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14/12/2022 | FRANCE | N°21/02090

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 14 décembre 2022, 21/02090


ARRET







[D]





C/



S.C.P. ALPHA MJ COMPIEGNE(S.A.S. TCHELLO)

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA D'AMIENS





























































copie exécutoire

le 14/12/22

à

Me MORIN

Me DE BAILLIENCOURT

Me CAMIER

LDS/IL/SF



COUR D'APPEL D'AMIENS

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5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 14 DECEMBRE 2022



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N° RG 21/02090 - N° Portalis DBV4-V-B7F-ICIJ



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 15 MARS 2021 (référence dossier N° RG 19/00259)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [K] [D]

né l...

ARRET

[D]

C/

S.C.P. ALPHA MJ COMPIEGNE(S.A.S. TCHELLO)

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA D'AMIENS

copie exécutoire

le 14/12/22

à

Me MORIN

Me DE BAILLIENCOURT

Me CAMIER

LDS/IL/SF

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 14 DECEMBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/02090 - N° Portalis DBV4-V-B7F-ICIJ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 15 MARS 2021 (référence dossier N° RG 19/00259)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [K] [D]

né le 14 Juillet 1970 à [Localité 8] MAROC

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

concluant par Me Jean-mary MORIN, avocat au barreau de COMPIEGNE

ET :

INTIMEES

S.C.P. ALPHA MJ COMPIEGNE ès qualité de Liquidateur de la société

TCHELLO

[Adresse 1]

[Adresse 7]

[Localité 4]

concluant par Me Christian DE BAILLIENCOURT de la SCP DRYE DE BAILLIENCOURT ET ASSOCIES, avocat au barreau de SENLIS

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA D'AMIENS

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée et concluant par Me Hélène CAMIER de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau D'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 26 octobre 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame [Y] [E] indique que l'arrêt sera prononcé le 14 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame [Y] [E] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 14 décembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Tchello (la société ou l'employeur), qui exploitait un bar de nuit sous l'enseigne « Le Modjo » a été immatriculée le 13 mai 2016. A l'origine, les associés étaient M. [D] (40 parts), M. [U] (40 parts) et la société Libanescence (60 parts) elle-même gérée par M. [U].

Le 1er mars 2019, la société a signé un contrat de travail aux termes duquel elle embauchait M. [D] en qualité de manager maîtrise niveau IV échelon 1 statut non cadre, le contrat étant régi par la convention collective des cafés hôtels restaurants.

La société employait moins de 11 salariés.

Par courrier en date du 28 juin 2019, M. [D] s'est vu notifier une mise à pied conservatoire à compter du 3 juillet 2019.

Il a été convoqué par la société, le 11 juillet suivant, à un entretien préalable fixé au 18 juillet.

Par courrier du 23 juillet, il a été licencié pour faute grave en ces termes : « Monsieur,

Nous vous avons convoqué à un entretien préalable en date du 18 juillet 2019 à 14h auquel vous ne vous êtes pas présenté. Nous vous informons, par la présence, de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants : Fautes graves sur Monsieur [U] la nuit du 22 au 23 juin pour coups et blessure au sein de l'établissement à la fermeture.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien au sein de l'établissement est impossible. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Vous avez fait par ailleurs l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée le 28 juin 2019. Dès lors, la période non travaillée du 1 Juillet 2019 au 23 Juillet 2019 ne sera pas rémunérée » (...).

Contestant la légitimité de son licenciement, et sollicitant des rappels de salaires, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne le 26 septembre 2019.

