ARRET
N° 762
ASSOCIATION [6]
C/
[W]
CPAM DU HAINAUT
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 11 OCTOBRE 2022
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N° RG 21/02114 - N° Portalis DBV4-V-B7F-ICJL
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VALENCIENNES (Pôle Social) EN DATE DU 24 mars 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
L'ASSOCIATION [6], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
ET :
INTIME
Monsieur [P] [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me JOSEAU substituant Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES
PARTIE INTERVENANTE
La CPAM DU HAINAUT, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Mme [C] [N] dûment mandatée
DEBATS :
A l'audience publique du 12 Mai 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, Conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 Octobre 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Mélanie MAUCLERE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 11 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec MmeMarie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Le 14 septembre 2015, M. [P] [W], salarié de l'association [6] en qualité de surveillant de nuit, a été victime d'une agression sur son lieu de travail dont il est résulté « deux plaies jugales gauches de 6 et 10 cm de long » constatées médicalement le jour même par le service des urgences du centre hospitalier de Sambre Avesnois.
La CPAM du Hainaut a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.
Suite à la consolidation des lésions présentées par l'assuré le 2 octobre 2017, la CPAM du Hainaut a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de M. [P] [W] à 8%.
Statuant sur la demande M. [P] [W]tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Valenciennes, par jugement du 14 mars 2018, a en outre :
- dit que l'accident du travail dont a été victime M. [P] [W] le 14 septembre 2015 est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, l'association [6],
- fixé au maximum la majoration de la rente ou du capital prévue par la loi et dit que cette majoration doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime en cas d'aggravation de l'état de santé dans la limite des plafonds prévus par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale,
- fixé comme suit le montant des indemnités allouées à M. [P] [W] au titre des préjudices personnels résultant de l'accident du travail dont il a été victime le 14 septembre 2015 du fait de la faute inexcusable de l'association [6] :
- préjudice causé par les souffrances endurées: 2 500 euros,
- préjudice esthétique temporaire: 1 500 euros,
- préjudice esthétique définitif: 1 000 euros,
-dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut devra faire l'avance des indemnisations accordées et pourra en poursuivre le recouvrement à l'encontre de l'association [6].
En l'absence d'appel interjeté à son encontre, ce jugement est aujourd'hui définitif.
Le 3 novembre 2018, M. [P] [W] a déclaré une rechute de l'accident dont il a été victime le 14 septembre 2015 qui, par décision du 12 mars 2019, a été prise en charge par la CPAM du Hainaut au titre de la législation sur les risques professionnels.
L'état de santé M. [P] [W] consécutif à cette rechute a été consolidé le 2 décembre 2019, et un taux d'incapacité permanente partielle en aggravation de 15% lui a été alloué.
Par requête du 22 juillet 2020, M. [P] [W] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes d'une demande d'indemnisation complémentaire consécutivement à sa rechute, qui, par jugement du 24 mars 2021, a :
- déclaré M. [P] [W] recevable en son recours,
- ordonné, avant dire droit sur les préjudices extra-patrimoniaux subis par M. [P] [W] du fait de la rechute du 3 novembre 2018 imputable à l'accident du travail dont il a été victime le 14 septembre 2015, une mesure d'expertise médicale judiciaire confiée au Docteur [T] [D], au titre de laquelle il convient de se référer au dispositif du jugement pour un plus ample exposé des missions confiées à l'expert,
- dit que l'expert donnera connaissance aux parties d'un pré-rapport et répondra à tous dires écrits de leur part formulés dans le délai qu'il leur aura été imparti, puis établira un rapport définitif qu'il transmettra, dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes qui en assurera la transmission aux parties à réception,
- dit que les opérations d'expertise se dérouleront sous le contrôle du magistrat affecté au pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes,
- dit que la rémunération non tarifée de l'expert commis sera avancée par la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut après taxation par le magistrat affecté au pôle social du tribunal judiciaire de Valenciennes dont le greffe transmettra la demande à la caisse primaire,
- dit qu'en cas d'empêchement de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête de la partie la plus diligente ou d'office,
- alloué à M. [P] [W] une provision de 2 000 euros (deux mille euros) à valoir sur l'indemnisation des préjudices personnels résultant de la rechute du 3 novembre 2018,
- ordonné l'exécution provisoire,
L'association [6] a interjeté appel de ce jugement le 15 avril 2021.
L'affaire a été appelée à l'audience du 12 mai 2022.
Par conclusions soutenues oralement à l'audience du 12 mai 2022, l'association [6] demande à la cour de :
- dire et juger, pour les conséquences sus-énoncées, M. [P] [W] mal fondé en ses fins, moyens et prétentions,
- dire et juger M. [P] [W] non recevable en son recours pour les conséquences sus-énoncées,
- dire et juger qu'il n'y a pas rechute et donc droit à indemnisation complémentaire à celle accordée initialement par le tribunal judiciaire en date du 14 mars 2018,
- dire et juger qu'il n'y a lieu à expertise judiciaire au vu des éléments rapportés ci-avant,
- en conséquence, infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire du 24 mars 2021,
- ordonner en conséquence la restitution par l'intimé de la somme nette de 2 000 euros correspondant à l'exécution provisoire de la première instance,
- y ajoutant, condamner M. [P] [W] aux entiers dépens,
- le condamner également au paiement d'une indemnité de 2 000 euros à valoir sur les frais et honoraires non compris dans lesdits dépens en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, l'association [6] soulève une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement définitif du tribunal des affaires de sécurité sociale du 14 mars 2018 dès lors que M. [P] [W] a déjà été indemnisé des conséquences de la faute inexcusable et que l'existence d'une rechute n'est pas un motif de saisine du juge aux fins d'une indemnisation complémentaire.
