ARRET
N°946
CPAM DE SEINE ET MARNE
C/
S.A. [4]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 24 NOVEMBRE 2022
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N° RG 20/04592 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H3MI - N° registre 1ère instance : 19/02623
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE EN DATE DU 30 juillet 2020
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
La CPAM DE SEINE ET MARNE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
CPAM 77
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Mme Anne-Sophie BRUDER, dûment mandatée
ET :
INTIMEE
La S.A. [4] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
(A.T : Monsieur [H] [Y])
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée et plaidant par Me Camille BERTHOME, avocat au barreau de PARIS substituant Me Franck JANIN de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
DEBATS :
A l'audience publique du 09 Juin 2022 devant Mme Elisabeth WABLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Blanche THARAUD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Elisabeth WABLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de :
Mme Elisabeth WABLE, Président de chambre,
Mme Graziella HAUDUIN, Président,
et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 24 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Mélanie MAUCLERE, Greffier placé.
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DECISION
Vu le jugement rendu le 30 juillet 2020 par lequel le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, statuant dans le litige opposant la SA Bricoman à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne (ci-après la CPAM), a':
- rejeté la demande de la SA [4] visant à voir déclarer inopposable à son égard la décision de la CPAM de Seine et Marne du 3 janvier 2019,
- fixé le taux d'incapacité permanente partielle opposable à la société à 0 %, à la date de consolidation,
- rappelé que les frais résultant de l'expertise sont pris en charge par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.
Vu l'appel relevé à l'encontre de ce jugement par le CPAM de Seine et Marne le 1er septembre 2020, suivant notification du 3 août 2020.
Vu l'ordonnance rendue le 6 octobre 2021 par le magistrat chargé d'instruire l'affaire, désignant le docteur [X] [J] en qualité de médecin consultant et le rapport déposé par celui-ci le 2 décembre 2021.
Vu les conclusions visées le 9 juin 2022, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la CPAM de Seine et Marne demande à la cour de':
- déclarer recevable et bien-fondé son appel,
- en conséquence, infirmer le jugement entrepris et porter le taux d'incapacité à 38 %,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer, pour le surplus, le jugement entrepris.
Vu les conclusions, visées le 9 juin 2022, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la SA [4] demande à la cour de':
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris,
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'inopposabilité,
- juger inopposable la décision attributive de rente du 3 janvier 2019,
- débouter la CPAM de Seine et Marne de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
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SUR CE, LA COUR
M. [H] [Y], salarié de la société SA [4] en qualité d'ouvrier a été victime d'un accident du travail le 7 mars 2014, décrit comme suit, suivant la déclaration d'accident du même jour':'«'Il s'est fait rouler dessus par son collègue avec un chariot Fenwick qui ne l'a pas vu car il était derrière le chariot'» ;
Le certificat médical initial établi le jour de l'accident, a constaté une «'disjonction du bassin à droite avec disjonction de la symphyse pubienne et de l'articulation sacro-iliaque droit sans lésion viscérale ni complication vasculo-nerveuse ' Luxation du genou droit avec atteinte du nerf sciatique poplité externe et ouverture cutanée au niveau du tiers distal de la face interne de la cuisse droite'».
De nouvelles lésions, imputables à l'accident du travail en cause, ont été constatées suivant certificats médicaux de prolongation des 19 septembre 2014 et 6 décembre 2016, mentionnant : « rupture des ligaments croisés antérieur et postérieur droit et lésion des ligaments latéraux avec impotence fonctionnelle majeure » et « ligamentoplastie complexe genou droit ' paralysie SPE ' arthrodèse cheville droite - pseudarthrose ».
La date de consolidation de l'état de [H] [Y] a été fixée au 31 octobre 2018.
Par décision notifiée le 3 janvier 2019 un taux d'incapacité permanente partielle de 38 % a été attribué à M. [Y] pour des séquelles indemnisables d'un « traumatisme complexe du membre inférieur droit et du bassin consistant en un blocage en position de fonction de la cheville droite et des autres articulations du pied et une limitation de la flexion du genou droit à 90° ».
