La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2022 | FRANCE | N°21/00839

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 17 novembre 2022, 21/00839


ARRET







[R]





C/



S.A.R.L. FRANCE IMMOBILIER



























































copie exécutoire

le 17 novembre 2022

à

Me Delvallez

Me Hourdin

CPW/MR/SF



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022



****

*********************************************************

N° RG 21/00839 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H75Q



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 19 JANVIER 2021 (référence dossier N° RG F 19/00152)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [C] [R]

né le 22 Avril 1991 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]
...

ARRET

[R]

C/

S.A.R.L. FRANCE IMMOBILIER

copie exécutoire

le 17 novembre 2022

à

Me Delvallez

Me Hourdin

CPW/MR/SF

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/00839 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H75Q

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 19 JANVIER 2021 (référence dossier N° RG F 19/00152)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [C] [R]

né le 22 Avril 1991 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté et concluant par Me Dorothée DELVALLEZ de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAON

ET :

INTIMEE

S.A.R.L. FRANCE IMMOBILIER agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée et concluant par Me Olivier HOURDIN, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

DEBATS :

A l'audience publique du 06 octobre 2022, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme [O] [X] indique que l'arrêt sera prononcé le 17 novembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme [O] [X] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 17 novembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [R], né le 22 avril 1991, a été embauché par la société France immobilier (ci-après la société) le 22 décembre 2014 par contrat à durée indéterminée, en qualité de négociateur démarcheur immobilier coefficient 241 niveau I de la convention collective de l'immobilier.

Par courrier remis en main propre le 14 février 2019, le salarié a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail motivée par un nouveau projet, et une convention de rupture conventionnelle a été signée le 4 mars 2019.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mars 2019, la société France immobilier a usé de son droit de rétractation.

Par courrier du 20 mars suivant, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 3 avril 2019 avec mise à pied à titre conservatoire. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 10 avril 2019 par courrier ainsi libellé :

' Nous avons eu à déplorer de votre part, plusieurs agissements que nous considérons comme fautifs et qui remettent, par conséquent votre présence au sein de notre Agence Immobilière.

Tout d'abord, nous avons constaté, à notre préjudice, que vous avez procédé à un important détournement de notre clientèle, aussi bien de clients vendeurs, que de clients acheteurs.

Par la suite, vous avez, délibérément procédé à une violation du secret professionnel, en fournissant à des clients des informations confidentielles de notre Agence Immobilière, ou en adressant votre propre contrat de travail à un autre négociateur immobilier.

Nous avons également constaté que vous avez sciemment fourni à l'un de nos agents commerciaux, plusieurs informations confidentielles, alors même que celui-ci avait quitté notre Agence '

Vous avez parfaitement outrepassé vos obligations professionnelles telles que rappelées au terme de l'article 2 de votre contrat, en communiquant à une personne extérieure de l'agence des informations relatives à son activité.

Nous avons également appris récemment que vous aviez fourni à une cliente de l'Agence une fausse attestation immobilière au nom d'un expert immobilier qui nous avait confirmé n'avoir jamais procédé à la moindre attestation au bénéfice de cette cliente.

Ces dernières semaines, vous vous êtes absentés de manière totalement injustifiée :

- samedi 16 mars 2019, absent de 10H à 11H30 puis de 14H30 à 18H30,

- lundi 18 mars 2019, absent de 10H à midi, puis de 16H20 à 18H,

- mercredi 20 mars 2019 absent de 14H10 à 15H50 puis de 16H17à 17H50,

- jeudi 21 mars 2019, absent de 10H à midi puis de 16H10 à 17H35,

- vendredi 22 mars 2019, vous avez quitté votre poste de travail à 9H54 sans jamais y revenir.

De ce fait, ces absences autant injustifiées que prolongées créent une désorganisation totale de notre activité.

L'ensemble des fautes commises constituent une violation manifeste de votre contrat de travail qui vous imposent, d'une manière générale une obligation de loyauté à l'endroit de votre employeur, et de manière plus précise un manquement aux articles 5 relatif aux horaires de travail et 12 relatif à vos obligations professionnelles.

(...) nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.'

Le 22 octobre 2019 M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons afin de contester la mesure et solliciter les indemnités de rupture ainsi que diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail.

Par jugement du 19 janvier 2021 notifié le 21 janvier 2021, la juridiction prud'homale a :

dit que le licenciement notifié à M. [R] le 10 avril 2020 est fondé sur une faute grave et débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;

débouté la société France immobilier de 'l'ensemble de ses demandes reconventionnelles'.

