont donc fait part de leur malaise et de leur réticence à assister à ces réunions auxquelles, face à vos emportements, ils n'ont pas le droit de vous contredire, ...
Votre attitude clivante, vos prises de positions dénigrantes et malveillantes à l'égard de vos collègues et de votre hiérarchie, vos emportements qui confinent au harcèlement moral, déstabilisent le bien-être mental des salariés et le fonctionnement serein de l'Apei de [Localité 4].
De tels faits sont inacceptables et inadmissibles !
Aussi, votre licenciement prend donc effet à la date d'envoi de cette lettre recommandée à votre domicile.»
Pour preuve des faits reprochés, l'employeur produit un courrier de Mme [L], ancienne salariée, repris dans une attestation du 10 juin 2019, un courrier de Mme [C], directrice de l'I.M.E., 6 attestations anonymisées datées du 2 au 14 mai 2019, reprises sous la forme d'attestations conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et datées antérieurement au licenciement (M. [S], [B], [T], Mme [K], [F], [P]), et 3 attestations des 6 et 11 juin 2019 (Mme [O], [U], [G]) de salariés ayant participé aux réunions d'analyse des pratiques professionnelles.
Si l'attestation de Mme [L] ne saurait suffire à établir un lien entre sa démission 9 mois plus tôt et l'attitude de M. [M], ces témoignages se rejoignent tous sur le fait que ce dernier pouvait tenir des propos dénigrants à l'égard de certains salariés et de la direction, en présence d'autres salariés, lors des réunions d'analyse des pratiques professionnelles.
Néanmoins, il convient de constater que dans son compte-rendu du 25 juillet 2019, le conseil social et économique indique que le licenciement est intervenu alors que l'enquête demandée le 16 mai 2019 n'a pas été réalisée, et que M. [M] produit, de son côté, 7 attestations du 20 mai 2019 de salariés ayant participé aux réunions d'analyse des pratiques professionnelles sans avoir remarqué d'attitude déplacée de sa part, une attestation d'un ancien cadre (M. [R]) et une attestation d'un ancien président (M. [D]) vantant ses qualités professionnelles et relevant l'absence de plaintes quant à son comportement lors des réunions en cause.
S'il est exact que les attestations du 20 mai 2019 ne respectent pas les formes prévues à l'article 202 du code de procédure civile, leur date montre qu'elles ont été recueillies par M. [M] alors que le conseil social et économique avait déjà mentionné l'organisation d'une enquête, donc afin de répondre devant son employeur ou les représentants du personnel des faits qui lui étaient reprochés et non en vue de rapporter une preuve en justice.
Dès lors, leur présentation manuscrite, avec date, identité, qualité et signature du témoin apparaît suffisante pour leur conférer force probante.
Au vu du caractère contradictoire des témoignages produits, le fait que le licenciement soit intervenu sur la seule base d'attestations à charge, sans élément permettant de démontrer qu'une enquête objective a effectivement était menée comme demandé par le conseil économique et social, conduit à écarter la faute grave, le doute devant profiter au salarié.
M. [M] n'ayant fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire antérieure à son licenciement pour faute grave, l'absence de preuve d'une telle faute conduit à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse en application de l'article 33 de la convention collective nationale de travail des établissements de services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris de ce chef.
Le salarié justifie d'un emploi temporaire à temps partiel depuis le 1er juin 2021.
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise (8 ans) et de l'effectif de celle-ci (plus de 10 salariés au moment du licenciement), la cour fixe à 32 300 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2/ Sur les demandes accessoires
L'association succombant totalement, il convient de confirmer le jugement entrepris sur les frais irrépétibles et dépens de première instance, et de mettre à sa charge les dépens d'appel.
L'équité commande de condamner l'association à payer au salarié la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, et de la débouter de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
confirme le jugement du 6 octobre 2021 sauf en ce qu'il a débouté M. [M] de sa demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande de dommages et intérêts subséquente,
statuant à nouveau et y ajoutant,
dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
condamne l'APEI à payer à M. [M] la somme de 32 300 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
condamne l'APEI à payer à M. [M] la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
rejette le surplus des demandes,
condamne l'APEI aux dépens de la procédure d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.