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18/10/2022 | FRANCE | N°20/05639

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 18 octobre 2022, 20/05639


ARRET

N° 811





S.A.S. [6]





C/



CPAM DE LA SOMME













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 18 OCTOBRE 2022



*************************************************************



N° RG 20/05639 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H5HY



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE AMIENS EN DATE DU 26 octobre 2020





PARTIES EN CAUSE :





APPELANTE




>S.A.S. [6] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 10]

[Localité 5]





Représentée par Me DECROOS, avocat au barreau d'AMIENS substituant Me Nathalie AMOUEL de la SCP CARON-AMOUEL-PEREIRA, a...

ARRET

N° 811

S.A.S. [6]

C/

CPAM DE LA SOMME

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 18 OCTOBRE 2022

*************************************************************

N° RG 20/05639 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H5HY

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE AMIENS EN DATE DU 26 octobre 2020

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. [6] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 10]

[Localité 5]

Représentée par Me DECROOS, avocat au barreau d'AMIENS substituant Me Nathalie AMOUEL de la SCP CARON-AMOUEL-PEREIRA, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 27

ET :

INTIMEE

CPAM DE LA SOMME agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée et plaidant par Mme [B] [N] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 10 Mai 2022 devant Monsieur Renaud DELOFFRE, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 18 Octobre 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Mélanie MAUCLERE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Monsieur Renaud DELOFFRE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 18 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Blanche THARAUD, Greffier.

*

* *

DECISION

Madame [Z] [E], salariée de la société [6] a établi en date du 30 janvier 2018, une déclaration de maladie professionnelle, sur la base d'un certificat médical du 3 janvier 2018, adressée à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Somme (ci-après, la CPAM) .

Cette maladie n'étant pas reprise dans un tableau des maladies professionnelles, la demande a été instruite dans le cadre des articles L.461-1 alinéa 4 et 5 du code de la sécurité sociale.

Le médecin conseil ayant fixé un taux d'incapacité permanente prévisionnel au moins égal à 25%, le dossier a été examiné par le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (ci-après CRRMP) des Hauts de France, qui a estimé qu'il existait un lien direct et essentiel entre la maladie de la salariée et son emploi au terme de la motivation suivante :

« Madame [E] [Z], née en 1974, est employée libre-service depuis 2008 dans un supermarché.

Le dossier nous est présenté au titre du 4eme alinéa pour un syndrome anxio dépressif sévère constaté le 13.04.2016.

Après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le CRRMP constate que l'assurée allègue des agressions sexuelles non consenties accompagnées de menaces. Dans le cadre de l'instruction du dossier, il est retrouvé des éléments identiques pour d'autres personnes ainsi que des témoignages concordants. Il n'existe, par ailleurs, pas de facteur de confusion extra professionnel.

C'est pourquoi, il y a lieu de retenir un lien direct et essentiel entre l'affection présentée et l'exposition professionnelle. »

Par courrier du 19 novembre 2018, la caisse a notifié à la société [6] la prise en charge de la maladie de Madame [E] au titre des maladies professionnelles.

La société a formé un recours contre cette décision le 8 janvier 2019 auprès de la commission de recours amiable (ci-après CRA).

Suite au rejet implicite de sa demande par la CRA, la SAS [6] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance d'Amiens, le 7 mai 2019 d'une demande d'inopposabilité de cette prise en charge.

Par ordonnance rendue le 21 novembre 2019, la présidente du pôle social a désigné un second CRRMP aux fins de formuler un avis sur l'imputabilité de la maladie de Madame [E] à ses conditions de travail.

L'avis rendu le 12 mars 2020 par le CRRMP de [Localité 7] s'établit comme suit :

« Après avoir entendu le service de prévention de la CARSAT et pris connaissance de l'ensemble des éléments du dossier, le CRRMP constate, à partir de 2016 une dégradation de la situation de travail de Mme [E], et une chronologie concordante entre l'évolution de cette situation et la dégradation de son état de santé. Ces éléments sont susceptibles d'être à l'origine de la pathologie déclarée.