Le 13 février 2021, M. [R] a régulièrement interjeté appel partiel de cette décision en ce qu'elle a dit le licenciement fondé et a rejeté ses demandes.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 1er août 2022, il demande à la cour de :

- écarter des débats les pièces adverses n° 17, 18, 19 et 20 ;

- infirmer le jugement déféré des chefs critiqués dans sa déclaration d'appel, et statuant à nouveau, de :

condamner la société France immobilier à payer à lui payer 5 400 euros net à titre de rappel d'indemnité forfaitaire pour frais professionnel ;

dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui allouer, sur la base d'une rémunération mensuelle brute moyenne de 2 798,67 euros et pour une ancienneté de 4 ans et 5 mois :

3 090 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

5 597,34 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents d'un montant de 559,73 euros brut ;

13 993 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail ;

155,98 euros brut au titre des heures d'absences indûment déduites du salaire du mois de mars 2019, outre les congés payés afférents d'un montant de 15,60 euros brut ;

1 132,64 euros brut au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée outre les congés payés afférents pour 113,26 euros brut ;

condamner la société France immobilier à lui remettre un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi conformes et ce dans le délai de 8 jours suivant la décision à intervenir, sous astreinte passé ce délai de la somme de 20 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant la liquidation de l'astreinte ;

- débouter la société France immobilier de ses demandes reconventionnelles et la condamner à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 6 septembre 2022, la société France immobilier, demande à la cour de :

- déclarer M. [R] irrecevable et en tout cas mal fondé en sa demande nouvelle visant à voir écarter des débats les pièces communiquées sous les numéros 17 à 20 ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le licenciement fondé sur une faute grave et débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes mais l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau de condamner M. [R] à lui régler la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1231 et suivants du code civil, ainsi qu'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens de l'instance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la demande de rejet des pièces n°17 à 20 de l'employeur

M. [R] sollicite pour la première fois en cause d'appel le rejet de ces pièces au motif qu'elles sont produites en violation de l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Soissons le 17 septembre 2019 autorisant des constatations, la saisie par un huissier de justice et le placement sous séquestre de divers fichiers dans les locaux de la société Pro direct immo constituée par M. [R] et M. [L], dès lors qu'elle a strictement encadré les suites données à la saisie en ordonnant la restitution des documents objets du séquestre à défaut d'introduction d'une instance au plus tard à l'expiration d'un délai de trois mois suivant l'établissement du procès verbal, et qu'aucune instance n'a été introduite dans ce délai. M. [R] accuse ainsi la société France immobilier d'avoir ouvert le séquestre sans autorisation alors par ailleurs qu'aucun des fichiers saisi n'a été restitué. Il estime que la cour est dans l'impossibilité de connaître précisément les pièces issues de la saisie dont la communication est illicite. Il souligne la recevabilité de sa demande qui n'est pas d'une prétention nouvelle.

L'employeur s'oppose à la demande en ce qu'elle est nouvelle et donc irrecevable, et en ce qu'elle est dénuée de sérieux dès lors que l'ordonnance dont il est question, contrairement à ce qui est indiqué par le salarié, a prévu que la copie des fichiers saisis devait être communiquée à la société et que les originaux devaient être placés sous séquestre. Il souligne encore que la pièce n°17 est précisément le procès verbal de constat qu'en tout état de cause rien ne justifie d'écarter.

Or, même nouvelle en appel, la demande de rejet de pièces au regard de leur illicéité, qui ne saurait s'analyser en une prétention au sens de l'article 564 du code de procédure civile, est recevable.

En matière prud'homale la preuve est libre et peut se faire par tous moyens. La seule restriction est celle relative à l'atteinte de la vie privée et au respect de la confidentialité.

En l'espèce, aucune de ces atteintes n'est alléguée par le salarié, qui déduit le caractère illicite de la production de la seule lecture de l'ordonnance du 17 septembre 2019 ayant autorisé le constat et la saisie de document. Cette ordonnance prévoit qu'il appartient à l'huissier de justice de '3/ Prendre copie des fichiers et courriers électroniques (...) en deux exemplaires, l'une destinée à la partie requérante afin d'utilisation dans le cadre d'une éventuelle expertise judiciaire ou procédure au fond, et l'autre si possible sur place, et conserver cette copie sous séquestre. (...) 12/ Dresser un procès verbal des opérations effectuées ; en remettre une copie à la requérante (...) 13/ Conserver sous séquestre en son étude toutes les copies de documents ou fichiers réalisés dans les locaux. (...)