Le conseil de prud'hommes de Compiègne par jugement du 15 mars 2021, a :

- condamné la société Tchello à payer à M. [D] la somme de 6 855,48 euros à titre de salaires de mars 2019 à juin 2019, et 685,54 euros à titre des congés payés y afférents ;

- condamné la société Tchello à payer à M. [D] la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts pour non respect de la procédure ;

- dit que le licenciement de M. [D] reposait sur une cause réelle et sérieuse, n'emportant pas de caractère grave ;

- condamné la société Tchello à payer à M. [D] :

- 1306,18 euros pour la mise à pied du 3 au 23 juillet 2019 y compris les congés payés y afférents ;

- 856,93 euros au titre du préavis pour une ancienneté à compter du 1er mars 2019 et 85,69 euros à titre de congés payés y afférents ;

- ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes au jugement, un bulletin de salaire, une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail sous astreinte de 10 euros par jour à compter du 31ème jour à réception du jugement ;

- condamné la société Tchello à payer à M. [D] la somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les condamnations portaient intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête ;

- ordonné à la société Tchello, l'exécution provisoire des sommes rentrant en condamnation ;

- condamné la société Tchello aux dépens y compris les frais relatifs à l'intervention de l'huissier ;

- débouté M. [D] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Tchello de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 17 novembre 2021, le tribunal de commerce de Compiègne a prononcé la liquidation judiciaire d'office de la société Tchello, désignant la société Alpha mandataires judiciaires en qualité de mandataire liquidateur.

Par conclusions remises le 3 mai 2022, M. [D], qui est régulièrement appelant du jugement du conseil de prud'hommes, demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande au titre d'une indemnité suite au travail dissimulé ;

Statuant à nouveau,

- dire que sa déclaration auprès de l'URSSAF le 25 mars 2019 constitue un travail dissimulé, par application de l'article L.8221-1 du code du travail ;

- condamner la société à lui payer la somme de six mois de salaire soit 10 283,22 euros ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Compiègne en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de salarié de la société Tchello à compter du 23 juillet 2016 et au paiement des salaires pour la période du 23 juillet 2016 à fin février 2019 ;

- condamner la société Tchello à lui payer au titre de ses salaires pour la période du 23 juillet 2016 au 28 février 2019 la somme de 53 571,91 euros ;

- condamner la société Tchello à lui payer les congés payés y afférents soit 5 357,19 euros ;

- dire et juger qu'il était salarié de la société Tchello à compter du 23 juillet 2016 au 25 juillet 2019 ;

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il ne lui a accordé aucune indemnité de licenciement ni préavis de deux mois ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Tchello à lui payer au titre de l'indemnité de préavis la somme de 3 427,74 euros et 342,77 euros au titre des congés payés y afférents ;

- condamner la société Tchello à lui payer la somme de 514,14 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Compiègne en ce qu'il a dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

- dire et juger que son licenciement est nul et de nul effet ;

- dire que son licenciement ne repose ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Tchello à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 1 713,87 euros ;

Si la cour retient une ancienneté de mars 2019 à juillet 2019 de 1 713,87 euros et 6 855,48 euros si la cour retient une ancienneté du 23 juillet 2016 au 25 juillet 2019

- condamner la société Tchello à lui payer la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 8 mars 2022, la société Alpha mandataires judiciaires en qualité de liquidateur de la société Tchello demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident ;

- dire et juger que M. [D] ne peut prétendre à la qualité de salarié de la société Tchello pour la période du 8 juin 2016 au 28 février 2019 ;

- dire et juger que M. [D] ne peut prétendre à la qualité de salarié de la société Tchello pour la période du 1er mars 2019 au 23 juillet 2019 ;

- dire et juger que le licenciement repose sur une faute grave ;

- dire irrecevable la nouvelle demande formée en cause d'appel par M. [D] aux fins de nullité du licenciement ;

Par conséquent,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Compiègne du 15 mars 2021, sauf en ce qu'il a condamné la société Tchello à payer à M. [D] les sommes suivantes :

- 6 855,48 euros bruts à titre de rappels de salaire de mars 2019 à juin 2019

- 685,54 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

- 1 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure ;

- 1 306,18 euros bruts à titre de rappel de salaires sur mise à pied ;

- 856,93 euros au titre du préavis pour une ancienneté à compter du 1er mars 2019 ;

- 85,69 euros à titre de congés payés afférents ;

- 1 500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la remise des documents de fin contrat sous astreinte de 10 euros par jour de retard ;

Et statuant à nouveau,

- débouter M. [D] de l'intégralité de ses demandes, fins, et conclusions ;

- condamner M. [D] à payer la somme de 3 000 euros à la société Tchello au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens ;

- dire l'arrêt opposable au CGEA qui devra sa garantie.