En outre, il n'est pas mentionné dans ce dossier d'éléments extra professionnels de nature à remettre en cause le caractère essentiel du lien entre la pathologie déclarée et l'activité professionnelle de Mme [E].»

Par jugement en date du 26 octobre 2020, le Tribunal a décidé ce qui suit :

Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire, en premier ressort et mis à disposition au greffe,

ENTERINE les avis des deux Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles ;

DIT que la maladie professionnelle déclarée le 30 janvier 2018 par Madame [E] est opposable à la société [6] ;

CONDAMNE la société [6] à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Somme la somme de 1.000 € (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure

civile ;

CONDAMNE la société [6] aux dépens.

Notifié à la société [6] le 27 octobre 2020, ce jugement a fait l'objet d'un appel de cette dernière par courrier électronique de son avocate en date du 19 novembre 2020.

Par conclusions reçues par le greffe le 11 mars 2022 et soutenues oralement par avocat, la SAS [6] demande à la Cour de :

Dire et juger la SAS [6] recevable en son appel et légitime en sa contestation portant sur le bien fondé de l'origine professionnelle de la maladie déclarée par Madame [Z] [S] épouse [E],

En conséquence,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Pôle social près le Tribunal judiciaire d'AMIENS en date du 26 octobre 2020,

Statuant à nouveau,

Débouter la CPAM de la Somme de l'intégralité de ses prétentions,

Dire que la pathologie déclarée par Madame [Z] [S] épouse [E], au titre de la législation sur les maladies professionnelles, n'est pas directement et essentiellement causée par son travail habituel au sein de la Société [6],

Déclarer, en conséquence, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Madame [Z] [S] épouse [E] par la CPAM de la Somme inopposable à la Société [6], son employeur.

En tout état de cause,

Condamner la CPAM de la Somme à payer à la Société [6] la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que si la salariée est victime d'un syndrôme anxiodépressif ce dernier n'a aucun lien avec son travail, qu'il existe un facteur extraprofessionnel expliquant la fragilité psychologique de la salariée, que les faits imputés à Monsieur [V] sont formellement contestés par lui, que même dans l'hypothèse où la maladie de Madame [E] aurait un lien direct et essentiel avec son travail habituel, force est de constater que la double condition imposée par les dispositions précitées de l'article L461-1 du Code de la sécurité sociale n'est pas remplie puisque son taux d'incapacité permanente est fixée à 20%, soit inférieur au taux de 25% requis par l'article R461-8 du même Code, que par voie de conséquence, le jugement rendu par le Pôle social près le Tribunal judiciaire d'AMIENS en date du 26 octobre 2020 doit être, de plus fort, purement et simplement infirmé en toutes ses dispositions.

Par conclusions n° 2 enregistrées par le greffe à la date du 9 mai 2022 et soutenues oralement par sa représentante, la CPAM de la Somme demande à la Cour d'Appel d'Amiens :

De confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Pôle social du Tribunal judiciaire d'AMIENS le 26 octobre 2020, ayant déclaré opposable à la société [6] la maladie professionnelle déclarée par Madame [Z] [E] le 30 janvier 2018 ;

- De débouter en conséquence la société [6] de l'ensemble de ses demandes ;

De condamner la société [6] au paiement d'une somme supplémentaire en appel de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ou subsidiairement, confirmer la somme fixée par les premiers juges à hauteur de 1000 euros.