D/ Disons que l'instance devra en tout état de cause être introduite au plus tard à l'expiration d'un délai de trois mois suivant l'établissement du procès verbal de constat, et qu'à défaut les documents ou fichiers objet du séquestre seront restitués par l'huissier requis.

E/ Disons que sur autorisation du juge prise contradictoirement ayant désigné un expert judiciaire ou saisi au fond il pourra être procédé à l'ouverture du séquestre sur demande de la partie la plus diligente.'

Il se déduit sans aucune équivoque du point 12, qu'une copie du procès verbal dressé le 29 octobre 2019 devait être remise à la société France immobilier, qui peut donc valablement présenter cette pièce dans le cadre de la présente instance. Dès l'instant que la partie à qui cette pièce a été présentée a pu en contester la force probante, il appartiendra donc à la cour, d'apprécier souverainement la valeur et la portée du document.

Par ailleurs, il existe une imprécision au point 3 et une contradiction entre les points 3 et 13 de l'ordonnance dès lors que d'une part le point 3 prévoit tout à la fois deux copies dont une copie des documents destinée à la société mais mentionne ensuite que seule 'cette copie' sans plus de précision (et non 'ces copies') doit être placée sous séquestre, et dès lors que contrairement au point 3, le point 13 prévoit la conservation de toutes les copies de documents sous séquestre. De plus, la liste exacte des pièces placées sous séquestre ne figure pas dans le procès verbal de constat produit ni dans aucun autre document communiqué, et M. [R], qui ne justifie pas même avoir interrogé l'huissier de justice sur ce point, ne prouve pas que les pièces 18 à 20 dont se prévaut la société, qu'elle avait déjà produit en première instance comme dans le cadre de deux autres procédures sans aucune contestation, avaient été placées sous séquestre, ce que conteste pourtant l'adversaire.

Il s'ensuit que, faute pour le salarié de rapporter la preuve que les pièces 17 à 20 querellées ont été obtenues de façon illicite et à tout le moins déloyale, il n'y a pas lieu de les écarter des débats.

2. Sur l'exécution du contrat de travail

2.1 - Sur les frais professionnels

Le conseil de prud'hommes a rejeté la demande en paiement de frais professionnel en l'absence d'éléments fournis par le salarié pour établir l'engagement de tels frais et le chiffrer.

A hauteur de cour, M. [R] fait valoir en substance que la clause 10 de son contrat de travail doit être réputée non écrite et la société France immobilier condamnée à l'indemniser pour l'utilisation de son véhicule personnel et des frais divers engagés dans l'exercice de son activité professionnelle dans l'intérêt de l'employeur, sur une base forfaitaire pendant 36 mois, du fait d'un usage au sein de la société quant au forfait de 150 euros allégué est établi. Il précise que son secteur de prospection était de 25 kilomètres autour de [Localité 5] et qu'il n'a pas conservé les justificatifs des frais exposés dès lors qu'il était contractuellement privé de tout remboursement.

La société France immobilier réplique en substance que la demande en paiement du salarié est prescrite pour la période antérieure au 10 avril 2016 et ne peut concerner la période postérieure au 14 février 2019 puisqu'à partir du moment où la rupture conventionnelle a été signée il a été demandé au salarié de rester chez lui. Elle estime donc que seuls 34 mois et 4 jours sont réellement concernés, et souligne qu'en tout état de cause, M. [R] ne justifie pas des frais professionnels invoqués, alors que la situation de M. [W] était très différente de la sienne.

Or, l'action en paiement de sommes correspondant au remboursement de frais professionnels n'est pas soumise à la prescription triennale prévue à l'article L.3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Il s'agit d'une action portant sur l'exécution du contrat de travail, qui relève du délai biennal de l'article L.1471-1 du code du travail, les sommes versées par l'employeur à titre de remboursement de frais exposés par le salarié en raison de son travail n'ayant pas la nature d'un salaire.