Elle ajoute que les lésions présentées par le salarié le 3 novembre 2018 ne sauraient constituer une rechute dès lors qu'elles correspondent à la poursuite du stress post-traumatique apparu dès l'origine.
Enfin, l'association [6] oppose à la fin de non-recevoir soulevée par M. [P] [W] la circonstance que le jugement entrepris, bien qu'ayant statué sur la seule recevabilité du recours du salarié et ayant ordonné une mesure d'expertise judiciaire, a implicitement jugé que la rechute de l'accident du travail était bien caractérisée.
Par conclusions oralement soutenues à l'audience du 12 mai 2022, M. [P] [W] demande à la cour de :
- déclarer irrecevable l'appel interjeté par l'association [6] à l'encontre du jugement du 24 mars 2021 du tribunal judiciaire de Valenciennes,
- condamner l'association [6] à lui payer une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'association [6] aux entiers dépens d'instance.
M. [P] [W] affirme que l'appel interjeté par l'association [6] est irrecevable dès lors que le jugement entrepris se borne à ordonner une mesure d'instruction et à lui allouer une provision. Il considère que le jugement entrepris n'ayant tranché aucune partie du litige au principal, celui-ci ne pouvait être frappé d'appel indépendamment de la décision au fond.
Par conclusions oralement soutenues à l'audience du 12 mai 2022, la CPAM du Hainaut, intervenant volontairement à l'instance, demande la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'appel
En vertu des dispositions prévues aux articles 544 et 545 du code de procédure civile, sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements qui ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ne peuvent être frappés d'appel indépendamment des jugements sur le fond que s'ils tranchent dans leur dispositif une partie du principal.
En l'espèce, la cour observe que le jugement déféré déclare recevable le recours de M. [P] [W], ordonne une expertise judiciaire aux fins de déterminer les préjudices subis par celui-ci et lui alloue une provision sur une éventuelle indemnisation future.
Toutefois, il ressort des motifs du jugement qu'était contestée par l'employeur l'existence même de la rechute, ce dernier soutenant que les lésions identifiées par le certificat médical ne relevaient que de la poursuite d'un stress post-traumatique préexistant.
Les premiers juges ont retenu l'existence d'une aggravation caractéristique d'une rechute susceptible d'avoir généré un nouveau préjudice et déclaré le recours de M. [P] [W] recevable. Ils ont donc tranché une partie du principal, le jugement ne se limitant pas à ordonner une mesure d'instruction.
L'association [6] est ainsi recevable en son appel à l'encontre du jugement déféré.
Sur la rechute du 3 novembre 2018
Conformément aux dispositions prévues à l'article L.443-2 du code de la sécurité sociale, si l'aggravation de la lésion entraîne pour la victime la nécessité d'un traitement médical, qu'il y ait ou non nouvelle incapacité temporaire, la caisse primaire d'assurance maladie statue sur la prise en charge de la rechute.
En application de ces dispositions, la rechute suppose un fait pathologique nouveau, qui apparaît postérieurement à la date de guérison ou de consolidation de la blessure et qui résulte d'une évolution spontanée des séquelles de l'accident en dehors de tout événement extérieur.
Ce fait pathologique nouveau peut résulter de l'aggravation de la lésion initiale après sa consolidation.
Pour contester l'existence d'une rechute dont serait victime M. [P] [W], l'argumentation de l'association [6] se borne à soutenir qu'il ne s'agirait que de la poursuite d'un état de stress post-traumatique préexistant.
Toutefois, il ressort des conclusions motivées du rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité de la victime que, si le syndrome dépressif post réactionnel est effectivement relevé à la date de consolidation de l'accident initial, celui-ci fait état d'une aggravation de cette dépression secondaire justifiant la réévaluation du taux d'incapacité permanente de M. [P] [W] de 8 à 15%.
Sur ce point, l'association [6] n'apporte aucun élément propre à remettre en cause l'existence d'une aggravation de cette lésion, qui doit, en conséquence, être identifiée comme une rechute de l'accident du travail survenu au préjudice de M. [P] [W] le 14 septembre 2015.
Enfin, étant relevé qu'en application des articles L.452-1 et L.452-2 du code de la sécurité sociale, l'indemnisation complémentaire à laquelle la victime a droit, s'étend aux conséquences d'une rechute de l'accident du travail initial, M. [P] [W] est bien fondé à solliciter l'indemnisation de ses préjudices résultant de la rechute du 3 novembre 2018.
Dès lors, le jugement entrepris est confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles
Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles exposés en appel.
Les demandes faites sur ce fondement seront rejetées.
Sur les dépens
L'association [6], qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Déclare l'association [6] recevable en son appel,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, s'agissant des frais irrépétibles d'appel,
Condamne l'association [6] aux dépens d'appel.
Le Greffier,Le Président,