Par conclusions remises le 10 mai 2022, l'Unédic délégation AGS CGEA d'Amiens demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur la demande de rappel de salaire pour la période de mars à juin 2019, et concernant l'irrespect de la procédure de licenciement ;

- confirmer le jugement rendu par le conseil de Prud'hommes de Compiègne le 15 mars 2021 en ce que M. [D] a été débouté de ses demandes suivantes :

- rappel de salaire pour 2016, 2017, 2018 et jusqu'au 28 février 2019 ;

- indemnité pour travail dissimulé ;

- indemnité de licenciement ;

Si la cour estime que l'employeur n'a pas respecté la procédure de licenciement,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Compiègne le 15 mars 2021 en ce que les dommages et intérêts pour irrespect de la procédure ont été limités à la somme de 1 000 euros ;

- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Compiègne le 15 mars 2021 en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [D] était fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau,

- dire et juger que le licenciement de M. [D] est fondé sur une cause grave ;

En conséquence,

- débouter M. [D] de toutes ses demandes indemnitaires afférentes à son licenciement ;

Subsidairement,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Compiègne le 15 mars 2021 en ce qu'il a :

- limité le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire à la somme de 1 187,43 euros, outre 118,74 euros à titre de congés payés y afférents ;

- limité le rappel d'indemnité de préavis à 15 jours, soit 856,93 euros, outre 85,69 euros à titre de congés payés afférents,

En tout état de cause,

- débouter M. [D] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;

- dire qu'elle ne peut en aucun cas être condamnée et que sa garantie n'est due que dans le cadre de l'exécution du contrat de travail ;

En conséquence,

- dire qu'elle ne peut en aucun cas garantir la somme sollicitée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire que sa garantie n'est également due, toutes créances avancées confondues pour le compte du salarié, que dans la limite des 3 plafonds définis notamment aux articles L.3253-17, D.3253-2 et D.3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant l'étendue et la mise en 'uvre de sa garantie (articles L.3253-8 à L.3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à 24 du code du travail) ;

- dire que par application des dispositions de l'article L.622-28 du code de commerce, le cours des intérêts a été interrompu à la date de l'ouverture de la procédure collective.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur la réalité de la relation contractuelle :

Dès lors que le liquidateur judiciaire conteste l'existence d'un contrat de travail pour l'ensemble de la période considérée soit de juin 2016 au licenciement et qu'une partie des demandes de M. [D] est conditionnée à l'existence d'un contrat de travail, il y a lieu de se prononcer préalablement sur cette question en distinguant deux périodes : celle de juin 2016 à février 2019 pour laquelle aucun contrat de travail n'a été signé et celle de mars à juillet 2019 pour laquelle un contrat écrit a été régularisé.

- Sur la période de juin 2016 à février 2019 :

M. [D] affirme qu'il effectuait un travail en qualité de directeur d'établissement ainsi qu'il résulte notamment d'une attestation de l'expert-comptable, sous la subordination de M. [U] et que le liquidateur ne rapporte pas la preuve de la qualité de gérant de fait qu'il invoque pour nier l'existence d'un contrat de travail.

Le liquidateur fait valoir qu'à défaut de contrat écrit, la charge de la preuve de son existence incombe à M. [D] lequel ne justifie ni de l'existence d'un lien de subordination entre lui-même et M. [U], les attestations produites aux débats ne faisant que révéler la répartition des tâches entre les associés, ni de l'existence d'une rémunération. Il fait remarquer à cet égard qu'à aucun moment, pendant toute cette période, le salarié n'a réclamé le paiement d'un salaire.

Il ajoute que l'activité de la société n'a pas démarré en juin 2016 mais en septembre 2016.

L'AGS adopte la même argumentation.

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En présence d'un contrat de travail écrit ou apparent, il appartient à celui qui entend en contester l'existence de rapporter la preuve de son caractère fictif.