En l'espèce, le contrat de travail a été rompu le 10 avril 2019, et l'action en paiement de rappels de frais professionnels engagée le 22 octobre 2019, de sorte que la demande de rappel n'était pas prescrite dans son ensemble à la date de la saisine de la juridiction prud'homale. De plus, si M. [R] sollicite un rappel de ses frais dans la limite de 36 mois, et donc du 10 avril 2016 au 10 avril 2019, l'employeur ne discute cependant pas la date à laquelle le salarié a eu connaissance de son droit à réclamer les frais impayés, et conteste uniquement l'étendue de la demande en ce que le salarié a entendu inclure la période postérieure à la signature d'une rupture conventionnelle, au motif affirmé mais non prouvé qu'il était alors dispensé de se présenter à son poste de travail. Il ne sera donc pas retenu que la prescription est acquise.

En tout état de cause, seuls les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être remboursés sans qu'ils puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due. Néanmoins, le contrat de travail peut prévoir le versement d'une somme forfaitaire en contrepartie des frais professionnels exposés par le salarié à la condition que cette somme ne soit pas manifestement disproportionnée par rapport aux frais réellement assumés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il s'ensuit que la clause figurant à l'article 10 du contrat de travail de M. [R] ('les parties conviennent que le salarié conserve la charge des frais de route et divers frais divers qu'il pourrait exposer dans l'exercice de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur.'), sans aucun paiement d'une somme forfaitaire prévue par le contrat, doit donc être réputée non écrite.

En conséquence, M. [R] est fondé à demander le remboursement de ses frais, peu important l'absence de réclamation à ce titre pendant plusieurs années, dans la limite de la prescription.

Toutefois, il ne produit pas d'élément de nature à justifier de frais réellement exposés à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail, et entend se prévaloir d'un usage fixant à l'avance une somme de manière forfaitaire. Pour qu'une pratique d'entreprise acquière la valeur d'un usage contraignant, il est cependant nécessaire que trois conditions cumulatives soient réunies: le généralité, la constance et la fixité de cette pratique. Il appartient au salarié d'apporter la preuve de l'existence et de l'étendue de l'usage invoqué.

Or, M. [R] se contente de produire, à l'appui de ses allégations d'un usage, une annonce non datée et non contextualisée de la société France immobilier pour un poste de négociateur immobilier, une attestation de M. [W], négociateur immobilier salarié au sein de la société France immobilier du 7 au 15 mars 2019, dont il ressort uniquement que la gérante lui a 'proposé un forfait de 150 euros pour les dépenses de frais professionnels', et la copie d'un SMS reçu par ce même salarié de la part de la gérante corroborant cette proposition, SMS qui n'est cependant pas contextualisée. M. [R] ne produit ainsi pas la preuve que le forfait fixe de 150 euros par mois allégué était versé à tous les salariés de l'entreprise placés dans une situation similaire de façon constante, le seul fait qu'un de ses collègues présent sur une période extrêmement courte dans la société se soit vu proposer uniquement (pas même octroyer) le bénéfice de ce forfait, n'étant aucunement de nature à caractériser les conditions de généralité, de constance et de fixité exigées pour que soit rapportée la preuve d'un usage d'entreprise.

Dans ces conditions, il conviendra de tirer les conséquences du manque de justificatifs, et de confirmer le jugement déféré qui a débouté M. [R] de sa demande.

2.2 - Sur les heures d'absence impayés en mars 2019

M. [R] sollicite le paiement d'heures d'absence indûment déduites de son salaire du mois de mars 2019, outre les congés payés afférents, en faisant valoir en substance que l'article 5 de son contrat de travail stipule qu'il s'engage à respecter l'horaire hebdomadaire de 35 heures suivant la répartition décidée par l'employeur, mais qu'il dispose de la plus grande autonomie dans l'organisation de son travail et de ses horaires, et qu'il a toujours respecté les horaires de travail, sauf nécessités liées à l'exercice de ses fonctions de négociateur immobilier.

La société France immobilier s'oppose à la demande en soutenant dans le cadre du licenciement pour faute grave, que le salarié a été absent de façon injustifiée.

Or, il ressort du bulletin de paie de M. [R] que des heures d'absences (5 heures le 16 mars,3.50 heures le 18 mars, 3.22 heures le 20 mars, 3.58 heures le 21 mars) ont été déduites du bulletin de salaire du mois de mars 2019. Faute pour l'employeur de justifier de la réalité des absences injustifiées ainsi sanctionnées, pourtant contestées par le salarié, la retenue n'est pas fondée, de sorte que la décision ayant rejeté l'ensemble des demandes du salarié, sera infirmée sur cette demande en paiement. La société France immobilier sera donc condamnée à payer à M. [R] la somme réclamée de 155,98 euros non contestée par l'employeur en son quantum à titre subsidiaire, outre les congés payés afférents.