Elle fait valoir qu'avec les deux avis des CRRMP successivement désignés, ce sont donc deux collèges d'experts qui ont estimé de manière parfaitement concordante que la pathologie déclarée par Madame [E] avait été directement et essentiellement causée par son activité professionnelle, que les éléments recueillis lors de l'enquête administrative permettaient de retenir un lien direct et essentiel entre le syndrome anxio-dépressif de Madame [E] et son activité professionnelle au sein de la société [6], que Madame [E] travaillait comme employée libre-service au magasin SUPER U de [Localité 5] depuis le 19 juin 2008, qu'elle a été auditionnée par la gendarmerie le 26 avril 2016 et a déposé plainte contre Monsieur [V] pour « les fellations qu'il l'a obligée à lui faire, pour les attouchements de sa part dont (elle a) été victime et pour le harcèlement sexuel régulier au travail » (procès-verbal d'audition annexé au rapport d'enquête ' Pièce n°

Par conclusions n° 2 reçues par le greffe le 11 mars 2022 et soutenues oralement par avocat, la société [6] demande à la Cour de :

Dire et juger la SAS [6] recevable en son appel et légitime en sa contestation portant sur le bien fondé de l'origine professionnelle de la maladie déclarée par Madame [Z] [S] épouse [E],

En conséquence,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Pôle social près le Tribunal judiciaire d'AMIENS en date du 26 octobre 2020,

Statuant à nouveau,

Débouter la CPAM de la Somme de l'intégralité de ses prétentions,

Dire que la pathologie déclarée par Madame [Z] [S] épouse [E], au titre de la législation sur les maladies professionnelles, n'est pas directement et essentiellement causée par son travail habituel au sein de la Société [6],

Déclarer, en conséquence, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Madame [Z] [S] épouse [E] par la CPAM de la Somme inopposable à la Société [6], son employeur.

En tout état de cause,

Condamner la CPAM de la Somme à payer à la Société [6] la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel ce qui suit :

Il ressort de l'enquête administrative réalisée par la CPAM de la Somme que la maladie professionnelle dont se prétend victime Madame [E] résulterait d'un syndrome anxiodépressif sévère lié, d'après les dires de la patiente, à un harcèlement sexuel et à un viol.

Si les faits dénoncés par Madame [E] sont extrêmement graves, il n'en demeure pas moins qu'ils n'ont aucun rapport avec les fonctions exercées au sein de l'entreprise.

Monsieur [V] conteste absolument l'ensemble des accusations formées à son encontre par Madame [E] à l'appui de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle.

Ces faits ont par ailleurs fait l'objet d'une procédure d'instruction laquelle n'a toujours pas abouti à une décision pénale.

Madame [E] a effectivement déposé une plainte pénale à l'encontre de Monsieur [V], son employeur, en date du 26 avril 2016, pour des faits de harcèlement sexuel et viol.

En cette occasion, il a pu être relevé que le récit de Madame [E] est totalement incohérent :

Cette dernière évoque des faits de harcèlement sexuel qui auraient débuté dès l'année 2010 jusqu'à son arrêt maladie et dépôt de plainte en avril 2016.

Madame [E] évoque des attouchements sexuels qui se seraient déroulés en plein rayon ou en réserve, donc à la vue de tous.

Madame [E], employée libre service, était effectivement affectée sur l'aire de vente et la réserve (zone de stockage des produits). Ces zones de travail sont partagées par l'ensemble du personnel du magasin et n'induisent donc en aucun cas un isolement du salarié.

Il n'existe pourtant aucun témoignage direct de collègues de Madame [E] confirmant avoir assisté à des actes déplacés de Monsieur [V] à son égard (...)

Madame [E] ne dispose pas d'un bureau qui lui soit propre. Elle utilise uniquement le bureau appelé 'bureau fichier' dédié au passage des commandes. Il s'agit du point névralgique de la gestion commerciale informatique où l'ensemble du personnel se rend pour effectuer les commandes lesquelles ont lieu au même moment de la journée pour l'ensemble des salariés.

Ce 'bureau fichier' est par ailleurs situé sur une plateforme à l'étage du magasin à l'exact

opposé du bureau de Monsieur [V].