En l'absence d'écrit ou d'apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, la charge de la preuve incombe donc à M. [D].

Ce dernier produit plusieurs attestations de clients de l'établissement selon lesquelles il travaillait dans l'établissement et recevait des ordres de M. [U] qu'ils considéraient comme le « patron ».

Il verse également aux débats quelques attestations de personnes qui disent avoir été salariées de la société et qui déclarent qu'elles-mêmes étaient sous les ordres de M. [U] et qu'il en était de même de M. [D].

Toutefois, d'une part, les attestations rédigées en termes très généraux des clients qui ne peuvent connaître le fonctionnement interne de la société, sont insuffisantes à établir l'existence d'un lien de subordination. D'autre part, les attestations de salariés ou présentés comme tel, outre qu'elles émanent pour certaines de membres de la famille de M. [D], et/ou qui pour plusieurs d'entre elles n'apparaissent pas sur le registre unique du personnel pour la période considérée, sont trop succinctes et générales pour établir l'existence d'un lien de subordination.

De même, l'attestation de l'expert-comptable, rédigée le 22 mai 2017, selon laquelle M. [D] « exerce une activité en qualité de directeur d'établissement et n'est ni en période d'essai, ni démissionnaire ni en procédure de licenciement » ne permet pas de retenir l'existence d'un contrat de travail dans la mesure où il est possible de diriger un établissement en qualité d'associé d'une SARL sans être soumis à la subordination de quiconque.

Enfin, il n'est pas versé aux débats de bulletins de paie et il n'est pas démontré l'existence d'une rémunération ni même de la moindre réclamation à ce sujet pendant près de trois ans ce qui exclut l'existence d'un contrat de travail.

- Sur la période de mars à juillet 2019 :

M. [D] présente la même argumentation que pour la période précédente.

Le liquidateur soutient que la réalité de la relation de travail fait toujours défaut, aucun changement de situation n'étant intervenu à compter de la signature du contrat du 1er mars 2019. Il affirme que sachant que M. [U] entendait céder ses actions qu'il n'était pas en mesure de racheter lui-même, M. [D] a souhaité se protéger de l'arrivée d'un autre associé.

En présence d'un contrat apparent signé le 1er mars 2019 aux termes duquel M. [D] était engagé en qualité de manager, la charge de la preuve du caractère fictif de ce contrat repose sur le liquidateur.

À cet égard, l'existence d'un pouvoir disciplinaire de la société est démontrée par la sanction infligée à M. [D] le 28 juin 2019 consistant en un licenciement précédé d'une mise à pied à titre conservatoire.

Par ailleurs, des bulletins de paie ont été remis pour cette période, M. [U] a rédigé des reçus de paiement du salaire en espèces pour les mois de mars à juin 2019 et M. [D], contestant sa signature sur ces reçus et affirmant ne pas avoir reçu son dus, a saisi le conseil de prud'hommes statuant en référé d'une demande en paiement contrairement à la période précédente.

Le liquidateur n'apporte pas d'élément permettant d'affirmer que la situation antérieure au mois de mars 2019 a perduré après la signature du contrat de travail.

Il y a donc lieu de dire que les parties étaient liées par un contrat de travail à compter du 1er mars 2019.

2/ Sur la demande en paiement des salaires de mars à juin 2019 :

M. [D] fait valoir que les salaires de mars à juin 2019 ne lui ont pas été réglés ainsi que l'a déjà jugé le conseil de prud'hommes en formation de départage dans son ordonnance de référé du 21 janvier 2020 et que les signatures figurant sur les attestations en sens contraire produites par l'employeur sont fausses ainsi que l'a conclu l'expert en écriture qui les a examinées.

Le liquidateur soutient que M. [D], qui gérait la caisse et payait les salariés, s'est lui-même rémunéré et a accepté de signer les attestations produites dans le cadre de l'instance en référé et que c'est par conséquent de mauvaise foi qu'il réclame le paiement des salaires de mars à juin 2019.