3. Sur le licenciement

Le conseil de prud'hommes a dit le licenciement bien fondé, considérant que l'employeur démontre l'existence des agissements fautifs comme le détournement de clientèle au regard de ses pièces 18 à 20 ou encore la falsification de documents engageant la responsabilité de la société tels que de fausses attestations.

A hauteur de cour, M. [R] soutient qu'au contraire, la société ne prouve aucunement les griefs reprochés et qu'il a donc été licencié sans aucune cause réelle ou sérieuse.

La société France immobilier réplique qu'au contraire les griefs sont parfaitement prouvés, et que le licenciement pour faute grave est bien fondé.

Or, la faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis ; les faits invoqués comme constitutifs de faute grave doivent par conséquent être sanctionnés dans un bref délai. La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.

Un salarié n'a pas le droit d'exercer, pour son compte ou pour le compte d'une autre entreprise, une activité susceptible de concurrencer celle de son employeur. Cette obligation de loyauté du salarié est inhérente au contrat de travail lui-même. Elle s'applique même en l'absence de dispositions contractuelles précises, voire même en l'absence de contrat de travail écrit. Ainsi, l'exercice d'une activité concurrente, aussi bien pendant le cours du contrat de travail ou de sa suspension (maladie, congé sabbatique, congé pour création d'entreprise) que pendant l'exécution du préavis peut constituer une faute grave entraînant le licenciement sans indemnité.

Enfin, aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.

Les poursuites disciplinaires se trouvent engagées à la date à laquelle le salarié concerné est convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Si elles sont engagées plus de deux mois après la connaissance des faits par l'employeur, la prescription est acquise et le licenciement se trouve dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cette connaissance par l'employeur s'entend d'une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits. Une sanction disciplinaire ne devant pas être décidée dans la précipitation, il est admis que des vérifications puissent être préalablement opérées par l'employeur avant l'engagement de poursuites disciplinaires. C'est alors la date de la connaissance du résultat de ces investigations qui marque le point de départ du délai de prescription.

Lorsque la question est en débat, les juges du fond doivent rechercher à quelle date l'employeur a eu une connaissance exacte et précise des faits qu'il reproche au salarié.

En l'espèce, la connaissance par l'employeur des faits fautifs dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites n'est pas explicitement contestée par le salarié, qui indique uniquement qu'il appartiendra à la société de justifier de la révélation des faits lui ayant été faite entre la signature de la rupture conventionnelle le 4 mars 2019 et l'engagement de la procédure disciplinaire le 20 mars suivant, sans en tirer aucune conséquence juridique.

En toute hypothèse, il se déduit sans équivoque de la chronologie des faits et du contexte de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable, que l'employeur n'avait pas connaissance avant le 4 mars 2019 de la déloyauté du salarié évoquée dans la lettre de licenciement au titre du détournement de clientèle ou de la violation du secret professionnel, comme il le souligne dans ses conclusions. En effet, il sera observé sa signature sans aucune réserve le 4 mars 2019 de la rupture conventionnelle sollicitée par le salarié le 14 février 2019 au motif d'un nouveau projet sans plus de précision, une rétractation intervenue le 18 mars 2019 et donc plus d'une semaine après cette acceptation des termes de la rupture de la relation de travail, une plainte à l'encontre de M. [R] et de M. [Z] (autre salarié ayant quitté la salarié à la même période par démission) pour des faits de faux et usage de faux, vols de documents, violation du secret professionnel et détournement de clientèle, déposée le 19 mars 2019 par la gérante de la société dans la foulée de sa rétractation, dont il ressort qu'elle confirme le caractère récent des informations obtenues, et l'intervention de la convocation à l'entretien préalable immédiatement après dès le 20 mars 2019, l'employeur y précisant clairement qu'il vient d'apprendre l'existence d'un détournement de clientèle par le salarié. Il convient de relever qu'il ressort d'ailleurs du procès verbal de dépôt de plainte, que la gérante de la société a, alors même qu'elle se trouvait encore dans les bureaux du commissariat de police, reçu des documents falsifiés communiqués par son fils, ce qui démontre encore suffisamment qu'avant cela l'employeur n'avait pas une connaissance exacte et précise des faits reprochés au salarié. Il ressort d'ailleurs des SMS produits par M. [R] lui-même en pièce 18 que la gérante lui renouvelait encore sa confiance le 9 mars 2019. De même, les absences injustifiées reprochées à M. [R] dans la lettre de licenciement ayant débuté le 16 mars 2019, la société en a nécessairement eu connaissance moins de deux mois avant d'engager la procédure disciplinaire. La prescription des griefs n'est donc pas acquise.

