ARRET
N°
[V]
C/
S.A.S. ITM LAI
copie exécutoire
le 14/12/2022
à
Me LANCKRIET
Me REMOLEUX
EG/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 14 DECEMBRE 2022
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N° RG 21/00237 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H6XA
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 30 NOVEMBRE 2020 (référence dossier N° RG F19/00311)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [I] [V] épouse [L]
née le 17 Janvier 1973 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée, concluant et plaidant par Me Sophie LANCKRIET, avocat au barreau de COMPIEGNE
ET :
INTIMEE
S.A.S. ITM LAI
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée, concluant et plaidant par Me Julie REMOLEUX de la SELARL CAPSTAN NORD EUROPE, avocat au barreau de LILLE
Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
DEBATS :
A l'audience publique du 19 octobre 2022, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Mme Eva GIUDICELLI en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 14 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 14 décembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
Mme [V] épouse [L], née le 17 janvier 1973, a été embauchée par la société ITM LAI (la société ou l'employeur) par contrat de travail à durée déterminée du 7 mars 2010 au 2 juillet 2011, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 1er juin 2011, en qualité de préparatrice.
Son contrat est régi par la convention collective du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire.
La société emploie plus de 200 salariés.
Le 27 mai 2014, Mme [L] a été élue déléguée du personnel suppléante pour un mandat de 4 ans.
Par courrier du 24 juin 2014, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 3 juillet 2014.
Par courrier du 2 octobre 2014, elle a été licenciée pour faute grave.
Par jugement du 24 janvier 2017, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 25 septembre 2014 autorisant le licenciement de Mme [L].
Par arrêt du 4 octobre 2018, la cour d'appel administrative de Douai a rejeté la requête en annulation du jugement et de la décision de l'inspecteur du travail formée par la société ITM LAI.
Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne, le 23 décembre 2019, afin de contester la légitimité de son licenciement et d'obtenir l'indemnisation des préjudices découlant de l'annulation de l'autorisation de son licenciement.
Par jugement du 30 novembre 2020, le conseil de prud'hommes a :
- condamné la société ITM LAI à payer à Mme [L] : 22 756 euros au titre de la perte de revenus ;
- jugé que le licenciement de Mme [L] n'était pas fondé et, en conséquence, condamné la société ITM LAI à lui payer :
- 3 667,74 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 366,77 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
- 1 680,89 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'ancien article L 1235-3 du code du travail ;
- condamné la société ITM LAI à payer à Mme [L] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;
- ordonné en application des dispositions des articles R 1454-14 et R 1454-28 du code du travail, l'exécution provisoire de droit pour le paiement des sommes qui ont été allouées à titre de salaire dans la limite de 9 mois de salaire calculée sur la moyenne des trois derniers mois, en l'espèce, 1790*9 = 16 110 euros ;
- ordonné, en application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail, l'exécution provisoire pour la condamnation des indemnités dues en application de l'article L2422-4 du code du travail, s'agissant d'indemnités correspondant à la période d'annulation du licenciement ;
- ordonné le remboursement des organismes sociaux conformément aux dispositions légales (article R 1235 du code du travail) ;
- condamné la société ITM LAI en tous les dépens y compris l'exécution.
Mme [L] a interjeté appel de ce jugement.
Le conseiller de la mise en état, par arrêt du 22 juin 2022, a :
- dit que les conclusions de Mme [L] étaient irrecevables partiellement sur les pages 10 à 12 intitulées au paragraphe «perte de revenu» ;
- condamné Mme [L] aux dépens de l'incident de mise en état.
Par conclusions remises le 7 juillet 2022, Mme [L], régulièrement appelante du jugement du 30 novembre 2020, demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- rejeté la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L.1235-3 ancien du code du travail formée à hauteur de 20 472 euros alors qu'il a jugé que le licenciement n'était pas fondé et devait lui allouer une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire ;
- qualifié de manière erronée dans le dispositif l'indemnité légale de licenciement de 1 680,89 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 ancien du code du travail ;
- condamner la société ITM LAI à lui payer :
- 1 680,89 euros requalifiant cette somme à titre d'indemnité légale de licenciement et non à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 20 472 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L.1235-3 ancien du code du travail ;
- confirmer le jugement pour le surplus ;
- condamner la société ITM LAI à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner la société ITM LAI en tous les dépens.
Par conclusions remises le 5 mai 2021, la société ITM LAI demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Compiègne en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de Mme [L] au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, après en avoir substitué les motifs ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Compiègne en ce qu'il l'a condamnée au versement de la somme de 22 756 euros au titre de la perte de revenu;
Et statuant à nouveau,
- limiter le montant de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la perte du statut protecteur à la somme de 18 698,43 euros brut ;
- condamner Mme [L] à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire,
- limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 10 740 euros correspondant au minimum légal de 6 mois de salaire brut.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse
1-1/ au titre de l'indemnité légale de licenciement
Mme [L] critique le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à lui verser la somme de 1 680,89 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L 1235-3 ancien du code du travail alors que cette somme correspond à l'indemnité légale de licenciement.
La société ne répond pas sur ce point.
L'article 462 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.
En l'espèce, il convient de constater que le jugement du conseil de prud'hommes a, dans son dispositif, condamné l'employeur à verser à la salariée la somme de 1 680,89 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L 1235-3 ancien du code du travail alors qu'il alloue cette somme, dans la motivation, sous l'intitulé de paragraphe «indemnité légale de licenciement» conformément à la demande de Mme [L].