Contestant cette décision, la SA [4] a saisi, le 4 mars 2019, la commission de recours amiable, puis le tribunal judiciaire de Lille, lequel a statué comme indiqué précédemment.
La CPAM de Seine et Marne conclut à l'infirmation du jugement déféré et à la fixation du taux d'incapacité permanente partielle de M. [Y] à 38 %.
Elle indique que le taux de 38 % indemnise correctement les séquelles de l'accident et que le docteur [G] reconnaît l'existence d'un accident grave à type de polytraumatisme orthopédique quand bien même il prétend ne pas comprendre le taux retenu.
Elle ajoute que l'accident a donné lieu à cinq interventions chirurgicales, à de multiples séances de rééducation fonctionnelle et à un arrêt de travail de plus de quatre ans qui a également été pris en compte dans l'évaluation du taux.
Elle relève que s'il existe effectivement une pathologie indépendante de l'accident, expliquant les troubles neurocognitifs et une partie du traitement mentionné dans le rapport d'évaluation, le médecin conseil a pris soin de ne pas en tenir compte dans l'évaluation du taux.
S'agissant de l'inopposabilité de la décision attributive de rente, elle indique que conformément à la demande de l'employeur, elle a bien transmis une copie du rapport, également notifiée au docteur [G] et ajoute que le grief portant sur l'insuffisance des éléments du rapport ne saurait donner lieu à une inopposabilité.
La SA [4] conclut à la confirmation du jugement à titre principal et, à titre subsidiaire, à l'infirmation de ce dernier en ce qu'il a rejeté sa demande d'inopposabilité de la décision attributive de rente.
Elle précise que son médecin conseil, le docteur [G], n'a pas pu se prononcer sur le taux dès lors que les examens cliniques présents dans le rapport ne le permettent pas.
S'agissant de l'inopposabilité de la décision attributive de rente, elle soutient qu'en transmettant un rapport d'évaluation incomplet et lacunaire, la CPAM de Seine et Marne ne l'a pas mise en mesure de s'assurer du bien-fondé de sa décision et que, par conséquent, la décision ne saurait lui être déclarée opposable.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
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* Sur l'inopposabilité de la décision attributive de rente
La SA [4] sollicitel'inopposabilité de la décision attributive de rente au motif qu'il n'est pas possible, eu égard aux éléments succincts du rapport médical, de déterminer un taux d'incapacité permanente partielle.
Toutefois, si le médecin désigné en première instance et le médecin désigné par la présente cour relèvent des manques dans le rapport d'incapacité, le docteur [J] indique que les éléments manquants ou succincts (examen des hanches, examen du genou ..) ne permettent pas de minorer le taux mais que, bien au contraire, si ces derniers étaient présents ou plus détaillés le taux ne pourrait qu'être augmenté.
En outre, les mentions figurant dans le rapport ont permis au médecin désigné en première instance et au médecin désigné par le présente cour d'émettre un avis sur le taux d'incapacité de M. [Y].
Dès lors, les critiques portant sur le caractère lacunaire et incomplet du rapport d'incapacité sont inopérantes , étant précisé que la critique portant sur l'insuffisance des éléments donnés par le médecin conseil dans le rapport concerne la valeur et la portée des éléments de preuve soumis à l'appréciation de la cour et ne peut donner lieu à l'inopposabilité de la décision attributive de rente.
Par voie de conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'inopposabilité formulée par la SA [4].
* Sur le taux d'incapacité permanente partielle
En application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux d'incapacité permanente partielle est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
En l'espèce, la CPAM de Seine et Marne a retenu un taux de 38 % pour des séquelles d'un traumatisme du membre inférieur droit et du bassin, consistant en un blocage en position de fonction de la cheville droite et des autres articulations du pied, et une limitation de la flexion du genou droit à 90°.