Deux griefs sont articulés par la société France immobilier, le premier étant la déloyauté du salarié dans le cadre de la relation de travail du fait :

- d'un important détournement de clientèle ;

- de la violation du secret professionnel ;

- d'une fausse attestation immobilière fournie à une cliente de l'agence au nom d'un expert immobilier qui a confirmé n'avoir jamais procédé à la moindre attestation à son bénéfice.

Le second grief concerne des absences injustifiées répétées et prolongées au mois de mars 2019 ayant désorganisé l'entreprise.

S'agissant de ce dernier grief, la société France immobilier ne développe pas le moindre moyen ni le moindre argument, et ne produit pas non plus de pièces justifiant de la réalité d'absences injustifiées aux dates retenues. Ses seules déclarations dans le cadre de la plainte déposée ne peuvent sur ce point suffire, et sa pièce 10a regroupe des courriels envoyés par l'intéressé sans aucune relation avec des absences. Le grief ne sera donc pas retenu.

S'agissant de la déloyauté du salarié du temps de la relation de travail, la société France immobilier soutient que M. [R] s'est entendu avec un autre salarié, M. [Z], pour notamment dérober des fichiers clients dans le but de créer sa propre agence, ce qu'il a fait en constituant une société sous le nom de 'Pro direct immo' avec M. [L], qui serait un prête nom pour M. [Z].

Elle produit aux débats pour le prouver, en particulier :

-les statuts de la société Pro direct immo du 10 mai 2019 dont il ressort que la société compte deux associés dont M. [R] qui en est le gérant, l'autre associé étant M. [L], alors que celui-ci avait sollicité en février 2019 une rupture conventionnelle en vue d'un projet sans plus de précision ;

- l'extrait des informations publiques déclarées au greffe du tribunal de commerce qui démontre que les bénéficiaires effectifs de cette société sont en réalité M. [R] et M. [Z], chacun détenant 50% du capital de la société, avec la précision que ce dernier était également un ancien négociateur immobilier au sein de la société France immobilier, qui en a démissionné le 5 mars 2019 ; il s'ajoute que la société a également reproché à cet autre salarié un détournement de clientèle avec M. [R] tant dans le cadre d'une instance prud'homale que dans le cadre d'une plainte, la cour ayant retenu dans son arrêt du 17 mars 2022 produit, que les pièces produites ne permettaient pas de lui imputer avec certitude les détournements allégués ni de retenir un manquement à l'obligation de loyauté envers son employeur alors qu'il n'est pas identifié comme destinataire dans les courriels produits, tous au nom de M. [R], et que les opérations litigieuses ont été réalisées par la société Pro direct immo postérieurement à son départ de la société ;

- des courriels émanant de M. [R] durant la relation de travail, transmettant de nombreux fichiers de la société, en particulier des fichiers clients, de son adresse personnelle à l'adresse [Courriel 6] dont il n'est pas contesté qu'elle est l'adresse personnelle de M. [Z], un procès-verbal de constat très détaillé dressé par huissier de justice le 29 octobre 2019 outre d'autres éléments dont il ressort que plusieurs biens du portefeuille de la société France immobilier ont également été proposés par la société Pro direct immo ;

- un procès-verbal de dépôt de plainte de la gérante de la société du 19 mars 2019 ultérieurement complété, à l'encontre de M. [Z] et de M. [R], notamment pour des faits de vols de documents et de détournement de clientèle ; si le salarié soutient qu'à ce jour cette plainte n'a entrainé aucune poursuite, il n'en demeure pas moins qu'aucune des parties n'évoque un classement sans suite intervenu, ce dont il se déduit que la procédure pénale est donc toujours en cours.