De même, chaque employé dispose d'un vestiaire pour ranger sa tenue de travail, lequel est situé dans un espace collectif. Chacun est toutefois libre d'arriver déjà vêtu de la veste propre à l'enseigne.

Monsieur [V] ne connaît pas les habitudes de Madame [E] laquelle prenait son poste une heure et demie avant lui.

Monsieur [V] avait pour habitude de passer dans les rayons aux fins de saluer ses salariés et leur donner les quelques consignes de travail qui s'imposaient.

Ainsi, la configuration de l'espace de travail, à l'instar des horaires de travail de Madame [E], ne permettait jamais à cette dernière de se retrouver seule avec son employeur.

Par voie de conséquence, la commission de faits délictueux à caractère sexuel, tels que décrits par la salariée dans son entretien avec la CPAM et à l'occasion de son dépôt de plainte à la gendarmerie, n'était pas matériellement possible.

Il ne ressort d'ailleurs d'aucune des pièces versées aux débats par la CPAM de la Somme le moindre témoignage direct des faits dénoncés par Madame [E].

Les personnes entendues ne sont que des collègues de travail de Madame [E] avec lesquelles elle entretenait des relations privilégiées. Ces personnes ne font que retranscrire des propos rapportés par la salariée elle-même.

Madame [E] a également dénoncé des faits de viol à l'encontre de Monsieur [V] en fixant notamment la date précise du 02 avril 2016, jour où elle aurait été contrainte par son employeur à lui faire une fellation dans son bureau.

Or, Monsieur [V] participait ce jour là à une compétition sportive pour le club d'[Localité 3] durant toute la journée et était donc absent du magasin, élément ayant pu être vérifié dans le cadre de l'enquête pénale.

Madame [E] a, par ailleurs, confirmé à plusieurs reprises, au moment de son audition suite à son dépôt de plainte, que le bureau de Monsieur [V] est vitré à l'instar de tous les bureaux de la direction situés à l'étage du magasin.

Madame [E] a expressément indiqué : "Son bureau est vitré (en parlant de celui de Monsieur [V]) et donne sur tout le magasin".

"D'en bas quand nous mettons en rayon, nous voyons ce qu'il se passe en haut dans le bureau car les bureaux sont vitrés".

Les déclarations de Madame [E] selon lesquelles Monsieur [V] l'aurait contrainte à lui faire des fellations dans son bureau et ce, à quatre reprises, sont dès lors totalement farfelues, ce qui se passe dans ce bureau étant à la vue de tous le personnel du magasin.

Il convient, en tout état de cause, de rappeler qu'une enquête pénale est en cours et que Monsieur [V] bénéficie de la présomption d'innocence tant que cette enquête n'aura pas abouti à une décision de culpabilité judiciaire.

Monsieur [V] précise que Madame [E] a perdu son père au cours de l'année 2012, perte qui l'a profondément affectée puisque cette dernière a, depuis cette date, été en arrêt maladie à plusieurs reprises.

Il existait donc, contrairement à ce qui a été retenu par les deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnels, des facteurs extra-professionnels ayant pu expliquer la fragilité psychologique de la salariée.

Il ressort donc de ce qui précède que si Madame [E] est victime d'un syndrôme anxio-dépressif, ce dernier ne présente aucun lien avec les tâches qui lui étaient confiées dans le cadre de son exercice professionnel.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 12 octobre 2017 parfaitement transposable au cas d'espèce, rappelle que la maladie déclarée doit être essentiellement et directement causée 'ar le travail habituel du salarié (Cass. 2ème civ., 12/10/2017, n°16-23043).

Dans cette espèce, Madame [X] a entretenu une relation personnelle avec son supérieur hiérarchique sur son lien de travail. A la suite de la rupture, Madame [X] a requalifié cette relation en harcèlement. Une procédure pénale était engagée à l'encontre de l'employeur à l'initiative de Madame [X]. Cette dernière a également souscrit, le 20 juillet 2012, une déclaration de maladie professionnelle faisant état d'une dépression nerveuse.