Aux termes de son rapport, le médecin désigné par les premiers juges retient un taux d'incapacité de 38 % en indiquant que : « Les constatations font état de lésions au niveau du bassin, du genou droit et la cheville droite. Dans les lésions nouvelles apparaît la notion d'une atteinte ligamentaire au niveau de la cheville et une pseudarthrose dont on ne sait à quel niveau : du membre inférieur ou du bassin. Dans le contexte de l'observation médicale apparaissent des éléments qui indiscutablement évoquent soit un état antérieur soit un état intercurrent et notamment une pathologie d'ordre neurologique avec peut être une déficience intellectuelle. L'examen clinique a été rapporté de manière incomplète en retenant une limitation de la capacité de la flexion du genou et une cheville droite qui paraît bloquée en bonne position. Le taux d'incapacité a été proposé à 38% ce qui est difficilement critiquable en fonction des lésions qui ont été décrites. Le médecin consultant ne peut que rappeler que le rapport est particulièrement insatisfaisant dans son argumentation ».
Le docteur [J], médecin mandaté par la présente cour, indique quant à lui que : « La mention des troubles neurocognitifs pour expliquer une minoration du taux d'IPP est sans objet. Ces troubles neurocognitifs sont sans rapport avec et probablement préexistants à l'accident du travail. Et ils n'ont pas empêché que Monsieur [Y] soit embauché.
Il manque effectivement un examen des hanches, une limitation de l'amplitude articulaire et/ou des troubles sensitifs au niveau pelvien ne pourraient qu'augmenter le taux d'IPP retenu.
Certes l'examen du genou est succinct, cependant l'existence d'un flessum ou d'une instabilité ne peut conduire qu'à une majoration du taux d'IPP en rapport avec l'atteinte de cette articulation. La flexion ne pouvant se faire au-delà de 90° cela justifie d'un taux d'IPP de 15%.
La cheville est bloquée en bonne position par une arthrodèse ce qui justifierait d'un taux d'IPP de 25%. Cette arthrodèse pourrait s'expliquer dans le but de limiter la gêne entraînée par l'équin secondaire à la paralysie du sciatique poplité externe.
L'absence de mobilité des autres articulations du pied et l'hypoesthésie du pied droit ne pourraient que conduire à augmenter le taux d'IPP retenu pour cette articulation.
CONCLUSIONS : A la date du 31/10/2018, les séquelles décrites justifient d'un taux minimal de 38% ».
Il résulte de ces éléments que M. [Y] présente une limitation de la flexion du genou droit à 90° et un blocage de la cheville droite avec une perte de la mobilité des articulations du pied.
Le chapitre 2.2.4 du barème indicatif d'invalidité, relatif au genou, préconise un taux d'incapacité de 15 % lorsque la flexion ne peut s'effectuer au-delà de 90°.
Le chapitre 2.2.5 du même barème, relatif aux articulations du pied, préconise un taux compris entre 20 et 35 % en cas de blocage de la cheville en bonne position, mais avec une perte de la mobilité des autres articulations du pied.
IL convient par ailleurs de tenir compte de l'incidence professionnelle, dès lors que l'assuré n'a pas pu reprendre son travail.
Le médecin conseil de l'employeur observe qu'il n'y aucune précision concernant les troubles neurocognitifs. Or, comme le constate le docteur [J], ces troubles neurocognitifs sont sans rapport avec l'accident en cause.
Par voie de conséquence et eu égard aux conclusions concordantes des médecins consultants successivement désignés , le taux de 38 % retenu pour des séquelles importantes au niveau du genou et de la cheville, outre l'incidence professionnelle, n'apparaît pas surévalué.
Le jugement sera dès lors infirmé et le taux d'incapacité permanente partielle sera fixé à 38 %.
*Sur les dépens
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la SA [4], partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement par décision rendue contradictoirement par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en ce qu'il a déclaré opposable à la SA [4] la décision attributive de rente du 3 janvier 2019, et rappelé que les frais résultant de la mesure de consultation sont pris en charge par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ;
INFIRME le jugement en ce qu'il a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de M. [H] [Y] opposable à la SA [4], à la date de consolidation, à 0 % ;
Statuant à nouveau,
FIXE le taux d'incapacité permanente partielle de [H] [Y] opposable à la SA [4] à la date de consolidation à 38 % ;
CONDAMNE la SA [4] aux dépens.
Le Greffier, Le Président,