S'agissant des éléments contenus dans le constat d'huissier de justice et des pièces 18 à 20 produites par l'employeur, M. [R] conteste certes la licéité de la preuve, ce qui est inopérant au vu des développements qui précèdent, mais il ne conteste pas le contenu de ces pièces ni en particulier le contenu de la pièce 10a (fichiers clients de l'employeur transmis entre le 25 février et le 14 mars 2019 par M. [R] à l'adresse [Courriel 6]), dont il ressort de façon évidente que les fichiers clients ont été récupéré avant le départ de la société de M. [R] par les deux salariés qui se sont ensuite associés, en particulier à une époque où ils savaient qu'ils allaient quitter la société, et alors qu'après leurs départs respectifs de la société plusieurs biens du portefeuille de la société France immobilier ont concrètement été proposés par la société Pro direct immo. Les attestations circonstanciées produites par la société France immobilier de différents négociateurs immobiliers font ressortir le fait que M. [R] et M. [Z] s'étaient déjà alliés au détriment de l'agence dès avant le développement d'un projet commun de création de société, Mme [U] allant jusqu'à évoquer un 'arrangement' évident entre eux.

M. [R] tente vainement de se dédouaner en indiquant que les envois réalisés depuis son adresse mail ont pu l'être par n'importe qui en l'absence d'accès sécurisé à son ordinateur professionnel, ce qui est inopérant dès lors qu'il ne justifie aucunement qu'il ne serait pas l'auteur des courriels litigieux envoyés non de son adresse professionnelle mais d'une adresse personnelle comportant son prénom et son nom, comme il le prétend sans aucun élément pertinent à l'appui, et ce alors même que le salarié ne fournit pas le moindre commencement de preuve qu'il aurait donné les codes d'accès à son employeur ou à un tiers pour cette adresse gmail personnelle utilisée dans le cadre des courriels litigieux envoyés de son ordinateur professionnel.

Si les opérations litigieuses concrètement réalisées par la société Pro direct immo sont postérieures à son départ de l'entreprise, il n'en demeure pas moins que la cour retient qu'il est établi au regard de ce qui précède que ces opérations sont le résultat d'une appropriation par le salarié de la clientèle de la société France immobilier du temps de la relation de travail, et que les éléments ci-dessus pris ensemble, permettent de caractériser au moment du licenciement le comportement incriminé de détournement de clientèle par vol de donnés de l'employeur et dès lors de retenir contre M. [R] le manquement à son obligation de loyauté envers son employeur reproché.

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, ces circonstances retenues établissent des faits fautifs qui, à eux seuls, compte tenu de la déloyauté dont a fait preuve le salarié, ne permettaient pas la poursuite, même pour peu de temps, du contrat de travail, et justifiaient le licenciement pour faute grave qui a été prononcé.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit le licenciement pour faute grave fondé, et en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes subséquentes du salarié.

4. Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts

Le conseil de prud'hommes a rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de la société France immobilier.

A hauteur de cour, elle maintient sa demande fondée sur l'article 1231 du code civil, et fait valoir qu'il est indiscutable que M. [R] a profité de la confiance qui lui avait été accordée pour s'allier à M. [Z] et la détrousser de ses fichiers clients dont le produit continue aujourd'hui de lui profiter au sein de la nouvelle structure qu'il a créée. Elle soutient que son préjudice sera réparé par la condamnation du salarié à lui payer des dommages et intérêts.

M. [R] s'oppose à la demande qu'il estime infondée, en répliquant en substance qu'aucun agissement de concurrence déloyale ne peut lui être reproché alors qu'il n'était pas lié par une clause de non concurrence et était donc libre de s'installer comme agent immobilier.

Or, sans qu'il soit besoin d'examiner le fait générateur de responsabilité, il résulte de l'examen des moyens débattus que la société n'articule dans ses conclusions aucun moyen permettant de caractériser le préjudice découlant, selon elle, de l'exécution fautive de son contrat de travail, ni dans son principe, ni dans son quantum, ni ne produit le moindre document à l'appui de son allégation d'un préjudice. La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande indemnitaire.

5. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le sens de la présente décision commande de confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

M. [R], qui succombe au principal, sera condamné aux dépens d'appel. Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Il lui sera alloué 250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Dit n'y avoir lieu d'écarter les pièces 17 à 20 produites par la société France immobilier ;

Confirme la décision déférée, sauf en ses dispositions sur la demande de rappel de salaire au titre des heures d'absence impayées en mars 2019 ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société France immobilier à payer à M. [R] la somme de 155,98 euros au titre des heures d'absence impayées au mois de mars 2019, outre 15,59 euros au titre des congés payés afférents ;

Condamne M. [R] à payer à la société France immobilier 250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [R] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00839
Date de la décision : 17/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-17;21.00839 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award