Le premier comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a rendu un avis favorable de reconnaissance de la maladie professionnelle déclarée par la salariée.

Le second comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a, quant à lui, rendu un avis contraire.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Madame [X] à l'encontre de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Toulouse en date du 28 juin 2016 lequel avait rejeté la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de la salariée considérant que :

"Après avoir rappelé les avis divergents des deux comités régionaux et énoncé que le compte rendu d'entretien du 30 août 2010 avait fait l'objet d'un débat contradictoire tout au long de la procédure, l'arrêt retient qu'il ressort du discours de Madame [X] qu'elle a bénéficié des largesses de son supérieur hiérarchique (promotions, primes, voyages) jusqu'à la rupture et qu'après celle-ci, Madame [X] a requalifié ladite relation en harcèlement, qu'elle ne rapporte la preuve d'aucun élément dans l'exécution des tâches qui lui étaient confiées qui soit à l'origine de sa pathologie ; que le comité régional de [Localité 8] a retenu qu'il n'était pas établi que la pathologie était essentiellement et directement causée par son travail habituel ; que le comité régional de [Localité 4] ne fonde sa décision que sur l'absence d'antécédents psychiatriques pour considérer que les souffrances au travail ont entraîné la pathologie avancée mais qu'il ne peut être suivi, la maladie de Madame [X] n'étant pas essentiellement et directement causée par son travail habituel, mais par une relation strictement personnelle".

En l'espèce, il ressort clairement des éléments précédemment évoqués que la pathologie de Madame [E] ne résulte en aucun cas des tâches qui lui étaient confiées dans le cadre de ses fonctions d'employée libre service.

Il découle donc de ce qui précède que le syndrôme anxio-dépressif dont est victime Madame [E] est totalement étranger au travail habituel de la salariée.

Les premiers juges ont ainsi méconnu l'alinéa 7 de l'article L461-1 du Code de la sécurité sociale selon lequel une maladie non désignée dans un tableau de maladies professionnelles doit être essentiellement et directement causé par le travail habituel de la victime pour être reconnue d'origine professionnelle.

L'arrêt précité vient confirmer l'interprétation stricte qui doit être faite de ce texte.

Aussi, le jugement rendu par le Pôle social près le Tribunal judiciaire d'AMIENS en date du 26 octobre 2020 doit être purement et simplement infirmé en l'ensemble de ses dispositions.

2/ Sur le taux d'incapacité permanente inférieur à 25%

L'employeur rappelle qu'aux termes de l'article L461-1 alinéa 7, du Code de la sécurité sociale:

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime ET qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

L'article R461-8 du Code de la sécurité sociale fixe le taux d'incapacité minimal qui doit être retenu pour la reconnaissance d'une maladie professionnelle hors tableau :

"Le taux d'incapacité mentionné au septième alinéa de l'article L461-1 est fixé à 25%".

Il ressort donc des dispositions précitées que la maladie, non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, ne peut être reconnue d'origine professionnelle qu'à la double condition que :

1- cette maladie soit essentiellement et directement causée par le travail habituel du salarié,

2 ' son taux d'incapacité permanente soit au moins égal à 25%.

En l'espèce, si le médecin conseil de la Caisse primaire d'assurance maladie a estimé que la maladie présentée par Madame [E] était susceptible d'entraîner un taux d'incapacité permanente partielle supérieur à 25%, estimation 'prévisible'reprise par les

deux CRRMP de la région [Localité 9] Hauts de France et celle de [Localité 7] Normandie, la Caisse a finalement retenu un taux d'incapacité permanente de 20% ainsi qu'elle l'a notifié à l'employeur par courrier en date du 8 septembre 2020 (pièce adverse n°12).