L'AGS s'en rapporte à l'appréciation de la cour.

Par application combinée des articles 1353 du code civil et L.1221-1 du code du travail, la charge de la preuve du paiement du salaire repose sur l'employeur lorsqu'il est attrait en justice par son salarié sur une demande de paiement de rémunération.

En l'espèce, le salarié conteste sa signature sur les reçus de paiement en espèces rédigés par M. [U] et produit le rapport d'un expert en écriture qui conclut que ces signatures ne peuvent être de sa main. La preuve du paiement n'étant pas autrement rapportée, il y a lieu de confirmer le jugement qui a condamné la société au paiement des salaires et congés payés y afférents dont le montant n'est pas spécifiquement contesté.

3/ Sur la demande en paiement des salaires pour la période du 23 juillet 2016 au 28 février 2019 :

Dès lors que l'existence d'un contrat de travail n'est pas établie, la demande en paiement de salaires pour cette période ne peut être que rejetée ainsi que l'a jugé le conseil de prud'hommes dont la décision sera confirmée de ce chef.

4/ Sur la demande au titre du travail dissimulé :

L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Selon l'article L8221-5 1°, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche.

Aux termes de l'article L .8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, M. [D] affirme que la déclaration d'URSSAF le concernant a été faite le 25 mars alors qu'il a été embauché à compter du 1er mars ce qui a effectivement été constaté par le conseil de prud'hommes.

L'employeur ne pouvait ignorer qu'il était soumis à l'obligation de déclaration et cinq attestations versées aux débats par M. [D] et le registre du personnel démontrent que l'emploi de personnes non déclarées, payées en espèces était usuel dans l'entreprise. Il s'en déduit que ce retard dans la déclaration est intentionnel et que M. [D] est en droit de percevoir une indemnité égale à six mois de salaire soit 10 283,22 euros dans les limites de la demande, le jugement étant infirmé de ce chef.

5/ Sur le licenciement :

- Sur la demande de nullité du licenciement :

M. [D] fait valoir que le licenciement émane d'une personne, Mme [J], qui n'avait pas le pouvoir de le prononcer dès lors qu'elle n'a été nommée présidente de la société qu'à compter du 13 novembre 2019.

Le liquidateur soulève l'irrecevabilité de cette demande comme nouvelle en cause d'appel.

À titre liminaire, la cour constate que, si au chapitre de la discussion, l'appelant n'invoque la nullité du licenciement qu'à titre subsidiaire, dans le dispositif de ses conclusions, il demande d'abord à la cour de dire que le licenciement est nul. Par conséquent, en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, il y a lieu d'examiner en premier lieu la question de la nullité du congédiement.

Par application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges même si leur fondement juridique est différent et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l'espèce, M. [D] n'avait pas formé de demande de nullité du licenciement devant le conseil de prud'hommes de sorte que sa prétention, qui ne tend pas aux mêmes fins que la demande tendant à voir dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et qui n'en est ni l'accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire, est nouvelle en appel. Il y a lieu de la déclarer irrecevable.

- Sur la demande tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse :

M. [D] soutient que la mise à pied annoncée le 28 juin 2019 à effet du 3 juillet 2019 constituait en réalité une mise à pied disciplinaire qui a épuisé le pouvoir disciplinaire de l'employeur privant de cause réelle et sérieuse le licenciement.

Il fait valoir encore que le liquidateur ne rapporte pas la preuve de la réalité des faits qui lui sont reprochés.

Le liquidateur se prévaut d'une attestation de M. [F] qui relate l'altercation et les violences commises par le salarié et soutient que ce dernier n'a pas nié les faits reprochés dans sa requête se contentant de rappeler les règles de preuve en matière de licenciement pour faute grave.

Il soutient que la mise à pied avait un caractère conservatoire et non disciplinaire.

L'AGS fait valoir que les attestations versées aux débats par l'employeur permettent de démontrer l'existence du grief et que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a considéré que le délai d'engagement de la procédure disciplinaire ne permettait pas de retenir la faute grave alors que le salarié a été mis à pied à titre conservatoire pendant ce délai. À titre subsidiaire, elle demande de retenir l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

La mise en 'uvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués.