Il convient donc de rectifier cette erreur matérielle en qualifiant la somme de 1 680,89 euros d'indemnité légale de licenciement.
1-2/ au titre des dommages et intérêts
Mme [L] critique le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors que l'employeur ne démontre pas l'existence d'une faute grave, ce qui a été jugé à deux reprises par les juridictions administratives qui ont annulé l'autorisation de licenciement.
Sur le quantum, elle soutient qu'ayant été injustement accusée de violences envers une collègue et n'ayant retrouvé un emploi qu'après deux années de chômage et une reconversion ne permettant pas d'atteindre le même niveau de rémunération, la somme demandée correspondant à 12 mois de salaire est amplement justifiée.
La société rappelle que l'annulation de l'autorisation de licenciement ne prive pas automatiquement ce dernier de toute cause réelle et sérieuse, et estime que les faits reprochés à la salarié, dont les juges administratifs ont constaté la matérialité, sont constitutifs d'une faute simple justifiant le licenciement.
Sur le quantum, elle rappelle que pour obtenir une indemnisation supérieure à 6 mois de salaire, Mme [L] doit justifier d'un préjudice spécifique.
L'article L.2411-5 alinéa 1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
Si l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ne résulte pas, en soi, de l'annulation de l'autorisation de licenciement, la décision du juge administratif se prononçant sur les faits fautifs invoqués par l'employeur ayant retenu que ces faits, soit n'étaient pas établis, soit ne justifiaient pas la mesure de licenciement, s'oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide qu'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l'espèce, Mme [L], déléguée suppléante du personnel, a été licenciée le 2 octobre 2014 après autorisation de l'inspecteur du travail.
Par jugement du 24 janvier 2017, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision au motif que si le comportement de Mme [L] revêtait un caractère fautif, il ne présentait cependant pas une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licencier.
Ce jugement est devenu définitif par arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 4 octobre 2018 qui l'a confirmé dans les mêmes termes.
La juridiction administrative ayant jugé que les faits fautifs invoqués par l'employeur ne justifiaient pas la mesure de licenciement, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mme [L] justifie de sa situation professionnelle de décembre 2014 à octobre 2018.
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération des 6 derniers mois de la salariée, de son âge, de son ancienneté dans l'entreprise (4 ans), et de sa situation professionnelle postérieure au licenciement, la cour fixe à 12 300 euros les dommages et intérêts dus en application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.
2/ Sur les conséquences de l'annulation de l'autorisation de licenciement
La société critique le jugement entrepris en ce qu'il a fait courir la période à retenir pour l'indemnisation de l'annulation de l'autorisation de licenciement jusqu'à 2 mois après l'arrêt de la cour administrative d'appel alors qu'il aurait dû en fixer le terme à 2 mois après le jugement du tribunal administratif.
Elle affirme que l'indemnité doit se calculer sur la base de la rémunération mensuelle moyenne des 12 derniers mois, soit 1 589,91 euros net.
Les conclusions de Mme [L] étant déclarées irrecevables sur ce point, elle est réputée avoir adopté les motifs des premiers juges.
L'article L.2422-4 du code du travail dispose que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration.
Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.
Il en résulte que la période d'indemnisation du salarié protégé qui ne demande pas sa réintégration après annulation de l'autorisation de licenciement expire 2 mois à compter de la notification de la décision qui emporte droit à réintégration. En pratique, il s'agit de la première décision d'annulation de l'autorisation de licenciement et non des décisions postérieures rendues sur recours à l'encontre de cette décision.
En l'espèce, la décision d'autorisation de licenciement ayant été annulée par le tribunal administratif d'Amiens le 24 janvier 2017, la période d'indemnisation coure du 2 octobre 2014 au 24 mars 2017.
Si aucun texte ne limite la base de calcul de l'indemnité prévue par l'article précité aux 12 derniers mois de salaire, il convient de constater que ni le calcul opéré par le conseil de prud'hommes ni les pièces produites par la salariée ne permettent d'arrêter une autre base d'indemnisation que celle invoquée par l'employeur.
Dès lors, au vu des attestations de Pôle emploi et des bulletins de salaire produits par la salariée sur la période considérée afin de déduire les rémunérations perçues des sommes qu'elle aurait dues percevoir, il y a lieu de fixer l'indemnisation à 18 698,43 euros brut.
Le jugement entrepris est donc infirmé de chef mais seulement sur le quantum.
3/ Sur les demandes accessoires
La société succombant partiellement, il convient de confirmer le jugement entrepris sur les frais irrépétibles et dépens de première instance, et de mettre à sa charge les dépens de la procédure d'appel.
L'équité commande de la condamner à verser à Mme [L] la somme de 500 euros pour les frais engagés en appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et de rejeter sa propre demande.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
rectifie l'erreur matérielle contenue au dispositif du jugement du 30 novembre 2020 en ce qu'il convient de lire :
«1 680,89 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;»
en lieu et place de :
«1 680,89 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'ancien article L 1235-3 du code du travail ;»
confirme le jugement du 30 novembre 2020 sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de Mme [V] épouse [L] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAS ITM LAI à lui verser la somme de 22 756 euros pour perte de revenu,
statuant à nouveau et y ajoutant,
condamne la SAS ITM LAI à payer à Mme [V] épouse [L] :
- 12 300 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 18 698,43 euros brut d'indemnisation pour perte de revenu,
- 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
rejette le surplus des demandes,
condamne la SAS ITM LAI aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,