Dans ces conditions, même dans l'hyothèse où la maladie de Madame [E] aurait un lien direct et essentiel avec son travail habituel, force est de constater que la double condition imposée par les dispositions précitées de l'article L461-1 du Code de la sécurité sociale n'est pas remplie puisque son taux d'incapacité permanente est fixée à 20%, soit inférieur au taux de 25% requis par l'article R461-8 du même Code.

Par voie de conséquence, le jugement rendu par le Pôle social près le Tribunal judiciaire d'AMIENS en date du 26 octobre 2020 doit être, de plus fort, purement et simplement infirmé en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau, la Cour d'appel doit donc débouter la CPAM de ses demandes et déclarer en conséquence, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Madame [E] inopposable à la Société [6].

MOTIFS DE L'ARRET.

Attendu que la charge de la preuve de la réunion des conditions exigées par l'article L. 461-1 CSS pèse sur l'organisme social lorsque ce dernier a décidé d'une prise en charge ( en ce sens notamment Civ. 2ème, 30 juin 2011, no10-20.148).

Vu les articles L. 461-1, alinéa 4, R. 461-8, D. 461-29 et D. 461-30 du code de la sécurité sociale ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que peut être reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau des maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 % par le deuxième ; que, selon le dernier, la caisse primaire d'assurance maladie saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles après avoir recueilli, notamment, le rapport du service du contrôle médical qui, aux termes du troisième, comprend, le cas échéant, le rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle de la victime ; que pour l'application de ces dispositions, le taux d'incapacité permanente à retenir pour l'instruction d'une demande de prise en charge d'une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, et non le taux d'incapacité permanente partielle fixé après consolidation de l'état de la victime pour l'indemnisation des conséquences de la maladie ( en ce sens 2e Civ., 9 mai 2018, pourvoi n° 17-17.323).

Attendu en premier lieu que le moyen de contestation de l'opposabilité de la décision de prise en charge de la société [6] tiré de la reconnaissance par la caisse à Madame [E] d'un taux d'incapacité permanente de 20% par courrier en date du 8 septembre 2020 soit inférieur au taux requis procède d'une confusion entre le taux fixé après consolidation de la victime et celui prévisible évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et manque manifestement en droit.

Qu'aucun moyen pertinent de contestation du taux d'au moins 25% retenu par la caisse, condition médicale à laquelle est subordonnée la prise en charge, il convient de dire non-fondée la contestation élevée de ce chef par la société appelante.

Attendu sur le fond que les premiers juges ont parfaitement mis évidence , par des motifs que la Cour adopte complètement, le fait que les éléments du débat font apparaître le lien de causalité directe et essentielle entre le contexte de travail de Madame [E] et le syndrome anxio-dépressif sévère qu'elle a déclaré.

Qu'il sera ajouté que ce lien direct et essentiel mis en évidence par les témoignages, notamment celui extrêmement circonstancié de de Madame [J] [T], est confirmé par les deux avis concordants des deux CRRMP et que la société n'apporte pas le moindre commencement de preuve de ce que l'affection résulterait d'une cause totalement étrangère au travail.

Qu'il convient dans ces conditions de confirmer les dispositions du jugement déféré entérinant les deux avis précités et celles portant sur l'opposabilité sauf à en réformer la formulation en indiquant que cette dernière porte sur la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme du 19 novembre 2018.

Attendu que la société [6] succombant en ses prétentions, il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et aux frais non répétibles et, ajoutant au jugement, de la condamner aux dépens d'appel et à une somme supplémentaire de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS.

La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à en réformer la formulation en indiquant que l'opposabilité retenue par les premiers juges est relative à la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme du 19 novembre 2018 et non à la maladie elle-même.

Y ajoutant,

Condamne la société [6] à régler à la caisse primaire d'assurance maladie des travailleurs salariés de la Somme une somme supplémentaire de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 20/05639
Date de la décision : 18/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-18;20.05639 ?
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