Par ailleurs, un même fait ne peut être sanctionné deux fois par application de la règle non bis in idem.

Au cas d'espèce, alors qu'elle date les faits reprochés à M. [D] de la nuit du 22 au 23 juin 2019, la société a prononcé une mise à pied le 28 juin 2019 à effet différé au 3 juillet suivant. Puis, elle a attendu le 11 juillet pour le convoquer à un entretien préalable à un licenciement qui ne s'est tenu que le 18 juillet. La mise à pied n'a donc pas été concomitante à l'engagement de la procédure disciplinaire de sorte que, nonobstant sa qualification dans la lettre de mise à pied conservatoire, elle revêt un caractère disciplinaire. La société ne pouvait donc plus prononcer postérieurement une mesure de licenciement.

Il convient par conséquent d'infirmer le jugement qui a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

- Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Le licenciement étant injustifié, le salarié peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture quand elles sont prévues par les textes mais également à des dommages et intérêts à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

Au regard de l'ancienneté de M. [D] (moins de cinq mois), c'est à juste titre que les intimées font remarquer que celui-ci n'est pas en droit de réclamer une indemnité de licenciement et que la durée du préavis est limitée à 15 jours. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

L'entreprise occupant habituellement moins de onze salariés, M. [D] est en droit de solliciter l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, dont le montant n'est pas encadré par un minimum et un maximum au regard de sa faible ancienneté.

M. [D] n'invoque, et a fortiori ne justifie d'aucun préjudice particulier étant observé qu'il n'apporte pas à la cour d'élément concernant sa situation économique et professionnelle postérieure à son licenciement et que les pages Facebook produites par le liquidateur montrent qu'il a rapidement dirigé une nouvelle affaire.

Il y a donc lieu de lui octroyer la somme de 300 euros au titre du dommage causé par la perte de l'emploi. .

Les intimées sollicitent l'infirmation du jugement s'agissant de la condamnation de la société au paiement du salaire pendant la période de mise à pied, toutefois, elles ne présentent aucun moyen ni argument de ce chef.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- Sur la demande au titre de la procédure de licenciement :

Par application de l'article L.1235-2 du code du travail, l'indemnité pour l'irrégularité de la procédure ne peut être octroyée dans l'hypothèse où le licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement de ce chef.

6/ Sur la garantie de l'AGS :

Il y a lieu de rappeler que la garantie de l'AGS n'est due, toutes créances avancées confondues pour le compte du salarié, que dans la limite des 3 plafonds définis notamment aux articles L.3253-17, D.3253-2 et D.3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant l'étendue et la mise en 'uvre de sa garantie (articles L.3253-8 à L.3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à 24 du code du travail).

7/ Sur les demandes accessoires :

Le liquidateur, tenu aux dépens, sera condamné à payer à M. [D] la somme précisée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sera débouté de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de M. [D] reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Tchello à payer à M. [D] la somme de 1 000 euros pour irrégularité de la procédure de licenciement,

- débouté M. [D] de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande tendant à voir dire le licenciement nul,

Dit que le licenciement de M. [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Tchello les sommes de :

- 10 283,22 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 300 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute M. [D] de sa demande au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

Rappelle que le cours des intérêts a été interrompu à la date de l'ouverture de la procédure collective,

Rappelle que la garantie de l'AGS n'est due, toutes créances avancées confondues pour le compte du salarié, que dans la limite des 3 plafonds définis notamment aux articles L.3253-17, D.3253-2 et D.3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant l'étendue et la mise en 'uvre de sa garantie (articles L.3253-8 à L.3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à 24 du code du travail),

Condamne la société Alpha MJ Compiègne, ès qualités, à payer à M. [D] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

Déboute la société Alpha MJ Compiègne, ès qualités, de sa demande présentée sur le même fondement,

Condamne la société Alpha MJ Compiègne, ès qualités, aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/02090
Date de la décision : 14/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-14;21.02090 ?
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